Réussir la mise en place des administrateurs salariés
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Remerciements
La présente note est la synthèse des réflexions d’un groupe de travail, présidé par André Gauron (administrateur de Lasaire), auquel ont participé : Frédéric Agenet (directeur des relations sociales d’EADS), Jean Agulhon (directeur des ressources humaines France de Renault), Pierre Alanche (ancien administrateur salarié de Renault), Gabriel Artero (président de la fédération de la métallurgie CFE-CGC), Denis Boissard (directeur de projets à l’UIMM), Jean-Paul Bouchet (secrétaire général de la CFDT Cadres), Vincent Charlet (directeur de La Fabrique de l’industrie), Dominique Gillier (secrétaire général de la FGMM CFDT).
Le groupe de travail s’est réuni à dix reprises entre le 23 mai 2013 et le 16 décembre 2013.
Ont été auditionnés par ce groupe de travail : Jean-Jacques Cette (administrateur salarié, Allianz SE), Alain Champigneux (ancien administrateur salarié, Renault), Jean Coroller (directeur de la certification des administrateurs, IFA), Philippe Crouzet (président du directoire de Vallourec), Dominique Floch (administrateur salarié de Thales), Boris Karthaus (juriste à IG Metall), Bertrand Lapraye (censeur au conseil d’administration d’Alcatel-Lucent), Daniel Lebègue (président de l’IFA), Guy Maugis (président de Robert Bosch France SAS), Benoit Ostertag (administrateur élu par les salariés actionnaires de Renault), Udo Rehfeldt (chercheur à l’IRES), Martine Saunier (administratrice salariée de Thales), Jean-Christophe Sciberras (DRH France et directeur des relations sociales « groupe » de Solvay, président de l’ANDRH), Jean-Cyril Spinetta (ancien président-directeur général d’Air France-KLM).
Nous remercions Maître Emmanuelle Barbara (August & Debouzy), Maître Anne Murgier (Capstan) et Florence Vielcanet (Parlons social) pour leurs contributions à cette publication.
Rédaction : Marie-Laure Cahier
Préface
Un sursaut de compétitivité, particulièrement dans le champ de l’industrie, mobilise à juste titre les parties prenantes de notre pays. Un peu tardivement peut-être, de nombreuses mesures ont été prises, qui commencent à porter leurs fruits. Ce mouvement ne réussira pleinement que si nous réglons au passage plusieurs sujets propres au fonctionnement français, jusqu’à présent laissés en suspens.
Tout le monde s’accorde à dire que les partenaires sociaux ont longtemps été plus divisés en France que dans le reste de l’Europe. C’est particulièrement vrai concernant la recherche de compromis équilibrés entre la rémunération des salariés et la sécurisation de leurs parcours, d’une part, et la compétitivité des entreprises, d’autre part.
Dans l’accord national interprofessionnel qu’ils ont signé en janvier 2013, les partenaires sociaux ont invité le législateur à généraliser aux grandes entreprises une obligation qui ne concernait jusque-là que les groupes publics ou anciennement publics : faire siéger des représentants des salariés au sein des conseils d’administration et de surveillance.
Je le dis d’expérience, ces administrateurs salariés peuvent jouer un rôle important. Non seulement ils expriment la vision que l’on peut avoir, de l’intérieur, sur la stratégie d’entreprise mais ils font également bénéficier le conseil de leur connaissance intime de son activité, de ses marchés, de ses clients, de ses savoir-faire et de ses autres avantages concurrentiels. Pour toutes ces raisons, leur avis est précieux lors des délibérations. Symétriquement, et sans trahir la règle de confidentialité qui s’impose à eux, ils peuvent aider leurs collègues à comprendre les décisions du conseil, notamment en matière d’investissement.
On rattache souvent la présence d’administrateurs salariés au système allemand de la codétermination. La parenté est évidente. Mais il serait réducteur de ne voir dans la récente loi française qu’une tentative de copier notre « voisin modèle ». D’abord parce que les règles de gouvernance resteront assez différentes, même après cette réforme en France. Ensuite parce que ce ne sont pas moins de dix-huit États membres de l’UE, sans compter la Norvège, qui ont opté pour la représentation des salariés au conseil des entreprises.
On a en effet de solides raisons de penser que l’association des parties prenantes d’une entreprise – direction, salariés, actionnaires – à l’élaboration de sa stratégie en améliore la résilience, peut-être aussi la clairvoyance. C’est un des moyens possibles d’en renforcer durablement la performance.
Cette note, issue d’un large travail de documentation et de consultation et riche d’enseignements sur les pratiques étrangères, montre bien que cette réforme n’est pas une formule miracle. Elle est d’autant plus profitable à l’entreprise que le dialogue social s’y déroule déjà dans un climat positif. Et elle ne suffit pas à l’améliorer là où il se passe mal.
Toutefois, les expériences antérieures montrent que, parmi les craintes le plus souvent évoquées comme le manquement des administrateurs salariés à leur devoir de confidentialité ou la perturbation du fonctionnement du conseil, certaines sont quasiment dénuées de fondement et d’autres faciles à circonscrire. Un guide pratique, annexé à la note, rappelle utilement les points de vigilance à avoir en tête au moment de la mise en œuvre : mode de désignation des nouveaux administrateurs, formation, gestion des jetons de présence…
Cette réforme demandera à tous un engagement, un peu de temps et une prise de responsabilité, c’est entendu. Mais, au terme de la lecture de cette note et de son guide pratique, on perçoit bien que ces efforts, loin d’être insurmontables, seront payants à moyen terme.
Denis Ranque,
Co-président de La Fabrique de l’industrie
INTRODUCTION
La mise en place des administrateurs salariés dans les organes de gouvernance de tête
L’accord du 11 janvier 2013 conclu entre les partenaires sociaux sur la sécurisation de l’emploi instaure une représentation des salariés au sein des conseils d’administration ou de surveillance dans les entreprises de plus de 10 000 salariés à l’échelle mondiale ou de plus de 5 000 salariés à l’échelle de la France. Le nombre de représentants de salariés sera égal à deux dans les entreprises dont le nombre d’administrateurs est supérieur à douze et de un dans les autres cas. Des administrateurs représentants les salariés existent déjà dans les entreprises publiques ou anciennement publiques, mais c’est la première fois que la mesure est généralisée aux entreprises privées d’une certaine taille. Pour ces entreprises et groupes, de l’ordre de 300, cette mesure constitue un changement majeur.
Cette disposition vise à améliorer les relations sociales dans les entreprises et, ce faisant, à contribuer à l’amélioration de leur résilience économique. Nul n’ignore cependant que certaines parties prenantes et leurs organisations représentatives ont parfois accueilli cette mesure avec circonspection ; les débats demeurent vifs.
La France rejoint ainsi douze pays européens, dont l’Allemagne, les pays scandinaves et les Pays-Bas, qui ont mis en place une représentation des salariés dans les organes de gestion des entreprises privées d’une certaine taille. Il est dans l’intérêt de tous que cette « innovation », qui résulte de la volonté des signataires de l’ANI comme du législateur, réussisse. Ce qui suppose, tant pour les directions d’entreprise que pour les organisations syndicales, d’inventer des pratiques nouvelles, nécessairement différentes de celles applicables aux instances représentatives du personnel.
La présence d’administrateurs représentant les salariés, au sein des conseils d’administration ou de surveillance, soulève plusieurs questions, réparties dans ce document en deux parties distinctes.
La première relève du registre du débat d’idées : après avoir rappelé les origines et le contexte du dispositif à l’échelle française et européenne (chapitre 1), seront examinées les espérances et les craintes que cette mesure peut susciter, ainsi que le bilan raisonné que l’on peut tirer de la concertation entre acteurs comme des pratiques antérieures ou étrangères pour y répondre (chapitre 2). La seconde partie aborde les modalités pratiques : maintenant que le dispositif est devenu obligation légale, quels sont les points de vigilance auxquels entreprises et organisations syndicales doivent être attentives pour que la mise en œuvre se déroule dans les meilleures conditions (le guide sous forme de tiré à part).
Ce document a été mis au point par un groupe de travail, sur la base d’une revue de la littérature et d’une série d’auditions d’acteurs, entre l’automne 2013 et le printemps 2014.
Le dispositif et son contexte
L’Accord national interprofessionnel du 11 janvier 2013 a été présenté comme une avancée de la démocratie sociale, dans sa méthode comme dans ses résultats. Comme l’indique sans ambiguïté le libellé de son titre – « … pour un nouveau modèle économique et social au service de la compétitivité des entreprises et de la sécurisation de l’emploi et des parcours professionnels des salariés » – il s’agissait rien moins que de promouvoir un « nouveau modèle économique et social », plus équilibré et plus respectueux des intérêts de tous.
Quel était exactement son objet ? D’accorder aux entreprises, d’une part, des souplesses nouvelles pour répondre aux contraintes d’un environnement international de plus en plus concurrentiel et aux salariés, en contrepartie, des droits nouveaux favorisant leur capacité d’anticipation et d’adaptation face aux évolutions économiques, tout en leur garantissant des éléments de « sécurisation » en matière d’employabilité (reclassement, formation, etc.). Ou dit autrement − et plus solennellement − de favoriser un dialogue social plus mature autour des données économiques de l’entreprise et une construction progressive de la confiance entre partenaires sociaux, favorable in fine à la compétitivité des entreprises dans une économie mondialisée.
C’est donc au sein d’un texte certes complexe mais d’une grande cohérence interne, issu d’une négociation ambitieuse et multi-facettes, que s’insère l’article 13 intitulé « Représentation des salariés dans l’organe de gouvernance de tête qui définit la stratégie de l’entreprise », qui fait ici l’objet de notre réflexion.
Par souci de simplicité, nous considèrerons dans les propos qui suivent les termes « salariés administrateurs », « administrateurs représentant les salariés » ou encore « administrateurs salariés » comme parfaitement synonymes.
1. La mesure au sein de l’ANI du 11 janvier 2013
Il n’est pas inutile de s’attarder quelques instants sur la logique interne de ce texte, afin d’en comprendre les articulations. En effet, une fois les dispositions de l’ANI atomisées et ventilées, par la Loi n°2013-504 adoptée par le Parlement le 14 juin 2013, dans le Code du travail et le Code du commerce, il devient tout à fait impossible de reconstituer la cohérence de l’ensemble. Ne demeure alors qu’un catalogue de dispositions déconnectées les unes des autres et perçues comme des contraintes ou des opportunités selon la position que chacun occupe. Il importe donc de ne pas en perdre la vue d’ensemble.
Cet article 13 (voir encadré 1) intervient au sein du Titre II de l’accord, qui a pour objet le renforcement « de l’information des salariés sur les perspectives et les choix stratégiques de l’entreprise pour renforcer la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences ». Le préambule de ce Titre II éclaire de façon limpide les intentions des partenaires sociaux (voir encadré 2).
Encadré 1 – ANI DU 11 JANVIER 2013
Article 13 – Représentation des salariés dans l’organe de gouvernance de tête qui définit la stratégie de l’entreprise (conseil d’administration ou conseil de surveillance)
Afin de favoriser la prise en compte du point de vue des salariés sur la stratégie de l’entreprise, leur participation avec voix délibérative à l’organe de l’entreprise qui définit cette stratégie doit être assurée (avec les mêmes règles de confidentialité que celles appliquées aux autres participants) dans les entreprises dont les effectifs totaux, appréciés à l’échelle mondiale, sont au moins égaux à 10 000 salariés ou à 5 000 appréciés à l’échelle de la France.
Les entreprises qui n’auraient pas déjà des salariés administrateurs disposeront de 26 mois pour mettre en place une telle représentation dont les modalités devront être au préalable approuvées par l’Assemblée Générale.
Le nombre de représentants des salariés sera égal à deux dans les entreprises dont le nombre d’administrateurs est supérieur à douze et à un dans les autres cas.
Les salariés administrateurs auront le même statut que les autres administrateurs. Leur fonction sera incompatible avec celle de membre du CE, du CHSCT, de délégué du personnel ou de délégué syndical.
Encadré 2 – TITRE II – RENFORCER L’INFORMATION DES SALARIES SUR LES PERSPECTIVES ET LES CHOIX STRATEGIQUES DE L’ENTREPRISE POUR RENFORCER LA GESTION PREVISIONNELLE DES EMPLOIS ET DES COMPETENCES
Comprendre la stratégie de l’entreprise, les leviers et contraintes qui la déterminent, constitue une étape nécessaire aux salariés pour se l’approprier. Savoir que les conséquences de cette stratégie pour leur emploi, leur carrière, leurs conditions de travail sont anticipées et que leur avenir est sécurisé est une condition de leur adhésion et de leur performance.
La représentation des intérêts des salariés, comme de ceux des autres parties prenantes, au moment où le projet se construit, est indispensable : la stratégie adoptée pourra ainsi n’occulter aucun des problèmes éventuels et prévoir à temps les solutions adaptées.
Les mots opérants du Titre II sont « comprendre la stratégie ». C’est par une meilleure compréhension de la stratégie de l’entreprise − qui suppose une information partagée − que les salariés seront à même d’appréhender les évolutions à venir et, en conséquence, de les anticiper et de les préparer (gestion prévisionnelle des emplois et des compétences ou GPEC), de façon à les rendre humainement moins coûteuses. Telle nous semble du moins avoir été l’hypothèse de travail des négociateurs, concrétisée dans l’article 13 : « Afin de favoriser la prise en compte du point de vue des salariés sur la stratégie de l’entreprise, leur participation avec voix délibérative à l’organe de l’entreprise qui définit cette stratégie doit être assurée ». La représentation des salariés au sein de l’organe de gouvernance de tête apparaît alors comme l’un des moyens visant à favoriser la compréhension de la stratégie par les salariés et la prise en compte de leur point de vue sur celle-ci, afin d’en anticiper les conséquences. Un des moyens, mais pas le seul ! On trouve également dans le Titre II la « base de données unique » visant à fournir aux IRP, de façon anticipée, des informations économiques et sociales à caractère prospectif sur trois ans glissants et, d’une façon plus générale, de nombreuses incitations à « partager l’information », « dialogue », «consulter », « débattre », à caractère non contraignant, mais révélatrices de l’esprit du texte.
