L’exigence collective du luxe français
Grande vitrine lumineuse - Macke August (1887-1914)
En tête – Préface
Projets industriels à l’arrêt, panne de la productivité, alertes sur le décrochage de la compétitivité européenne… : le climat industriel français pourrait sembler morose en ce début 2025.
Pourtant, un groupe d’entreprises françaises irréductibles résiste « encore et toujours » à cette fatalité : le secteur du luxe, au rayonnement mondial, concourt en effet à la vitalité économique de notre territoire, par ses créations d’emplois et son excédent commercial. Partant de ce constat, cette Note « sectorielle » de La Fabrique de l’industrie a l’ambition d’apporter un éclairage sur les facteurs clés de ce succès, qui voit des marques comptant parmi nos fiertés nationales prospérer avec éclat.
À partir d’une enquête qualitative, l’auteure dresse ainsi le portrait d’un secteur qui a su mener sa montée en gamme jusqu’à installer un véritable soft power national.
D’une part, la qualité de l’organisation industrielle de cette filière a été décisive pour asseoir le triomphe à l’international des maisons françaises. En maîtrisant l’ensemble de leur chaîne de valeur, depuis la conception jusqu’à la distribution, les marques se sont placées en capacité de contrôler à la fois leurs marges industrielles et commerciales, mais également le niveau de qualité de leurs produits, particulièrement critique du point de vue de leur marché.
D’autre part, cette montée en gamme a été conduite par des acteurs qui ont su « jouer collectif » pour défendre leurs parts de marché et en conquérir de nouvelles, et ce dès le XIXe siècle. En effet, les « maisons » sont parvenues à créer un imaginaire autour du luxe français, dont elles assument conjointement la responsabilité. Cette réussite témoigne de la possibilité pour des entreprises de répondre à des problématiques communes, sans altérer l’effet d’émulation de la concurrence : une stratégie pérenne dont chaque partie tire bénéfice.
Cette note illustre également un exemple réussi de compétitivité hors prix sur un segment manufacturier français. Une grande partie de notre industrie est au contraire prise en étau dans le milieu de gamme, avec des charges de production toujours supérieures à celles de nos concurrents, ce qui comprime les marges et compromet ainsi la viabilité de notre économie.
Cette compétitivité hors prix est un actif d’autant plus capital que la consommation tend à se polariser. Qu’elle soit finale ou intermédiaire, la courbe de la demande tend en effet à se creuser en son milieu, dessinant deux bosses aux extrémités, sur le bas et haut de gamme. En conséquence, la montée en gamme est un impératif qui s’étend bien au-delà des produits de luxe, et passe par un made in France. Toutefois, à la différence peut-être de la filière du luxe, notre industrie doit impérativement aussi bénéficier d’une amélioration de sa compétitivité coût, face à des concurrents internationaux qui adoptent une approche de plus en plus offensive sur tous les fronts.
Pierre-André de Chalendar,
Co-président de La Fabrique de l’industrie
Merci
L’autrice tient à témoigner de sa sincère gratitude à l’ensemble des experts et des acteurs rencontrés au cours de cette étude pour la richesse et la pertinence de leurs éclairages.
Leurs expertises, leurs analyses et leurs avis, partagés avec générosité, ont constitué des contributions essentielles à l’écriture de cet ouvrage. En particulier, l’autrice remercie chaleureusement Mme Gerardin, Mme Epinay et M. Dhennequin pour leur rôle déterminant dans la conduite de ce travail. Elle adresse également ses remerciements à MM. Durie, Coeuret et Mariel pour leur disponibilité et leur accueil lors des visites de la manufacture Weston et de la tannerie Bastin et Fils. Enfin, l’autrice exprime sa reconnaissance envers l’équipe de La Fabrique pour son soutien constant et ses précieux conseils tout au long de ce projet.
Pour résumer
L ’industrie du luxe, joyau de l’économie française, a su tirer profit de l’appétit de la demande mondiale pour consolider son marché au bénéfice de grands groupes multimarques.
Un succès aussi éclatant suscite d’autant plus d’intérêt que les politiques publiques pour la relance industrielle, amorcées en 2013 et amplifiées en 2017, mais modifiées à partir de 2022, ne sont pas encore parvenues à enclencher une dynamique de réindustrialisation en France. À l’heure où les marges de manœuvre budgétaires se rétrécissent sévèrement, il semble opportun de comprendre à quoi tient la santé économique et industrielle de ce segment d’activité, qui paraît composer à merveille avec les atouts et les handicaps de notre territoire.
Les entreprises françaises du luxe sont en effet largement en tête du marché mondial de la vente de produits haut de gamme, devant les États-Unis qui occupent la deuxième place. Cette hégémonie est essentiellement le fait de quatre grands groupes : LVMH, Hermès, Kering et L’Oréal. Si leur empreinte manufacturière en France est assez inégale selon les filières, cette disposition oligopolistique issue de leurs stratégies respectives d’intégration horizontale conforte toujours plus leur leadership, tout en limitant fortement l’émergence de nouveaux concurrents.
Un produit de luxe est reconnu comme tel selon une panoplie de critères, certains étant assez objectivables (prix et qualité des matières) et d’autres plus subjectifs (qualité esthétique du produit, créativité, réputation de la marque). Il en découle que, d’un point de vue opérationnel, la domination du luxe français repose d’abord sur une maîtrise parfaite de la chaîne de valeur, de bout en bout : de l’intégration des fournisseurs jusqu’à la distribution par la marque. En aval, le contrôle de la vente par les « maisons » date des années 1990, lorsqu’elles ont cherché à accroître leurs marges industrielles et de vente par un mouvement d’intégration verticale, alors que les offres promotionnelles et l’usage de licences avaient tendance à dégrader l’image des marques et de leurs produits. En amont, l’encadrement rigoureux de la production est indispensable pour que le produit corresponde aux exigences d’un bien de luxe. Depuis récemment, ce suivi s’accompagne d’une valorisation des savoir-faire, garants de la qualité et contribuant aussi à renforcer la renommée du secteur français à l’international. Cette dernière tendance fait suite à la prise de conscience par les industriels de la vulnérabilité de leur appareil productif, face à une vive concurrence manufacturière en Europe et au-delà. Les groupes de luxe ont aujourd’hui intégré les savoir-faire les plus rares, jusque-là principalement détenus par des artisans.
La domination mondiale du luxe français entretient autant qu’elle en bénéficie une stratégie d’influence, valorisant un patrimoine immatériel lui-même ancré dans une représentation collective de « l’art de vivre à la française ». Les marques s’attachent à protéger et à accroître le rayonnement mondial de ce patrimoine, s’en faisant à la fois une responsabilité collective, un corpus de normes à tenir et un puissant relais de leur propre réputation.
Il n’est donc pas exagéré d’affirmer que la conquête des marchés constitue en partie une réussite collective des marques de luxe françaises, quand bien même la concurrence reste très vive entre elles. Une illustration en est qu’elles se regroupent volontairement dans des artères commerciales clés, tout en développant leurs singularités pour accroître leur part de marché. Un deuxième exemple important a trait à leur responsabilité sociale et environnementale, au sujet de laquelle on observe une véritable institutionnalisation des coopérations afin non seulement de répondre aux exigences réglementaires, mais surtout de projeter une image responsable du secteur du luxe, qui se doit d’être irréprochable.
Le luxe français, qui n’est ni un secteur ni une filière à proprement parler, a donc su se structurer en un écosystème capable de gérer collectivement des compétences rares et un soft power devenu un avantage concurrentiel incontestable. Ce dernier repose notamment sur l’influence culturelle des marques, incontournables dans la perception du luxe, et sur l’organisation d’événements au rayonnement mondial qui ont fait de Paris la capitale absolue en la matière.
On observe ainsi une organisation industrielle qui, tout à la fois, érige des obstacles à l’entrée et met en place des mécanismes de coopération pour mutualiser des ressources au profit des acteurs déjà présents. S’appuyant sur un patrimoine culturel qu’elle entretient par ailleurs, cette organisation parvient à assurer le contrôle de sa réputation et de son soft power, sur un marché où la compétitivité prix n’a jamais eu un rôle déterminant.
En jeu – Introduction
La France n’a pas les Gafa, mais elle a les géants du luxe mondial », rappelait en 2019 l’ancien ministre de l’Économie, Bruno Le Maire, lors de la signature du Contrat stratégique de la filière (CSF) Mode et Luxe1.
Le secteur du luxe2 est sans conteste un fleuron de l’économie française, une réussite qui fait figure d’exception lorsque l’on s’attarde sur la compétitivité de notre industrie, et plus particulièrement sur sa productivité, qui ne parvient pas à rattraper son niveau d’avant la crise sanitaire et se fait distancer par les États-Unis (Desjeux, 2024).
L’étude de cas du secteur français du luxe offre donc une perspective instructive sur l’enjeu de compétitivité industrielle, à plus forte raison parce qu’il a su mener avec succès plusieurs transformations. Aujourd’hui, ce secteur est représenté par quatre grands groupes internationaux (LVMH, Kering, Hermès, L’Oréal), qui dominent et structurent le marché mondial de manière déterminante. Leur succès est le résultat d’une stratégie menée tout au long des années 1980 et 1990, qui a permis à un ensemble d’entreprises autrefois de taille plus modeste de tirer leur épingle du jeu dans un monde en pleine mutation. Portées par une forte croissance de la consommation et par la globalisation de l’économie, elles se sont muées en des groupes mondiaux, presque tous multimarques, dont le succès est à ce jour non démenti. En dépit d’un ralentissement de la consommation asiatique de biens de luxe, le secteur reste un moteur du dynamisme économique de la France, dans un contexte général plus morose marqué par une instabilité politique, une croissance faible, une forte pression sur les comptes publics et des perspectives sombres pour les activités manufacturières (Fleitour, 2024 ; Silbert, 2024).
L’objectif de cette étude est donc de comprendre quels ont été les ingrédients clés de la réussite économique des entreprises françaises du luxe, en analysant le fonctionnement de cet écosystème réputé pour sa discrétion, et de voir s’il est possible d’en tirer des enseignements. Plus particulièrement, il s’agit d’examiner les stratégies mises en place par les marques pour asseoir leur domination : comment ont-elles contribué à l’essor de la filière française au point d’instaurer un véritable leadership mondial ?
Nous nous sommes notamment intéressés à la dimension collective de cette organisation industrielle et aux actions entreprises autour d’objectifs et d’intérêts communs, dont on verra qu’elles sont diverses et significatives. Ces coopérations, tant formelles qu’informelles, concernent aussi bien le « simple » partage d’information, qui ne va pourtant pas de soi, que le développement d’initiatives institutionnalisées visant à défendre les intérêts économiques de chaque entreprise.
Dans un premier temps, cet ouvrage dresse un état des lieux de la performance du luxe français à l’international, que ce soit en termes économiques ou d’influence. En deuxième lieu, il analyse les stratégies des marques qui leur ont permis d’asseoir leur domination. Enfin, l’étude revient sur la responsabilité partagée par les marques de l’entretien de l’image du luxe français.
Pour conduire ce travail, onze entretiens semi-directifs ont été menés auprès d’experts, de représentants des maisons et de leurs fournisseurs ou de représentants d’intérêts.
- 1 — Les Comités stratégiques de filière (CSF) ont pour objectif « d’instaurer […] un dialogue concret, performant et régulier entre l’État, les entreprises et les représentants des salariés. » Le contrat a pour vocation de structurer les missions du CSF dont les axes prioritaires pour la mode et le luxe sont : les formations techniques et l’attractivité des métiers techniques ; l’accompagnement des entreprises avec Bpifrance ; le développement durable ; l’enjeu de l’acculturation numérique.
- 2 — À proprement parler, l’industrie du luxe ne correspond ni à un secteur (au sens statistique de la nomenclature des activités) ni à une filière (puisqu’elle en regroupe plusieurs, souvent partiellement). Faute d’un terme plus précis, et conformément au langage courant, nous emploierons indifféremment dans la suite de ce texte les expressions « secteur », « industrie » ou encore « segment » du luxe pour désigner cet ensemble d’activités hétérogène mais cohérent.
L’hégémonie du luxe français
Le segment français du luxe s’appuie sur une longue histoire de fabrication de produits haut de gamme, en réponse à une demande émanant de l’aristocratie et de la bourgeoisie.
Très tôt, il a également été soutenu par les premières politiques industrielles de l’État français. Plus près de nous, les maisons ont consolidé une position mondiale quasi hégémonique par une stratégie très volontariste d’intégration, tant verticale qu’horizontale.
Le luxe, une industrie phare aux contours imprécis
Le luxe n’est pas un secteur comptable défini, ce qui empêche d’en dessiner précisément les principaux traits statistiques. Il regroupe au contraire les segments haut de gamme de plusieurs biens et services hétérogènes (cosmétique, mode, alimentaire, tourisme…). Dans cette étude, notre attention se porte sur les produits.
Un critère objectif : le prix
Les segments haut de gamme se caractérisent principalement par des prix élevés, lesquels témoignent d’une qualité supérieure attribuée à l’utilisation de matières premières de premier choix ou à « une performance qualitative et/ou esthétique attestée » (Bomsel, 1995). Le prix élevé du bien de luxe s’écarte du schéma classique de rationalité de l’agent économique : celui-ci préfère payer plus cher pour satisfaire son désir de posséder un bien de luxe, dont la fonction aurait pu être remplie par un bien au prix plus abordable. L’usage du bien de luxe apparaît dès lors secondaire. En outre, presque par définition, les biens de luxe détiennent une élasticité par rapport au revenu supérieure à 1 : si le revenu du consommateur augmente, sa consommation en biens de luxe augmente plus rapidement.
Divers critères subjectifs justifiant l’appartenance de la marque à un cercle restreint
Un bien de luxe se différencie également par des attributs subjectifs tels que la qualité, l’exigence ou la créativité, tous rassemblés à l’intérieur de l’image de sa marque (ibid.). Cette dernière agit en effet comme la garantie d’un savoir-faire et d’un patrimoine transmis en héritage au sein même de l’entreprise que l’on nomme « maison »3.
