Foncier industriel et stratégies publiques locales : une articulation imparfaite
Préface
Le rapport sur la mobilisation pour le foncier industriel remis au gouvernement par Rollon Mouchel-Blaisot le 25 juillet 2023 estime que l’impératif de réindustrialisation dans tout le pays impose de trouver 22 000 hectares à horizon 2030. Cela montre, si besoin en était, que cette question du foncier industriel, en particulier son accessibilité physique et administrative, est un enjeu qui doit être pris en compte.
L’Île-de-France est, dans sa diversité, un exemple exacerbé de cette question. La richesse de son bassin d’emploi hautement qualifié, son positionnement géographique stratégique et son écosystème d’innovation en font une région incontournable au plan industriel. Malgré ces atouts, plusieurs freins structurels retardent voire empêchent l’accélération de sa réindustrialisation : une forte densité et congestion de l’espace, une rareté des terrains inoccupés, et un prix croissant du foncier.
En raison des lourds investissements qu’ils y logent, les industriels sont souvent soucieux d’être propriétaires de leur foncier. Pour eux, l’immobilier et l’architecture sont essentiellement des utilités, lorsque pour les aménageurs et les collectivités, ce sont des questions clés. Dans tous les cas, le prix du foncier dans la région francilienne, et dans toutes les grandes métropoles régionales, complique significativement l’implantation de nouvelles usines ou projets par les industriels.
Surtout, les entreprises témoignent de la difficulté à concilier un emplacement accessible pour les collaborateurs et un environnement favorable au développement des activités. Cette raréfaction du foncier économique adéquat incite à la localisation périphérique qui s’avère dommageable pour leur accessibilité, leur attractivité en termes d’emploi et leur impact environnemental. La prise de conscience et la prise en compte de ces enjeux par les différentes parties prenantes, notamment décideurs, collectivités, aménageurs, promoteurs, sont essentielles pour ouvrir des possibilités, notamment dans la reconversion des sites existants.
En ce sens, ce livre est un véritable pourvoyeur de solutions. Il apporte, par son approche méthodique, un éclairage nouveau à une question complexe : celle de la nécessité pour les collectivités et acteurs de l’aménagement de se mettre en relation avec les industriels pour trouver des solutions communes. Le renforcement des liens entre collectivités et entreprises est primordial pour faire converger les intérêts en faveur, d’un côté, des impératifs écologiques, sociaux et architecturaux, et d’un autre, de l’encouragement de la relocalisation d’activités industrielles, condition indispensable à la reconquête d’une plus grande autonomie stratégique et d’une meilleure cohésion sociale.
En permettant aux industriels d’avoir accès à un foncier judicieusement placé, chaque territoire qui s’engage dans cette démarche bénéficiera de la relocalisation d’activités stratégiques pour notre économie, et renforcera son attractivité, sa compétitivité et son identité de terre d’innovation. C’est également donner les moyens à nos entreprises de trouver les solutions aux défis fondamentaux de notre temps, notamment technologiques et environnementaux. Quel beau défi !
Bruno Berthet Président du Groupe des industries métallurgiques (GIM) Président exécutif d’ARESIA
Résumé
Les ambitions de réindustrialisation de la France, au moment même où la législation entend encourager la sobriété foncière, pourraient se heurter à une difficulté croissante d’accès au foncier de la part des entreprises. Cette question, très débattue aujourd’hui, doit être appréhendée de deux points de vue : celui des industriels, dont les besoins en foncier et en immobilier sont significatifs, et celui des collectivités territoriales, dont l’une des compétences est de gérer la répartition des activités sur leur territoire et de mener l’animation des zones d’activité économique (ZAE).
Cet ouvrage étudie cette question en s’appuyant sur deux séries d’entretiens individuels menés entre octobre 2021 et juillet 2022, auprès de dirigeants d’entreprises de toutes tailles d’une part, et de collectivités territoriales, d’aménageurs, de promoteurs et d’investisseurs d’autre part, au sein de trois territoires urbains : deux situés dans la métropole de Paris (Est Ensemble et Boucle Nord de Seine) et un dans la région Auvergne-Rhône-Alpes (Valence Romans Agglo).
Du côté des entreprises d’abord, la demande varie évidemment selon leur taille et la nature de leur activité. Néanmoins leurs critères d’implantation se rejoignent sur plusieurs points. Loin de se préoccuper uniquement de la charge foncière à payer, les entreprises productives choisissent majoritairement un lieu d’implantation en fonction de sa proximité avec leurs clients et avec leurs sources d’approvisionnement, et en fonction de son accessibilité, notamment pour les collaborateurs. La présence d’un vivier de compétences leur importe d’ailleurs tout autant, le recrutement et la fidélisation des salariés étant au cœur de leurs préoccupations quotidiennes. L’offre foncière et immobilière doit aussi répondre aux exigences des processus industriels ; la lourdeur des machines nécessite par exemple des dalles solides pour les accueillir. Enfin, les entreprises souhaitent majoritairement être propriétaires de leur bien.
Ces besoins ne sont pas forcément bien connus des acteurs de l’immobilier (aménageurs, promoteurs, investisseurs) et des collectivités, et entrent même parfois en contradiction avec leurs intérêts. En outre, la demande des entreprises se heurte à un certain nombre de contraintes réglementaires, en matière environnementale et urbaine, ainsi qu’aux objectifs de mixité fonctionnelle permettant par exemple d’accueillir dans un même espace de l’habitat, des activités économiques et des loisirs.