Aux dires de plusieurs négociateurs de l’ANI, la question de la représentation des salariés dans les organes de gouvernance n’était pas une revendication prioritaire des partenaires sociaux ; elle a plutôt été mise sur la table par le Gouvernement et n’a fait l’objet de discussions qu’au cours des dernières séances de négociation.
Faut-il rappeler que ladite mesure figurait explicitement dans les soixante engagements du candidat Hollande − plus précisément à la promesse n° 55 sous le chapeau « Je veux donner un nouvel élan à notre démocratie », entre la nouvelle étape de la décentralisation et la ratification de la Charte européennes des langues régionales ou minoritaires ! Si le rappel de ce catalogue à la Prévert peut prêter à sourire, il n’en demeure pas moins que la mention d’une mesure aussi précise, au sein d’un paragraphe général engageant à davantage de démocratie sociale, est révélatrice de la valeur symbolique et déclarative attachée à ce dispositif particulier. Avec en filigrane l’image du « modèle social » allemand ? Cela est plus que probable et nous y reviendrons largement.
Quoi qu’il en soit, la mesure était en France dans l’air du temps. Le rapport
Gallois intitulé Pacte pour la compétitivité de l’industrie française, demandé par le Premier ministre et publié le 5 novembre 2012 – soit à peine deux mois avant la signature de l’ANI − en faisait même sa deuxième proposition, quoiqu’elle allât plus loin en suggérant quatre représentants des salariés pour les conseils comptant plus de douze administrateurs, au lieu de deux dans la proposition finalement retenue.
Encadré 3 – Proposition n°55 des 60 engagements du candidat François Hollande
« Je veux donner un nouvel élan à notre démocratie »
Tout texte de loi concernant les partenaires sociaux devra être précédé d’une concertation avec eux. Je ferai modifier la Constitution pour qu’elle reconnaisse et garantisse cette nouvelle forme de démocratie sociale. Dès l’été 2012, je réunirai une grande conférence économique et sociale qui sera saisie des priorités du quinquennat. Je permettrai la présence des représentants des salariés dans les conseils d’administration et dans les comités de rémunération des grandes entreprises.
Encadré 4 – Rapport Gallois du 5 novembre 2012
2e proposition
Introduire dans les conseils d’administration ou de surveillance des entreprises de plus de 5 000 salariés, au moins quatre représentants des salariés, sans dépasser le tiers des membres, avec voix délibérative, y compris dans les comités de conseils.
2. La Loi du 14 juin 2013 relative à la sécurisation de l’emploi
La Loi n°2013-504 du 14 juin 2013 était supposée transcrire fidèlement et scrupuleusement les dispositions de l’ANI. On notera cependant qu’au frontispice de cette loi, seule demeure la mention de la sécurisation de l’emploi. Exit « le nouveau modèle économique et social au service de la compétitivité des entreprises », tous termes sans doute moins recevables par la majorité parlementaire1. Mais il n’y a pas que la sémantique contextuelle qui a été affectée par le passage du texte entre les mains du Parlement.
Pour ce qui concerne la présence d’administrateurs salariés dans les organes de gouvernance, la rédaction du nouvel article L225-27-11 du Code du commerce a conduit à modifier subtilement le champ d’application du texte, de jure à le restreindre. En fixant dans le détail les modalités d’application du principe général, la Loi a en effet introduit des conditions cumulatives qui ne figuraient pas dans l’article 13 de l’ANI, pourtant assez restrictif avec son effet de seuil à 5 000 salariés : taille des effectifs, siège social en France, existence d’un comité d’entreprise (voir encadré 5). A-t-on voulu réduire la portée pratique du dispositif, tout en maintenant les apparences de sa haute valeur symbolique ?
En précisant que les sociétés concernées par la mise en place des administrateurs salariés sont celles, entre autres conditions, « qui ont pour obligation de mettre en place un comité d’entreprise », soit les entités de plus de 50 salariés, la Loi exclut du champ d’application les sociétés holding ou sociétés-mères de grands groupes qui comptent souvent moins de 50 salariés, même si elles chapeautent des filiales qui en emploient plusieurs milliers. Si l’on ajoute les groupes dont le siège social de la holding est situé hors de France, c’est près de 40 % des groupes du CAC40 qui, selon le quotidien Les Echos2
, ne seront pas concernés par les administrateurs représentant les salariés au niveau de leur holding. Maladresse des rédacteurs ou résultat d’un lobbying sous-terrain ? Il est en tout cas certain que cet état de fait et les interprétations suspicieuses qui l’entourent, à l’aube de la mise en œuvre du texte, ne contribuent pas à sa crédibilité ni à l’instauration d’une dynamique de confiance telle qu’elle était recherchée par les signataires de l’ANI. Des dirigeants d’entreprises se demandent même si une telle formulation n’incitera pas certains de leurs pairs à des manœuvres juridiques de contournement. D’autres estiment au contraire que les plus grandes entreprises, même juridiquement exemptes de cette obligation, devront « jouer le jeu » pour être « socialement crédibles ».
Pour autant, cela signifie-t-il que la Loi est vidée de sa substance, comme on a pu l’entendre dire ici ou là, c’est-à-dire que les grands groupes échapperaient totalement à l’obligation de la Loi ? Bien évidemment, non. Les grands groupes devront faire entrer des administrateurs salariés dans les conseils des filiales pour autant que celles-ci remplissent l’ensemble des critères. Mais un doute subsiste, si l’on se reporte à la finalité du dispositif − « représenter les salariés au moment où le projet [stratégique] se construit » : est-ce au niveau de la société-mère ou des filiales que se « fait » la stratégie d’un groupe ?
Encadré 5 – ARTICLE L225-27-1 CRÉÉ PAR LA LOI N°2013-504 DU 14 JUIN 2013 – ART. 9 (V)
I. Dans les sociétés qui emploient, à la clôture de deux exercices consécutifs, au moins cinq mille salariés permanents dans la société et ses filiales, directes ou indirectes, dont le siège social est fixé sur le territoire français, ou au moins dix mille salariés permanents dans la société et ses filiales, directes ou indirectes, dont le siège social est fixé sur le territoire français et à l’étranger, et qui ont pour obligation de mettre en place un comité d’entreprise en application de l’article L. 2322-1 du code du travail, il est stipulé dans les statuts que le conseil d’administration comprend, outre les administrateurs dont le nombre et le mode de désignation sont prévus aux articles L. 225-17 et L. 225-18 du présent code, des administrateurs représentant les salariés.
Une société n’est pas soumise à l’obligation prévue au premier alinéa du présent I dès lors qu’elle est la filiale, directe ou indirecte, d’une société elle-même soumise à cette obligation.
II. Le nombre des administrateurs représentant les salariés est au moins égal à deux dans les sociétés dont le nombre d’administrateurs mentionnés aux articles L. 225-17 et L. 225-18 est supérieur à douze et au moins à un s’il est égal ou inférieur à douze.
Les administrateurs représentant les salariés ne sont pas pris en compte pour la détermination du nombre minimal et du nombre maximal d’administrateurs prévus à l’article L. 225-17, ni pour l’application du premier alinéa de l’article L. 225-18-1.
III. Dans les six mois suivant la clôture du second des deux exercices mentionnés au I, après avis, selon le cas, du comité de groupe, du comité central d’entreprise ou du comité d’entreprise, l’assemblée générale extraordinaire procède à la modification des statuts pour déterminer les conditions dans lesquelles sont désignés les administrateurs représentant les salariés, selon l’une des modalités suivantes :
1° L’organisation d’une élection auprès des salariés de la société et de ses filiales, directes ou indirectes, dont le siège social est fixé sur le territoire français dans les conditions fixées à l’article L. 225-28 ;
2° La désignation, selon le cas, par le comité de groupe prévu à l’article L. 2331-1 du code du travail, le comité central d’entreprise ou le comité d’entreprise de la société mentionnée au I du présent article ;
3° La désignation par l’organisation syndicale ayant obtenu le plus de suffrages au premier tour des élections mentionnées aux articles L. 2122-1 et L. 2122-4 du même code dans la société et ses filiales, directes ou indirectes, dont le siège social est fixé sur le territoire français lorsqu’un seul administrateur est à désigner, ou par chacune des deux organisations syndicales ayant obtenu le plus de suffrages au premier tour de ces élections lorsque deux administrateurs sont à désigner ;
4° Lorsqu’au moins deux administrateurs sont à désigner, la désignation de l’un des administrateurs selon l’une des modalités fixées aux 1° à 3° et de l’autre par le comité d’entreprise européen, s’il existe, ou, pour les sociétés européennes au sens de l’article L. 2351-1 du code du travail, par l’organe de représentation des salariés mentionné à l’article L. 2352-16 du même code ou, à défaut, par le comité de la société européenne mentionné à l’article L. 2353-1 dudit code.
L’élection ou la désignation des administrateurs représentant les salariés intervient dans les six mois suivant la modification des statuts prévue au premier alinéa du présent III.
IV. Si l’assemblée générale extraordinaire ne s’est pas réunie dans le délai prévu au premier alinéa du III, tout salarié peut demander au président du tribunal statuant en référé d’enjoindre sous astreinte au conseil d’administration de convoquer une assemblée générale extraordinaire et de soumettre à celle-ci les projets de résolution tendant à modifier les statuts dans le sens prévu au même III.
A défaut de modification des statuts à l’issue du délai prévu au premier alinéa dudit III, les administrateurs représentant les salariés sont désignés par la voie de l’élection mentionnée au 1° du III dans les six mois suivant l’expiration du même délai. Tout salarié peut demander au président du tribunal statuant en référé d’enjoindre sous astreinte à la société d’organiser l’élection.
V. Les sociétés répondant aux critères fixés au I du présent article et dont le conseil d’administration comprend un ou plusieurs membres désignés en application de l’article L. 225-27 du présent code, de l’article 5 de la loi n° 83-675 du 26 juillet 1983 relative à la démocratisation du secteur public ou de l’article 8-1 de la loi n° 86-912 du 6 août 1986 relative aux modalités des privatisations, ainsi que leurs filiales directes ou indirectes, ne sont pas soumises à l’obligation prévue aux I à III du présent article dès lors que le nombre de ces administrateurs est au moins égal au nombre prévu au II.
Lorsque le nombre de ces administrateurs est inférieur au nombre prévu au II, les I à IV sont applicables à l’expiration du mandat en cours des administrateurs représentant les salariés.
3. Les administrateurs salariés en France : pas vraiment une idée neuve
Dans un ouvrage paru en 20093, les auteurs, rendant compte de la situation en 2008, faisaient état de 545 mandats d’administrateurs salariés dans 160 sociétés. On ne saurait donc parler d’une idée ou d’une pratique neuve. Le nombre et le rôle des administrateurs salariés dans les entreprises françaises résultent en effet des effets cumulés de plusieurs vagues.
Dans l’immédiat après-guerre, tandis que l’Allemagne instaure un système de participation salariée étant, de l’avis de Jean-Louis Beffa et Christophe Clerc, « le plus complet et le plus extensif […] ayant jamais existé en Europe de l’Ouest »4, la France met en place plus progressivement des dispositions visant à associer les salariés à la gestion des entreprises. Ainsi les comités d’entreprise sont-ils institués en 1946, certains de leurs membres ayant la possibilité d’assister au conseil d’administration, avec une voix uniquement consultative.
À la même époque, les premières grandes nationalisations offrent l’occasion d’expérimenter des formes de représentation des salariés au conseil d’administration des entreprises concernées. Ce mouvement se trouve cependant freiné par des relations sociales conflictuelles jusque dans les années 1970, une partie du mouvement syndical prônant non pas la codétermination mais l’autogestion, tandis qu’une autre partie se montre résolument hostile à toute participation à des décisions qui relèvent, à leurs yeux, des seuls directions et des actionnaires.
Suite à une nouvelle vague de nationalisations en 1982, la loi de démocratisation du secteur public de 1983 rend obligatoire la présence de représentants des salariés dans les conseils d’administration des entreprises publiques, cette fois avec une voix délibérative. Les privatisations qui surviennent en 1986 et 1993 ne remettent pas en cause ces principes mais viennent au contraire les renforcer. En 1986, une ordonnance ouvre aux sociétés anonymes la possibilité d’élire des représentants des salariés aux conseils d’administration ou de surveillance. La loi du 25 juillet 1994 relative à la participation des salariés oblige à maintenir au moins deux postes d’administrateurs dans les entreprises privatisées, ceux-ci restant optionnels dans les sociétés privées.
Cette même loi de juillet 1994, tenant compte du développement concomitant de l’épargne salariale, introduit des postes de représentants des salariés actionnaires dans certains conseils d’administration. Ce mouvement est conforté par la loi de modernisation sociale du 17 janvier 2002 (dont les décrets d’application sur ce point ne sont jamais parus) et celle du 30 décembre 2006 portant sur la participation et l’actionnariat salarié. Cette dernière impose la représentation des salariés actionnaires par au moins un administrateur ou un membre du conseil de surveillance, pour les sociétés cotées dont les salariés détiennent plus de 3 % du capital. Or, la France est le pays où l’actionnariat salarié est le plus avancé en Europe, tant au regard de la part du capital détenue par les salariés que du pourcentage de salariés actionnaires. En très grande majorité, les actions des salariés sont réunies dans des fonds communs de placement d’entreprise (FCPE). Une question reste débattue : de tels mécanismes octroient-ils aux représentants des salariés actionnaires une place importante dans la gouvernance de l’entreprise ?
Par ailleurs, la loi du 15 mai 2001 relative aux nouvelles régulations économiques modifie le Code du commerce, ouvrant aux entreprises volontaires la possibilité d’introduire des salariés à leur conseil d’administration par une modification réversible des statuts, approuvée par l’assemblée générale des actionnaires. Ce changement statutaire peut d’ailleurs s’envisager après une période probatoire sous la forme du censorat (mission d’assistance contractuelle au sein du conseil).