Par conséquent, l’analyse économique pas plus que la caractérisation technique des biens ne sont suffisantes pour définir une activité de luxe : le patrimoine et les savoir-faire sur lesquels la marque s’appuie pour justifier son positionnement doivent également être reconnus par le consommateur (Gutsatz, 1996 ; Barrère et Santagata, 2005). De ce fait, l’appartenance d’une marque au segment du luxe n’est pas admise universellement par tous les clients : elle dépend de sa réputation et varie dans le temps et géographiquement. Ainsi, dans les années 1980, la marque Lacoste habillait les cadres dirigeants grâce à une gamme axée sur des sports comme le tennis, la voile et le golf. Cependant, la marque s’est repositionnée sur un segment moins premium quand les milieux hip-hop ont acheté ces produits et que les articles de contrefaçon ont atténué la perception d’exclusivité (Bischoff, 2023).
Produire de la rareté en petite série
L’accès aux biens de luxe doit par définition être contrôlé par les marques, car sa démocratisation entraîne immédiatement une dilution de la rareté qui est elle-même considérée comme un indicateur du prestige. Cette rareté se fonde sur des critères tantôt objectifs, par exemple l’utilisation de matières peu accessibles, tantôt moins, comme le lancement de collections limitées (Catry, 2007). Les marques de luxe parviennent ainsi à créer chez le consommateur un sentiment d’exclusivité qui s’oppose à la production de masse des autres industries, dont elles partagent pourtant les contraintes économiques et la recherche du profit (Chatriot, 2007 ; Darène, 2012).
Ce sentiment d’exclusivité émanant de la rareté du bien s’inscrit en outre, pour le client, dans une quête de distinction sociale et d’ostentation de la richesse. La consommation de biens de luxe peut en effet être vue comme un « moyen de l’affirmation d’un rang social » (Veblen, 1899 ; Bourdieu, 1979 ; De Ferrière le Vayer et Daumas, 2007).
En définitive, la filière du luxe peut être résumée « en trois points : un prix élevé, une qualité supérieure et une visibilité ostentatoire » et décomposée en plusieurs branches : les parfums et cosmétiques ; la mode et maroquinerie ; la bijouterie, joaillerie et horlogerie ; les arts de la table ; les champagnes, vins et spiritueux ; et les hôtels et restaurants (Chatriot, 2007)4.
La naissance du luxe français
Divers auteurs datent la naissance d’une industrie française du luxe au XVIIe siècle. La royauté, sous l’influence florentine des Médicis, encourage et protège l’artisanat : grâce au soutien de la reine Marie de Médicis, le joaillier Mellerio s’est établi en France dont le savoir-faire est désormais transmis à la quinzième génération. Une impulsion de plus grande ampleur suit avec Colbert et sa décision de développer l’industrie et le commerce extérieur en favorisant des manufactures haut de gamme par une politique mercantiliste, alors que la France est le pays le plus peuplé d’Europe (Bouton et al., 2015 ; Bercé, 2005). Colbert entend par là corriger le déséquilibre de la balance commerciale du pays. Il encourage notamment la montée en gamme par la création de manufactures royales, comme celles d’Aubusson et des Gobelins pour les tapisseries, de Saint-Gobain pour les glaces, de Van Robais pour les textiles. Celles-ci trouvent au sein de l’aristocratie des clients de premier choix. La cour de Versailles peut même être considérée comme une fabuleuse vitrine de cette production haut de gamme, l’autorité et la centralité du monarque renforçant le désir d’imitation au fondement de l’acte de consommation. Cette ambition commerciale est par ailleurs renforcée par un corpus de normes de fabrication, dont les inspecteurs des manufactures veillent à l’application.
Tout au long du xixe siècle, la deuxième phase d’expansion de ces activités est plus importante et répond à un affaiblissement de la compétitivité française. Entre la fin de l’Ancien Régime et la période napoléonienne, les conflits politiques ont fragilisé le commerce maritime et, à la levée des sanctions, l’industrie tricolore ne parvient pas à regagner des parts de marché, notamment pour les textiles de bas et milieu de gamme, face à l’industrie britannique (Charles et Daudin, 2022). La production d’articles haut de gamme connaît alors un certain essor, tirée par l’enrichissement d’une élite bourgeoise, d’abord en Europe continentale puis aux États-Unis, grâce à la prospérité économique induite par la révolution industrielle (Charles et Daudin, 2022 ; De Ferrière le Vayer, 2007). En particulier, sous la monarchie de Juillet entre 1830 et 1848, apparaissent des marques encore présentes aujourd’hui comme Christofle, né en 1830, Hermès en 1837 et Cartier en 1847.
LA MONTÉE EN GAMME VUE DU TERRAIN : ACQUÉRIR DE NOUVEAUX SAVOIR-FAIRE POUR SURVIVRE
LA MANUFACTURE TEXTILE DU MAINE a été fondée en 1984. D’après Sylvie Chailloux, sa fondatrice, cette entreprise n’a cessé de monter en gamme afin de pouvoir conserver sa fabrication en France. Initialement, elle travaillait pour des marques de mode présentes dans les Pays de la Loire ; mais elle a dû changer quatre fois de marché pour lutter contre la concurrence étrangère et éviter la délocalisation. En pratique, cela a consisté à chaque fois à se doter de nouveaux savoir-faire dans différents segments de l’habillement. C’est au gré de ces différentes expériences que l’entreprise a finalement pu intégrer le monde du luxe. Par exemple, en 2002, Sylvie Chailloux a fait le pari de s’appuyer sur ses savoir-faire en bonneterie pour apprendre le métier de la lingerie corseterie. Elle a donc investi dans du matériel et de la formation, alors même qu’il était difficile pour les fabricants français de trouver de la charge de travail à cette période. L’entreprise a été fragilisée un temps par cette transition, qui lui a temporairement fait perdre en productivité. Mais, sans cette bifurcation, la manufacture Textile du Maine n’aurait pas pu survivre et ne détiendrait pas les compétences pointues qu’elle maîtrise aujourd’hui.
L’essor du luxe français est par ailleurs soutenu par un écosystème en mesure de défendre sa production pendant des périodes délicates. Face à l’afflux de contrefaçon allemande sur le segment des produits dits « articles de Paris »5 et à la dépression de la fin du xixe siècle, les producteurs se réunissent au sein de chambres syndicales qui mettent en place une « marque collective attestant de l’origine française de leurs produits » (Sougy, 2021).
Au début du xxe siècle et jusqu’à 1929, Delpal (2017) décrit le luxe comme un marché élitaire, destiné à une clientèle sélecte européenne et américaine. La haute couture parisienne, née avec la création de la première maison par Charles Frederick Worth en 1858, se développe tout au long du siècle : Paris accueille les plus grands couturiers, dont Coco Chanel, Jeanne Lanvin, Pierre Balmain ou encore Yves Saint Laurent. La crise de 1929 entraîne cependant une chute des exportations de couture de plus de 70 % (entre 1929 et 1935, cf. Grumbach, 2008).
Après la Seconde Guerre mondiale, l’expansion de la société de consommation transforme les codes du luxe. Les couturiers se lancent ainsi dans le prêt-à-porter et adoptent le système de licences, par lesquelles ils autorisent la confection de produits portant leur marque contre le paiement de royalties, augmentant ainsi leurs revenus. Ce système est notamment utilisé par Dior (Chevalier et Mazzalovo, 2015). En outre, la mondialisation entraîne une intensification de la concurrence manufacturière dans les filières de la mode. Une fois encore, la montée en gamme s’impose comme une voie privilégiée, sinon la seule, pour les entreprises manufacturières souhaitant rester en France.
Figure 1.1 – Marché mondial des biens personnels de luxe
Source : Bain & Co. Traitements La Fabrique de l’industrie.
Les groupes français en tête du marché mondial
Une forte croissance du secteur depuis les années 1980
Selon le rapport du cabinet de conseil Bain & Company (2024), le marché mondial des biens de luxe personnels6 a connu une forte expansion depuis la fin du xxe siècle, selon un taux de croissance annuel moyen de 6 % entre 1996 et 2023. Après un ralentissement lors de la pandémie de Covid-19, le marché a connu ensuite un fort pic de croissance : 29 % entre 2019 et 2023, atteignant ainsi la valeur de 362 milliards d’euros. Cette hausse est expliquée par de multiples facteurs, dont la reprise du tourisme et de l’économie mondiale (Bain & Company, 2024).
L’Europe et le continent américain sont les deux premiers marchés pour la vente de biens de luxe personnels, réalisant chacun 28 % de part mondiale en 2023 (ibid.). Néanmoins, la croissance annuelle moyenne au cours des treize dernières années s’est limitée à 4 % en Europe et à 5 % sur le continent américain. À partir des années 2000, c’est au contraire le continent asiatique qui a contribué de manière significative à l’expansion du secteur, du fait d’une forte croissance de sa population et d’une augmentation notable de son pouvoir d’achat : le marché chinois aurait ainsi enregistré une croissance annuelle de 15 % depuis 2010.
Incontestablement, les groupes français ont su tirer parti de cette rapide expansion. LVMH, leader mondial, représente à lui seul 17 % des ventes du top 100 pour l’année 2022 (et 31 % des ventes du top 10) contre 10 % en 2013 (respectivement 21 %). Kering se hisse à la deuxième place du palmarès et Hermès, qui a rejoint le top 10 en 2021, est au 8e rang (Deloitte, 2023)7.
La progression du chiffre d’affaires des quatre leaders français est un témoignage parlant de leur performance et de leur capacité à conforter chaque année leur position sur le marché. En effet, entre 2010 et 2023, ils ont enregistré une croissance annuelle de 13 % pour Kering, de 9,6 % pour L’Oréal, de 14 % pour Hermès et de 11 % pour LVMH, soit des taux environ deux fois plus élevés que ceux de leur marché mondial.
Un triomphe international
Les marques de luxe françaises sont présentes dans le monde entier. LVMH est ainsi implanté dans 81 pays, Kering dans 50 et Hermès dans 45, tous trois principalement en Asie et aux États-Unis. Seul L’Oréal, opérant certes dans plus de 150 pays, vend en premier lieu en Europe, ce marché représentant 31 % de son chiffre d’affaires. Ces groupes sont donc très directement tournés vers l’international : les ventes du groupe Hermès sont ainsi réalisées à 91 % hors de France (Hermès, 2024).
Toutefois, la puissance de ces entreprises ne se mesure pas uniquement à l’aune de leurs exportations. Le plus remarquable est en effet que la part de leurs ventes parmi les 100 premières entreprises du marché a augmenté de 9 points de pourcentage en dix ans, quand leurs concurrentes américaines, suisses ou italiennes ont toutes perdu du terrain pendant la même période.
Autre performance notable : les filières du luxe sont exportatrices nettes, alors que la balance commerciale française est encore loin du point d’équilibre. Les secteurs regroupant le cuir, la chaussure, la joaillerie, les bijoux, les parfums et cosmétiques affichent des exportations de 50,6 milliards d’euros et un excédent commercial de 22,5 milliards d’euros en 2023 (Jourdain et Vigne, 2023).
Figure 1.2 – Les entreprises du luxe en chiffres
(a) Chiffres d’affaires entre 2010 et 2023
Sources : rapports financiers annuels 2011-2023, LVMH ; rapports financiers annuels 2011-2023, Kering ; rapports financiers annuels 2010-2023, Hermès ; rapports financiers annuels 2011-2023, L’Oréal.
(b) Part des ventes des produits de luxe par les entreprises
du top 10 dans le chiffre d’affaires total du top 100
Sources : Deloitte (2015, 2023). Traitements La Fabrique de l’industrie.
(c) Part des ventes de produits de luxe
des 100 premières entreprises par pays d’origine
Sources : Deloitte (2015, 2023). Traitements La Fabrique de l’industrie.
Figure 1.3 – Commerce extérieur des filières parfums, cosmétiques et produits d’entretiens
Source : lekiosque.finances.gouv.fr.
Figure 1.4 – Commerce extérieur des filières cuir, bagages et chaussures
Source : lekiosque.finances.gouv.fr.
À titre de comparaison, l’aéronautique, principal secteur exportateur, a enregistré 56,5 milliards d’euros d’exportations. La majeure partie de l’excédent commercial provient de la catégorie « parfums, cosmétiques et produits d’entretien » (16,4 milliards d’euros). Le dynamisme des ventes en Europe a permis d’accroître cet excédent de plus d’un milliard d’euros supplémentaire entre 2022 et 2023. Dans les secteurs du cuir, de la bagagerie et des chaussures, on observe même une inversion de tendance : le solde autrefois négatif est devenu positif à partir de 2019, en particulier grâce à une hausse de plus de 70 % des ventes de sacs à main à l’étranger, notamment pour répondre à une demande croissante sur le marché asiatique, tandis que les importations de chaussures en provenance de Chine ont baissé (ibid.)
En conclusion, ce triomphe à l’international des groupes de luxe français est d’autant plus exceptionnel que ces entreprises, qui contribuent positivement au commerce extérieur, sont parvenues au cours de cette dernière décennie à conquérir de nouvelles parts de marché là où leurs principaux concurrents étrangers en ont concédé.
Une empreinte manufacturière disparate selon les filières
Quand on se penche sur les différentes filières qui composent le secteur français du luxe, on constate que leur dynamisme manufacturier est assez disparate : certaines d’entre elles (chaussure, textile) ont été fortement affaiblies par les délocalisations, quand d’autres (maroquinerie, parfum) sont restées dynamiques et se sont même renforcées.
L’industrie française de la chaussure, tout d’abord, a été très fragilisée par la délocalisation de la plupart des marques en Europe du Sud, notamment en Italie, en Espagne et au Portugal (Delpal et Jacomet, 2014). Cela concerne autant les produits de luxe que les produits ordinaires. Aujourd’hui, l’Italie est devenue le principal fournisseur de la France et représente 24 % de ses importations de chaussures en cuir (Alliance France Cuir, 2023). Cette industrie employait 21 178 personnes réparties dans 199 entreprises en 2000 et ne compte plus que 3 647 employés dans 90 entreprises en 2023. Le déclin du secteur s’illustre notamment par l’histoire du territoire de Romans-sur-Isère, qui a perdu son titre de capitale de la chaussure depuis la liquidation de l’usine Charles Jourdan en 2007.