La réponse apportée par les acteurs publics des territoires Est Ensemble, Boucle Nord de Seine (BNS) et Valence Romans Agglo (VRA) diffère d’un territoire à l’autre. Elle varie en raison de l’histoire économique et institutionnelle de chacun d’entre eux, de la pression foncière qu’ils subissent et du degré d’implication des acteurs privés.
En outre, la réorganisation en intercommunalités étant récente, les territoires doivent composer avec des communes et des compétences nouvelles. Cela suppose de trouver un projet d’aménagement fédérateur et une manière de travailler collectivement. Les établissements publics territoriaux (EPT) de BNS et d’Est Ensemble ont des difficultés à se structurer et à se doter des moyens humains et techniques nécessaires pour maîtriser cette question. Sur ces deux territoires, l’offre foncière et immobilière est souvent gérée par des acteurs privés, et ponctuellement par quelques acteurs publics, dont des sociétés d’économie mixte (SEM).
La demande pour du foncier et de l’immobilier productif est surtout imparfaitement satisfaite dans les trois territoires. Dominé par l’immobilier de bureau, Est Ensemble propose une offre foncière et immobilière restreinte, mais qui répond tout de même aux besoins des entreprises productives des secteurs du luxe et de l’art notamment. Les terrains et les locaux y sont peu nombreux, concurrencés par d’autres usages, et ne répondent pas toujours aux critères des entreprises.
Dans le territoire BNS, malgré la forte tertiarisation marquée par l’implantation de sièges sociaux, des activités productives demeurent. L’offre foncière est concentrée dans quelques pôles (port de Gennevilliers, Argenteuil, Villeneuve-la-Garenne) et entre les mains de promoteurs et d’investisseurs privés. La relative rareté du foncier et sa faible maîtrise par les collectivités sont donc les deux caractéristiques majeures de ce territoire.
Quant à l’intercommunalité VRA, représentative des territoires de villes moyennes, elle a mis en place depuis deux décennies une stratégie de maîtrise du foncier et de l’immobilier à travers l’acquisition et la commercialisation en propre de foncier et l’accueil des activités productives dans des ZAE, via les documents d’urbanisme tels que le plan local d’urbanisme (PLU). Depuis 2021, cette stratégie articulée autour des ZAE et de la maîtrise publique se modifie, sous la contrainte de raréfaction du foncier découlant elle-même d’objectifs de préservation de la biodiversité et de la limitation de l’artificialisation des sols. D’autres instruments favorisant la compacité des sites d’activité, comme la réhabilitation de friches ou le développement de villages d’entreprises, sont progressivement mis en place. La société d’économie mixte (SEM) locale retrouve en outre une seconde vie comme levier d’action des collectivités.
Remerciements
Nous remercions les membres du Plan urbanisme construction architecture (PUCA) qui ont piloté le programme « Ville productive » dans lequel s’inscrit ce projet : Hélène Peskine (secrétaire permanente du PUCA), Monica-Isabel Diaz, (secrétaire permanente adjointe) et Bertrand Vallet (ancien chargé de mission du PUCA). Nous remercions également La Fabrique de l’industrie, partenaire du programme, et notamment Vincent Charlet, délégué général, Caroline Granier, cheffe de projet, et Émilie Binois, responsable éditoriale.
Merci aux acteurs des territoires étudiés d’avoir permis la réalisation de ce travail : Nathalie Castaignet et Camille Durand (EPT Boucle Nord de Seine), Mourad Hader et son équipe en charge du développement économique (Valence Romans Agglo), Françoise Hilaire (ville de Gennevilliers), Céline Leon (Séquano Aménagement), Tarik Mansouri (EPT Est Ensemble), Johann Mombazet (ville d’Argenteuil).
Merci également aux représentants des entreprises qui ont accepté de nous consacrer de leur temps.
Enfin, ce rapport a bénéficié des contributions de Bertrand Leroux et de Manon Petitpain (Cerema Ouest), de Guillaume Lesecq (Cerema Île-de-France), ainsi que de celles de Guillaume Gady et de Thomas Etitia (Ancoris).
Introduction
L’accès des entreprises à la ressource foncière est une des conditions du maintien et du développement des activités productives dans les territoires, comme nous l’a récemment rappelé l’actualité. D’abord, les territoires labellisés dans le cadre du programme Territoires d’industrie en 20181 ont spontanément exprimé un besoin en foncier industriel pour redynamiser certaines zones, alors que cet enjeu était initialement absent du programme. Ensuite, la crise sanitaire survenue en mars 2020 est venue rappeler que la relocalisation des activités « stratégiques » et la capacité à produire localement exigeaient une ressource foncière dont la disponibilité pourrait être restreinte par l’objectif de zéro artificialisation nette (ZAN) des sols inscrit dans la loi Climat et résilience de 2021 et les mécanismes de compensation écologique et agricole.
À l’heure où le gouvernement cherche à favoriser l’accès des industriels au foncier – à travers le projet de loi Industrie verte ou la mission nationale de mobilisation pour le foncier industriel conduite par le préfet Rollon Mouchel-Blaisot (2023), cet ouvrage éclaire la manière dont la demande foncière et immobilière des entreprises est prise en compte dans les stratégies publiques locales.