Enfin, et notamment à la suite de plusieurs scandales financiers en Europe et aux États-Unis vers le milieu des années 2000, après également la déflagration causée par la crise financière et bancaire de 2008, l’idée progresse qu’il faut revisiter la doctrine de la souveraineté des actionnaires dont la satisfaction ne peut constituer une finalité exclusive de l’entreprise (voir encadré 6). En 2013, ce mouvement de réflexion se traduit, entre autres, en France par une sixième loi sur la présence d’administrateurs salariés : la loi du 14 juin 2013 sur la sécurisation de l’emploi, qui transpose les termes de l’Accord national interprofessionnel du 11 janvier. Cette représentation s’ajoute à celle des représentants du comité d’entreprise, dans les organes de gouvernance de l’entreprise, qui, eux, n’ont qu’une voix consultative.
Encadré 6 – La représentation des salariés dans les conseils, un révélateur des conceptions de la gouvernance
Du point de vue du droit, l’entreprise moderne incarne un contrat (le contrat de société) entre plusieurs personnes qui mettent en commun leurs capitaux pour les faire fructifier. Du point de vue de la théorie économique, l’entreprise est perçue comme une combinaison de capital et de travail, visant une optimisation du profit. Jugeant ces approches incomplètes, des auteurs proposent de définir l’entreprise comme une forme d’action collective moderne (apparue aux alentours de 1890-1920), qui implique dans un projet commun les apporteurs de capital et tous ceux qui concourent à l’action collective5.
Dans la première moitié du XXe siècle, l’entreprise est créatrice de richesses, porteuse d’efficacité, de progrès technique et de cohésion sociale. Elle recherche en permanence un équilibre – instable et traversé de tensions – entre trois polarités : les actionnaires, les salariés et l’autorité de gestion.
En 1967, J. K. Galbraith analyse les dérives de la « technostructure » dans les grandes entreprises et constate un « divorce » entre la détention du pouvoir juridique par les actionnaires et l’exercice réel du pouvoir par les managers6. À partir des années 80, en réponse à l’autonomie des dirigeants jugée excessive, au déclin industriel américain et à la massification de l’actionnariat aux États-Unis, apparaît une nouvelle doctrine, la corporate governance, qui impose une représentation de l’entreprise comme « instrument des actionnaires qui la possèdent »7 : la valeur actionnariale devient le critère dominant d’appréciation de la performance de l’entreprise. La théorie de l’agence développe une série de principes de gouvernance, au premier rang desquels le renforcement de l’information et du rôle de contrôle du conseil d’administration. Le conseil d’administration devient le lieu de la définition des orientations stratégiques et du contrôle de leur bonne exécution par les dirigeants choisis. L’efficacité du CA passe par une meilleure information de ses membres, une diversification des profils représentés, l’introduction de comités spécialisés (audit, rémunération, nominations), etc. Dans le même esprit, l’époque est également marquée par l’alignement des intérêts des dirigeants sur ceux des actionnaires via des mécanismes incitatifs comme la distribution de stock options. Cette doctrine se répand en Europe et dans le monde à partir des années 1990.
Cependant, à compter du début des années 2000, des scandales financiers à répétition commencent à faire douter de la pertinence d’une focalisation exclusive sur les intérêts des actionnaires. La crise financière de 2008, dans laquelle les banques ont joué un rôle majeur, représente le point culminant de cette prise de conscience. Les courants critiques déplorent en particulier le fait que des visions à court terme aient primé sur les investissements productifs et la création des capacités futures, sur la prise en compte des préoccupations sociales et environnementales, etc.
Des travaux de plus en plus importants réinterrogent donc la notion de propriété de l’entreprise. En distinguant la propriété du capital et la propriété de l’entreprise, ils soulignent que l’entreprise ne se résume pas à son seul capital. « L’intérêt de l’entreprise » revient sur le devant de la scène, comme un intérêt supérieur commun aux différentes parties impliquées dans l’entreprise (salariés, actionnaires, mais aussi fournisseurs, collectivités locales…). La théorie des parties prenantes8 fournit le cadre intellectuel des appels, de plus en plus nombreux, à rendre l’entreprise plus « participative »9, afin d’équilibrer le pouvoir de l’actionnaire et de prévenir les risques de dérive du management. Mais à quoi participer, et sous quelle forme ?
Le concept de participation est aussi ancien et aussi divers que les mouvements ouvriers eux-mêmes10. Il va de la simple information (unilatérale) au contrôle ouvrier du capital et du pouvoir, en passant par la négociation collective, la participation à différentes instances de décision, la participation aux bénéfices ou au capital, les coopératives de production, etc. La terminologie, souvent mal maîtrisée par les uns et les autres, entretient une certaine confusion : codécision, coparticipation, cogestion, cosurveillance, codétermination…
Ces voies se sont développées selon des combinaisons variées dans différents pays d’Europe mais aucun pays n’est allé aussi loin que l’Allemagne. C’est de ce modèle allemand (voir annexe 1) que le législateur européen a voulu s’inspirer pour créer dès 1970 un statut de société européenne, avec participation des représentants des salariés au conseil de surveillance pour au moins un tiers de ses membres. Il s’est cependant heurté, à l’époque, à une hostilité quasi générale : les organisations patronales comme la majorité des syndicats européens s’y opposaient fermement. Pour ces derniers, le système allemand de codétermination, loin d’être un « modèle », représentait une dérive vers une collaboration des travailleurs avec les directions des entreprises. Depuis, l’eau a coulé sous les ponts. La directive européenne, très en-deçà du modèle allemand, a été adoptée en 2001. Les traces de tous ces débats sont encore très vivantes et se retrouvent aujourd’hui dans les discussions françaises
Rappelons qu’il existe par ailleurs un statut de société de droit européen (societas europaea, ou SE) prévoyant une représentation salariée dans les organes de contrôle au tiers des sièges. Ce statut sert désormais de référence en cas de fusion ou de regroupement entre sociétés de droits nationaux différents. Dans la pratique, la SE demeure une forme juridique peu utilisée. Début 2013, il existait 1 730 sociétés européennes, dont seulement 241 employaient au moins cinq salariés et avaient une réelle activité industrielle ou commerciale. Seules les entreprises (et pas les syndicats, par exemple) peuvent être à l’initiative d’une évolution des statuts vers une SE11. Dans son rapport de 200712, Noëlle Lenoir souligne que le statut de SE n’est pas suffisamment attractif financièrement et qu’il y manque notamment l’incitation fiscale que les premiers projets de statut avaient permis d’espérer. En outre, le statut de SE n’impose pas la présence d’administrateurs salariés si celle-ci n’était pas déjà acquise avant la transformation en SE. En fin de compte, seules 41 des SE dites « normales » (c’est-à-dire employant au moins cinq salariés et ayant une réelle activité industrielle ou commerciale) comptent des salariés au sein de leur conseil13.
Même si, en France, la présence d’administrateurs salariés dans les organes de gouvernance des entreprises est donc une pratique ancienne, la Loi du 14 juin 2013 n’a pas manqué de susciter des réactions de méfiance et d’attentisme, relayées voire amplifiées par les médias. Il nous appartiendra au chapitre 2 de débusquer la part de réalité, de mythes et de craintes que recèlent ces déclarations, et de les confronter aux pratiques et expérimentations antérieures.
4. La situation en Europe : un panorama
Mais avant de nous attaquer à cet iceberg, un petit détour par l’Europe nous permettra de comparer la situation française à celle de ses partenaires européens14.
Dix-huit des vingt-huit États membres de l’Union, auxquels on peut ajouter la Norvège, membre de l’Espace économique européen, ont mis en œuvre des modalités de représentation des salariés par des administrateurs.
Les dispositifs d’implication des salariés sont plus soutenus dans les pays marqués de longue date par des pratiques de dialogue et de partenariat social, notamment dans les modèles nordique ou rhénan, par opposition au modèle anglo-saxon où prévaut une approche essentiellement actionnariale de l’intérêt de l’entreprise, et celui de « l’Europe latine du sud » où le conflit est davantage présent.
Toutefois, selon Aline Conchon, il ne se dégage pas en Europe de tendance nette allant vers un développement ou un recul de la représentation des salariés dans les conseils15. À titre d’exemple, cette représentation est désormais renforcée en France alors qu’elle devrait être supprimée en République tchèque en 2014.
Dans cinq pays, dont la France jusqu’à une date récente, le dispositif était plutôt restrictif, se limitant de jure ou de facto aux entreprises du secteur public ou anciennement publiques. En Espagne ou au Portugal, par exemple, seules les entreprises du secteur public sont concernées. Dans douze autres pays, le dispositif est plus étendu, s’appliquant tant au secteur public qu’au secteur privé et pour des entreprises de toutes tailles. Au Danemark, l’effectif seuil à partir duquel une entreprise peut désigner des administrateurs salariés est de 35 personnes. Il est de 30 en Norvège et de 25 en Suède. Le seuil le plus élevé (1 000 salariés) était jusqu’en 2014 celui du Luxembourg. Le seuil prévu par la nouvelle loi française (5 000 salariés) sera donc le plus élevé de tous.
En Allemagne, les entreprises de plus de 500 salariés doivent mettre en place une représentation salariée au tiers des membres du conseil de surveillance et celles de plus de 2 000 salariés sont soumises à la codétermination dite « paritaire ». Aucun autre pays n’est allé aussi loin. Le « modèle social » allemand ayant sans conteste inspiré les partenaires sociaux comme le législateur français, il sera abondamment développé tout au long de cette note16. Cependant, il fait l’objet de critiques en Allemagne même et est beaucoup moins consensuel au sein de l’ensemble européen qu’on ne le croit souvent en France17.
Globalement, on constate qu’il n’y a pas actuellement en Europe une dynamique marquée en faveur de la participation salariée aux organes de gouvernance. Après une première vague de lois votées dans les années 1970 par des gouvernements de gauche ou de centre-gauche, il a fallu attendre les années 1990 pour qu’une
deuxième vague soit engagée, principalement dans les pays de la « nouvelle Europe » : République tchèque, Slovaquie, Hongrie, Slovénie et Pologne. Aujourd’hui, les tenants de cet acquis sont plutôt sur la défensive, dans la mesure où la participation salariée est souvent limitée au secteur public qui tend lui-même à se rétrécir dans les pays européens les plus en difficulté (Grèce, Espagne, Irlande). Le fait que la France ait décidé d’étendre ce dispositif au secteur privé, plutôt à rebours de la tendance européenne, constitue un signal symbolique et le premier mouvement concret sur ce sujet, en Europe, depuis de nombreuses années.
- 1 – Voir aussi Emmanuelle Barbara, « L’ANI et après ? », Sociétal 2014, Eyrolles, mars 2014.
- 2 – Les Echos du 21 février 2014.
- 3 – Conchon Aline, Auberger Marie-Noëlle, Les administrateurs salariés et la gouvernance d’entreprise, La Documentation française, Paris, 2009.
- 4 – Beffa Jean-Louis, Clerc Christophe, « Les chances d’une codétermination à la française », Prisme n°26, Centre Cournot, janvier 2013.
- 5 – Blanche Segrestin et Armand Hatchuel, Refonder l’entreprise, La République des idées, Seuil, 2012.
- 6 – John Kenneth Galbraith, The New Industrial State, Boston, Houghton Mifflin, 1967.
- 7 – Milton Friedman, Capitalisme et liberté, Paris, Robert Laffont, 1971, p. 172, cité in Blanche Segrestin et Armand Hatchuel, Refonder l’entreprise, La République des idées, Seuil, 2012, p. 50.
- 8 – Dont le livre fondateur est : Freeman, R. E. (1984), Strategic management : A stakeholder approach, Boston, Pitman Publishing.
- 9 – Rafael Amélie, Performance et gouvernance de l’entreprise, Les avis du Conseil économique, social et environnemental, Les Editions des Journaux officiels, mai 2013, p. 22-23
- 10 – Voir à ce sujet La Revue de l’IRES, numéro spécial, « La participation des salariés au niveau européen », coordonné par Isabel da Costa et Udo Rehfeldt, 4e trimestre 2011.
- 11 – Rehfeldt Udo, « La participation des salariés dans la Société européenne », in Conchon Aline (dir.), Auberger Marie-Noëlle (dir.), Les administrateurs salariés et la gouvernance d’entreprise, La Documentation française, Paris, 2009.
- 12 – Lenoir Noëlle, La SE ou Societas Europaea : pour une citoyenneté européenne de l’entreprise, La Documentation française, Paris, mars 2007.
- 13 – Richer Martin, « Administrateurs salariés : le paysage européen », entretien avec Aline Conchon, Metis, correspondances européennes du travail, 24 mars 2013.
- 14 – L’annexe 2 à la présente note propose une approche détaillée pays par pays.
- 15 – Metis, op. cit.
- 16 – Voir Annexe 1 : le modèle social allemand p. 47.
- 17 – Voir Annexe 3 : revue des pays (Allemagne) p. 56.
La mise en place des administrateurs salariés, entre méfiance et adhésion
Comme nous l’évoquions au chapitre 1, la mesure relative à la présence d’administrateurs salariés dans les organes de gouvernance des entreprises privées, issue de la Loi n°2013-504 du 14 juin 2013, a suscité son lot de réactions divergentes : satisfaction, méfiance, attentisme. Si les franches oppositions se sont tues, rangées au placard par la force de la Loi – dura lex sed lex, il n’est que d’écouter les bruits de couloirs pour réaliser qu’il existe, à l’aube de la mise en œuvre, autant d’optimistes prudents que de Cassandre masqués.
L’approche de la question gagnera à s’affranchir de tout résidu idéologique, favorable ou contraire. On remarque d’ailleurs que les lignes de fracture entre partisans et méfiants ne recoupent pas une segmentation binaire syndicats-patronat. On trouve des partisans et des méfiants dans chaque catégorie, quoique pour des raisons différentes. En prenant le temps de la confrontation des points de vue et de l’examen de la pratique − puisque, par chance, pratique antérieure il y a − on peut mettre en perspective les craintes, parfois exagérées, comme les enthousiasmes, parfois excessifs.