L’horlogerie française, ensuite, a connu elle aussi une forte diminution des emplois et des entités légales face à la montée des grandes entreprises suisses entre 2011 et 2017 (Ostaj, 2020). Ce secteur s’est en effet structuré autour de trois groupes suisses : Richemont, Rolex et Swatch Group. En réaction, le secteur français s’est repositionné comme une industrie de sous-traitance, principalement des entreprises de petite taille8, qui reste fragile : l’emploi y évolue négativement du côté de la frontière française, alors qu’il croît sur l’Arc jurassien suisse.
Tout au contraire, la maroquinerie, qui représente 84 % des effectifs de la filière du cuir (Alliance France Cuir, 2023), affiche un dynamisme remarquable, avec un chiffre d’affaires de 5,6 milliards d’euros. Grâce aux solides performances des entreprises spécialisées dans la maroquinerie de luxe, l’observatoire Alliance France Cuir estime que les effectifs de ce secteur ont connu une progression de 49 % entre 2013 et 2023 (atteignant 30 779 salariés en 2023 dans 392 entreprises). Cette performance s’illustre par les acquisitions de Louis Vuitton et d’Hermès, qui ont tous les deux acheté des ateliers et des tanneries ces dernières années. Hermès a ouvert sa vingt-troisième maroquinerie le 13 septembre 2024, à Riom, et Louis Vuitton, après deux acquisitions en 2022, détient désormais vingt-huit ateliers de maroquinerie, répartis en France, en Italie et aux États-Unis. La quasi-totalité des effectifs du groupe Hermès se trouvent en France (90 %), la majorité étant affectée à la production des biens (68 %). La parfumerie et la cosmétique contribuent à l’activité industrielle française, puisque trois des cinq usines de L’Oréal du segment luxe sont implantées sur le territoire.
Figure 1.5 – Évolution de l’emploi dans l’industrie horlogère entre 2011 et 2017
Sources : Insee, Recensement de la population ; OFS, Statistique structurelle des entreprises STATENT.
Figure 1.6 – Évolution des effectifs d’Hermès
Sources : documents de référence Hermès. Traitement La Fabrique de l’industrie.
Une structure oligopolistique bâtie par intégration horizontale
LVMH, né de la fusion des deux groupes internationaux Louis Vuitton et Moët Hennessy, a connu ensuite une forte expansion grâce à l’acquisition de marques telles que Kenzo, Givenchy, Celine, etc. Il est historiquement le premier groupe du secteur à avoir ainsi entrepris une stratégie de regroupement multimarques, afin de capter de nouvelles parts de marché, d’étendre ses activités par croissance externe et d’atténuer les effets des chocs économiques (Delpal et Jacomet, 2014). Cette stratégie, détaillée dans le rapport annuel 2001 du groupe et s’appuyant sur « l’acquisition de marques à fort potentiel, et par le développement des marques en portefeuille », lui a permis d’améliorer à la fois sa rentabilité et sa visibilité. Sur le terrain, ce regroupement permet en effet des économies d’échelle, par exemple quand l’entreprise Rossimoda, achetée en 2001, fabrique les souliers féminins des marques de mode du groupe (sauf pour Louis Vuitton, la marque phare du groupe) (Delpal, 2017).
Comme le montre le rapport Deloitte (2023), la grande majorité des marques de luxe sont désormais passées sous la houlette de groupes internationaux, par vagues de fusions et acquisitions. Ces derniers ont ainsi fortement consolidé leur position sur le marché, comme en témoigne la composition des dix premières entreprises du secteur.
Ces vagues d’intégration horizontale ont abouti à forger un environnement quasi oligopolistique, où les performances des grandes entreprises diffèrent largement de celles des plus petites qui subissent davantage la concurrence. Les économistes nomment une telle structure « oligopole à franges concurrentielles » (Delpal et Jacomet, 2014).
En conséquence, ces grands groupes disposent de larges capacités financières pour asseoir la visibilité de leurs marques, par l’achat de publicité et l’organisation d’événements prestigieux, qui créent autant des barrières à l’entrée sur le marché en élevant les coûts fixes nécessaires aux concurrents pour atteindre les standards de qualité et d’esthétisme qu’elles imposent (Roux, 2009 ; Chatriot, 2007).
Leurs dépenses en communication ont en effet fortement augmenté : LVMH les a pratiquement multipliées par huit en vingt ans, pour atteindre 10 milliards d’euros en 2023 (LVMH, 2024). Le pôle luxe de Kering a quant à lui multiplié par quatre ses dépenses de communication entre 2010 et 2023 (Kering, 2024). En 2023, le groupe L’Oréal a réalisé des investissements s’élevant à 1 489 millions d’euros, soit 3,6 % de son chiffre d’affaires, dont 34 % ont été consacrés au marketing9 (L’Oréal, 2024). En comparaison, en 2010, le même groupe L’Oréal avait investi environ 680 millions d’euros, dont 45 % consacrés au marketing. Les dépenses de communication d’Hermès s’élèvent, elles, à 607 millions d’euros en 2023 (Hermès, 2024).
Sources : Deloitte (2023) et l’autrice, qui a compilé des informations accessibles en ligne concernant les groupes mentionnés.
- 3 — Anthony Mathé, docteur en sciences du langage, note l’élargissement de l’utilisation du terme « maison » qui, au XVIIIe siècle, concernait les producteurs de champagne et désigne aujourd’hui les entreprises associées au marché du luxe.
- 4 — À noter que ce périmètre s’appuie en partie sur la définition de Chatriot (2007) mais qu’il existe d’autres segments luxe, dont ceux des transports (l’automobile, les navires et les aéronefs). Si les marques françaises se distinguent dans le périmètre défini Chatriot (2007), certaines filières, telles que l’automobile, montrent une part de marché française limitée.
- 5 — « Cette catégorie composée de produits superflus ou d’utilité, de fantaisie ou de luxe, représente plus du quart des exportations de la capitale en 1860. » (Sougy, 2021).
- 6 — Dans son rapport, Bain & Company (2023) catégorise le marché du luxe en neuf segments : les voitures de luxe, les produits personnels de luxe, l’hôtellerie de luxe, les vins et spiritueux fins, la gastronomie et les restaurants raffinés, le mobilier et les articles ménagers haut de gamme, les beaux-arts, les jets privés et les yachts, ainsi que les croisières de luxe. Le rapport est commandé annuellement par Altagamma, une association patronale des marques de luxe italiennes.
- 7 — Le périmètre de l’étude de Deloitte concerne seulement les biens personnels de luxe, c’est-à-dire la mode, la maroquinerie, les accessoires, la joaillerie-bijouterie et la cosmétique. Les entreprises appartenant au top 100 couvrent différents sous-segments, depuis le luxe dit « abordable » jusqu’au très haut de gamme. Elles sont repérées à partir des critères suivants : prix élevé, qualité de la matière et de la fabrication, exclusivité et authenticité du produit, prestations dans l’organisation des points de vente (personnalisation, exclusivité, etc.). Les auteurs de l’étude soulignent que leurs données proviennent de rapports publiés et accessibles au public, ce qui exclut certains acteurs qui ne diffusent pas d’information.
- 8 — 70 % des entreprises de l’horlogerie en Bourgogne-Franche-Comté ont moins de 10 salariés et seuls sept établissements dépassent la centaine de salariés (ibid.).
- 9 — À noter que les budgets alloués au marketing couvrent un plus large éventail que celui des dépenses en communication.
Le luxe français s’est imposé en maîtrisant sa chaîne de valeur
Les marques ont élargi leur activité et leur offre en profitant de l’accélération de la croissance du marché ; cela s’est notamment traduit par des arbitrages différents entre production interne et externalisation pour parvenir à conjuguer rentabilité et agilité.
Cela étant, elles ont gardé une totale maîtrise industrielle de leur gamme, de la conception des produits et l’acquisition des savoir-faire jusqu’à la vente dans des réseaux de distribution en propre, conservant ainsi le contrôle non seulement des produits, mais encore et surtout de leur image.
Aucun compromis sur la qualité
Diversification de l’offre des marques pour accroître leurs revenus
En diversifiant leur offre, les marques gagnent des relais de croissance et asseyent leur notoriété en « témoignant de leur force créative », rappellent Delpal et Jacomet (2014). Pour maximiser son profit, l’entreprise tend à diversifier son offre pour répondre à une plus large demande : c’est ainsi que les marques proposent délibérément des produits d’entrée de gamme, comme les accessoires, afin d’acquérir de nouveaux clients et d’engendrer chez eux de nouveaux besoins. Cette diversification s’illustre par les articles accessibles d’Hermès, tels que les carrés de soie, ou encore une ligne de robes de haute couture « abordable» de Jean-Paul Gaultier, proposée à 6 000 euros avec trois séances d’essayage, contre un prix habituel de 12 000 euros pour les premiers modèles haute couture (Degoutte, 2007). La multiplication des collections et la diversification des catégories de produits requièrent cependant un délicat arbitrage entre la nécessité de rester créatif et celle de conserver l’identité de la marque (Blancheton, 2021 ; Delpal et Jacomet, 2014).
Plus fondamentalement, la diversification est une des composantes historiques de la stratégie des marques de luxe pour consolider leur positionnement face aux mutations du marché, notamment quand les activités originelles deviennent peu rentables. Prenons l’exemple d’Hermès : Guillaume de Seynes, directeur général d’Hermès International, rappelle que, à sa création en 1837, « la maison concevait et fabriquait des harnais et différents équipements pour chevaux, alors d’usage courant. Face à la démocratisation de l’automobile, Hermès a dû s’adapter et consacrer une partie de son savoir-faire à la fabrication d’autres produits que le matériel d’équitation. En 1923, Hermès fabrique un sac pour la première fois ; c’est un tournant décisif dans l’histoire de l’entreprise. Cependant, Hermès demeure actif dans la fabrication de produits d’équitation et maintient son lien avec l’univers hippique par l’organisation d’événements comme le Saut Hermès ».
Un autre exemple est celui des marques issues de la haute couture, dont la productivité est structurellement stagnante et dont les coûts de production ne cessent d’augmenter (Delpal et Jacomet, 2014). Ces maisons tirent leur fierté et leur prestige de la création et des défilés ; elles poursuivent donc cette activité, tout en trouvant des relais de croissance sur d’autres segments (prêt-à-porter de couture, parfumerie…).
Un contrôle organisé au sein d’un système pyramidal
Toutefois, les entreprises du luxe « ne veulent pas et ne peuvent pas maîtriser tous les savoir-faire » (Delpal, 2017). Cette diversification de leurs activités s’est donc accompagnée du développement de la sous-traitance, elle-même soumise à un contrôle et à un suivi très rigoureux pour s’assurer que les produits correspondent au niveau d’exigence requis par le donneur d’ordre (Darène, 2012). Le fonctionnement du système prend une forme pyramidale où les marques, sous la houlette des grands groupes internationaux, chapeautent la sous-traitance et les fournisseurs, de tailles (effectif et chiffre d’affaires) bien inférieures (Bouton et al., 2015).
Un donneur d’ordre du luxe nous confie ainsi que « si le recours à la sous-traitance est également employé par les marques françaises afin d’absorber les variations de volume, il est encadré par des cahiers des charges très stricts (qualité du fil, nombre de points de couture ou de colle par centimètre…), l’approvisionnement et le mode opératoire étant en outre imposés par la marque elle-même ». La marque devant éviter tout risque réputationnel, chacun de ses produits doit rester irréprochable : « Il n’y a pas une semaine qui passe sans qu’une maison ou une autre nous fasse part d’un contrôle qualité », confirme Sylvie Chailloux, fondatrice de l’entreprise de sous-traitance Textile du Maine.
Cette maîtrise du produit inclut le contrôle de la qualité des matières premières. Le directeur de la tannerie Bastin et Fils, qui fournit les semelles des chaussures Weston, indique par exemple que ses pièces de cuir doivent avoir une épaisseur d’au moins 4 mm pour être acceptées par son client. Il est d’ailleurs courant dans le modèle productif du luxe français que les donneurs d’ordre fournissent eux-mêmes les matières premières aux sous-traitants, comme c’est le cas dans le prêt-à-porter de couture.
Il nous a ainsi été répété, au fil des entretiens, que « le luxe ne fait aucun compromis sur la qualité ». Fournir le luxe, c’est accepter de se soumettre à des règles et des exigences précises ; l’effort pour le sous-traitant est continu et son exigence ne peut pas faiblir. Pour encadrer cette chaîne de sous-traitance, les marques ont d’ailleurs recruté des personnes chargées de la gestion du produit, qui font le lien entre les sous-traitants, les fournisseurs et la marque elle-même.
La rigueur de ce suivi de la production est à la hauteur de l’importance du capital réputationnel de la marque, qui est l’essence même du prestige qu’elle détient : dans une économie tertiarisée et très dense en transactions symboliques et immatérielles, l’industrie du luxe constate et rappelle chaque jour que maîtriser le produit signifie maîtriser sa réputation. Les marques de luxe elles-mêmes sont les premières à s’entourer de symboles qui participent à la création de valeur, mais s’assurer que les conditions de production sont en adéquation avec cette image que la marque souhaite projeter est au cœur de leur survie et, donc, de leur stratégie.
Un exemple en a été donné en 2024, lorsque les autorités italiennes ont découvert des travailleurs sans papiers logés dans des conditions précaires dans des ateliers d’entreprises chinoises, installés dans la région de Milan, qui fournissaient Dior et Armani. Nous ne pouvons pas estimer les conséquences de cet événement sur les ventes. En revanche, ce scandale a montré combien le recours à la sous-traitance pouvait apparaître en vive contradiction avec l’image que les marques de luxe souhaitent transmettre. Les acteurs du luxe que nous avons rencontrés justifient ainsi le choix d’une surveillance stricte de la chaîne d’approvisionnement pour éviter toute situation similaire. Dans leurs rapports annuels, les groupes indiquent de ce fait le nombre d’audits sociaux et environnementaux qu’ils ont réalisés, ainsi que l’origine de leurs fournisseurs par continent. Dans celui du groupe LVMH datant de 2023, il est rappelé que « des produits, des modes de production, des réseaux de distribution et des modes de communication en inadéquation avec l’image des marques pourraient affecter la notoriété des marques et entraîner un effet défavorable sur les ventes ».
