Aux sources de l’innovation de rupture. Qui cherche ? Qui innove ?
L’innovation de rupture émerge à l’intersection de la recherche scientifique et de la capacité à transformer ces découvertes en technologies stratégiques. Où se situe la France face aux États-Unis, l’Angleterre, l’Allemagne et aux puissances asiatiques sur la « chaîne d’innovation », depuis la recherche jusqu’à la commercialisation des technologies ? Cette Note, écrite par Vincent Charlet, analyse la façon dont les flux de connaissances découlant de la recherche irriguent les avancées technologiques de l’industrie, tout en questionnant l’aptitude de nos écosystèmes à saisir et à exploiter la science pour favoriser ces innovations de rupture.
Un retard européen sur l’innovation de rupture
Les grandes puissances économiques rivalisent pour faire naitre l’innovation de rupture et imposer leurs technologies. Or, plusieurs études attestent d’un retard français et européen dans l’avènement des technologies de rupture, notamment face aux États-Unis, au Japon et à la Corée du Sud. Pourtant nos laboratoires de recherche produisent des avancées significatives. D’où vient donc le problème ? Les résultats de nos laboratoires sont-ils principalement exploitées par des industries étrangères ? Est-ce une question d’investissement public insuffisant ?
Comprendre le chemin des connaissances jusqu’à l’innovation de rupture
Cet ouvrage répond à ces questions en analysant les liens entre les publications d’articles scientifiques et les brevets. Il montre ainsi que la route qui mène des articles scientifiques aux brevets de rupture est longue et passe par un goulet d’étranglement très étroit. Les brevets de rupture, qui portent par définition sur des technologies capables de transformer le cours des activités économiques, sont très minoritaires en nombre mais intensément liés à la recherche d’excellence.
Les parts mondiales des principaux pays aux étapes successives du processus d’innovation montrent leurs différentes manières d’y participer. Les États-Unis produisent une recherche académique d’une telle qualité ou d’une telle attractivité qu’ils font figure de références incontournables pour les déposants de brevets. Ils sont en outre parmi les leaders en aval du processus, dans les phases de dépôt de brevet, parce qu’ils ont une capacité unique à capter et exploiter la meilleure science disponible, quelle que soit son origine.
Le Japon et la Corée s’appuient eux sur une base scientifique nationale relativement limitée, mais ne cessent d’accroître leur poids mondial à mesure que l’on s’achemine vers les marchés en aval, jusqu’au dépôt des brevets de rupture. Entre les deux, les États européens apparaissent affaiblis sur toute la chaîne, depuis la recherche jusqu’à la commercialisation d’innovation de rupture.
Une innovation mondiale
Loin des clichés opposant pays « naïfs » et pays « prédateurs », l’étude met en lumière une réalité plus nuancée. Tous les pays échangent du savoir et utilisent des innovations étrangères. La clé du succès réside dans la capacité à intégrer ces connaissances dans un tissu industriel performant. Le positionnement des pays au palmarès mondial des technologies de rupture est avant tout corrélé à l’effort technologique de leur tissu productif, lui-même découlant du volume de leur activité industrielle et de son caractère intensif – ou pas – en technologie.
Il est également lié à l’ampleur de leur effort national en matière de recherche et à leur propension à publier des articles scientifiques à très fort impact. La France est en retrait sur l’ensemble de ces critères : elle souffre d’une recherche et d’une industrie chacune trop fragilisée.