C’est pourquoi nous « frotterons » ici, les uns aux autres, les principaux arguments18 évoqués par les méfiants et les partisans de cette mesure, tout en les confrontant à la pratique via les témoignages recueillis. Une telle démarche permet de baliser le chemin que devront parcourir les entreprises devant ou voulant mettre en place cette mesure, en identifiant les enjeux à prendre au sérieux. Écarter les ronces ne signifie pas pour autant marcher sur un lit de roses.
1. La présence d’administrateurs salariés favorise-t-elle l’apprentissage de logiques participatives et la construction de la confiance entre partenaires sociaux ?
Rappelons au préalable que l’apprentissage de logiques partagées et de la confiance sont au cœur même de l’ANI dans sa globalité. Il ne concerne pas que la question des administrateurs salariés, qui n’en représente qu’une des modalités.
Le raisonnement peut se décomposer comme suit : là où le dialogue social est le plus fort, il est facteur de réactivité et de compétitivité, comme par exemple en Allemagne ou dans les pays nordiques. En France, le manque de confiance qui continue de peser sur le climat social, par comparaison avec ce qui se produit à l’étranger, représente un handicap qui pèse sur la performance économique. Il paraît donc essentiel que les entreprises recouvrent des marges de manœuvre par la voie du dialogue social. La présence de représentants des salariés au CA peut jouer, à cet égard, un rôle important pour créer de la confiance réciproque.
Cette thèse, sur laquelle s’appuie donc l’ANI, est cependant loin de faire l’unanimité. Seules trois confédérations syndicales (CFDT, CFE-CGC, CFTC) ont signé l’accord. Pour autant, on sait aussi que la CGT, non signataire de l’accord et même explicitement opposée, compte parmi ses membres influents des personnes qui ne sont pas hostiles à la mesure relative aux administrateurs salariés. Ce syndicat dispose sur ce point d’une large expérience acquise dans des entreprises publiques. Force Ouvrière, a contrario, demeure opposée à toute mesure qui pourrait sembler s’apparenter à de la « cogestion ».
Toutefois, dans les entreprises qui ont déjà des administrateurs salariés, même les organisations syndicales les moins favorables à ce dispositif l’ont adopté en pratique pour ne pas laisser la place vide. Simultanément, même les syndicats signataires de l’accord sont traversés de débats internes sur le sujet et les modalités de sa mise en œuvre, le risque principal évoqué étant de sembler cautionner des stratégies destructrices pour l’emploi via leur administrateur salarié.
Côté patronal, les acteurs sont tout autant divisés sur cette mesure. La question de la confidentialité des délibérations dans les conseils mais aussi la possible réaction des investisseurs anglo-saxons semblent arriver en tête des effets pervers redoutés par les dirigeants des entreprises concernées. À titre institutionnel, certaines fédérations patronales sont pourtant assez favorable à ce qui pourrait rapprocher le dialogue social en France du modèle rhénan − sans pour autant aller jusqu’à le dupliquer − et à une mesure susceptible de responsabiliser les représentants du personnel, en contribuant à leur appropriation des questions économiques. Mais certains dirigeants considèrent plus radicalement que, compte tenu de l’immaturité des relations sociales en France et de la présence d’acteurs syndicaux à la culture protestataire très marquée, faire entrer des administrateurs salariés dans les conseils équivaut à introduire le loup dans la bergerie.
Vu à travers le prisme allemand, force est de reconnaître que les modalités du dialogue social sont encore très différentes entre les deux pays. Schématiquement, en comité d’entreprise, les responsables syndicaux allemands débattent de faits et de chiffres quand leurs homologues français sont tentés de placer le débat sur un terrain plus idéologique.
Ce rapide panorama permet de mesurer les forces en présence et leurs éventuelles arrière-pensées. Il permet également de comprendre pourquoi une mise en œuvre aussi harmonieuse que possible de cette disposition spécifique de l’ANI représente un symbole important pour les promoteurs d’un dialogue social constructif. Rien de naïf dans leur approche cependant. La plupart d’entre eux ont parfaitement conscience que la France n’est pas l’Allemagne. L’Allemagne bénéficie tout à la fois d’une culture de la négociation bien installée, de pratiques organisationnelles très formelles et d’une unité syndicale qui écarte le risque de surenchère intersyndicale (voir annexe 1). Autant de différences essentielles avec le paysage français.
En dépit de ces différences, les dirigeants comme les syndicalistes qui ont expérimenté la présence d’administrateurs salariés au sein de leur organe de gouvernance (par exemple dans les entreprises publiques ou anciennement publiques) constatent qu’après une période d’ajustement réciproque, une « conversion des esprits » a souvent lieu. Les obstacles s’aplanissent dès lors que les entreprises s’engagent dans la démarche. La difficulté consiste à « franchir le Rubicon », ce que la Loi vient justement d’imposer, du moins pour un certain nombre d’entre elles. Depuis 1983, date des premières lois sur le sujet, la pratique s’est déployée et les organisations syndicales comme les dirigeants s’y sont habitués. Le jour où les salariés entrent au conseil d’administration, ils s’engagent dans une logique participative – ce qui les apprivoise et les « oblige » d’une certaine manière. Au passage, ils démystifient cette instance en découvrant de l’intérieur ce qu’ils considéraient auparavant comme une « boîte noire » et réalisent aussi parfois que les administrateurs « non salariés » sont moins indifférents au sort des travailleurs que ce qu’ils pouvaient imaginer. Selon un administrateur salarié, ceci reste vrai même lorsque les administrateurs représentant les salariés sont issus d’organisations syndicales radicales et dans des entreprises qui ont eu à connaître d’importants conflits.
Mais il apparaît assez nettement aussi que ce n’est pas la seule présence d’administrateurs salariés qui permettra de construire la confiance là où elle fait défaut. Comme le résume assez crûment un observateur, « là où le dialogue social est déjà bon, on accueille la mesure avec sérénité ; là où il est mauvais, on la « démonise », en lui faisant porter le chapeau. »
2. La présence d’administrateurs salariés favorise-t-elle l’appropriation des questions économiques et de la stratégie par les syndicats et l’ensemble des salariés ?
Parmi les syndicalistes disposant d’une expérience d’administrateur salarié, nombreux sont ceux qui estiment que cette participation a fait accomplir « un pas de géant » à leur organisation en matière de culture économique, tout particulièrement dans la compréhension des scénarii d’évolution auxquels l’entreprise est confrontée.
Rappelons ici encore que cette notion de partage des données économiques et de compréhension de la stratégie par les salariés, à des fins d’anticipation et de GPEC, est au cœur du Titre II de l’ANI dont fait partie l’article 13 portant sur les administrateurs salariés.
La présence d’administrateurs salariés peut contribuer à dédramatiser certaines décisions en donnant aux IRP une perspective claire sur le raisonnement qui y a conduit. Dans des situations de crise, ils participent à la réduction du risque de conflits sociaux. « Les avantages de la présence d’administrateurs salariés sont indéniables, estime un dirigeant. Ces personnes, qui acquièrent une grande maturité sur les questions économiques, jouent un rôle central dans la communication interne. Cet atout devient considérable en contexte économique difficile. Les administrateurs salariés, sans être toujours d’accord avec la direction, participent à la prise de conscience collective des grands enjeux et des évolutions de l’entreprise, notamment par le biais des bulletins qu’ils publient. » Cet argument est naturellement à double tranchant aux yeux des syndicats qui voient justement dans ce type de configuration le risque d’être « instrumentalisés » par la direction via leur administrateur salarié.
Les échos sur la pertinence du dispositif en matière d’information économique des salariés ne vont cependant pas tous dans le même sens. Certains responsables admettent, d’une part, que la présence de représentants des salariés au conseil n’a jamais été à l’origine d’incidents majeurs tels que ceux qui sont aujourd’hui évoqués par les adversaires de la mesure (fuites d’information par exemple) mais, de l’autre, ils n’estiment pas que cela ait grandement facilité l’appropriation des enjeux économiques par les syndicats.
Certains dirigeants doutant des bienfaits de la mesure vont toutefois plus loin : nous sommes bien évidemment favorables, disent-ils, à un développement de la culture économique des organisations syndicales, mais nous pensons que le conseil d’administration n’est pas le lieu de cette appropriation. Autrement dit, il s’agirait d’une mauvaise réponse à une juste préoccupation. Pour ceux-ci, les comités d’entreprise, ainsi que les comités européens et le comité groupe, le cas échéant, sont le lieu normal de l’information et de la représentation syndicale des salariés. Le conseil de surveillance ou d’administration a lui pour vocation de rendre compte aux actionnaires et n’est donc pas le lieu de la pédagogie économique. Selon eux, les sujets qui intéressent le plus les salariés – dont la stratégie – ne seront pas mieux traités dans un conseil, voire le seront moins bien, que dans un comité d’entreprise, notamment par manque de temps et du fait de l’absence des experts économiques qui assistent les représentants des salariés dans les IRP. D’où la recommandation qu’avaient portée certains dirigeants de renforcer plutôt les moyens et le formalisme du comité d’entreprise et du comité européen.
Considéré à cette aune, le nouveau dispositif trouve ses limites et pourrait décevoir les attentes des salariés et de leurs représentants. Comprendre la stratégie est une chose, peser sur la décision stratégique en est une autre.
Des administrateurs salariés témoignent en effet que la construction de la stratégie se fait parfois ailleurs qu’au conseil d’administration et qu’ils ne sont pas toujours en situation de pouvoir proposer des alternatives crédibles aux scénarii envisagés ; ils posent plutôt des questions, poussent leurs interlocuteurs à aborder d’autres risques que les risques financiers (thèmes sociaux et environnementaux, par exemple) et à les prévenir. Avec l’appui de leurs organisations syndicales, ils poussent l’entreprise à étayer et justifier sa décision. L’important pour eux est d’aider à ce que l’entreprise conserve certains axes directeurs ou ne franchisse pas certaines « lignes rouges ».
C’est donc aussi sur d’autres terrains que la seule stratégie que se joue l’enjeu de la présence des administrateurs salariés dans les organes de gouvernance.
3. L’administrateur salarié apporte-t-il une valeur ajoutée spécifique au fonctionnement de l’organe de gouvernance auquel il siège ?
A. Une connaissance interne de l’entreprise
Selon l’Institut français des administrateurs (IFA) qui a pour vocation l’information, la formation et la réflexion de tous les administrateurs, la présence d’administrateurs salariés est bénéfique à plusieurs titres19. D’abord, ceux-ci disposent d’une connaissance intime des réalités humaines et sociales de l’entreprise, de sa présence sur les marchés, des exigences des clients, de l’évolution des métiers et des compétences, des contraintes de la recherche et des possibilités ouvertes par les technologies. Ils apportent donc un regard et une connaissance spécifiques aux délibérations des conseils. En effet, les directions générales des grands groupes sont par définition éloignées du terrain. La hiérarchie d’une entreprise à tendance à ne faire remonter que les bonnes nouvelles à la direction générale, conformément à l’image des « yes men ». Les administrateurs salariés remplissent donc un rôle utile en relayant un autre vécu du terrain. Ce rôle de « capteur direct » des signaux faibles, joué lors des réunions mais aussi à l’occasion d’événements informels (repas, voyages), est souvent apprécié des dirigeants. Certains vont même jusqu’à affirmer que les présidents-directeurs généraux seraient souvent plus favorables à la présence d’administrateurs salariés que les autres administrateurs dont un grand nombre reste hostile à cette idée.
B. Des ordres du jour élargis et enrichis
Autre argument mis en avant par l’IFA : les ordres du jour des conseils d’administration seraient enrichis du fait de l’arrivée d’administrateurs salariés, la gestion de l’actif humain, la responsabilité sociale et environnementale de l’entreprise, l’éthique ou encore le risque de réputation étant ordinairement peu évoqués. Tout le monde ne souscrit pas à cette analyse cependant, même parmi les partisans de la mesure : des administrateurs non salariés, notamment anglo-saxons, ont pu dans certaines entreprises promouvoir les mêmes préoccupations.
Les administrateurs salariés peuvent également être vus comme des « garde-fous » sur certains sujets de gouvernance, comme la rémunération des dirigeants, ou sur des projets de croissance externe, d’acquisition ou de fusion. Ils posent les bonnes questions sur les cultures des entreprises amenées à fusionner, les conséquences en termes de plan de charge ou de lignes de management, etc. L’expérience montre que les administrateurs salariés sont des membres actifs, qui amènent le conseil à envisager des points de vue qui n’auraient pas été forcément appréhendés sans leur participation.
C. Une vision à long terme
Disposant parfois de bien plus d’ancienneté dans l’entreprise que les dirigeants, les administrateurs salariés seraient garants d’une vision à long terme de l’entreprise.
Les présidents d’entreprises allemandes comme Daimler ou Siemens ont fait publiquement savoir qu’ils étaient favorables à la « codétermination »20, qu’ils considèrent bénéfique pour leur stratégie à long terme. Elle leur permet par exemple de s’appuyer sur leurs administrateurs salariés pour résister à des pressions émanant des actionnaires. Si l’on en croit les déclarations de certains dirigeants allemands, les dirigeants français n’auraient peut-être pas encore pris pleinement conscience de ce que l’existence d’administrateurs salariés peut constituer une garantie à la fois pour les actionnaires, les salariés et les dirigeants, en fonction des sujets. Pour soutenir l’investissement et l’emploi, par exemple, les administrateurs salariés seront des alliés objectifs des dirigeants pour résister à la pression de certains actionnaires. Introduire des administrateurs salariés revient à disposer « d’actionnaires stables » sur lesquels s’appuyer en fonction des enjeux.