UNE PRODUCTION ITALIENNE DÉLICATE À SUPERVISER
SELON GUILLAUME DE SEYNES, l’organisation de la sous-traitance italienne est en partie le résultat d’une disposition plus proactive et performante – voire agressive – pour récupérer des marchés que celle de leurs homologues français. Il note cependant que la qualité de leur production peut s’avérer décevante dans la durée. Par ailleurs, la densité de ces réseaux de sous-traitance, qui confine parfois à l’opacité, a favorisé la constitution d’un environnement dans lequel des ateliers d’entreprises chinoises, installées en Italie et y employant une main-d’œuvre illégale, ont pu capter une partie de l’activité. En France, la sous-traitance fait l’objet d’une vigilance accrue de la part des maisons, et en particulier d’Hermès qui veille à mener des audits réguliers pour éviter tout incident qui viendrait ternir son image de marque.
Une sous-traitance européenne dense et réactive
Les sous-traitants du luxe font face à une forte concurrence européenne, dont l’intensité varie selon les filières (cf. Chap. 1).
Koromyslov (2009) constate qu’il est difficile de démontrer et de mesurer le recours aux délocalisations de la part des maisons du luxe. D’une part, ce sujet reste largement tabou, perçu comme contraire aux valeurs du luxe français lui-même associé au made in France. D’autre part, l’absence d’une définition statistique du luxe, qui relève d’un ensemble de filières plutôt que d’un secteur comptable, complique l’évaluation des délocalisations. Des enquêtes menées par des journalistes ont toutefois avancé que certaines marques avaient choisi de délocaliser une partie de leur fabrication, pour rester compétitives en dépit de coûts salariaux élevés en France, tout en conservant une image française : les costumes de Kenzo et de Givenchy, deux maisons appartenant à LVMH, étaient initialement fabriqués par des sous-traitants établis en France avant d’être produits en Chine et en Europe de l’Est (Hervieu et Ducourtieux, 2007 ; Vulser, 2009).
Ce faisant, l’objectif des marques est bien de réduire les coûts de production. Deux acteurs du luxe nous ont en effet fait part de l’importance de ne pas « romantiser » l’idée d’une production industrielle en France : selon eux, il serait erroné de prétendre que la qualité du travail dépend du lieu de production. C’est au contraire la qualité du cadre mis en place par la maison, depuis le suivi de la production jusqu’à la formation des salariés et sous-traitants, qui garantit la qualité du produit. Non seulement le label « 100 % made in France » n’est pas toujours viable d’un point de vue économique, mais il peut parfois être peu rationnel en termes industriels. Externaliser la production à l’étranger répond à une logique économique à laquelle les marques de luxe ne dérogent pas. Longchamp, par exemple, qui a conservé six sites de production en France, a mis en place des ateliers à l’Île Maurice et en Tunisie, doublés d’une sous-traitance au Maroc, en Roumanie, en Chine et en France (Letessier, 2011).
La sous-traitance française a été particulièrement confrontée à une concurrence européenne plus réactive et mieux organisée pour répondre aux exigences des maisons. Le cas de la sous-traitance italienne est ainsi presque systématiquement évoqué dans nos entretiens comme exemple iconique de la performance d’un réseau qui sait s’adapter aux besoins des donneurs d’ordre. Il est décrit comme plus dense et plus organisé (Bouton et al., 2015), les sous-traitants sachant se regrouper et même coopérer pour offrir à leurs clients davantage de services, d’agilité et de réactivité. Cette « coopération horizontale » permet en outre aux sous-traitants de conforter leur pouvoir de négociation avec les donneurs d’ordre (Depeyre et al., 2017). Par exemple, sous la houlette du fonds Permira, une entreprise florentine a racheté plusieurs PME familiales, fournisseurs italiens de luxe, pour constituer Gruppo Florence. Ce groupe rassemble 26 entreprises de taille moyenne, réorganisant les formes de collaboration entre sous-traitants et agrégeant les compétences concernées. Ce réseau dense de PME italiennes du textile fait incontestablement partie des leviers de compétitivité de la filière italienne du luxe. Il se déploie d’ailleurs selon un schéma de spécialisation par région : la Toscane pour la maroquinerie, la Vénétie et les Marches pour la chaussure.
Le modèle français exige de rester fabricant en France, même partiellement
Les maisons françaises ont tout de même conservé une part de leur fabrication en France, et mettent généralement en place un approvisionnement mixte entre fabricants français, européens et internationaux. Une marque comme Louis Vuitton par exemple, qui continue de valoriser son origine française, compte 28 ateliers de fabrication dont 4 en Espagne, 3 aux États-Unis et 2 en Italie.
Cet attachement des maisons au made in France, même s’il est partiel pour des questions de rationalité économique et qu’il concerne préférentiellement les produits iconiques qui participent à l’image de leur marque, découle directement de leur souci de contrôler leur production, caractéristique distinctive du luxe « à la française ». En effet, comme l’explique un des acteurs que nous avons interrogés, le modèle américain de la conception-vente obéit à un schéma diamétralement opposé. Aux États-Unis, les marques de luxe ont abandonné toute structure de production en propre : elles conçoivent des produits puis mettent des sous-traitants en concurrence, du Mexique à la Turquie, qui se chargent de l’approvisionnement et de la réalisation et leur livrent des produits finis.
Toujours selon ce représentant du luxe, les marques françaises souhaitent au contraire conserver la maîtrise de la production et entretenir les savoir-faire correspondants, en somme rester des « fabricants » et ne pas devenir de simples distributeurs. Le maintien en France des ateliers de fabrication est donc un moyen de préserver la culture d’entreprise et de garder ses savoir-faire à niveau. Cela permet également d’assurer une collaboration étroite entre les sous-traitants et la marque, elle-même garantie d’une qualité totalement homogène des produits quel que soit leur lieu de production. Si « les savoir-faire sont universels (invariables) et indépendants du pays d’origine, la qualité de production et la productivité, quant à elles, peuvent varier ». C’est à la charge des marques de veiller à ce qu’un effort constant de qualité soit respecté par les sous-traitants (Koromyslov, 2011).
Il faut ajouter à cela que l’origine de fabrication a une influence sur la qualité perçue par les consommateurs. Koromyslov (2009) analyse en effet que la délocalisation de la production a un effet négatif sur les attitudes des acheteurs envers les produits de luxe : l’abandon de l’origine française pourrait être considéré comme inacceptable. Les marques de luxe US, qui laissent d’ailleurs le territoire américain se couvrir de factory outlets pour étendre leur marché, entretiennent sur ce plan un autre rapport à leur clientèle.
LA DISPARITION DE LA SOUS-TRAITANCE DANS LA CHAUSSURE FRANÇAISE
CERTAINES FILIÈRES FRANÇAISES DE LUXE ont perdu une large partie de leurs emplois manufacturiers. C’est notamment le cas de celle de la chaussure (Bouton et al., 2015 ; Mazars, 2014), historiquement localisée autour de trois bassins d’emploi : Romans-sur-Isère, Limoges et Cholet, tous trois eux-mêmes voisins d’activités spécialisées dans le cuir. Ainsi par exemple, selon Marc Durie, président de J.M. Weston, les ateliers Weston se sont installés à Limoges pour s’approvisionner en cuir de qualité fourni par les vaches limousines. Mais l’industrie de la chaussure qui employait 9 000 personnes dans cette ville, au début du xxe siècle, n’en concerne plus que 600 aujourd’hui, principalement chez J.M. Weston. Cette « débâcle » manufacturière a touché tout particulièrement le réseau local de sous-traitance, dont la rentabilité devenait trop faible, tandis que la fabrication demande toujours de nombreuses opérations manuelles. Entre les années 1970 et la fin des années 1980, la production française de chaussures s’est ainsi déplacée vers l’Italie, le Portugal et l’Espagne, où elle se maintient grâce à des coûts salariaux compétitifs et à un réseau dense de petits fabricants qui ont su rester extrêmement vivaces. Christian Louboutin, créateur de chaussures qui a fait ses premières armes à Romans-sur-Isère, produit désormais la majorité de ses produits en Italie (Bouton et al., 2015).
Une intégration en amont des chaînes de valeur, notamment pour préserver les savoir-faire
L’ancien directeur général et doyen de l’Institut français de la mode, Dominique Jacomet, explique que les donneurs d’ordre se sont engagés avec succès dans une stratégie d’intégration verticale, en particulier dans les métiers du cuir, afin d’améliorer leur maîtrise de la qualité du produit, élément essentiel de la conception. Le président de J.M. Weston, Marc Durie, confirme cette tendance : selon lui, après le boom du secteur du luxe au tournant des années 1990, l’intégration des fournisseurs et notamment des fabricants de matières premières a été essentielle pour soutenir dans la durée la croissance des maisons.
Il est vrai que certains groupes avaient un temps délaissé les activités amont pour se concentrer sur la distribution, ces « délestages » servant précisément à financer leur expansion. Cependant, à la fin des années 1990, les ressources sont devenues rares, la qualité des matières s’est dégradée et une partie des savoir-faire se sont perdus, comme le tissage et l’ennoblissement dans le textile (Delpal, 2017). Cet état de fait a conduit à une prise de conscience collective parmi les grandes maisons, qui ont décidé d’investir dans les savoir-faire et les matières premières pour mieux maîtriser leur chaîne d’approvisionnement.
Dans sa thèse, Delpal (2017) étudie ces mouvements d’intégration verticale de la part des leaders du luxe à partir des années 1990, c’est-à-dire au moment même où d’autres secteurs ont entrepris d’importantes externalisations. Trois catégories émergent de sa recherche : l’intégration « développement », l’intégration « extension » et l’intégration « sauvegarde ». Elles concernent respectivement le développement des activités rentables liées au cœur de métier, l’extension de l’activité vers d’autres plus rentables, et la protection des savoir-faire patrimoniaux.
Intégrer les activités les plus profitables pour renforcer la position de la marque
Les deux premières catégories d’intégration verticale identifiées par Delpal reposent sur des motivations essentiellement économiques : il s’agit là d’accroître la rente des groupes et d’augmenter ses parts de marché.
L’intégration « développement », d’une part, renforce les activités les plus performantes de la marque, son cœur de métier. En effet, en intégrant les activités en amont de la production, elle accumule les marges liées à la fabrication, tout en limitant la concurrence de nouveaux entrants en érigeant des barrières à l’accès aux matières premières et aux facteurs de production. L’achat de tanneries par Hermès et Louis Vuitton s’inscrit dans ce schéma, en réponse à une demande croissante de produits en cuir (ibid.). Il leur offre un meilleur contrôle des marges et de la qualité des matières pour une activité phare : 69 % du chiffre d’affaires de LVMH (LVMH, 2024) provient de la mode et de la maroquinerie, quand 49 % du chiffre d’affaires d’Hermès (Hermès, 2024) provient de la maroquinerie sellerie en 2023.
L’intégration « extension », d’autre part, s’illustre par exemple avec le cas d’Yves Saint Laurent. Tandis que la marque est issue de la haute couture, la maroquinerie représente désormais 71 % de ses revenus en 2023 (Kering, 2024). Ce sont précisément les résultats financiers de la maroquinerie qui ont motivé l’acquisition d’un nouvel atelier situé à Scandicci, en Italie, en 2023. En acquérant de nouvelles activités à fort potentiel de développement, les marques augmentent leur visibilité grâce à l’extension de leur offre et en profitent pour renouveler leurs compétences (Delpal et Jacomet, 2014).
Intégrer les activités jusqu’à la formation pour protéger le geste artisanal
C’est la troisième forme d’intégration identifiée par Delpal, celle qui vise à « sauvegarder » les savoir-faire des sous-traitants, qui est mise « le plus volontiers en avant par les entreprises du luxe pour justifier la mise sous contrôle » (Delpal, 2017). La forte croissance du secteur du luxe, couplée à une intensification de la concurrence, a en effet eu des conséquences déstabilisantes sur le fonctionnement de la sous-traitance, notamment en raison de la taille réduite et de la vulnérabilité structurelle de certaines entreprises face aux fluctuations du marché (Depeyre et al., 2017 ; Foray, 2013). De plus, le vieillissement de la main-d’œuvre entraîne une réduction continue du nombre de fabricants présents en France : le comité stratégique de la filière Mode et Luxe estime « qu’un quart des salariés partiront à la retraite dans les dix prochaines années ». Enfin, l’intégration des sous-traitants dont les métiers se raréfient participe à l’image de marque des entreprises de luxe, en tant que « gardiennes du temple » des savoir-faire patrimoniaux (Foray, 2013). Chanel a fait figure de précurseur de ce mouvement en créant, dès 1985, Paraffection, une filiale destinée au rachat de sous-traitants dont les savoir-faire sont indispensables à la maison mère. Paraffection a ainsi intégré des activités de peausserie, de broderie (avec le rachat de la maison Lesage notamment), de plumasserie (avec le rachat de Lemarié), et de nombreux autres métiers d’art (modiste, ornement, etc.). De la même façon, pour sécuriser ses approvisionnements, Weston a fait l’acquisition de la tannerie Bastin.
Parfois, cette intégration a été réalisée moyennant des dispositions institutionnelles particulières, afin d’assurer un accès ouvert aux compétences ainsi préservées. Par exemple, LVMH a inauguré en juin 2024, rue Réaumur à Paris, un espace consacré aux métiers d’art. Baptisée « La Main », cette maison réunit des sous-traitants aux savoir-faire uniques, facilite les échanges entre eux et propose même des coopérations avec des créateurs.
Les marques se sont également impliquées dans la transmission des savoir-faire en intégrant des écoles de formation en interne. Le vieillissement des actifs et le manque de formations adéquates, à l’heure où l’industrie souffre d’un désintérêt massif pour les métiers manuels, ont amené les entreprises à prendre en charge le sujet de la transmission des compétences. Les groupes multimarques se sont ainsi engagés à développer des formations internes ou à investir dans la création de programmes de formation adaptés à leurs exigences (CSF Mode et Luxe ; Delpal, 2017). L’école des savoir-faire Hermès, par exemple, s’inscrit dans cette démarche. Elle assure en douze ou dix-huit mois la formation de salariés internes, mais ne recrute pas seulement des talents ayant déjà des compétences manuelles certifiées.