Les besoins des entreprises sont-ils correctement appréhendés par les collectivités et les acteurs de l’immobilier d’entreprise ? Pour répondre à cette question, nous dressons d’abord un état des lieux de la demande des entreprises et de leurs besoins. Ensuite, nous analysons le fonctionnement des marchés foncier et immobilier, notamment à travers la mise en évidence du cadre institutionnel, des différents acteurs et du processus de négociation. Enfin, nous explorons les réponses apportées par les collectivités et les acteurs de l’aménagement à la demande foncière des industriels.
Notre recherche se focalise sur trois intercommunalités qui partagent une même préoccupation pour le foncier économique productif mais dont les enjeux économiques et territoriaux sont différents. Deux d’entre elles sont des territoires métropolitains situés en Île-de-France, Est Ensemble, en Seine-Saint-Denis, et Boucle Nord de Seine (BNS), à cheval sur les Hauts-de-Seine et le Val-d’Oise. Ces deux territoires ont le statut spécifique d’établissements publics territoriaux (EPT), à savoir des établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) sans fiscalité propre, localisés dans le périmètre de la métropole du Grand Paris2. La troisième intercommunalité étudiée dans cet ouvrage, la communauté d’agglomération Valence Romans Agglo (VRA), est plutôt organisée autour de deux villes moyennes, Valence et Romans-sur-Isère.
Nous avons interrogé spécifiquement 26 entreprises sur leurs besoins et leurs attentes au cours d’entretiens approfondis. Les collectivités territoriales et les opérateurs publics (sociétés d’économie mixte, établissements publics fonciers) ont également été interrogés, notamment sur l’offre foncière et immobilière proposée pour maintenir des activités productives sur leur territoire. Notre approche qualitative met donc en regard des demandes exprimées par la sphère productive et la connaissance qu’en ont les collectivités territoriales. Les sources et les données mobilisées – données Ancoris, DV3F et littérature officielle émanant de collectivités – servent à étayer, à contextualiser et à objectiver leurs propos.
- 1. Lancé en novembre 2018 par le gouvernement et renouvelé en 2023 pour quatre ans, le programme Territoires d’industrie vise à apporter des réponses concrètes aux enjeux de soutien à l’industrie. La seconde phase du programme s’articule autour de quatre enjeux majeurs : favoriser l’attractivité des territoires et des métiers de l’industrie, faciliter la formation, le recrutement et la mobilité des salariés afin de répondre aux besoins en main-d’œuvre des entreprises, accompagner les entreprises et les territoires dans les transitions numérique et écologique et accélérer les procédures administratives.
- 2. Les établissements publics territoriaux (EPT) sont des structures administratives ayant le statut d’EPCI ; ils ont été créés en 2016, dans le cadre de la mise en place de la métropole du Grand Paris, au sein des trois départements de la petite couronne et de deux départements limitrophes. Les EPT exercent en lieu et place de leurs communes membres les compétences suivantes : politique de la ville, plan local d’urbanisme, gestion des déchets ménagers, assainissement et eau, action sociale territoriale et mise en œuvre d’un plan climat-air-énergie territorial (PCAET).
La demande foncière et immobilière des entreprises
Les entreprises productives présentent des caractéristiques variées, qui conditionnent en grande partie leurs besoins en foncier et en immobilier. Néanmoins, leurs critères d’implantation se rejoignent sur plusieurs fondamentaux.
Le foncier et l’immobilier : une composante clé de la stratégie des entreprises
Dans nos trois territoires d’étude, Valence Romans Agglo (VRA), Boucle Nord de Seine (BNS) et Est Ensemble (voir encadré « Le choix des trois territoires »), nous avons analysé les demandes d’implantation exprimées par des entreprises ayant une activité « productive »3 et menant en outre des projets de développement par transfert (déménagement dans d’autres locaux) par extension, ou encore par création d’un établissement.
Au total, nous avons interrogé 26 entreprises4 qui appartiennent à des tranches d’effectif très variées : de l’entreprise individuelle (artisans) jusqu’aux groupes composés de plusieurs sites d’établissements dans une ou plusieurs régions (les effectifs pris en compte sont ceux du groupe).
Ces entretiens ont fait émerger plusieurs cas types d’entreprises, illustratifs de leur demande. La première catégorie est celle des grands groupes présentant plusieurs activités (R&D, production, administration et marketing, distribution, etc.) et de nombreux établissements implantés sur plusieurs territoires français et à l’étranger. La gestion de leurs locaux est étroitement liée à la stratégie de la maison mère (siège social), dont le site est dépendant. Ce rapport de dépendance peut jouer à la fois contre le territoire (délocalisation, fermeture totale ou partielle) ou en faveur du territoire (relocalisation, développement). Le foncier et l’immobilier sont des variables d’ajustement au service de la stratégie du groupe qui contrôle ses intérêts. La collectivité semble extérieure à toute considération stratégique. À titre d’exemple, Bosch a organisé son départ de la métropole lyonnaise tout en y conservant sa R&D et souhaite y maintenir un écosystème favorable à cette activité (Gillio et Duvillard, 2020).
La deuxième catégorie regroupe les PME-PMI et TPE « à l’étroit » sur leur terrain ou dans leurs locaux. Elles suivent une stratégie de croissance, externe ou interne, les conduisant à racheter des établissements ou à créer de nouveaux sites de production. Dans ce dernier cas, la disponibilité foncière est une variable clé pour décider de rester sur place ou au contraire d’aller s’implanter plus loin, afin de disposer d’un terrain plus adapté et de réaliser un bâtiment moins sujet aux contraintes urbaines et spatiales. Ce type d’entreprise ne considère pas le coût d’acquisition du foncier comme un obstacle dès lors qu’elle est en phase de développement (Hauseux et al., 2015).