À rebours de ces arguments favorables, certains considèrent que la convivialité, essentielle à la bonne marche d’un conseil, est affectée par la présence d’administrateurs ne disposant pas du même profil que les autres. Ceux-ci viendraient perturber la fluidité et la liberté du dialogue. Les défenseurs de cette thèse sont généralement plutôt favorables à la représentation des salariés actionnaires au conseil, surtout si ledit représentant est issu de la population cadre. A contrario, affirment-ils, l’irruption des administrateurs salariés pourrait se traduire, partout où elle viendrait perturber le fonctionnement du collectif en place, par la généralisation de la pratique du « double conseil » ou « conseil du dimanche », destinée à contourner leur présence. Au-delà des dénégations hypocrites, il faut reconnaître que ces pratiques existent. Mais plusieurs administrateurs salariés témoignent aussi du fait que les doubles conseils et autres pratiques analogues s’estompent quand le fonctionnement gagne en maturité et que les parties prenantes peuvent éprouver dans la durée la confiance qu’elles s’accordent mutuellement.
4. Les administrateurs salariés menacent-ils la confidentialité des délibérations du conseil ?
Cette crainte, sans doute l’une des plus entendues au niveau patronal, est apparemment l’une de celles qui résistent le moins longtemps à l’examen des pratiques antérieures. Même certains dirigeants hostiles à la mesure conseillent de ne pas perdre de temps sur ce « faux problème ». Certes, les uns et les autres concèdent qu’ils ont eu écho d’un petit nombre d’indiscrétions, souvent en début de mandat des représentants des salariés, au sujet de décisions mineures. Mais l’expérience semble attester partout que les décisions importantes ne font pas l’objet de divulgations. Un léger temps de rodage peut être nécessaire pour que la confiance s’établisse sereinement entre les parties prenantes et que les administrateurs salariés se conforment à la règle du jeu, c’est-à-dire aux lois qui s’imposent à tout administrateur. Le risque lié à des fuites d’informations confidentielles du fait de la présence de salariés au conseil serait en grande partie fantasmé, pour autant que l’on puisse en juger.
Plusieurs administrateurs salariés témoignent qu’il est rare qu’ils se soient trouvés en situation de devoir s’astreindre au silence plusieurs semaines ou plusieurs mois. La plupart du temps, le Président quitte le CA pour enchaîner directement sur une réunion avec les représentants du personnel, ce qui réduit d’autant le risque de fuite. Le droit français garantit en effet un large accès à l’information aux instances représentatives du personnel. Les cas de cessions d’activité peuvent cependant se révéler délicats pour l’administrateur salarié, surtout quand le dirigeant hésite à haute voix entre deux ou trois entités à céder dans un horizon de temps non précisé. « J’ai vécu une situation où j’ai dû me taire, se souvient un administrateur salarié, alors même que je travaillais dans l’entité qui était mise sur la sellette. Cela n’était pas facile face à mes collègues ou à mes proches. Il me semblait évident qu’il ne fallait pas mettre le feu aux poudres car la décision n’était pas arrêtée. »
En pareille situation, le problème pour l’administrateur salarié est moins de savoir se taire que de trouver les moyens de se forger puis de faire valoir un avis crédible. Il peut notamment enquêter discrètement sur un point particulier qui retient son attention. Cela passe également par un travail avec les responsables de l’organisation syndicale d’attache, avec qui la relation de confiance est absolument primordiale, ne serait-ce que pour s’assurer de leur propre discrétion. Il existe une sorte de gentleman agreement avec l’organisation syndicale, qui permet à un administrateur salarié de ne pas porter les sujets tout seul. Néanmoins, dans le cas de projets concernant l’emploi, les organisations syndicales considèrent à raison qu’elles ne peuvent pas se taire. En effet, elles perdraient toute légitimité auprès des salariés si ceux-ci apprenaient qu’elles ont gardé le silence sur des opérations dont elles avaient connaissance. Elles imposent donc aux directions générales d’annoncer leurs projets au plus tôt, à défaut de pouvoir le faire elles-mêmes, de façon à protéger aussi l’administrateur salarié.
Généralement, l’impératif de confidentialité atteint son point culminant dans les cas d’OPA et de fusions-acquisitions, c’est-à-dire tous les projets touchant à la fois aux évolutions des marchés financiers et à l’emploi. Le conseil d’administration se réunit d’ailleurs souvent le dimanche, jour de fermeture des marchés. Il y a en fait rarement de fuites pour ce type d’opérations, dans la mesure où l’information arrive souvent très tard. Quand elles ont existé, elles ne sont jamais venues des représentants des salariés.
En fait, violer la confidentialité des délibérations ne présenterait aucun intérêt pour les organisations syndicales. Le véritable enjeu des syndicats est plutôt de comprendre la situation globale de l’entreprise dans son environnement et c’est là que l’administrateur salarié a un rôle à jouer.
L’obligation de confidentialité repose de toute manière sur des critères juridiques et s’applique à l’ensemble des administrateurs. En ce sens, les administrateurs salariés sont bien des « administrateurs comme les autres ». En pratique, les administrateurs respectent la confidentialité pour ne pas mettre en péril leur entreprise et pour ne pas être tenus à l’écart des informations importantes par la suite. Mais le risque personnel pour un administrateur salarié de se retrouver ou d’avoir le sentiment de se retrouver en situation de conflit d’intérêt ou de conflit de loyauté ne doit pas être sous-estimé.
En réalité, derrière la question de la confidentialité se niche celle du lien existant entre l’administrateur salarié et l’organisation syndicale qui l’a désigné ou a participé à sa désignation.
5. L’arrivée d’administrateurs salariés risque-t-elle de favoriser la confusion entre l’organe de gouvernance et un « super comité d’entreprise » ?
Parmi les entreprises concernées par la mesure, beaucoup redoutent que les administrateurs salariés considèrent le conseil d’administration ou de surveillance comme un « super comité d’entreprise ». Ces derniers auraient du mal à quitter leur habit de syndicaliste et à comprendre le rôle spécifique de l’organe de gouvernance de tête.
Le conseil d’administration ou de surveillance ne saurait en effet être un « super CE ». C’est une instance traitant de la stratégie et non de la gestion de l’entreprise. On y parle des salariés plus que de leurs postes, de la pérennité de leur contrat plus que de son contenu.
La transformation d’un syndicaliste en administrateur ne se fait pas en un jour. C’est pourquoi le choix des personnes proposées ainsi que leur formation et leur accompagnement sont des sujets essentiels auxquels la direction comme les organisations syndicales doivent porter une attention particulière.
En pratique cependant, cette difficulté, quand elle existe, se résorbe assez rapidement, comme en témoigne un dirigeant : « Dans les premiers temps, il a pu y avoir quelques confusions entre le rôle d’un conseil d’administration et celui d’un comité d’entreprise : nombre des questions émanant des administrateurs salariés relevaient plutôt d’un CE. Cependant, [les administrateurs salariés] ont progressivement compris le rôle du conseil ; ils ont compris aussi qu’ils n’y siégeaient pas pour y représenter un syndicat ». Le rôle du président est essentiel dans le cadre de cet apprentissage. Toutefois on ne peut ignorer que la présence d’administrateurs salariés peut occasionner au démarrage du dispositif une certaine lenteur des réunions et il est souvent difficile d’obtenir à court terme que toutes les interventions restent brèves.
Aux dires des administrateurs salariés eux-mêmes, un administrateur salarié va droit à l’échec non seulement s’il ne maîtrise pas ses dossiers mais également s’il confond son rôle avec celui d’un délégué du personnel. Certains ont plus de mal que d’autres à discerner la différence qui sépare une posture de négociation d’un rôle de gestion. Cette différence va marquer la relation entre l’administrateur salarié et son organisation syndicale durant toute la durée du mandat. Il faut qu’il sache l’assumer ; il faut surtout que l’administrateur ne tombe pas dans le piège de la confusion des rôles.
Il ne faut donc pas se leurrer : accueillir des administrateurs salariés représente toujours une « révolution culturelle », côté syndical comme côté patronal. Il faut donc accepter, de part et d’autre, un certain temps d’acculturation mutuelle pour se sentir en confiance.
6. L’administrateur salarié est-il le « bras armé » de l’organisation syndicale au sein du conseil ?
La question du lien entre l’administrateur salarié et son syndicat d’attache est une des plus épineuses. En général, la mission d’un administrateur salarié est bien comprise des délégués syndicaux centraux. Mais il peut arriver que des délégués syndicaux s’offusquent qu’une information émanant du conseil d’administration ne redescende pas immédiatement jusqu’à eux. Certains aimeraient que l’administrateur salarié soit le bras armé de l’organisation syndicale, ce que redoutent par-dessus tout les dirigeants. Un rappel des rôles des uns et des autres est donc périodiquement nécessaire.
De toute manière, en France, la Loi s’est formellement chargée de rappeler cette distinction fondamentale des rôles, en interdisant le cumul des mandats. « Les salariés administrateurs auront le même statut que les autres administrateurs. Leur fonction sera incompatible avec celle de membre du CE, du CHSCT, de délégué du personnel ou de délégué syndical. »
Ce choix n’était pas le seul possible. L’Allemagne, par exemple, s’inscrit dans une logique inverse : elle favorise le cumul des mandats. Ce sont des salariés membres du Betriebsrat (l’équivalent de notre comité d’entreprise) et notamment son président (qui est également un salarié21) qui participent au conseil de surveillance. Considéré à l’aune des pratiques allemandes, le cumul des mandats est un atout car il permet une circulation rapide de l’information et maintient le contact entre les administrateurs salariés et les situations vécues aux différents endroits de l’entreprise.
À l’inverse, l’interdiction française du cumul des mandats remonte à la loi sur la démocratisation du secteur public de 1983. En 1978 lors de la sortie du rapport Sudreau qui préconisait d’introduire la cosurveillance, toutes les organisations syndicales, hormis la CGC et la CFTC, y étaient opposées. Le législateur, craignant alors un syndicalisme d’opposition, a voulu par cette clause contraindre les organisations syndicales à séparer leurs registres d’action. Mais ces dernières ont considérablement évolué depuis lors : aucun administrateur salarié n’aurait aujourd’hui l’idée de lire un tract syndical en conseil d’administration ou de surveillance. Certains vont même jusqu’à affirmer que l’interdiction du cumul des mandats serait obsolète.
On peut en effet considérer qu’il y a une contradiction logique entre le respect de la Loi et l’esprit du mandat d’un administrateur salarié. Cette contradiction est assez révélatrice des contorsions françaises en la matière. D’une part, on demande à l’administrateur salarié, d’un point de vue juridique, d’abandonner tous ses mandats syndicaux − ce qui a pour effet qu’un leader syndical ne sera jamais administrateur salarié. D’autre part, on reconnaît qu’une grande partie de la valeur de sa présence au conseil est d’assurer un continuum d’information entre le conseil d’administration et les IRP. On admettra que la voie est étroite et pas toujours facile à tenir. À partir du moment où les administrateurs salariés ont une voix délibérative, quel est l’intérêt de leur imposer un devoir de « réserve syndicale », objectent certains. Il ne s’agit pas de remettre en cause l’obligation de confidentialité qui, d’ailleurs, existe aussi en Allemagne, mais de relever que, en France, on ne peut plus apparaître comme syndicaliste dès lors que l’on accepte la charge d’administrateur. Ce qui peut conduire à penser que le dispositif français est encore au milieu du gué – « il ose tout en n’osant pas » – et n’aidera donc pas à dissiper le fantasme de la « boîte noire » qui persiste chez les salariés concernant le conseil d’administration.
Dans le cadre de la loi française actuelle, la plupart des syndicalistes et dirigeants auditionnés convergent en tout cas sur la thèse du « juste degré de porosité » : l’administrateur concourt à faire comprendre aux syndicats la situation et les enjeux stratégiques, à ce qu’ils se posent les bonnes questions, sans jamais se mettre en infraction quant à la confidentialité imposée par son mandat.
7. La présence d’administrateurs salariés représente-t-elle un risque pour les sociétés cotées ?
Certains dirigeants d’entreprises qui comptent des fonds de pension américains parmi leurs actionnaires majeurs s’inquiètent de l’effet d’image que cette mesure peut créer auprès de ces derniers. Selon eux, l’introduction de salariés au conseil d’administration fait peser une menace sur la valeur boursière de l’entreprise. Le dialogue social au plus haut niveau de gouvernance, tout comme la convergence de vues entre le management et les représentants des salariés, ne sont ni envisageables, ni compréhensibles par une gouvernance capitalistique anglo-saxonne. L’influence des syndicats y est plutôt perçue comme un indice de contre-performance.
Comment réagiront les proxy advisors, ces agences qui émettent des recommandations de vote à l’attention des investisseurs, en vue des assemblées générales ? Si certains se soucient objectivement du climat social des entreprises, leur opinion majoritaire est l’objet d’une réelle préoccupation, comme en témoigne un dirigeant : « Les entreprises françaises cotées sont de plus en plus dépendantes d’investisseurs étrangers, qu’il n’est absolument pas évident de convaincre. On peut anticiper qu’un certain nombre d’entre eux considéreront qu’une entreprise dont l’instance suprême de décision compte deux représentants des salariés ne sera pas en mesure de prendre ses décisions de façon libre et indépendante. » Le taux de syndicalisation est toujours pris en compte au titre de risque par les investisseurs anglo-saxons.
Qu’en est-il en Allemagne, par exemple ? La codétermination fait-elle fuir les fonds de pension ? La réponse est nuancée. On observe que les fonds qui recherchent un engagement de long terme n’expriment pas de réserves particulières vis-à-vis des structures avec des salariés à leur conseil de surveillance alors que les investisseurs de private equity, qui spéculent et privilégient le court terme, les perçoivent comme moins attractives. Mais en tout état de cause, l’Allemagne bénéficie d’une image positive à l’étranger quant à ses relations sociales, ce qui n’est pas le cas de la France.
Autre difficulté pour les sociétés cotées : elles doivent se plier à un nombre croissant d’exigences dans la composition de leur conseil, que celles-ci soient d’origine législative, réglementaires ou, plus simplement, le fruit de nouvelles pratiques de gouvernance − respect de la parité de genre, équilibre entre les différentes nationalités, critères d’indépendance, représentation des salariés… Les administrateurs salariés sont certes considérés comme « hors quota » au moment de juger de l’indépendance du conseil et ils peuvent accessoirement y favoriser la représentation féminine. Il n’en demeure pas moins que la combinaison des critères devant guider la composition du conseil s’est encore compliquée pour les dirigeants qui craignent de voir hypothéqué le seul qui compte à leurs yeux : la compétence.