Hermès et les autres grandes maisons disposent des moyens financiers nécessaires pour assurer cette formation, contrairement aux PME et aux sous-traitants du secteur. Dans le cas des entreprises de sous-traitance, deux cas de figure se présentent, selon Sylvie Chailloux, la fondatrice de la PME Textile du Maine. Si elles obéissent à un modèle purement capacitaire et répondent à des demandes en volume, alors la formation interne sera privilégiée, par le truchement des reconversions professionnelles. Les sous-traitants qui proposent au contraire des services supplémentaires associés à la production détiennent une plus large palette de compétences. Il leur faut donc s’investir dans des formations externes pour trouver des réponses aux besoins spécifiques de leurs différents postes. Nicolas Trehard, président de Textile du Maine, a souhaité travailler sur la marque employeur et s’implique donc dans la formation initiale des jeunes, en tentant de repérer ceux qui ont du potentiel grâce au recours à l’alternance.
UN MODÈLE DUAL QUI NAVIGUE ENTRE INTÉGRATION ET EXTERNALISATION
SELON NICOLAS FAVREAU, directeur marketing produits chez Lectra, la frontière entre donneurs d’ordre et sous-traitants n’est pas uniforme dans l’industrie du luxe. Dans ce secteur, coexistent en effet des modèles économiques divers, combinant de manière variable intégration verticale et externalisation. Il explique que, historiquement, le haut de gamme cherche à contrôler toute sa chaîne de valeur, en ayant recours à une sous-traitance quasi exclusive ou en cherchant à l’intégrer. Cela s’explique parce que l’image de la marque, qui s’appuie sur un savoir-faire unique et hérité du passé, en est le principal argument de vente. Cela s’observe très bien lorsque les marques diversifient leurs gammes pour rester attractives et actuelles, tout en continuant à mettre en avant leur produit : il est prioritaire pour elles d’internaliser tous les maillons de la chaîne de production du produit phare. A contrario, l’externalisation, de plus en plus envisagée aujourd’hui, correspond à un moyen d’outsourcer l’innovation : s’appuyer sur des sous-traitants performants et complets offre en effet de nouvelles perspectives et sources de réflexion. C’est pourquoi on observe des variations à partir du modèle économique d’origine, qui s’ajustent selon le produit et son importance pour la marque. Mathieu Bonenfant, vice-président marketing chez Lectra, souligne la complexité croissante qui s’impose aux donneurs d’ordre : assurer une orchestration fine de la production avec une cadence régulière et une homogénéité, tout en s’appuyant sur des modèles économiques variés, est un défi de taille.
Les savoir-faire productifs réorganisent les relations entre donneur d’ordre et sous-traitants
Une organisation productive « modulaire »
Bien que les donneurs d’ordre aient désormais intégré une partie de la chaîne de valeur en amont (pour la production des produits iconiques ou les plus rentables, etc.), ils continuent à recourir à l’externalisation.
Une première phase de réorganisation a traversé cet amont des industries du luxe avec l’apparition d’une fabrication qualifiée de « modulaire ». On désigne par ce terme une nouvelle forme de sous-traitance qui endosse la responsabilité de fournir des produits semi-finis aux marques (Darène, 2012 ; 2014). C’est en particulier le cas dans le prêt-à-porter de couture, alors que la fabrication des pièces haute couture est encore la compétence de la marque. L’appareil productif étant détenu par les sous-traitants, ceux-ci peuvent se charger d’une partie de la conception du produit avant d’entamer sa fabrication, à condition d’avoir pu se doter de nouvelles compétences. Comme nous l’a décrit Sylvie Chailloux, l’entreprise a ainsi ouvert un bureau d’études qui peut convertir en volume les dessins de créateurs.
Cette évolution des relations entre donneurs d’ordre et sous-traitants a généralisé une organisation qui requiert le partage progressif d’un savoir-faire commun, allant de la conception à la production, en lieu et place d’une organisation anciennement en îlots. Les marques de luxe se transforment alors en « architectes, des rassembleurs des pièces modulables produites de manière plus ou moins standardisée » (Vaileanu Paun, 2011). Parallèlement, la sous-traitance s’organise en réseau, avec plusieurs ramifications, pour devenir des « coconcepteurs » aux côtés des marques, plutôt que de simples exécutants. Cette organisation leur donne davantage de souplesse et de réactivité face à des demandes toujours plus exigeantes (Darène, 2012 ; 2014).
Un rééquilibrage des relations entre donneur d’ordre et sous-traitants
La concentration des maisons au sein de groupes multimarques, ajoutée à un contrôle plus étroit en amont de la chaîne de valeur, tend naturellement à déséquilibrer le pouvoir de négociation entre les donneurs d’ordre du luxe et leurs sous-traitants. Or, ces dernières années, selon les témoignages recueillis au cours des entretiens, ces relations se sont plutôt améliorées.
L’organisation de la filière avait fait l’objet d’initiatives à haut niveau en la matière. Les relations ont été dans un premier temps encadrées par une charte des bonnes pratiques entre donneurs d’ordre et sous-traitants du luxe, établie par le ministère de l’Industrie en 2010. Dans un second temps, l’étude10 menée par le cabinet Mazars (Seraidarian, 2014) et commandée par le ministère du Redressement productif a souligné l’importance du tissu productif en avertissant qu’une perte des savoir-faire serait un frein au développement de l’industrie du luxe en France : « L’appauvrissement du tissu industriel représente un enjeu global pour la filière [de la chaussure] française puisqu’il limite les capacités de production pour le luxe (grandes marques et jeunes créateurs), alors que le potentiel de développement à l’international est important. » La constitution d’un contrat issu du comité stratégique de filière Mode et Luxe en 2019 a également participé à défendre les savoir-faire nationaux. Par exemple, la CSF a lancé dès 2019 une campagne de promotion des métiers techniques pour l’ensemble des filières Mode et Luxe, « Savoir pour faire », financée par Opco 2i.
Les maisons ne se contentent pas d’intégrer l’activité des sous-traitants les plus fragiles, elles inventent aussi des schémas de soutien économique, selon Darène (2012) et Depeyre et al. (2017), pour éviter la perte des savoir-faire et instaurer un climat de confiance en maintenant un minimum d’activité.
Or la reconnaissance de la valeur du savoir-faire français s’est effectivement renforcée, savoir-faire dans lequel le secteur du luxe puise son prestige, ainsi qu’en attestent Bouton et al. (2017) : « Si le luxe excelle aujourd’hui en France, c’est que le terreau y est fertile : un véritable écosystème constitué d’artisans, de métiers d’art, de façonniers alimente le secteur et soutient les plus grandes marques. » Comme le soulignent Rigaud-Lacresse et Pini (2019), « si l’exception était autrefois liée à la rareté, c’est aujourd’hui le geste qui s’avère essentiel ». On a relevé plus haut que la fabrication en France était non seulement un argument de vente, mais aussi une composante de l’identité de la marque (Koromyslov, 2009). On découvre ici que le geste artisanal est au cœur de la perception du luxe français. Pour le directeur associé de Citwell, Mathieu Naudin, « le luxe repose sur l’excellence des savoir-faire incarnés par des artisans d’exception. Pour soutenir leur croissance, les grandes maisons s’appuient également sur leurs sous-traitants, tissant des relations pérennes fondées sur des collaborations régulières et mutuellement enrichissantes. Il faut souligner l’importance de l’accompagnement stratégique et opérationnel offert par ces marques prestigieuses à leurs partenaires, favorisant ainsi une progression harmonieuse et concertée ». Ces partenariats historiques renforcent la confiance et la reconnaissance mutuelle, élément clé pour assurer la stabilité de l’écosystème (Darène, 2012 ; 2014).
Naturellement, la forte croissance du marché est un autre paramètre décisif qui a joué dans le même sens. Elle a permis aux donneurs d’ordre d’augmenter les marges de leur fournisseur pour sécuriser leurs approvisionnements, facilitant ainsi l’entretien d’une relation de confiance sur le long terme. L’ancien directeur général et doyen de l’IFM, Dominique Jacomet, estime à cet égard que « la relation entre les deux parties s’est considérablement améliorée, voire resserrée, et que les sous-traitants ont bénéficié de la croissance du marché ». Frédérique Gerardin, déléguée générale Mode et Luxe, précise que ces rapports inter-entreprises n’ont pas toujours été aussi apaisés, ajoutant même que « d’ailleurs, dans certains secteurs ou territoires, l’évolution moins favorable du marché contribue plutôt à tendre les relations entre les parties ».
LA CONFIANCE : ÉLÉMENT CLÉ DE LA RELATION ENTRE FOURNISSEURS ET FABRICANTS
SÉBASTIEN MARIEL, directeur de la tannerie Bastin et Fils, souligne que la confiance qu’il accorde à deux négociants, l’un en Charente et l’autre en Autriche, s’est établie sur le long terme. La qualité des croupons qu’ils fournissent est cruciale pour la performance de la tannerie : des peaux de mauvaise qualité nuiraient aux ventes de cuir et entacheraient sa réputation. Pour maintenir cette confiance dans la durée, il se limite à ces deux fournisseurs et évite ainsi les risques de mauvais approvisionnement.
Maîtriser l’image en contrôlant le réseau de distribution
« La réappropriation des réseaux de distribution constitue sans nul doute la grande réussite industrielle et financière du secteur [du luxe] des deux dernières décennies » souligne le Comité Colbert11 pendant notre entretien. La maîtrise de la distribution permet en effet aux maisons d’incarner la perception du produit de luxe par le consommateur, au-delà de son prix élevé, en apportant à l’environnement de vente un esthétisme soigné et une qualité de services qui suscitent une impression d’exclusivité.
Détenir le réseau de distribution pour maîtriser le prix et la marge
Les marques ont décidé il y a une vingtaine d’années d’investir dans un réseau de distribution en propre, tout en réduisant leur recours à des réseaux tiers (Roux, 2009 ; Delpal et Jacomet, 2014). Une grande partie des investissements des marques (54 % des investissements opérationnels d’Hermès et 38 % de ceux de LVMH en 2023, par exemple) est désormais consacrée à la maîtrise de la chaîne de valeur. Celle-ci implique certes des coûts fixes élevés pour les maisons, mais ce sont autant de barrières à l’entrée d’éventuels concurrents.
Figure 2.1 – Répartition des ventes mondiales par canaux de distribution
Source : rapports Bain & Co. Traitements La Fabrique de l’industrie.
UNE REVALORISATION RÉCENTE DES SAVOIR-FAIRE DES SOUS-TRAITANTS
LA FONDATRICE DE TEXTILE DU MAINE, Sylvie Chailloux, part d’une récente amélioration de l’image du prêt-à-porter de couture, activité qui était jusqu’à présent « invisible, non reconnue et très peu soutenue ». Aujourd’hui, elle constate une prise de conscience de l’importance des savoir-faire, le produit tirant sa valeur « des compétences uniques, rares et précieuses des fournisseurs ». Ce changement est d’autant plus significatif que les maisons ne possèdent plus les outils de production du prêt-à-porter de couture, bien qu’elles aient gardé les studios parisiens pour la fabrication des pièces haute couture, au contraire de la maroquinerie qui a maintenu et même ouvert des ateliers et tanneries en interne. Cette situation tend à rééquilibrer les termes de la relation entre les donneurs d’ordre et les sous-traitants. Les maisons conservent tout de même leur mainmise sur le choix des matières premières utilisées par les confectionneurs. Sylvie Chailloux ajoute qu’elles continuent à tirer toute leur fierté, leur prestige, voire leur raison d’exister du segment de la haute couture, entre la création et les défilés, même si le prêt-à-porter de couture génère davantage de marge.
Sylvie Chailloux décrit deux modèles de façonniers. Les premiers, purement capacitaires, répondent à des demandes en volume. Les deuxièmes, plus répandus, ont élargi leur offre de services en intégrant des bureaux d’études : cela a eu pour effet de renforcer leur pouvoir de négociation et d’accroître leur volume de commandes.
Toutefois, la marge de manœuvre du sous-traitant dépend de la stratégie de la maison de couture. Une partie d’entre elles font pression sur les coûts de production, témoignant d’une contradiction entre un discours de valorisation des savoir-faire et leur recherche de profit. En particulier, certaines griffes rejettent les prétentions des sous-traitants en les menaçant de délocaliser des activités en Italie. Sylvie Chailloux estime que cette stratégie, qui se rapproche de celle des acheteurs de la grande distribution, fragilise les sous-traitants. Elle précise que les maisons qui font ouvertement l’éloge de « l’esprit collectif » du luxe français sont souvent des « bons élèves », et que les autres préfèrent rester discrètes sur ce sujet. Dans l’ensemble, les relations sont plus détendues qu’il y a vingt ans.
La cogérante de Textile du Maine soutient que le regroupement de fournisseurs aux compétences complémentaires lui apparaît stratégique pour l’avenir de la sous-traitance dans le luxe. Elle s’appuie sur le cas italien, où il existe des associations de fournisseurs réunissant des compétences diverses (tisseurs, ennoblisseurs et confectionneurs), et contribuant ainsi au développement d’un écosystème résilient. À l’inverse, en France, les fournisseurs semblent moins agiles pour offrir conjointement une diversité de services et en sont encore à faire connaissance. Il faut dire que le secteur français est près de dix fois plus petit que son homologue italien, du fait des délocalisations massives des années 1980 et 1990. Sylvie Chailloux espère donc voir le secteur se renforcer : « Tous les fils sont à retisser entre ceux qui ont réussi à maintenir les savoir-faire en France. »
Pour la première fois en 2023, la distribution en propre est devenue le premier canal de vente des marques de luxe, alors que la vente indirecte représentait 71 % des ventes en 2012 (Bain & Company, 2023). On observe ainsi une nette augmentation des boutiques gérées en propre par le groupe Kering, passées de 278 en 2001 à 1 771 en 2023, ainsi qu’une augmentation de dix points de pourcentage de leur contribution au chiffre d’affaires (78 % en 2023, en cumulant distribution physique et e-commerce, contre 68 % en 2013).
Hermès, de son côté, possède aujourd’hui 225 succursales qui représentent plus de 91 % de son chiffre d’affaires, tandis qu’en 2013 ses 203 magasins y contribuaient à hauteur de 80 %. On observe ainsi une hausse de 11 points de pourcentage de la part des succursales dans le chiffre d’affaires et, en parallèle, une diminution du nombre de points de vente (315 à 294 magasins exclusifs, comprenant les succursales et les concessionnaires, entre 2013 et 2023).