La troisième catégorie est celle de TPE et PME ancrées dans leur territoire, parfois contraintes à déménager à la suite d’un évènement indépendant de leur volonté (expropriation, revente du propriétaire, etc.). Ces TPE et PME expriment clairement la charge que représentent pour elles le foncier et l’immobilier, qu’il s’agisse du coût d’un déménagement, d’une nouvelle location ou du prix d’achat et d’entretien des mètres carrés détenus.
La dernière catégorie regroupe les TPE et les PME bien intégrées au tissu urbain et y recherchant une zone de chalandise et un bassin d’emploi : elles sont capables d’optimiser le foncier et ont d’autres critères de localisation (proximité du lieu de travail des salariés, proximité du lieu de résidence du dirigeant, clientèle sur un périmètre précis, etc.) pour expliquer le maintien et l’avantage que leur procure le site occupé.
Le choix des trois territoires
Les trois territoires que nous avons choisi d’étudier partagent une même préoccupation envers le manque de foncier et d’immobilier à destination des activités productives.
Situé au cœur de la Drôme, au sud de la région Auvergne-Rhône-Alpes, le bassin de vie de Valence Romans comptait 223 630 habitants en 2020 selon l’Insee et représente une échelle pertinente pour appréhender les enjeux de revitalisation et de relocalisation des activités productives en ville moyenne. Il permet de saisir des réalités auxquelles les entreprises sont confrontées dans les secteurs de l’économie productive puisque l’industrie y représente 20% des effectifs; l’agroalimentaire, la maroquinerie (la chaussure à Romans-sur-Isère notamment), la mécanique et la métallurgie constituent les principaux secteurs employeurs.
Le territoire francilien permet une approche complémentaire à celle du territoire drômois. L’Île-de-France rencontre depuis plusieurs décennies un effet de desserrement, à mesure que les actifs et les activités productives s’implantent en deuxième couronne. La première couronne subit en effet une éviction au profit de territoires de plus en plus éloignés, qui offrent aux entreprises un foncier moins onéreux et plus accessible pour les fournisseurs et les clients.
Par ailleurs, la région Île-de-France est traversée par des inégalités territoriales entre le nord-est (Seine-Saint-Denis, Val-de-Marne) et le sud-ouest (Hauts-de-Seine, Yvelines), entre le centre (première couronne) et la périphérie (deuxième couronne). Nous avons choisi de nous concentrer sur des entreprises localisées soit dans Paris intra-muros soit dans la première couronne, en l’occurrence dans les EPT Boucle Nord de Seine (BNS) et Est Ensemble, en raison de la forte pression foncière qui s’y exerce. Cette pression est liée non seulement aux opérations du Grand Paris, mais aussi de manière plus générale aux nombreuses opérations immobilières qui placent les entreprises artisanales et industrielles face au choix de partir ou de rester dans des locaux étroits ou vétustes.
L’EPT Est Ensemble réunit neuf villes situées en Seine-Saint-Denis (Bagnolet, Bobigny, Bondy, Le Pré-Saint-Gervais, Les Lilas, Montreuil, Noisy-le-Sec, Pantin et Romainville) et compte 435 582 habitants. Ce territoire est spécialisé dans les métiers d’art, le luxe, les industries culturelles et créatives et la santé.
BNS comptait plus de 450 306 habitants en 2000 répartis dans sept communes des Hauts-de-Seine et du Val-d’Oise : Argenteuil, Asnières-sur-Seine, Bois-Colombes, Clichy-la-Garenne, Colombes, Gennevilliers et Villeneuve-la-Garenne. Le territoire a une forte identité industrielle avec la présence de l’électronique, de la mécanique, de la métallurgie, de l’aéronautique et du spatial, de la chimie et des matériaux ; ces secteurs emploient 19 000 salariés, ce qui représente 10% des emplois selon le site internet de BNS.
Que nous disent les entreprises de leurs besoins ?
Un besoin primordial de proximité avec les clients
Lorsqu’elles sont interrogées sur les raisons de leur localisation, trois éléments reviennent spontanément dans le discours des entreprises industrielles.
Le premier, qui constitue en outre le critère numéro un de localisation pour une majorité des 26 entreprises interrogées, est la proximité avec les clients ou avec la source d’approvisionnement. C’est notamment le premier argument des artisans, et plus généralement des entreprises qui travaillent directement pour une clientèle locale. Pour certaines, cela justifie, voire nécessite une implantation en centre-ville. Pour les autres activités, ce critère motive des localisations stratégiques, notamment près des nœuds routiers en bordure de la zone dense. Certaines activités industrielles recherchent une proximité avec l’urbain et les transports en commun pour ne pas perdre une partie de leur clientèle ou accéder rapidement à leur marché.