Cet accroissement des contraintes pesant sur les sociétés cotées pourrait-il conduire certaines entreprises à transférer leur siège social dans un autre pays afin d’échapper à la contrainte légale ?22 L’hypothèse n’est pas à exclure. C’est ce qu’a fait, par exemple, Air Berlin, en installant son siège en Grande-Bretagne. Se plaçant dans le cadre du droit des sociétés britannique, l’entreprise s’est affranchie de l’obligation de nommer des administrateurs salariés, quoi que son administration fût restée en Allemagne. Le phénomène devrait cependant rester marginal pour ce qui concerne les grandes entreprises – en tout cas pour ce seul motif.
8. Y a-t-il un lien entre la présence d’administrateurs salariés et la performance de l’entreprise ?
Puisque la finalité affichée par les promoteurs de la mesure était l’amélioration de la compétitivité des entreprises à travers l’amélioration de la qualité du dialogue social, existe-t-il aujourd’hui des indices d’une telle corrélation ? La recherche en économie soutient-elle l’idée que la présence de représentants des salariés dans les conseils d’administration ou de surveillance constitue un levier de performance pour l’entreprise ? Suscite-t-elle, en tout état de cause, l’élaboration d’une stratégie plus soucieuse de la pérennité de l’organisation ?
Pour Aline Conchon23, la relation entre la représentation des salariés au conseil d’administration et la performance de l’entreprise n’est pas statistiquement avérée. Les études qui ont été menées dans ce domaine, principalement en Allemagne, aboutissent à des résultats divergents. Sur la trentaine d’études qu’elle a pu recenser, « un tiers met à jour une corrélation positive, un tiers une corrélation négative et un dernier tiers une absence de corrélation ou une corrélation positive sur certains indicateurs de “performance” et négative sur d’autres. »
D’une façon plus générale, aucune certitude ne semble non plus se dégager en France quant au lien entre la performance financière et une gouvernance de qualité dans les sociétés cotées, abonde le cabinet Ernst & Young24. Tout juste est-il avéré que de bonnes pratiques de gouvernance n’entraînent pas une dégradation de la performance financière.
On trouve en revanche des auteurs tels que Xavier Hollandts, Zied Guedri et Nicolas Aubert, qui concluent d’une étude empirique de 233 entreprises du SBF 250, que « la présence de salariés au conseil d’administration est positivement associée à la performance de l’entreprise, à l’inverse des administrateurs indépendants »25.
Salima Benhamou26, de même, fait état d’études économiques (sans en préciser la nature) attestant un lien de causalité entre la présence d’administrateurs salariés et la performance de l’entreprise, en particulier grâce à la connaissance qu’ont ceux-ci des rouages de l’organisation et grâce au contrôle qu’ils peuvent exercer sur le dirigeant. « Des gains de performance sont particulièrement constatés lorsqu’il existe dans les CA des administrateurs salariés appartenant à des organisations syndicales », ajoute-t-elle.
Si une gouvernance qui inclut des administrateurs salariés ne se traduit donc pas nécessairement en termes de performances boursières directement mesurables, elle présente néanmoins des avantages dans des domaines où les critères de mesure sont plus intangibles. On retrouve ici les arguments favorables développés par l’IFA dans ses études de 2006 et 2014. Au premier titre de ces avantages, l’IFA27 cite la diversification des points de vue et des compétences représentés dans les conseils d’administration, plus propice à appréhender une réalité de l’entreprise toujours plus complexe, et dans laquelle le capital humain occupe une place grandissante. « Il serait donc logique d’observer une corrélation entre l’intensité de capital humain utilisée dans le projet d’entreprise et la présence d’administrateurs salariés », avance l’IFA. Il semble, à l’aune des résultats d’une étude menée par Houda Ghaya et Gilles Lambert28, que la diversité des compétences et des expériences des administrateurs soit plus déterminante pour la performance des entreprises du CAC 40 que la seule diversité sociodémographique.
Un autre avantage cité par l’IFA réside dans la capacité du dispositif à créer une culture d’entreprise partagée et à renforcer l’engagement des salariés. Il pourrait en outre participer à l’élaboration d’une vision stratégique sur le long terme. Cependant, l’étude de l’IFA de 2006 indique que, sur un panel d’administrateurs interrogés, seuls 30 % observent une propension naturelle de la part des administrateurs salariés à faire valoir leur point de vue sur la stratégie générale de l’entreprise et les politiques de développement et d’investissement. Il ne semble pas avéré, de surcroît, que les salariés (en particulier actionnaires) et leurs représentants privilégient nécessairement la préservation de l’emploi et l’investissement dans le long terme, au détriment d’avantages plus immédiats. Selon certains témoignages, la présence des administrateurs salariés dans les conseils de surveillance en Allemagne jouerait cependant en faveur de la modestie des rémunérations des dirigeants.
Salima Benhamou29 affirme que, grâce à leur connaissance des réalités opérationnelles, les administrateurs salariés aident tout particulièrement le conseil d’administration à anticiper les mutations que l’entreprise devra opérer. Ils contribueraient de surcroît à une meilleure acceptation des changements et à une mise en œuvre de ceux-ci qui n’ébranle pas le pacte social interne.
L’enquête menée par l’IFA révèle que, du point de vue des administrateurs exécutifs, les représentants des salariés au conseil présentent essentiellement le mérite de pouvoir relayer auprès du personnel des explications sur les choix stratégiques de l’entreprise et leurs modalités de déploiement. L’administrateur salarié contribuerait également, selon eux, à s’assurer que les décisions prises soient en phase avec les réalités de terrain. Catherine Sauviat30 tempère cependant ce constat, affirmant que la représentation des salariés au conseil n’entraîne pas nécessairement un fonctionnement délibératif de l’entreprise et ne saurait suffire à modifier la qualité des relations sociales dans l’entreprise.
La réponse à cette question dépend donc fondamentalement du sens que l’on donne au mot « performance » et relève à ce jour plus de la conviction que de la démonstration.
Au terme de cette confrontation des points de vue et des expériences antérieures, le bilan est donc contrasté. Pour certains, les inconvénients du nouveau dispositif primeront sur les bénéfices ; d’autres misent sur l’inverse. La présence d’administrateurs salariés au sein des conseils représente indéniablement un signal historique pour renouveler le dialogue social en France pour autant que l’ensemble des partenaires jouent loyalement le jeu. Mais certaines des difficultés soulevées sont réelles et les étapes à franchir dans chaque entreprise, pas négligeables. La manière dont les problèmes seront traités et résolus conditionnera en définitive la perception rétroactive que l’on aura de l’efficacité et de la pertinence de la mesure. Si des succès rapides sont connus, une dynamique vertueuse pourrait s’enclencher ; si au contraire, les partenaires sociaux y vont à reculons et en faisant surgir des obstacles à tous les coins, la paralysie viendra alimenter les prophéties « auto-réalisatrices » quant à l’inadéquation de cette mesure au contexte français. Le gouvernement a d’ailleurs prévu de remettre au parlement avant le 30 juin 2015 un rapport portant sur le bilan de la mise en œuvre de l’obligation de représentation des salariés au conseil d’administration ou de surveillance, en formulant des propositions en vue de son éventuelle extension. L’année 2014 sera donc déterminante. C’est pourquoi nous vous proposons en tiré à part un guide des onze points-clés à examiner pour réussir la mise en place des administrateurs salariés.
- 18 – Une excellente et très complète « revue » des controverses, qui reste en grande partie d’actualité, avait été effectuée par l’Institut français de gouvernement des entreprises de l’EM Lyon, sous la direction de Pierre-Yves Gomez, en février 2005, dans Cahiers pour la réforme, La présence d’administrateurs salariés au conseil d’administration : cahier I, arguments et propositions.
- 19 – Voir les recommandations de l’IFA, Les administrateurs salariés dans la gouvernance : une dynamique positive, 3 février 2014.
- 20 – La codétermination allemande va beaucoup plus loin que la seule présence d’administrateurs salariés au sein du conseil de surveillance. Voir Annexe 1.
- 21 – Rappelons que le Rapport Gallois du 5 novembre 2012 proposait en sa 22e proposition d’ « autoriser les entreprises qui le souhaitent à faire présider le Comité d’entreprise par un représentant des salariés ». Cette proposition n’a pas été reprise.
- 22 – Metis, op. cit.
- 23 – Metis, op. cit.
- 24 – Ernst & Young, « Panorama des pratiques de gouvernance des sociétés cotées », octobre 2012.
- 25 – Hollandts Xavier, Guedri Zied, Aubert Nicolas, « Représentation du travail au conseil d’administration et performance de l’entreprise : une étude empirique sur le SBF250 : 2000-2005 », in Conchon Aline (dir.), Auberger Marie-Noëlle (dir.), Les administrateurs salariés et la gouvernance d’entreprise, La Documentation française, Paris, 2009.
- 26 – Salima Benhamou , rapport « Améliorer la gouvernance d’entreprise et la participation des salariés », Centre d’analyse stratégique, juin 2010
- 27 – Les administrateurs salariés : un atout pour la gouvernance des entreprises françaises, Institut de formation des administrateurs, 28 février 2006.
- 28 – Ghaya Houda, Lambert Gilles, « Caractéristiques de la diversité au sein des conseils d’administration et performance financière : une étude empirique sur les entreprises du CAC 40 », Document de Travail n°2012-14, Bureau d’économie théorique et appliquée, Strasbourg, 2012.
- 29 – Op. cit.
- 30 – Sauviat Catherine, « Le rôle des salariés dans la gouvernance des entreprises en France : un débat ancien, une légitimité en devenir », in Conchon Aline (dir.), Auberger Marie-Noëlle (dir.), Les administrateurs salariés et la gouvernance d’entreprise, La Documentation française, Paris, 2009.
Conclusion
Il existe des arguments et des témoignages positifs quant à la présence d’administrateurs salariés dans les organes de gouvernance des entreprises privées. On ne saurait cependant affirmer que leur généralisation (relative) répond à un mouvement irrésistible dans notre pays et en Europe ; toutefois, dès lors que l’accord interprofessionnel du 11 janvier 2013 a été repris par la Loi de juin 2013 sur la sécurisation de l’emploi, il convient de faire en sorte que cette disposition puisse être mise en œuvre dans les meilleures conditions possibles.
De fait, la mise en œuvre de ce dispositif nécessite à l’évidence certaines précautions. Le guide proposé attire l’attention sur les points de vigilance à prendre en compte pour assurer une mise en place réussie. À la lumière des expériences passées, il est permis d’espérer, après une période de rodage et d’acculturation réciproque, que les parties y trouveront des avantages qu’elles ne soupçonnaient pas initialement.
Annexes
Annexe 1. Le modèle social allemand : un système complet difficilement transposable
Comment le modèle social allemand, source d’inspiration de l’ANI, fonctionne-t-il réellement ? Comment la représentation des salariés au conseil de surveillance s’articule-t-elle à l’ensemble des autres règles et principes ?
A. Origine du modèle social allemand
La codétermination apparaît pour la première fois en Allemagne en 1920, quand la loi met en place le Betriebsrat, sorte d’équivalent du comité d’entreprise français, dont un ou deux représentants siègent en outre au conseil de surveillance. Cette loi, qui représente une concession importante aux revendications sociales de l’époque, est adoptée dans le contexte particulier de l’après-guerre, alors que de véritables soviets ont été constitués, notamment à Munich. Après la Seconde guerre mondiale, une première loi sur la participation salariée est promulguée en 1947 ; c’est une loi militaire britannique, puissance occupante alors gouvernée par les travaillistes.
La codétermination à travers la représentation des salariés au conseil de surveillance n’était pas, jusqu’à cette date, une demande prioritaire des organisations syndicales allemandes (c’est, depuis, un acquis âprement défendu…). Mais, au sortir de la guerre, les dirigeants d’entreprises des secteurs du charbon et de l’acier demandent aux organisations syndicales leur soutien face aux projets des Alliés de démanteler les industries de la Ruhr. En échange, ils acceptent de mettre en place la parité dans les conseils de surveillances. Ce ne sont donc pas les Alliés qui auraient imposé la codétermination paritaire pour affaiblir les industries allemandes, comme cela s’entend parfois en France.
Une loi fédérale, votée par le gouvernement chrétien-démocrate Adenauer en 1951, instaure la codétermination dans les entreprises minières et sidérurgiques, avec une parité totale des sièges au conseil de surveillance. Par analogie, des lois adoptées en 1972 puis à nouveau en 1976 conduisent à ce que toutes les entreprises de plus de 2 000 salariés, quel que soit leur secteur d’activité, comptent désormais une moitié de représentants des salariés à leur conseil de surveillance, le président ayant un droit de vote double en cas de litige. Pour le distinguer du cas particulier de la métallurgie, ce système est dit « pseudo-paritaire ». Les organisations patronales allemandes (BDI, BDA), qui n’ont jamais été favorables à la codétermination paritaire, ont saisi la Cour constitutionnelle en 1976, lorsque ce dispositif a été étendu à toutes les grandes entreprises. La Cour a validé la constitutionnalité du dispositif, précisément parce qu’il n’était pas strictement paritaire. En 2001, enfin, la participation des salariés a été étendue aux entreprises de plus de 500 salariés, pour un tiers des sièges.
Aujourd’hui, trois régimes cohabitent donc : la codétermination paritaire de la sidérurgie, la codétermination pseudo-paritaire pour les autres entreprises de plus de 2 000 salariés et la codétermination à un tiers pour toutes les entreprises de 500 à 2 000 salariés.
B. Le Betriebsrat (conseil d’entreprise)
Le dialogue entre les représentants des salariés et le patronat est nourri à la fois par le Betriebsrat, au sein des entreprises, et par les syndicats qui n’ont pas de vocation politique et qui négocient les conventions collectives par branche, à l’extérieur de l’entreprise. Le système est donc qualifié de « dualiste ». On ne comprend bien le rôle joué par les administrateurs salariés en Allemagne, au sommet des entreprises, qu’en prenant conscience de l’importance du rôle du Betriebsrat au quotidien dans chacun de leurs établissements.