Figure 2.2 – Nombre de magasins
Source : Documents d’enregistrement universel, Kering. Traitements La Fabrique de l’industrie.
En maîtrisant l’aval de la chaîne de valeur, les marques ont augmenté leurs marges de plusieurs manières. Elles ont d’une part ajouté les marges de vente aux marges de fabrication. Elles ont d’autre part repris le contrôle du prix de vente, indicateur clé du niveau de gamme de leurs produits, qu’elles avaient un temps abandonné aux réseaux tiers de vente. En particulier, elles maîtrisent désormais la conduite des offres promotionnelles, dont Marc Durie rappelle qu’elles peuvent parfois dégrader l’image des marques.
LA STRATÉGIE OMNICANALE : LE LUXE INVESTIT DANS LE DIGITAL
EN 2023, LA VENTE EN LIGNE REPRÉSENTAIT 20 % des ventes mondiales des biens personnels de luxe (Bain & Co, 2024). La vente en ligne semble être un « paradoxe » au fonctionnement du secteur : l’accès à internet soulève des craintes de démocratisation voire de banalisation des produits de luxe (Veg-Sala et Geerts, 2015), alors que l’exclusivité est au cœur de leur valeur. Initialement réticentes Chevalier et Gutsatz, 2019), les marques de luxe ont progressivement adopté la vente en ligne. Par exemple, Louis Vuitton a lancé sa première plateforme e-commerce en 2005 et, en 2017, son site était accessible dans 11 pays (Usine Nouvelle, 2017). Les marques ont même entamé l’internalisation de cette activité : Kering avait établi une plateforme commune pour ses marques secondaires en s’associant avec YNAP (Yoox Net-A-Porter), tout en développant un site distinct pour sa marque emblématique, Gucci ; toutefois, au premier semestre 2020, le groupe a internalisé les activités de e-commerce de toutes ses marques. (Muret, 2018).
Cette stratégie de distribution, qui a accru la rentabilité des maisons, suppose toutefois une vision de long terme, qui convient bien aux structures familiales, puisqu’il est clair qu’à court terme les réseaux tiers de vente permettent de se développer vite et à moindres frais.
Des investissements importants pour mieux maîtriser l’accès à l’offre
En outre, ce mouvement vers l’aval a également redonné la main aux marques sur la conception des environnements de vente et les exigences afférentes. En effet, selon Marc Durie, « le contrôle de la distribution est un pilier fondamental de l’organisation industrielle du luxe », et ce pour plusieurs raisons. La première, comme l’explique Dominique Jacomet, est que, avec le développement d’un réseau de distribution détenu en propre, les marques ont gagné en visibilité tout en se différenciant de leurs concurrentes. La deuxième raison est qu’elles peuvent ainsi garantir un niveau élevé de qualité et d’uniformité des produits vendus, du service rendu et de l’esthétique des espaces de vente, tout en accentuant le sentiment d’exclusivité et en entretenant ainsi une relation privilégiée avec la clientèle. Cette impression d’exclusivité est d’autant plus recherchée que Silverstein et Fiske (2003) décrivent un mouvement de « démocratisation du luxe » depuis les années 1990, qui a induit une certaine ambivalence entre luxe et non-luxe : la stratégie de certaines marques sur le marché de la mode a entraîné une surconsommation de produits peu exclusifs et, par conséquent, une perte de leur image d’exclusivité. La troisième raison, enfin, est que les marques ont ainsi un accès direct aux informations de vente et donc aux préférences des consommateurs, ce qui les aide à orienter la création.
C’est d’ailleurs la stratégie présentée dans le document d’enregistrement universel de Kering en 2023, qui justifie des investissements spécifiques par la nécessité de renforcer « la désirabilité et l’exclusivité » des maisons alors que Gucci, la maison phare du portefeuille du groupe, subit un fort recul de son chiffre d’affaires (en baisse de 6 % par rapport à l’exercice 2022)12. Par ailleurs, les distributions sélectives demeurent des canaux d’intérêt comme le traduisent les différentes acquisitions faites par LVMH. Avec Le Bon Marché Rive Gauche, grand magasin multimarques sélectif à Paris, en 1984, ou encore les magasins de distribution sélective de l’enseigne Sephora en 1997, alors leader de la distribution de parfums en France, le groupe entend mieux maîtriser la distribution de ses marques (Dior, Guerlain, Givenchy ou encore Kenzo) et se développer à l’international.
- 10 — L’étude recense et cartographie les savoir-faire des industries de la mode et du luxe.
- 11 — Le Comité Colbert est une association fondée en 1954, qui rassemble 95 marques de luxe françaises. Il a pour mission de défendre et promouvoir les intérêts du luxe français au niveau national et international.
- 12 — Ce résultat s’inscrit dans un ralentissement de la croissance de Gucci depuis 2017, où le taux de croissance du chiffre d’affaires entre 2016 et 2017 avait atteint 42 %.
Protéger et étendre le soft power du luxe français : une responsabilité partagée
Les entreprises du secteur du luxe ont pu tirer profit, tout en l’alimentant, d’un patrimoine immatériel associé à l’art de vivre à la française.
Cet actif, auquel puisent tous les acteurs de ce milieu restreint, doit cependant être protégé et entretenu pour le bénéfice de chaque marque. On voit ainsi se mettre en place des stratégies collectives dans ce but, qui convergent vers un soft power national.
Un réseau exclusif, faisant la part belle aux entreprises familiales
Des entreprises familiales, ancrées sur une vision de long terme
Quand on retrace l’évolution de la structure capitalistique des entreprises françaises du luxe, depuis la naissance des premières maisons jusqu’à aujourd’hui, on constate qu’elles sont passées d’une organisation artisanale et familiale à une organisation industrielle et financière (Rigaud-Lacresse et Pini, 2019 ; Roux, 2009), une large partie des marques étant maintenant sous le contrôle de groupes internationaux. Le groupe LVMH en offre un exemple flagrant, son dirigeant Bernard Arnault n’ayant cessé de poursuivre cette stratégie (Roux, 2009).
Toutefois, même si les créateurs des maisons ne sont plus à la tête des groupes, le capital de ces derniers demeure familial : la famille Arnault est au capital de LVMH, tout comme la famille Pinault détient le groupe Kering via la holding familiale Artemis. Il en va de même pour les groupes Hermès et L’Oréal, respectivement détenus par une holding familiale et par la famille Bettencourt Meyers.
Selon un représentant du secteur que nous avons rencontré, cette structure capitalistique est un des éléments clés qui a donné au luxe la possibilité de se développer : « Les groupes français tels que LVMH et Kering sont des leaders mondiaux, dirigés par des familles profondément impliquées dans la gestion et le management des entreprises. Cette structure familiale, qui caractérise des maisons françaises comme Chanel et Hermès et des groupes italiens comme Prada, permet une gestion stable et à long terme du capital. »
Cette observation a été confirmée par d’autres interlocuteurs, dont le directeur général d’Hermès, Guillaume de Seynes. Ce dernier a notamment mis en avant l’avantage conféré par l’actionnariat familial dans la consolidation de la maison, passée du statut de PME à celui de grande entreprise cotée en Bourse. Selon lui, la transmission familiale de l’entreprise sur six générations a permis d’en conserver les valeurs fondamentales, qui en régissent toujours la stratégie aujourd’hui. Guillaume de Seynes appuie l’idée que son entreprise propose des objets au plus haut niveau de qualité possible, en partie grâce à ses fournisseurs avec qui des relations étroites ont été tissées au fil du temps et qui sont sélectionnés avec la même rigueur.
Pour le président de Weston, Marc Durie, l’actionnariat familial des marques de luxe favorise jusqu’à la longévité des entreprises, supportant bien mieux que les marchés financiers des investissements non immédiatement rentables ou même des retournements de conjoncture. La littérature académique (Dreux, 1990 ; Hirigoyen, 1982) confirme que les entreprises familiales portent davantage d’attention au développement de la marque et favorisent les investissements de long terme.
Ces deux vertus peuvent d’ailleurs se combiner : toujours selon Marc Durie, les entreprises du secteur qui soutiennent leurs sous-traitants dans des contextes économiques difficiles renforcent de ce fait la confiance de leurs partenaires. Dans les années 1970 et 1980, alors que la concurrence étrangère était rude pour les sous-traitants du secteur de la chaussure, le segment du luxe a pu se maintenir en France parce que les maisons familiales ont en partie absorbé les pertes et continué d’investir. A contrario, les segments de moyenne gamme qui ont été délocalisés n’étaient pas structurés autour d’entreprises familiales.
Un cercle qui privilégie l’entre-soi et cultive le secret
Pour un nouvel acteur, qu’il soit donneur d’ordre ou sous-traitant, entrer sur le marché du luxe est loin d’être aisé compte tenu du niveau d’exigence et d’engagement qui sont attendus de la part de chaque entreprise. La fondatrice de Textile du Maine, Sylvie Chailloux, affirme même que, « pour intégrer ce secteur, il faut immanquablement être coopté ». Autrement dit, cela nécessite une reconnaissance par les pairs de compétences et de critères par définition subjectifs, d’autant moins connus à l’avance que le milieu est réputé pour sa confidentialité.
Le marché est donc doublement caractérisé par une culture de l’entre-soi et de fortes barrières à l’entrée. Cela vaut également pour les fournisseurs, qui peuvent se montrer frileux à l’égard des nouveaux entrants. Bouton et al. (2015) soulignent ainsi leur prudence vis-à-vis des demandes des nouveaux créateurs : « Aujourd’hui, les différents acteurs du secteur sont unanimes : sans mécène ni réseau, se lancer dans le monde de la mode est un véritable parcours du combattant. » Le cas de Sonia Rykiel en fournit une illustration, elle qui a été contrainte à ses débuts de recourir à des ateliers italiens pour la production de petites séries de ses lignes de prêt-à-porter de couture, alors qu’elle souhaitait les fabriquer en France. L’activation d’un réseau de connaissances s’avère donc décisive pour pouvoir entrer puis se développer dans ce secteur. Sylvie Chailloux explique notamment que chacun de ses interlocuteurs au sein des marques de luxe garde précieusement son carnet d’adresses de sous-traitants à chaque transfert dans une nouvelle maison. C’est par ce biais interpersonnel que les fournisseurs parviennent, pas à pas, à étoffer leur carnet de commandes.
Il n’est pas anormal que la confidentialité joue un rôle aussi essentiel dans les industries du luxe, tant pour préserver l’effet de surprise au lancement de nouveaux produits que pour conserver des savoir-faire spécifiques, qui sont autant d’atouts concurrentiels bien que la propriété industrielle protège la création (dessins et modèles). La culture du secret est particulièrement marquée dans la sous-traitance, où la production peut donner lieu à des comportements opportunistes : cela vaut entre sous-traitants, bien sûr, mais aussi entre eux et la marque qui pourrait s’approprier des techniques innovantes. Mathieu Naudin, directeur associé chez Citwell, observe que « la culture du secret, accompagnée des standards de confidentialité qu’elle impose, constitue un pilier fondamental pour l’ensemble des acteurs du luxe. Cette discipline rigoureuse, érigée en règle d’or, est précieusement préservée afin de protéger les savoir-faire et la réputation des grandes maisons et assurer la pérennité de leur succès. L’exigence de confidentialité, véritable garde-fou de l’excellence, demeure une condition absolue et intransigeante dans l’univers du luxe ».
Il en résulte une certaine difficulté d’accéder à des informations précises concernant la production et les résultats financiers des maisons non cotées, qui ne sont pas tenues de les divulguer (Delpal et Jacomet, 2014). Catry (2007) y voit une stratégie qui s’inscrit dans la culture de l’entreprise pour garder une aura d’exclusivité et de rareté : « Les ventes de Dom Pérignon ou encore le nombre de sacs vendus par Vuitton ne sont pas des informations publiques, ne serait-ce parce que leur montant relativement élevé pourrait contredire l’image d’exclusivité des produits concernés. »
L’art de vivre français : un élément de soft power
Le secteur entretient efficacement l’imaginaire d’un luxe « à la française »
Pour de nombreux acteurs du secteur, il est acquis – et même démontrable – que l’opinion internationale associe en priorité le luxe à la France et en particulier à Paris. Comme le résume la déléguée générale du Comité Colbert, Bénédicte Epinay, « le luxe, c’est la France et la France, c’est le luxe ». Dans une étude réalisée par l’Ifop et Sociovision13 en 2021 en France, aux États-Unis et en Chine, la France est en effet le pays qui incarne le mieux le luxe pour les Français et les Chinois. Pour les Américains, la France arrive en deuxième position après les États-Unis.
Cette représentation s’appuie sur « un art de vivre à la française » qui « fait rêver » les consommateurs dans le monde entier. Emmanuel Guichard, délégué général de la Febea14, estime même que ces derniers souhaitent avant tout imiter un art de vivre français en consommant des produits fabriqués en France : « Il deviendrait très compliqué de vendre [nos produits] à l’étranger si les acheteurs étrangers n’étaient pas convaincus que les Français – et plus encore les Françaises – utilisent ces produits cosmétiques quotidiennement. La marque “France” permet en effet d’augmenter de 30 % en moyenne la valeur d’un produit cosmétique. »
Cet imaginaire constitue un patrimoine informel qui bénéficie à tous les acteurs du secteur. C’est pourquoi chaque partie prenante se comporte en garante de la bonne tenue de ce capital réputationnel et de sa pérennité. Les marques partagent en particulier une même tendance à valoriser l’histoire du luxe français, qui renforce leur légitimité sur le marché mondial. C’est par exemple ce que fait la marque Cartier quand elle appose la mention « joaillier et horloger depuis 1847 ».
En pratique, les maisons ont su organiser un écosystème favorable au rayonnement de cet imaginaire, avec des institutions comme la Fédération de la haute couture et de la mode, anciennement la Chambre syndicale de la haute couture, l’Union des maisons de champagne15, la Febea ou encore le Comité Colbert, créé en 1954. Ces organisations ont œuvré pour faire de la France, et en particulier de Paris, un symbole du luxe à l’étranger.