Le deuxième critère est l’accessibilité routière, notamment pour les poids lourds. Cet élément est cité par 16 entreprises comme étant une contrainte forte pour leur activité. Celles qui mentionnent cet aspect sont essentiellement localisées dans des zones d’activité économique (ZAE), précisément pour cette raison, mais d’autres sont implantées en milieu urbain. Cela soulève la question des nuisances engendrées par leur activité, peu ou pas compatible avec l’habitat, suivant l’intensité des flux et le type de véhicules utilisés. Les nuisances générées par les poids lourds, ainsi que les nuisances olfactives, le bruit ou encore le caractère dangereux de l’activité, imposent presque systématiquement une localisation en ZAE, ou en tout cas loin des zones d’habitat. Quelques activités nuisibles qui cependant ont un besoin fort de se localiser dans l’urbain font au contraire le choix d’investir pour réduire la nuisance à la source. C’est le cas d’une entreprise artisanale, localisée en centre-ville, qui a mis en place des mesures d’isolation phonique et antivibration pour pouvoir manipuler occasionnellement une machine produisant un bruit de 120 dB.
Le troisième critère de localisation cité est celui de l’accessibilité du site pour la main d’œuvre, jugée « importante » par 9 entreprises. Ce critère conditionne leur capacité à conserver leur main-d’œuvre, d’une part, et à attirer de nouveaux collaborateurs, d’autre part. Cela implique pour elles de se localiser dans des lieux proches des centres urbains, à distance raisonnable du lieu de résidence des salariés actuels en cas de déménagement. Ce critère fait l’objet d’une attention particulière dans un contexte où les entreprises peinent à recruter : la nécessité de ne pas s’éloigner des savoir-faire, des « hauts profils » et des centres de formation explique l’ancrage des entreprises dans le territoire, comme le rappellent plusieurs dirigeants interrogés. De même, en cas de déplacement de la production, l’impact sur la mobilité des salariés est étudié en priorité, en estimant la distance domicile-travail et le temps de trajet supplémentaires que cela pourrait engendrer : « L’accès du personnel aux sites industriels est étudié avec attention en raison de la cherté de l’immobilier, qui peut amener plusieurs employés à effectuer de longs trajets domicile-travail en s’installant en deuxième couronne alors que l’entreprise est en première couronne », confirme un commercialisateur en immobilier d’entreprise du territoire Est Ensemble. Plusieurs entreprises interrogées ont mentionné l’importance de l’accès à l’entreprise en transports en commun, y compris pour quelques acteurs localisés en ZAE. Pour un acteur de l’économie sociale et solidaire (ESS) qui a développé un projet de cité de l’artisanat, se localiser en centre-ville était important pour se rapprocher de ses clients, faciliter la mobilité de ses salariés et favoriser leur bien-être.
La nécessaire qualité des flux
Globalement, les activités productives sont particulièrement sensibles à ce qu’on appelle la « qualité des flux ». On désigne par là tout ce qui détermine l’accessibilité (de la main-d’œuvre et des fournisseurs), comme la praticité des espaces de stationnement et de circulation (déchargement, retournement de poids lourds, stationnement des véhicules de l’entreprise et des personnels…). Aussi faire circuler des poids lourds en ville, où la voirie est ancienne et par conséquent inadaptée, ou bien dans des zones d’activité dépourvues d’aires de retournement ou de stationnement pour véhicules de livraison, relève parfois de l’exploit.
À l’échelle de l’aménagement d’une zone, la qualité des flux dépend du plan global de circulation : la multiplication des aménagements, tels que les ronds-points ou les lignes de tramway, et tout ce qui relève du partage des voies de circulation (transports en commun, mobilité douce) ralentissent ou complexifient les livraisons ou les expéditions. À cela s’ajoute la question du stationnement. Il est indispensable pour les entreprises de disposer de places de stationnement si leurs salariés occupent des emplois aux horaires décalés et si les transports en commun sont inexistants ou peu nombreux. « Ne serait-il pas plus logique d’ajuster le volume de places de parking au nombre de salariés de l’entreprise ? », questionne à ce propos le dirigeant d’une entreprise francilienne. Le stationnement temporaire des véhicules de livraison constitue un sujet spécifique, parfois source de conflit avec le voisinage.
Voilà pourquoi la qualité des flux peut en pratique compenser la qualité de la localisation. Plus simplement, quand elles sont dans l’impossibilité de déménager rapidement et à moindres frais, les entreprises exigent des pouvoirs publics des conditions de circulation optimisées, telle une voirie capable d’organiser un double flux véhicules légers gros gabarits. La fluidité de la circulation aux abords de l’entreprise leur permet alors de ne pas déménager. C’est particulièrement important pour les appellations origine protégée et origine contrôlée (AOP et AOC) dont l’activité est indissociable du territoire, voire d’un périmètre encore plus restreint ; dans ce cas, s’agrandir ailleurs pour élargir l’aire de chalandise est tout simplement impossible.
Tous ces éléments recoupent l’analyse du cabinet Ancoris5, qui recueille les besoins de ses prospects en l’Île-de-France (voir figure 1.2 et focus).
Les autres contraintes déterminantes des activités industrielles
D’autres paramètres de l’activité industrielle viennent contraindre les besoins immobiliers et fonciers des entreprises.
Pour ce qui est des caractéristiques matérielles des bâtiments, la lourdeur des machines nécessitant des dalles solides et les besoins de stockage sont fréquemment mentionnés comme critères incontournables d’un site adapté. L’isolation renforcée contre le bruit et les exigences aiguës d’hygiène (par exemple pour des salles blanches) en sont d’autres.