Toutes les entreprises d’au moins cinq salariés peuvent mettre en place un Betriebsrat31. Celui-ci comporte entre un et douze membres, élus par l’ensemble des salariés. Les élections professionnelles se tiennent tous les quatre ans ; depuis 1984, le taux de participation aux élections professionnelles est stable, compris entre 74 et 81 %. Dans les entreprises organisées en différents établissements, chaque établissement comporte un Betriebsrat.
Les attributions du Betriebsrat sont clairement spécifiées. Il ne peut pas prendre des mesures de nature à troubler la paix sociale dans l’établissement, ni appeler à la grève, ni exercer des activités politiques dans l’entreprise. Ses membres ont naturellement le droit d’avoir une opinion politique, ou de participer à la vie politique et syndicale, mais ils ne doivent pas utiliser à des fins politiques leur mandat au Betriebsrat : celui-ci vise à la défense de l’intérêt de l’ensemble des salariés. En outre, le pouvoir du Betriebsrat est plus ou moins étendu selon le sujet traité. En matière d’affaires sociales (horaires de travail, santé au travail, œuvres sociales, réorganisations, etc.), il est une instance de codécision. Pour les mesures individuelles (mutations, détachements, etc.), il est obligatoirement consulté au préalable. En matière économique, ses droits se limitent à une information.
Exemple important, la codécision avec le Betriebsrat est requise pour déterminer les moyens dédiés à la mise en œuvre d’un plan social. Formellement, aux termes de la loi, le nombre de salariés concernés n’est pas de son ressort ; mais il en va un peu différemment dans la pratique. Le Betriebsrat a en effet le droit de disposer de l’ensemble des informations relatives à un projet de plan social. S’il considère qu’il n’est pas suffisamment informé, il peut faire durer la procédure. En revanche, s’il estime que les mesures d’accompagnement sont acceptables, il peut accélérer la procédure. Or, plus le Betriebsrat renchérit le coût du plan social par individu, plus il contraint la direction à réduire le nombre de salariés concernés. En pratique, donc, la codécision porte sur tous les paramètres importants.
Lorsqu’il apparaît qu’un accord entre les parties est impossible, sur un sujet soumis à la codécision, le Betriebsrat et la direction peuvent faire appel à un organisme d’arbitrage, composé de deux ou trois membres de la direction et du Betriebsrat ou de leurs avocats, ainsi que d’un membre neutre (en général un juge) qui dispose d’une voix prépondérante. Cet organisme peut prononcer des règlements obligatoires sur le volume du plan social par exemple, mais pas concernant la réorganisation même. En règle générale, les deux parties cherchent à éviter un arbitrage dont elles ne maîtrisent pas l’issue. Il y a quelques exceptions, par exemple quand le Betriebsrat comprend qu’une décision est inéluctable mais qu’il veut montrer avoir lutté jusqu’au bout, ou dans les filiales allemandes de groupes américains où le recours rapide à l’arbitrage sera toujours plus simple à expliquer qu’une procédure « autochtone » compliquée. Mais, en règle générale, la recherche du consensus sans avoir à s’expliquer devant des tiers est nettement préférée dans la tradition allemande.
C. Les syndicats
En Allemagne, la neutralité politique des syndicats est inscrite dans leurs statuts pour des raisons historiques. Avant le régime nazi, les syndicats allemands étaient plutôt similaires aux syndicats français actuels. Ils ont été dissous par ce régime et, après la guerre, l’Allemagne a souhaité tout mettre en œuvre pour que l’histoire ne se répète jamais, considérant que l’idéologie politique ne pouvait qu’affaiblir le mouvement syndical. Cela étant, dans les faits, la plupart des syndicats sont proches de la Gauche.
Les syndicats ont accès à l’entreprise. Ils peuvent organiser des élections et proposer des candidats aux élections du Betriebsrat et du conseil de surveillance. Ils peuvent aussi demander la dissolution du Betriebsrat devant la justice, contrôler la régularité des procédures, participer aux assemblées du personnel ou encore recruter des adhérents dans l’entreprise.
Un secrétaire syndical coordonne la politique syndicale dans chaque Betriebsrat et, le cas échéant, dans le comité de groupe et le conseil de surveillance. Pour autant, le Betriebsrat et le conseil de surveillance sont des institutions autonomes et formellement indépendantes des syndicats, même si la loi sur les Betriebsrat prescrit une sorte de collaboration avec ces derniers. Dans la pratique, dans le secteur de la métallurgie, 75 % des membres et 90 % des présidents de Betriebsrat sont syndiqués à IG Metall.
Tous les sujets normalement réglés par les conventions collectives relèvent des syndicats. Pour le dire autrement, la convention collective prime sur les accords locaux signés par le Betriebsrat dans le cadre de la codécision. Cela étant, des conventions collectives peuvent être signées au niveau de l’entreprise et pas uniquement de la branche. C’est le cas des conventions de sauvegarde de l’emploi, par exemple.
D. Le conseil de surveillance
Toutes les sociétés de capitaux doivent disposer d’un conseil de surveillance, régi par la loi sur les sociétés par actions32. Ce n’est qu’à compter de 500 salariés que des sièges au conseil de surveillance sont réservés aux administrateurs salariés. La représentation des salariés au conseil de surveillance est donc un des éléments, parmi d’autres, du modèle social allemand. Une entreprise de 499 salariés dispose ainsi d’un Betriebsrat dans chaque établissement et chaque filiale sans pour autant compter de salarié à son conseil de surveillance. En outre, quand il y en a, ces représentants doivent être au minimum élus par les membres du Betriebsrat et, dans la plupart des cas, le sont par la totalité des salariés.
Dans les entreprises du secteur du charbon et de l’acier de plus de 1 000 salariés (soit une vingtaine d’entreprises aujourd’hui), le nombre d’administrateurs salariés est égal au nombre de représentants des actionnaires. Les représentants des actionnaires sont élus par l’assemblée générale des actionnaires ; les candidats représentant les salariés sont proposés par les syndicats et par le Betriebsrat et élus par la totalité des membres des différents Betriebsrat. Siège également une personne neutre, tel le maire de la ville où est implantée la société par exemple.
Hors du secteur de la métallurgie, et dans les groupes de plus de 2 000 salariés, les représentants des salariés constituent également la moitié des membres du conseil de surveillance. Le président, qui ne peut être élu que par les actionnaires, dispose en outre d’une voix prépondérante (« pseudo-parité »). Les représentants des salariés sont élus, pour partie sur proposition des syndicats et pour l’autre sur proposition du Betriebsrat.
Dans les groupes de 500 à 2 000 salariés, le conseil de surveillance compte un tiers d’administrateurs salariés élus par les salariés, sur proposition du Betriebsrat. Il s’agit souvent de représentants syndicaux qui ne travaillent pas dans l’entreprise.
Seuls les salariés travaillant en Allemagne sont comptabilisés pour déterminer le nombre d’administrateurs salariés devant siéger au conseil de surveillance. Ceci ouvre aux entreprises une possibilité d’échapper à la codétermination, si le nombre de salariés en Allemagne est inférieur à 500, alors même que la société en compte plus de 500 en incluant ses établissements à l’étranger.
Il arrive, rarement, qu’un candidat proposé par un syndicat ne soit pas élu. Toutefois, les salariés adhérant à un syndicat ont plutôt tendance à voter pour les candidats proposés par ce syndicat. Par ailleurs, la loi imposant de proposer deux candidats par siège, le syndicat désigne souvent un candidat local et un candidat travaillant ailleurs dans le pays…
Généralement, le secrétaire du Betriebsrat se porte candidat pour représenter les salariés au conseil de surveillance.
E. Le statut d’administrateur salarié
Le conseil de surveillance relevant du droit commercial, tous ses membres sont égaux en droits. Ainsi, si un membre du conseil de surveillance est couvert par une assurance aux frais de l’entreprise, tous les autres membres y ont également droit, y compris les administrateurs salariés.
L’obligation de confidentialité des administrateurs repose sur des critères juridiques. Il est notamment interdit de détailler nommément le résultat d’un vote ; le cas échéant, on peut évoquer les préférences de l’ensemble des représentants des salariés ou des représentants des actionnaires. Par ailleurs, le président du conseil de surveillance ne peut décréter qu’un sujet est confidentiel s’il n’y va pas notablement de l’intérêt de l’entreprise. Différentes sanctions sont prévues en cas de violation du devoir de confidentialité : dommages et intérêts (avec une responsabilité solidaire des membres du conseil), révocation par le tribunal ou mise en cause de la responsabilité pénale (avec des peines pouvant aller jusqu’à trois ans d’emprisonnement). Les cas de sanctions sont très rares.
Il est interdit de porter préjudice aux administrateurs salariés en raison de leur activité au sein du conseil de surveillance. Inversement, la perte de l’éligibilité d’un administrateur salarié entraîne l’extinction de son mandat. En outre, un administrateur salarié peut être révoqué par les trois quarts des salariés ou par le syndicat qui a porté sa candidature, bien qu’il ait été élu par l’ensemble du personnel.
Même si cela relève des bonnes pratiques, il n’est pas obligatoire de constituer un comité d’audit ou des risques. En revanche, les entreprises doivent instaurer un comité chargé de représenter juridiquement le conseil de surveillance vis-à-vis à de l’entreprise. Cela entraîne parfois des dérives, dans la mesure où certaines décisions sont confiées à des « sous-comités » sans présence d’administrateurs salariés. Bien que la loi ne fixe aucune règle en la matière, la jurisprudence exclut toute mesure discriminatoire, tel qu’un règlement intérieur qui s’appliquerait aux seuls représentants des actionnaires ou l’usage systématique par le président de sa double voix pour contrer les administrateurs salariés. En outre, chaque membre du conseil de surveillance peut demander à la direction un rapport, qui doit être remis au président de cette instance et qui devient, de ce fait, accessible à l’ensemble des membres.
F. La notion d’intérêt général
La notion d’intérêt général est au cœur de la vie politique et civile allemande. Comme l’explique Isabelle Bourgeois, « l’intérêt général supérieur ne prend pas sa source dans les arcanes d’un pouvoir politique qui serait “au-dessus” de la société, mais naît dans un processus collectif d’équilibre entre tous les intérêts particuliers représentés »33. L’intérêt de l’entreprise est une déclinaison de l’intérêt général. Cet impératif est si intériorisé qu’il permet à la société civile, et en particulier aux acteurs économiques, une part importante d’auto-organisation. La recherche de consensus s’articule autour de cette notion centrale qui matérialise le dénominateur commun des parties prenantes. En cherchant à le définir et à le renforcer, elles dépassent leurs éventuels conflits.
Rien à voir avec la France où s’expriment d’abord, et parfois avec virulence, les intérêts divergents. La recherche d’un accord n’intervient qu’en dernière instance avec l’aide d’un État « surplombant », sous la forme d’une rédaction si floue qu’elle permet à chacun de continuer à faire prévaloir ses attentes.
L’intérêt de l’entreprise est compris en Allemagne comme la sauvegarde de sa compétitivité. Si le maintien de la compétitivité passe par des sacrifices justifiés, les salariés et leurs représentants ne s’y opposeront pas. La protection de l’emploi et la défense du pouvoir d’achat sont certes des objectifs importants, mais moins que le fait d’être et de rester le meilleur sur son marché.
Dès lors, on comprend mieux ce qui, dans le modèle allemand, a pu retenir l’attention des dirigeants français, assistant, impuissants, au décrochage de l’industrie française : le sens de l’intérêt supérieur de l’entreprise, joint à l’unité syndicale et à la qualité du dialogue social, s’est traduit en Allemagne, pendant la crise, par la signature d’un nombre très important d’accords compétitivité/emploi.
Pour tenter de s’inscrire dans cette logique, il convenait d’accorder aux salariés français, en contrepartie, d’autres éléments performatifs du système allemand − dont la représentation des salariés au conseil, même si celle-ci n’est pas directement connectée à la question des accords compétitivité/emploi, ceux-ci ne relevant de toute façon pas en Allemagne de la compétence du conseil de surveillance mais de la négociation collective.
Le fait que la France ait simplement copié une disposition allemande avec la mise en place d’administrateurs salariés, sans particulièrement tenir compte de la spécificité des facteurs historico-culturels et sans pouvoir transposer l’ensemble des règles du jeu, peut laisser planer un doute sur l’efficacité de ce seul dispositif en matière d’amélioration du dialogue social. On peut, cependant, mettre en avant sa valeur symbolique, initiatrice de changement.
Annexe 2. Le modèle néerlandais vu de France : le cas d’Air France-KLM34
Air France étant au départ une entreprise publique, la loi relative à la démocratisation du secteur public de 1983 prévoyait la présence de salariés au sein de son conseil d’administration. Ce dernier comportait 18 personnes, réparties en trois collèges : les représentants de l’État, les personnalités qualifiées choisies par l’État et les représentants des salariés, au nombre de six (quatre pour les grandes confédérations syndicales, un pour les pilotes et un pour les hôtesses et stewards).
Cette composition, celle des conseils d’administration des entreprises dans lesquelles l’État était majoritaire, est restée identique de 1997 à 2003. L’ouverture du capital d’Air France, en 1999, n’a pas eu d’incidence notable, si ce n’est de substituer au principe de « personnalité qualifiée » celui de « représentant de l’assemblée générale des actionnaires ».
Pendant cette période, qui fut économiquement faste hormis les années 2001-2003, la présence des administrateurs salariés fut appréciée. Le collège des personnalités qualifiées a reconnu l’intérêt de la présence des administrateurs salariés, qui leur permettaient d’apprécier l’état d’esprit du personnel d’une société de services.
La fusion avec KLM est intervenue en juillet 2003. Lors du dernier conseil sur ce sujet, les administrateurs salariés ont voté contre le projet. KLM était confrontée à une situation financière difficile, avec une dette très élevée, et tout le monde avait compris qu’un accord capitalistique entre les deux entreprises signifiait la privatisation d’Air France. Cette éventualité, qui avait longtemps paru improbable, s’est pourtant concrétisée et la fusion a été votée.