Selon les termes d’Emmanuel Guichard, il résulte de cet effort collectif un soft power français, qui se mesure par exemple au nombre de dirigeants français à la tête des principales entreprises mondiales de cosmétique. Guillaume de Seynes, le directeur général d’Hermès, observe toutefois que cet état de fait est à double tranchant : il « contribue à renforcer l’image de la France à l’international, tout en rendant les marques dépendantes de cette même image à l’étranger ». Autrement dit, dans le cas où les actions ou comportements d’une entreprise du luxe ne seraient pas conformes à cette image collective, elle pourrait s’en trouver blâmée. La maison Cartier a même été temporairement exclue du Comité Colbert pour avoir proposé en 1972 une gamme de produits accessibles, les « musts » (De Ferrière le Vayer, 2007). Les choix de fabrication des maisons obéissent donc à un corpus de normes informelles, qui s’avèrent fondamentales pour l’entretien du patrimoine immatériel sur lequel s’appuie le luxe français.
Enfin, l’utilisation d’un lexique spécifique participe elle aussi à nourrir cet imaginaire : par exemple l’usage généralisé des mots « maison » ou « atelier » en lieu et place « d’entreprise » ou « usine » (Catry, 2007) montre que les maisons agissent de manière unifiée (Delpal et Jacomet, 2014). L’emploi d’un langage commun qui valorise un patrimoine ancien apparaît ainsi comme une stratégie collective visant à protéger à la fois le fonctionnement interne de chaque marque et la réputation du secteur à laquelle chacune contribue.
LE COMITÉ COLBERT : PILOTE DE LA DYNAMIQUE DU LUXE
LE COMITÉ COLBERT, créé en 1954 à l’initiative de Jean-Jacques Guerlain, dirigeant du parfumeur français Guerlain (racheté en 1994 par LVMH) et de Lucien Lelong, couturier, rassemblait alors 15 entreprises dont il entendait défendre les intérêts et développer l’activité. Il compte aujourd’hui 95 marques, dont Van Cleef & Arpels, Celine ou encore Louis Vuitton. Tous ses membres sont admis par cooptation. Au sein du Comité, ils regroupent leurs forces pour promouvoir leur industrie à l’international et participent au financement d’études et de projets de recherche. L’étude parue le 26 novembre 2024 sur le poids économique des entreprises des métiers d’art et des savoir-faire français, réalisé par Xerfi Specific pour l’Institut pour les savoir-faire français, a par exemple été financée par le Comité Colbert, la fondation Bettencourt Schueller, le ministère de la Culture et la fondation Terre & Fils. L’organisation s’empare également de sujets transversaux, comme la lutte contre la contrefaçon ou encore la transmission des savoir-faire. Le Comité Colbert s’est d’ailleurs saisi du sujet en organisant des événements comme « Les de(ux) mains du luxe » pour proposer une réponse collective aux besoins de main-d’œuvre, en facilitant le recrutement d’artisans et en animant un réseau de recrutement. L’association a également investi dans la formation, comme en 2011 avec la création de la chaire Colbert de l’École nationale supérieure des arts appliqués et des métiers d’art (Ensaama). En 2021, le même Comité Colbert a lancé deux partenariats, respectivement avec l’École des arts décoratifs sur les enjeux de transition et avec Penninghen pour les compétences de design et graphisme.
Un soft power incarné par Paris, capitale mondiale du luxe
La capitale française est un élément clé de cette représentation. L’ensemble des acteurs et experts interrogés le confirment : Paris détient le rôle privilégié de « capitale absolue du luxe mondial ». Ce statut est certes protégé par un dispositif tel que le label « haute couture », juridiquement contrôlé depuis 1945. Pour obtenir cette appellation et entrer dans ce cercle fermé (Sougy, 2021), Guillaume de Seynes explique en effet que « tous les jeunes créateurs doivent se faire adouber à Paris et demander le label au comité exécutif de la Fédération de la haute couture et de la mode, présidé entre autres par les leaders français (Kering, LVMH, Hermès, Chanel) ».
Mais le rayonnement mondial de Paris dans l’univers du luxe ne tient pas uniquement à des protections de nature juridique, tant s’en faut. Il est également entretenu quotidiennement par une mise en récit des marques, par exemple quand la marque Hermès ajoute « Paris » sous la signature de ses produits. Tout particulièrement, ce rayonnement s’incarne dans un ensemble d’événements, au premier rang desquels les Fashion Weeks16, dont Paris est « le rendez-vous ultime » (Jacoberger-Lavoué, 2024). Toujours selon Guillaume de Seynes, la Fashion Week représente en effet « l’exemple ultime » de la force d’attraction parisienne. Cette semaine des défilés est aujourd’hui le rendez-vous mondial incontesté de la mode et du luxe, symbole de la réussite collective que toutes les marques concourent à organiser au bénéfice de toutes. Il y a une dizaine d’années, ce leadership de la place de Paris a bien été contesté par des tentatives concurrentes de la part de trois autres grandes Fashion Weeks : New York, Londres et Milan. Mais « le sujet ne fait plus débat aujourd’hui, poursuit le directeur général d’Hermès. Le prestige de l’événement français est à ce jour inégalé, que l’on compte en fréquentation, en nombre ou en force des marques ». Ce rayonnement résulte également de la présence d’un artisanat de luxe à Paris, en raison de l’obligation d’y concevoir les produits labellisés « haute couture ». On trouve par ailleurs dans l’écosystème parisien une vaste palette de métiers et de savoir faire, dans la communication et l’événementiel, qui contribuent à la réussite exceptionnelle de ces manifestations régulières. D’autres régions françaises sont certes réputées à juste titre pour leurs savoir-faire haut de gamme, comme la cristallerie en Lorraine, mais il demeure que ces arts décoratifs profitent à l’étranger de l’aura parisienne.
Les maisons de luxe puisent également dans la culture de quoi nourrir leur image mondiale (Bastien et Kapferer, 2011), et dans l’art en particulier. Pour ancienne qu’elle soit, la stratégie du mécénat est toujours très actuelle de la part des entreprises du luxe : les marques s’associent ainsi à des musées ou des fondations pour renforcer le lien privilégié qui unit le luxe à l’art, dans une quête de légitimité. Par exemple, la Collection Pinault, qui regroupe environ 10 000 œuvres d’art, est présentée dans trois musées à Paris et à Venise.
La marque Christofle a quant à elle organisé une exposition sur les « savoir-faire d’excellence de la maison d’orfèvrerie » entre novembre 2024 et avril 2025 au musée des Arts décoratifs. Les défilés de haute couture, comme ceux de Chanel, se déroulent dans des lieux aussi prestigieux que le Carrousel du Louvre ou le Grand Palais. La publicité invoque également le mythe du luxe associé à Paris, avec de nombreux spots publicitaires utilisant des décors parisiens : « Le parfum le plus vendu des années 2010, “La vie est belle” de Lancôme, fait de Paris non seulement le cadre, mais aussi l’idéal de vie de Julia Roberts » (Briot, 2021). Tous ces éléments sont mobilisés par les maisons pour valoriser subjectivement les produits de luxe, par juxtaposition et association, et renforcer leur prestige en tant que produits « d’exception » (Passebois-Ducros et al., 2015).
La gestion collective d’un patrimoine commun
Entre singularisation et gestion d’un capital réputationnel commun
La stratégie des acteurs du luxe s’inscrit donc dans un double effort de capitalisation sur un patrimoine immatériel commun et de différenciation de la concurrence : l’héritage unique de chaque marque lui permet d’affirmer tout à la fois son identité singulière et son appartenance à une élite, elle-même profondément ancrée dans un territoire et une histoire (Riguelle et Van Caillie France, 2012). Gutsatz (1996) le formule de la manière suivante : « La marque de luxe se définit par une identité singulière qui s’inscrit dans une identité collective. » En particulier, ces marques se rassemblent au sein de groupes internationaux, mais doivent en même temps se différencier les unes des autres, quand bien même elles évoluent sur des segments identiques. Il apparaît ainsi une tension entre leur intérêt à se singulariser pour acquérir de nouvelles parts de marché et celui qui consiste à appartenir au cercle restreint du luxe (Barrère, 2007).
Les activités de luxe se caractérisant par définition par une compétitivité hors prix (Bas et al., 2015), qui s’est d’ailleurs renforcée pour les maisons françaises durant la période 2000-201317, la différenciation par la qualité est le principal levier de la concurrence qui les oppose, usage contre usage plutôt que produit contre produit ou marque contre marque. La structure du marché tend en effet vers une situation de « concurrence monopolistique », c’est-à-dire où des entreprises vendent des produits similaires mais perçus comme non substituables, chacune obtenant un monopole particulier sur un produit grâce à son image de marque.
En complément, le président de Weston, Marc Durie, explique que l’esprit de coopération joue un rôle crucial pour entretenir l’image de marque du secteur. Sylvie Chailloux, fondatrice de Textile du Maine, confirme que le secteur du luxe fonctionne comme un écosystème, régi par des principes partagés au sein d’une identité collective : « Qu’il s’agisse des fournisseurs ou des griffes, ces entreprises partagent des valeurs patrimoniales communes et le sentiment de dépendre les unes des autres. » Une première démonstration évidente en est donnée par le fait que les maisons se regroupent au sein de quartiers dévolus au luxe : avenue Montaigne, faubourg Saint-Honoré et les Champs-Élysées, à Paris, la 5th Avenue et la Madison Avenue, à New York, ou encore le Quadrilatero de Milan (Degoutte, 2007). Ces implantations leur permettent de gagner collectivement en visibilité, ce qui ne les empêche pas de valoriser leur identité singulière grâce à l’esthétique de leur boutique (Gutsatz, 1996 ; Chevalier et Mazzalovo, 2008). Cette tendance à s’installer délibérément à proximité des concurrents était déjà pratiquée par le commerce de luxe à Paris au xviiie (Coquery, 1998). Comme le rappelle le directeur de cabinet du Comité Colbert, Laurent Dhennequin, « une rue commerçante ou un mall sont d’autant plus performants si toutes les maisons y sont présentes : cela contribue au rayonnement d’une industrie qui symbolise l’image de la France ». Bénédicte Épinay, déléguée générale du Comité, insiste : « Chaque boutique de luxe sait qu’elle améliore ses perspectives de ventes si elle est située près de ses concurrents, parce qu’un tel regroupement draine la clientèle. »
Un deuxième exemple important, et probablement moins connu, de cette solidarité de filière a trait au fait que les marques françaises se regroupent également quand elles partent à la conquête de nouveaux marchés. Le directeur général d’Hermès, Guillaume de Seynes, observe en effet que « les marques de luxe, dans les années 1980, étaient des PME ou des ETI et elles sont allées ensemble conquérir les marchés américains et asiatiques, à New York, Tokyo puis Pékin ».
Selon Fontagné (2013)18, les exportateurs français de biens de luxe – notamment ceux regroupés au sein du Comité Colbert – réagissent davantage à l’accroissement du pouvoir d’achat dans les marchés de destinations que les autres exportateurs19 ; ils atteignent également des destinations plus éloignées et réalisent donc des performances à l’export supérieures à la moyenne des entreprises française. Une hypothèse est alors que cette stratégie collective des maisons françaises, et particulièrement l’action du Comité Colbert, s’avère payante20. Guillaume de Seynes va dans ce sens, expliquant que « la défense collective du luxe français menée par le Comité Colbert, qui regroupe les principaux acteurs de branches d’activité variées, est un bon exemple de collaboration entre les maisons ». Cette observation est corroborée par Marc Durie, qui estime que « l’esprit collectif, voire la solidarité de filière, incarnés par des organismes comme le Comité Colbert et des associations professionnelles telles que l’Alliance France Cuir, sont des moteurs de cette industrie ». Il confirme certes que la concurrence entre maisons est très vive, en particulier entre grands groupes, mais qu’il existe aussi un esprit de collaboration implicite visant à créer un environnement propice au développement de tous. Marc Durie nous décrit ainsi « des réseaux informels mais solides, qui favorisent l’expansion de l’industrie en établissant un terreau commun de développement. À l’export, les marques de luxe adoptent bel et bien une approche collective, même si ce n’est pas de manière très structurée. Par exemple, lorsqu’un nouveau centre commercial ouvre en Chine, chaque marque vérifie que ses concurrentes y seront présentes également ; cette présence simultanée de plusieurs grands noms du luxe accentue le caractère prestigieux du cadre et constitue le meilleur moyen de capturer la clientèle ».
L’ancrage des savoir-faire dans les territoires
Selon Dominique Jacomet, l’ancien directeur de l’IFM, le fait que le secteur français du luxe tire en partie sa performance d’une image d’excellence elle-même fondée « sur une combinaison d’héritage et de modernité » incite les maisons à s’ancrer » sur leur territoire. Non seulement, comme on l’a vu plus haut, l’image du « fabriqué en France » tend à renforcer leurs parts de marché (Koromyslov, op. cit.), mais on peut même avancer que ce capital immatériel constitué par les savoir-faire s’enracine parfois au niveau d’un territoire, dans un héritage local : « L’âme du luxe réside dans l’histoire d’un territoire. Un cristal évoque Baccarat, un costume Milan, une montre la Suisse », écrit Hlady-Rispal (2021). Cette concentration géographique de certaines étapes de fabrication favorise alors l’apparition de clusters (Porter, 1998), quand des entreprises interdépendantes et réunies localement parviennent à augmenter leur propre visibilité, mais également l’attractivité du territoire. Notamment, la parfumerie française a mis en récit ses compétences techniques et artistiques en lien avec les différents territoires français depuis la fin du xixe siècle (Briot, 2021). De la Provence à Paris, en passant par Grasse, chaque territoire est associé à une compétence, allant de la culture des plantes à parfum à l’incarnation de l’élégance et du raffinement. En s’implantant dans ces lieux, la parfumerie française a renforcé sa légitimité et sa réputation. Cette approche territoriale demeure d’actualité aujourd’hui, comme en témoigne l’inscription de Grasse au patrimoine culturel immatériel de l’Unesco, en 2018.