L’environnement est aussi étudié avec attention, soit pour des questions de sécurité (atteinte aux biens, préservation des secrets de fabrication, secret défense, classement ICPE6), soit pour des questions d’image, certaines entreprises ne souhaitant pas jouxter d’autres activités qui seraient polluantes. Ce second cas est notamment celui des entreprises travaillant dans le secteur du luxe, qui citent comme une contrainte la nécessité de toujours préserver l’image de la filière et des entreprises clientes ; elles ont besoin d’un environnement propre, accueillant, design presque, reprenant les codes du luxe. Il faut « mettre les artisans dans de bonnes conditions de travail : lumière naturelle, éclairage, confort thermique, espace, car le temps de travail est long dans cet environnement professionnel avec des exigences fortes en ergonomie, en concentration sans bruit », explique une entreprise du secteur.
Selon un fréquent arbitrage, la disponibilité immédiate peut l’emporter sur le prix
Lors des entretiens, les chefs d’entreprise disent avoir fréquemment recherché ou commencé par rechercher un site existant, le plus « immédiatement disponible ». La raison de ce choix, plutôt que de faire construire, s’explique par leur souhait de ne pas perdre de temps sur des tâches qui ne sont pas dans leur cœur de métier, pour se concentrer sur la gestion et la bonne marche de l’entreprise. La recherche de locaux est en effet souvent vécue comme une épreuve de longue haleine, qui demande de l’énergie au chef d’entreprise.
Le prix d’acquisition ou le loyer font naturellement partie de l’équation pour les entreprises industrielles qui recherchent un nouveau site. Cependant, cette contrainte n’a pas la même importance pour toutes les entreprises. Les entreprises artisanales et les petites entreprises indépendantes ont une plus grande sensibilité au prix que les grands groupes, les entreprises adossées à un grand groupe ou les entreprises en croissance. Ces dernières acceptent plus facilement de payer des prix de marché ou envisagent aisément d’acquérir des parcelles ou des locaux adjacents aux leurs, en vue d’étendre leur activité dans un second temps. C’est le cas d’une entreprise d’élevage productrice de viande de poulet à VRA, ou d’une autre entreprise intervenant dans le domaine de la défense à Saint-Cyr, en Île-de-France. À l’inverse, les entreprises artisanales et les petites entreprises indépendantes cherchent plus fréquemment des solutions hors marché, comme se créer un atelier chez soi (cas d’un artisan de l’Ouest parisien), recourir à une occupation temporaire et répétée (artisan céramiste de l’Est parisien) ou encore bénéficier des tarifs attractifs des zones de revitalisation urbaine (artisan maroquinier à Pantin).
Néanmoins, le point commun à toutes ces activités productives est qu’elles doivent faire face à de nombreux enjeux, au regard desquels la charge foncière finit par revêtir moins d’importance que celle que lui accordent les collectivités et les aménageurs publics. En effet, pour les entreprises productives (PME industrielles et TPE artisanales), la part qu’occupe cette question se perd parmi les urgences et les priorités quotidiennes : les difficultés de recrutement de la main-d’œuvre, qui induisent des tensions fortes sur la capacité à satisfaire leurs clients ; la pérennisation de la main-d’œuvre qualifiée dans l’entreprise, qui nécessite une gestion spécifique du personnel ; une prise en compte des déplacements domicile travail, et, plus récemment, les coûts de l’énergie, qui sont venus grever l’activité de production tant de l’artisan céramiste que de la PME.
Au cours de nos entretiens, une majorité des entreprises ont donc plutôt eu tendance à minimiser le rôle de la charge foncière parmi les problématiques qu’elles rencontraient, se disant prêtes à payer un bienfonds plus cher en échange d’une situation optimale pour leur activité en matière de flux de marchandises, d’accessibilité routière et de proximité de la main-d’œuvre et de leur clientèle.
La recherche des biens immédiatement disponibles assortie aux contraintes de coût conduit souvent les entreprises à faire des compromis par rapport à leurs attentes initiales. Un de ces compromis peut porter sur la localisation, souvent plus éloignée que le lieu initialement visé, ou sur la taille du site. Plusieurs entreprises ont ainsi fait le choix d’occuper des locaux plus grands que nécessaire, en vue de leur croissance future, quitte à en louer une partie à d’autres entreprises dans l’intervalle. Parmi les autres compromis possibles figurent notamment ceux qui sont liés aux caractéristiques du bâtiment, par exemple la portance au sol suffisante, pourvu qu’une solution alternative soit possible. On peut ainsi citer l’exemple d’une entreprise ayant choisi d’utiliser sa cour comme lieu de stockage et d’assemblage sous barnum de ses grosses machines avant livraison. Cette même entreprise souhaitait disposer d’un pont roulant mais l’absence de cet équipement l’a conduite à utiliser des chariots élévateurs capables de manœuvrer en grande hauteur. Une autre petite entreprise située dans Est Ensemble a modifié son organisation pour pouvoir poursuivre son activité en déportant une partie de l’entreposage sur un site secondaire.
La charge foncière : de quoi parle-t-on ?
La charge foncière est une notion utilisée par les aménageurs et les promoteurs immobiliers pour caractériser la valeur d’un terrain aménagé sur lequel un bâtiment est édifié. Elle se compose du prix d’acquisition d’un terrain auquel s’ajoute l’ensemble des frais rendant ce dernier constructible pour y accueillir des activités industrielles ou artisanales : coûts d’aménagement, des droits à bâtir (surface constructible) et de la destination du terrain (logement, activités, commerce). Le promoteur achète le terrain en fonction du niveau de la charge foncière. Cette valeur est souvent reconstituée a posteriori, en déduisant le coût des étapes ultérieures à l’aménagement, à savoir le prix de la construction et les coûts de commercialisation (frais d’agence et des commercialisateurs). Cependant, compte tenu des différentes formes de négociation et des acteurs qui interviennent à ces étapes (voir focus du chapitre 2), il nous paraîtrait plus réaliste d’inclure dans la charge foncière le coût du processus de négociation.