Dans la nouvelle holding Air France-KLM, groupe de droit français, le nouveau conseil d’administration de la holding, comprend des administrateurs français et des administrateurs néerlandais, même si la langue de travail reste le français. Deux représentants des salariés actionnaires français, un pilote et un non pilote, siègent actuellement au conseil, qui comprend 15 membres. La holding étant concernée par la nouvelle loi, des administrateurs salariés rejoindront prochainement son conseil d’administration, ce qui portera à quatre le nombre d’administrateurs représentant les salariés.
Jean-Cyril Spinetta, PDG d’Air France-KLM jusqu’en 2013, a maintenu, hors de toute obligation légale, six administrateurs salariés au conseil d’administration d’Air France, reconnaissant par là l’expérience positive et constructive du passé et manifestant sa volonté de continuer à associer étroitement les salariés à la vie d’Air France. Le conseil d’administration d’Air France se réunit le matin, avant celui d’Air France-KLM qui a lieu l’après-midi.
KLM, de son côté, comprend un conseil de surveillance de neuf administrateurs, un Managing Board de trois à quatre membres ainsi qu’un CEO. Le droit néerlandais ne prévoit pas la présence de salariés mais, sur les neuf administrateurs, le comité d’entreprise (Works Council) propose trois noms d’administrateurs indépendants (donc non salariés). Ils doivent être approuvés par le comité de nomination et élus par l’assemblée des actionnaires. S’ils ne sont pas élus, le Works Council fait de nouvelles propositions. Wim Kok, ancien Premier ministre travailliste et ancien syndicaliste, a par exemple été élu, par cette voie, au poste de président du comité de rémunération de KLM. Il peut également s’agir de professeurs d’université.
Au sein de la holding, la différence culturelle entre les administrateurs français, représentant les salariés actionnaires, et les Néerlandais, élus au titre du Works Council, s’est d’abord manifestée par l’habitude des seconds de prendre la parole avec concision, parfois en utilisant des formules-choc. Lors de la vente d’Amadeus, une SSII filiale d’Air France, leur réaction s’est ainsi résumée à cette déclaration : « It’s smart. » Les deux administrateurs français ont progressivement adopté ces habitudes d’efficacité.
Pour autant, les syndicalistes néerlandais peuvent être très combatifs, d’autant que le Works Council jouit de pouvoirs plus étendus que ceux d’un comité d’entreprise français. Ainsi, le Works Council peut poser des questions écrites auxquelles le conseil d’administration doit répondre rapidement. Il peut également auditionner les personnes de son choix. Enfin, il dispose d’un pouvoir de veto. S’il rend un avis négatif sur une décision devant lui être soumise, généralement à l’issue d’une instruction méticuleuse, c’est à la justice néerlandaise de trancher. Celle-ci peut donner raison à l’entreprise sur le fond, contre l’avis du Works Council, mais à la condition que toutes les procédures aient été convenablement suivies. Ajoutant à cela le fait que les délais de justice sont assez longs, et que l’avis du Works Council peut être très proche de celui du management de l’entreprise, on comprend en pratique que le Works Council de KLM aurait pu bloquer le projet de fusion avec Air France s’il l’avait souhaité. Certains autres dossiers de fusion ont d’ailleurs avorté pour cette raison, comme un récent projet franco-néerlandais dans la sidérurgie. La pratique du dialogue social est donc différente entre les deux pays. Si certains considèrent que les directions françaises informent les CE sans tenir compte de leur avis, il n’en va pas de même aux Pays-Bas.
Annexe 3. Les administrateurs salariés en Europe : revue des pays
A. Pays où les droits de participation des salariés dans les conseils sont étendus
Allemagne
L’Allemagne se distingue par son principe de codétermination, qui assoit de longue date la représentation des salariés au conseil de surveillance des entreprises. La part des administrateurs salariés dans les conseils dépend de la taille de l’organisation, moyennant l’application de deux seuils :
à partir de 500 salariés : un tiers d’administrateurs salariés au conseil ;
à partir de 2 000 salariés : moitié d’administrateurs salariés au conseil, le président ayant une voix prépondérante en cas de partage.
« Contrairement à ce que l’on pense souvent en France, le patronat allemand n’est pas unanimement favorable à la codétermination », souligne Aline Conchon35. Si un certain nombre de dirigeants s’y disent favorables, telle n’est pas nécessairement la position des groupements d’employeurs. René Lasserre souligne, de son côté, que certains chefs d’entreprise et milieux d’affaires estiment que la codétermination « complique et ralentit les choix stratégiques de l’entreprise et handicape la réactivité dans la compétition globale »36. Il explique qu’au cours de la période récente, cette exception allemande a fait face à des critiques grandissantes sur son caractère anachronique à l’heure de la libre circulation des capitaux et de l’Europe intégrée.
Autriche
La représentation des administrateurs salariés est prévue par la loi à hauteur d’un tiers du conseil dans les entreprises de plus de 300 salariés. En outre, les représentants des salariés doivent constituer un tiers des membres des comités de conseil, à l’exception de ceux qui traitent des relations entre l’entreprise et l’équipe dirigeante (sur les questions de rémunération des membres du directoire notamment). Les représentants salariés ne participent ni à la désignation des membres du directoire ni à celle du président du conseil de surveillance37.
Suède
L’expansion de la codétermination en Suède s’est réalisée au cours des années 1970, non sans opposition ni hésitation38. Après s’être montrés réticents, les syndicats ont accepté en 1976 le principe d’une participation obligatoire. Le seuil qui détermine la présence d’administrateurs salariés est de vingt-cinq salariés. L’atteinte de ce seuil ne déclenche pas l’obligation de mettre en œuvre le dispositif mais le droit de le demander. La désignation des administrateurs salariés revient au syndicat d’entreprise. La loi suédoise réserve un siège aux salariés étrangers si le conseil en décide.
République tchèque
Il existait jusqu’à présent en République tchèque une représentation des salariés à hauteur d’un tiers des membres du conseil dans les entreprises de plus de cinquante salariés, avec la possibilité de l’étendre à la moitié sur base volontaire. Cette obligation sera cependant supprimée en janvier 2014
Danemark
Au Danemark, il revient aux salariés de demander l’organisation d’une désignation de représentants au conseil39. La demande doit être formulée par la majorité des membres du comité d’entreprise, par une organisation représentant au moins 10 % des salariés ou par 10 % des salariés. Elle doit être votée par plus de la moitié d’entre eux. Au total, 60 % des salariés qui travaillent dans des entreprises disposent d’administrateurs salariés. Le dispositif des administrateurs salariés concerne deux tiers des sociétés ayant plus de 200 salariés et un cinquième des entreprises ayant moins de 200 salariés40 (et même 13 % des entreprises ayant entre 35 et 99 salariés).
Aline Conchon cite une étude réalisée par l’Ecole de gestion de Copenhague en 1999, selon laquelle les représentants des salariés ont pour l’essentiel les mêmes préoccupations que les représentants des actionnaires, avec une attention plus marquée pour la préservation des intérêts des diverses parties prenantes41. Un siège est réservé aux salariés étrangers si l’assemblée des actionnaires en décide ainsi. L’extension des droits aux filiales étrangères existe au Danemark.
Finlande
Les entreprises finlandaises doivent négocier des accords précisant le niveau auquel les représentants des salariés doivent siéger : conseil d’administration, conseil de surveillance ou directoire. En l’absence d’accord, et si la demande de représentation est portée par deux groupes de salariés, il revient à la direction de décider du niveau auquel intervient la représentation. « Il est toutefois important de noter, indiquent Jean-Louis Beffa et Christophe Clerc, que les seuls représentants des ouvriers ou des salariés ne peuvent suffire à exiger la mise en œuvre de la loi puisqu’il faut que deux groupes – représentant plus de 50 % des employés – soient impliqués. L’opposition des représentants des cadres peut donc suffire à mettre en échec l’application de la loi. Malgré cela, la moitié des sociétés ayant entre 150 et 200 employés ont des représentants salariés ainsi que les deux tiers des sociétés ayant plus de 200 salariés »42.
Hongrie
La représentation au niveau du tiers du conseil est observée en Hongrie pour les entreprises de plus de 200 salariés43, sachant que les pouvoirs du conseil de surveillance y sont plus faibles qu’en Allemagne.
Luxembourg
Les administrateurs salariés représentent un tiers du conseil au Luxembourg pour les entreprises de plus de mille salariés ou avec participation de l’Etat44.
Pays-Bas
« Le système néerlandais est original en ce qu’il donne un pouvoir de désignation aux salariés tout en leur interdisant d’être nommés au conseil », observent Jean-Louis Beffa et Christophe Clerc. « Seules des personnalités externes à l’entreprise peuvent siéger au conseil, expliquent-ils. Les salariés ne sont pas éligibles. Le raisonnement est simple : il s’agit d’éviter les conflits d’intérêt et de rechercher des compétences externes à l’entreprise.45 »
Dans les entreprises de plus de 100 salariés, les administrateurs élus par les salariés sont prévus jusqu’à un tiers du conseil de surveillance.
Norvège
En Norvège, le système de représentation des salariés par des administrateurs est mis en place sur demande de plus de la moitié des salariés. L’atteinte du seuil ne déclenche pas automatiquement l’obligation de mise en œuvre, mais le droit de le demander. Ceci n’empêche pas un taux de réalisation assez élevé, notamment dans les plus grandes entreprises : un tiers des entreprises ayant entre trente et cinquante salariés ont des représentants salariés, ainsi que deux tiers de celles qui ont plus de cinquante salariés46. Un siège est réservé aux représentants des salariés étrangers si le conseil en décide ainsi. L’extension des droits aux filiales étrangères existe en Norvège.
Pologne
En Pologne, dans les entreprises privatisées de plus de 500 salariés, il est prévu que les représentants des salariés puissent désigner un membre du directoire. Dans les entreprises publiques, les conseils des travailleurs jouissent de pouvoirs importants ; dans les entreprises partiellement privatisées, les salariés occupent entre un tiers et 40 % des sièges du conseil de surveillance et un siège du conseil d’administration47.
Slovaquie
La représentation au niveau du tiers du conseil est observée dans les entreprises publiques et privées de plus de cinquante salariés. Elle atteint la moitié du conseil de surveillance dans les entreprises publiques, un tiers dans les entreprises privées (possibilité d’étendre à la moitié, sur base volontaire).
Dans les entreprises publiques slovaques, les syndicats locaux possèdent le droit légal ou de facto de désigner ou sélectionner certains de leurs membres pour prendre en charge tout ou partie des mandats d’administrateurs salariés48.
Slovénie
La représentation des salariés au niveau du tiers du conseil concerne toutes les entreprises, le pourcentage de représentation pouvant monter jusqu’à la moitié dans certains cas. La désignation des administrateurs salariés revient au syndicat d’entreprise Dans certains cas, il est prévu que les représentants des salariés puissent désigner un membre du directoire49.
B. Pays où les droits de participation sont limités
Grèce
Le conseil des entreprises publiques compte un ou deux membres représentants du personnel.
Irlande
Les administrateurs salariés peuvent représenter un tiers du conseil dans les entreprises publiques, moins dans certaines entreprises plus petites.
Portugal
Le droit de représentation est inscrit dans la constitution et la législation, mais rarement appliqué et uniquement à des fins consultatives, dans les entreprises publiques.
Espagne
Certaines entreprises publiques et caisses d’épargne locales ont des administrateurs salariés. Deux administrateurs sont prévus dans les entreprises publiques.
C. Pays où les droits de participation des salariés dans les conseils sont très limités ou inexistants
La représentation des salariés aux conseils d’administration est inexistante ou extrêmement limitée en Italie, en Belgique, en Bulgarie, à Chypre, en Estonie, en Lettonie, en Lituanie, à Malte, en Roumanie ainsi qu’au Royaume-Uni.
- 31 – Les situations peuvent varier en pratique, par exemple entre les entreprises des secteurs dits traditionnels et les entreprises hautement technologiques. Les start-up et, plus généralement, les entreprises qui comptent de nombreux cadres estiment souvent ne pas avoir besoin d’une instance représentative du personnel. Mais au premier signe pouvant susciter de l’inquiétude (le premier licenciement économique, des perspectives de fusion-acquisition…), il n’est pas rare qu’un Betriebsrat apparaisse « comme par enchantement ». Pour prendre un contre-exemple, les cabinets d’avocats instituent rarement un Betriebsrat.
- 32 – Les prérogatives du conseil de surveillance sont les suivantes : contrôle des membres du directoire et de la direction, ainsi que des gérants, nomination et révocation des membres du directoire ou de la direction, obligation de contrôle (rapports de groupe, rapports annuels), approbation des mesures de direction (statuts du conseil de surveillance), décision du niveau de rémunération des membres du directoire et de la direction
- 33 – Isabelle Bourgeois, « Patronat et intérêt général : le cas allemand », in Sociétal 2014, sous la dir.de Jean-Marc Daniel et Frédéric Monlouis-Félicité, Eyrolles, mars 2014.
- 34 – Sur la base de l’audition de M. Jean-Cyril Spinetta.
- 35 – Metis, op. cit.
- 36 – Lasserre René, « La cogestion allemande à l’épreuve de la globalisation », Regards sur l’économie allemande, 72, juillet 2005, pp. 7-16.
- 37 – Metis, op. cit.
- 38 – J.-L. Beffa et C. Clerc, op. cit.
- 39 – Ibid.
- 40 – Ibid.
- 41 – Metis, op. cit.
- 42 – Op. cit.
- 43 – J.-L. Beffa et C. Clerc, op. cit
- 44 – Ibid.
- 45 – Ibid.
- 46 – A. Conchon et M.-N. Auberger, op. cit.
- 47 – J.-L. Beffa et C. Clerc, op. cit.
- 48 – A. Conchon et M.-N. Auberger, op. cit.
- 49 – J.-L. Beffa et C. Clerc, op. cit.
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