Différentes formes de coopération peuvent y être observées : soit au cours du processus de production, comme le partage d’information ou de commandes, soit lors des étapes de distribution, par exemple par la création d’un label commun (Gros-Balthazard, 2018). On peut l’illustrer avec le cluster Luxe and Tech, situé dans le Doubs, à proximité de la frontière suisse : créé en 2006, il regroupe une trentaine de sous-traitants des secteurs du luxe, en particulier dans l’horlogerie et la joaillerie, et entend valoriser la sous-traitance et les fabricants de ces filières dominées par de grands groupes suisses. De même, la Glass Vallée, fondée en 2001 dans la vallée de la Bresle, entre la Normandie et les Hauts-de-France, rassemble des entreprises spécialisées dans le flaconnage qui représentent collectivement 70 % de la production mondiale de flacons de luxe en verre. L’institutionnalisation d’un tel cluster vise à renforcer les liens entre ces entreprises voisines, d’autant plus que la filière du parfum est entièrement régie par deux donneurs d’ordre, L’Oréal et LVMH.
On peut donc voir apparaître localement des schémas de « coopétition », définie par Battista Dagnino et al. (2007) comme un système d’interactions entre concurrents « sur la base d’une congruence partielle des intérêts et des objectifs ». De tels comportements participent au renforcement de la filière, particulièrement lorsqu’ils visent à protéger ou développer les compétences, et à la mise en récit des savoir-faire. Le directeur de la manufacture Weston, Gaël Coeuret, a ainsi rapidement engagé des échanges, dès sa prise de fonction, avec les directeurs d’autres manufactures de produits de luxe, afin d’identifier des synergies possibles et de favoriser le développement de la filière du cuir de luxe dans le Limousin. Ces discussions informelles sont d’autant plus cruciales que les donneurs d’ordre partagent souvent les mêmes fournisseurs : la tannerie d’Annonay et celle du Puy, toutes deux filiales d’Hermès, approvisionnent également Weston en cuir.
Cependant, dans certaines filières telles que l’horlogerie, les formes de coopétition se heurtent aux enjeux d’innovation et de savoir-faire de la filière ainsi qu’à l’asymétrie des relations entre donneurs d’ordre et sous-traitants comme en témoignent les stratégies protectionnistes persistantes (Depeyre et al., 2017 ; Darène, 2012). Les PME adoptent notamment des clauses de non-concurrence, pour fidéliser le personnel.
Une adaptation collective aux exigences réglementaires
Une dernière forme d’action collective au sein de la filière du luxe concerne l’adaptation aux réglementations sociétales et environnementales, qui ont été renforcées ces dernières années. Les entreprises doivent en effet rendre compte de leurs pratiques, en publiant des informations plus transparentes et plus comparables qu’auparavant. Par exemple, l’éco-score issu de la loi Climat et Résilience de 2021 est entré en vigueur au début de l’année 2025 pour l’industrie du textile. Les marques doivent désormais afficher une note traduisant l’impact environnemental des vêtements, en fonction de leur mode de production (nombre de modèles, renouvellement des collections…) ainsi que du réemploi et de la réparabilité des produits. La mise en place de cet affichage accroît naturellement la contrainte de traçabilité tout au long de la chaîne de valeur, et ce pour toutes les marques du secteur textile, depuis la fast fashion jusqu’aux maisons de luxe. Autre exemple célèbre : depuis 2024, la directive européenne Corporate Sustainability Reporting Directive (CSRD) exige davantage de transparence de la part des entreprises cotées en Bourse sur l’impact environnemental et social de leur activité, en remontant le long de leur chaîne d’approvisionnement, ainsi que sur les répercussions des enjeux environnementaux et sociaux sur leur performance financière (double matérialité). En parallèle de ce cadre réglementaire, les consommateurs sont eux-mêmes plus exigeants et attendent une transparence toujours croissante de la part des maisons de luxe (Kapferer, 2019). Après un scandale en 2017, quand la marque britannique Burberry a été critiquée pour avoir brûlé l’équivalent de 30 millions d’euros de stock invendu, celle-ci s’est engagée dans le programme Make Fashion Circular, de la fondation de la navigatrice Ellen MacArthur, une des premières promotrices de l’économie circulaire. Toutefois, ce n’est pas uniquement – ni même principalement – à la suite de scandales que les maisons de luxe ont décidé de s’emparer des enjeux du développement durable. Devant être non seulement irréprochables, mais aussi en avance sur les aspirations sociétales, elles ne pouvaient faire autrement que de tenter d’y répondre.
Or, que ces problématiques soient d’origine réglementaire ou sociétale, on observe que les acteurs du luxe y recherchent souvent des réponses collectives (Béji-Bécheur, 2014), notamment quand il s’agit d’anticiper les futures réglementations (Steux et Aggeri, 2021). Les nouvelles normes agissent donc comme des vecteurs de coopération entre les marques. Marc Durie constate même une tendance à leur institutionnalisation. Par exemple, LVMH, Prada, Cartier et Richemont ont lancé Aura, une plateforme basée sur la blockchain, qui permet d’améliorer la traçabilité et la transparence des produits. En 2022, cinquante entreprises du secteur de la cosmétique (L’Oréal, LVMH, Coty) ont par ailleurs lancé un consortium pour proposer un système de notation et d’évaluation de l’impact environnemental des produits, calculé selon une méthode élaborée collectivement par les membres de ce consortium. En 2009, la Cosmetic Valley, cluster de l’industrie cosmétique en France, a mis en place la charte « Pour une Cosmetic Valley éco-responsable », signée par une cinquantaine d’entreprises, promouvant les démarches vertueuses et répertoriant les initiatives des signataires autour de quatre principaux défis : préservation de l’environnement, conception des produits, systèmes de management des organisations et relations sociétales. Plus tard, en 2015, la même Cosmetic Valley a mis en place la plateforme Impact+ afin de mutualiser les commandes de matières premières et d’articles de conditionnement de ses adhérents. Cette initiative a permis tout à la fois de limiter les impacts écologiques de l’activité et de réduire les coûts d’approvisionnement et de stockage par la mutualisation de commandes en faibles volumes.
Guillaume de Seynes, directeur général d’Hermès, relève toutefois que la capacité des entreprises à prendre de telles initiatives pour répondre aux exigences extérieures est inégalitaire. La RSE (responsabilité sociétale des entreprises) peut s’avérer préoccupante pour les PME, faisant peser sur elles des exigences réglementaires disproportionnées ; cela concerne donc surtout les sous-traitants et fournisseurs. Tandis que les maisons engagent des collaborations pour y répondre collectivement, la question de l’adaptation de la sous-traitance à ces changements demeure posée, alors même que le luxe tire toujours son prestige de son ancrage dans les territoires français.
LE JEU COLLECTIF POUR SURMONTER LES DIFFICULTÉS
EMMANUEL GUICHARD, DÉLÉGUÉ GÉNÉRAL DE LA FEBEA, révèle des difficultés en matière d’approvisionnement qui peuvent entraver la croissance du secteur de la cosmétique de luxe. Ce segment de production se caractérise par des petites quantités, la moitié des produits faisant moins de 50 millilitres. Les besoins de matières premières s’expriment donc en petits volumes : dans le cas de l’huile de palme, la cosmétique représente 0,5 % de la demande, ce qui la prive de tout pouvoir de négociation face à des fournisseurs qui préféreront servir de plus gros clients, par exemple dans l’alimentaire. « C’est là que le “jeu collectif” devient essentiel : en mettant en commun leurs réflexions sur la durabilité des filières et en s’alliant avec d’autres acteurs, les entreprises du secteur pourront pousser les producteurs vers des pratiques agricoles plus vertueuses. »
- 13 — Étude réalisée en partenariat avec le Comité Colbert en 2021 sur un échantillon de 1 844 individus, âgés de 18 à 65 ans (60 ans en Chine), appartenant au top 20 % des revenus les plus élevés et acheteurs de produits de luxe.
- 14 — Créée en 1974, la Febea est issue de la fusion de plusieurs syndicats, sous l’impulsion de celui de la Parfumerie Française fondé en 1890. La fédération professionnelle des fabricants de produits cosmétiques (parfums, maquillage, produits de soin, d’hygiène, de toilette et capillaires), regroupe ainsi six syndicats : le Syndicat français de la parfumerie, le Syndicat français des fournisseurs pour coiffeurs, le Syndicat français des produits cosmétiques et de toilette, le Syndicat français des produits de beauté, le Syndicat français des produits de parfumerie et de toilette en vente directe, le Syndicat français des produits cosmétiques de conseil pharmaceutique. La Febea rassemble plus de 300 entreprises.
- 15 — Formé en 1882, ce syndicat professionnel regroupe les producteurs de champagne afin de défendre et promouvoir l’appellation.
- 16 — Il existe deux catégories de Fashion Week parisienne : celle du prêt-à-porter, dont la visibilité est la plus grande, sen déroule en mars et septembre ; celle de la haute couture se déroule en janvier et juillet.
- 17 — Dans cette note, Bas et al. définissent la compétitivité hors prix comme « la part des parts de marché non expliquée par les prix ». Ils estiment ainsi à 7 la compétitivité hors prix de la maroquinerie en 2013, contre 3 en 2000 : autrement dit, il faudrait en 2013 des prix sept fois inférieurs pour retrouver notre part de marché en l’absence d’un effet « hors prix ».
- 18 — Étude réalisée à la demande du Comité Colbert.
- 19 — « Les échanges internationaux des exportateurs français de produits de luxe sont comparés à ceux des produits appartenant aux mêmes catégories douanières, mais ne relevant pas du luxe. » (Fontagné, 2013).
- 20 — Une autre hypothèse également avancée par les auteurs de l’étude est que les maisons adhérant au Comité, choisies par cooptation, ont par construction des capacités financières et, donc, un pouvoir de marché supérieur à la moyenne.
En fin – conclusion
Ces deux dernières décennies, l’industrie française du luxe a confirmé de manière éclatante le succès mondial qu’elle connaît de très longue date. Organisée depuis toujours sous la forme d’un écosystème performant, elle s’est structurée autour des grandes entreprises, souvent multimarques, qui s’appuient sur un tissu de sous-traitants et de fournisseurs dont elles veillent à préserver les savoir-faire et l’ancrage territorial. Cette industrie mise également sur des structures associatives pivots et plus généralement sur une solidarité de filière, assez informelle mais culturellement très ancrée, pour défendre ses intérêts partagés.
Sur le plan industriel, ce segment d’activité repose sur une maîtrise très contrôlée de la chaîne de valeur par les donneurs d’ordre, de l’approvisionnement à la vente. Le besoin vital des marques de garantir en permanence la qualité et la conformité des produits les a d’ailleurs conduites à engager des stratégies d’intégration verticale, tant vers l’amont que vers l’aval.
Il en résulte une structure oligopolistique, où les grands donneurs d’ordre érigent naturellement des barrières qui freinent l’arrivée de nouveaux concurrents en imposant des standards très exigeants, synonymes de coûts fixes élevés.
Par ailleurs, cette industrie travaille continûment à étendre son influence culturelle, à commencer par l’image de ses marques, un atout fondamental sur lequel s’établit son prestige collectif. Pour cela, elle met l’accent sur des valeurs léguées en héritage au sein de chaque maison, telles que la rareté, l’exclusivité, l’esthétique et le geste artisanal. Cette stratégie partagée par tous les acteurs du secteur contribue à créer une représentation mondiale du luxe français, qui attire des consommateurs internationaux désireux de se distinguer et d’afficher leur réussite économique et sociale.
De cet équilibre permanent entre concurrence et solidarité de filière naissent assez naturellement des pratiques de coopétition : dans un marché oligopolistique, les marques de luxe sont capables de coopérer de manière très poussée pour conquérir de nouveaux marchés, étendre leur influence ou encore s’adapter aux nouveaux cadres réglementaires.
La fabrication et la vente de produits de luxe impliquent, par définition même, l’appartenance à un groupe exclusif. En France, il se trouve en outre que ce collectif a compris depuis très longtemps sa responsabilité et son intérêt à préserver un patrimoine immatériel qui le valorise, l’oblige et le dépasse tout à la fois.
Néanmoins la concurrence demeure, en particulier au sein de la sous-traitance, et chaque acteur, marque ou fournisseur, travaille activement à se singulariser, en se diversifiant ou en cherchant à acquérir de nouvelles compétences.
Le récent ralentissement de la croissance mondiale, dans un contexte de recul de la consommation chinoise et d’instabilité géopolitique, a entraîné une baisse du chiffre d’affaires des deux premiers groupes français. LVMH a annoncé une diminution de 4,4 % de son chiffre d’affaires entre juillet et fin septembre 2024, par rapport à la même période en 2023. Kering subit un net repli de ses performances, avec un recul de 15 % de son chiffre d’affaires au troisième trimestre 2024 par rapport à l’année précédente, dont la maison phare Gucci accuse le recul le plus sévère.
Cette période défavorable, reflet de la très forte dépendance du secteur aux exportations vers le marché chinois, exige de la part des maisons françaises un surcroît d’effort pour entretenir leurs savoir-faire tout en explorant de nouveaux leviers de croissance. Elles semblent mieux armées que leurs concurrentes étrangères pour relever ce défi. L’avenir dira si leur ancrage territorial en sort renforcé.
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En plus – Annexe
Mme Sylvie Chailloux
Présidente du Groupement de la fabrication française (GFF), membre de l’Ufimh et dirigeante de Textile du Maine
*
M. Gaël Coeuret
Directeur de la manufacture J. M. Weston
*
M. Guillaume de Seynes
Directeur général d’Hermès International
*
M. Marc Durie
Président de J. M. Weston
*
Mme Bénédicte Epinay
Déléguée générale, Comité Colbert
&
M. Laurent Dhennequin
Directeur de cabinet, Comité Colbert
*
MM. Nicolas Favreau
Directeur marketing produits
&
Mathieu Bonenfant
Vice-président marketing chez Lectra
Mme Frédérique Gerardin
Déléguée générale du CSF Mode et Luxe
*
M. Emmanuel Guichard
Délégué général de la Febea
*
M. Dominique Jacomet
Ancien directeur général et doyen de l’Institut français de la mode
*
M. Mathieu Naudin
Directeur associé chez Citwell
*
Entretien avec un acteur du luxe
*
Visite de la tannerie Bastin et Fils et de la manufacture de J. M. Weston
Marie Desjeux, L’exigence collective du luxe français Paris, Les Notes de La Fabrique, Paris, Presses des Mines, 2025.
ISBN : 978-2-38542-666-8
ISSN : 2495-1706
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