La place de la charge foncière dans la hiérarchie des contraintes de l’entreprise productive est une traduction assez directe de son modèle économique. Par exemple, les start-up industrielles se caractérisent par une croissance rapide, induisant des besoins fonciers et immobiliers très évolutifs face auxquels les délais de réalisation des projets d’aménagement des collectivités et des projets immobiliers des opérateurs privés (promoteurs, investisseurs) sont incompatibles. Pour d’autres types d’entreprises, la difficulté à anticiper l’évolution du carnet de commandes et le développement de l’activité entre souvent en conflit avec le temps nécessaire à la conception d’un projet de nouveau bâtiment qui permettrait pourtant d’améliorer la productivité (nouveaux process, nouvelles machines, etc.).
Des besoins guidés en partie par les perspectives de développement
Au cours des entretiens, les entreprises ont comparé le site qu’elles occupaient à leurs besoins fonciers et immobiliers, se référant en cela soit à un projet en cours de réalisation soit à un local ou à un terrain qu’elles souhaiteraient trouver dans les mois ou années à venir (voir figure 1.3). Les surfaces occupées (terrain ou bâti) vont d’une trentaine de mètres carrés pour un artisan d’art à 30 000 m² pour le site d’une entreprise de l’agroalimentaire. Sur l’ensemble de notre échantillon, une petite moitié d’entreprises n’expriment pas de besoin en surfaces plus importantes, soit parce qu’elles ont déménagé récemment soit parce qu’elles considèrent que leur terrain leur permet de faire face à leur perspective de développement. Quelques entreprises souhaitent même réduire la surface occupée pour des raisons particulières : lieu d’activité sur le lieu de résidence, difficulté à faire face aux coûts d’occupation des surfaces actuelles, etc.
Ces considérations de relativement court terme entrent ensuite en contradiction avec le fait qu’un grand nombre des entreprises interrogées sont en croissance. Aussi, à la question portant sur leurs besoins futurs, elles répondent le plus souvent vouloir déménager dans un site plus grand ou créer une extension de leur site. D’autres mettent en place des stratégies pour gagner de l’espace, comme construire une mezzanine pour y accueillir leurs bureaux ou optimiser la chaîne de production et numériser les archives pour libérer de l’espace.
Le local idéal des artisans d’art
Pour les artisans, le local idéal se situe en centre-ville, dans un lieu donnant sur rue pour être visible par les clients, de préférence dans une zone passante. Ce local est doté d’une boutique à l’avant et d’un atelier à l’arrière pour le travail et le stockage. La taille du local va de 50 m2 à 100 m2. La possibilité d’habiter à côté est un plus. Quant à celle de travailler sur deux niveaux, tout dépend du poids des machines et de la nature des productions. Si elles ne sont pas assez légères, il est nécessaire d’avoir un local en rez- de-chaussée. C’est l’esprit du concept Soho (pour small office, home office) développé à Paris notamment.
Une majorité de ces entreprises en croissance souhaitent acheter leurs nouveaux locaux ; plusieurs interviewés évoquent aussi le souhait de faire construire selon leurs besoins.
Le choix entre les ZAE et le tissu urbain constitué
Les zones d’activité économique, les ZAE, sont des lieux spécialement aménagés et équipés (voirie, réseaux électriques, etc.) pour accueillir les entreprises situées dans les villes mais hors des espaces centraux (Lejoux et Charieau, 2019). Pour une entreprise, le souhait de se localiser en ZAE découle avant tout de contraintes liées à l’activité. Les principales contraintes ont déjà été évoquées plus haut : accessibilité pour les poids lourds, nuisances générées par l’activité, caractère dangereux… Cela conduit les entreprises à choisir un environnement éloigné des zones d’habitat. Une entreprise interrogée engendre par exemple un fort trafic de poids lourds et a besoin d’emprises importantes, tandis qu’une autre requiert un trafic de poids lourds très tôt et très tard dans la journée, depuis un site qui nécessite une réfrigération et génère par conséquent du bruit en continu. Une autre encore, située dans le territoire BNS, indique que son établissement est classé ICPE et qu’il lui était, de ce fait, plus simple de se localiser en ZAE, zone dont elle vante la bonne accessibilité.
D’ailleurs, en raison de ces nuisances liées à leur activité, plusieurs entreprises indiquent spontanément ne pas souhaiter voir ces zones adopter des schémas de mixité avec le logement, ni même voir les habitations se rapprocher trop près de la ZAE.
Les entreprises qui se localisent dans ce type d’environnement citent aussi quelques contraintes afférentes, comme la nécessité de sécuriser leur site dans un environnement monofonctionnel peu fréquenté la nuit ou le week-end. Dans le même registre, un fabricant de bière déplore le peu d’ouverture de son site vers l’extérieur, qui l’empêche de valoriser son produit autour de moments festifs in situ. Une autre entreprise se dit satisfaite de la ZAE tout en constatant que l’éloignement du centre lui a fait perdre de la clientèle.
À l’inverse, les entreprises qui privilégient l’urbain ont avant tout un avantage à s’implanter en ville parce qu’elles sont en relation directe avec le grand public (cela concerne notamment les artisans) ou avec leurs donneurs d’ordre lorsque ceux-ci sont localisés en cœur d’agglomération. L’autre argument – déjà relevé plus haut – en faveur d’une implantation en ville est l’attractivité pour la main-d’œuvre, elle-même associée au bien-être des salariés. Enfin, les entreprises soulignent l’effet vitrine de la production en centre-ville, évocatrice des « circuits courts » et susceptible de renforcer l’attachement à l’entreprise et à ses produits. Pour certaines, cet emplacement est historique, remontant à une époque où l’espace environnant était peu ou pas construit, ou résultant de la possibilité de disposer de locaux familiaux, quitte à fonctionner sur un mode non optimal. Un industriel explique avoir choisi l’urbain afin d’« éviter les ZAC7 pour ne pas en supporter les charges communes », tandis que le gérant d’un atelier d’artisanat indique « ne pas être prêt à se faire enfermer dans une zone géométrique avec des boîtes les unes à côté des autres ». La centralité est donc aussi une question d’image pour certains acteurs.
Néanmoins ces entreprises soulignent aussi les difficultés à se maintenir dans un tel environnement, difficultés liées aux coûts élevés des locaux et à leur rareté. Dans plusieurs cas, les interviewés mentionnent des opportunités qui ont rendu le projet réalisable en centre-ville, comme la possibilité de racheter un local appartenant à la ville, le bénéfice d’une aide dans le cadre des quartiers de la politique de la ville ou de projets soutenus par l’Agence nationale pour la rénovation urbaine (ANRU).
La proximité avec l’habitat a toutefois obligé certaines entreprises à consentir des investissements en insonorisation, en réduction des vibrations ou encore en traitement de fumées.
Le bilan entre les mérites respectifs (et contraires) de ces deux types d’implantation est donc mitigé. Une étude (Petit, 2016) réalisée à partir de 60 entretiens auprès d’entreprises productives localisées en Îlede-France souligne que les établissements localisés dans l’urbain souhaitent majoritairement en partir (voir figure 1.4). En moyenne en effet, près de la moitié des établissements de l’échantillon disent souhaiter déménager. Ces souhaits de mobilité sont relativement proches selon qu’ils émanent d’entreprises localisées dans la zone dense (8 entreprises sur 19) ou en grande couronne (15 sur 41). C’est bien plus la nature de l’environnement qui apparaît comme étant le critère discriminant. Ainsi, ce souhait est sensiblement plus marqué pour les entreprises localisées sur des sites urbains hors ZAE (6 sur 11 entreprises). À l’opposé, la majorité des six entreprises localisées en site isolé souhaite rester.
- 3. On regroupe sous ce terme les activités de fabrication, de transformation, d’assemblage et de réparation.
- 4. Des entretiens individuels ont été réalisés entre octobre 2021 et juillet 2022 auprès de dirigeants d’entreprises de toutes tailles, réparties entre les trois territoires et plus rarement en dehors. Ils ont évoqué leurs besoins en foncier et en immobilier, les questions d’accessibilité et leurs projets de développement.
- 5. Le cabinet Ancoris est spécialisé en détection de projets d’implantation d’entreprises et en accompagnement des territoires dans leurs stratégies de développement économique.
- 6. Installations classées pour la protection de l’environnement.
- 7. Les zones d’aménagement concerté, ZAC, sont des zones à l’intérieur desquelles une collectivité publique ou un établisse- ment public y ayant vocation décide d’intervenir pour réaliser ou faire réaliser l’aménagement et l’équipement des terrains.
FOCUS – La demande des entreprises industrielles franciliennes
En Île-de-France, malgré la pression sur le foncier, la demande des entreprises industrielles représente plus d’un quart des demandes en foncier et immobilier selon l’échantillon des demandes traitées par le cabinet Ancoris sur la période courant du 1er janvier 2017 au 30 septembre 2021. Les principales activités représentées par ces projets relèvent en premier lieu de l’agroalimentaire, des industries métallurgiques et des matériaux de construction à égalité avec le recyclage et le réemploi.
Près d’un quart de la demande en foncier en Île-de-France émane de l’industrie
Avec 265 demandes sur la période étudiée (voir annexe I), l’industrie représente plus du quart des projets d’implantation traités par le cabinet.
Le cabinet a en outre observé l’évolution du nombre annuel de ces projets industriels s’adressant à l’Île-de-France (voir figure 1.b) : la vive progression enregistrée avant 2019 a été affectée par la pandémie de Covid fin 2019 et, surtout, en 2020. En 2021, sachant que l’année est incomplète, il y a tout lieu de penser que le nombre total de projets aura atteint son plus haut niveau. Par ailleurs, le nombre d’emplois par projet progresse fortement : il a doublé entre le début et la fin de la période, passant de 21 à 43.
Quels sont les projets industriels envisagés en Île-de-France ?
Parmi les secteurs d’activité s’intéressant particulièrement à l’Île-de-France arrive en tête le secteur des industries agroalimentaires (IAA) attiré par son marché de douze millions de consommateurs. Figurent notamment un projet d’abattoir et trois projets de production de viande à partir de matière végétale, dont un prévoyant la création de 150 emplois.
Suivent ensuite les activités liées à la métallurgie, et plus particulièrement la production de pièces pour le bâtiment (charpentes, supports béton, tuyauterie…). En troisième position, le secteur des matériaux de construction compte cinq projets de préfabriqués béton, dont un portant sur 200 emplois, et trois projets de production de matériaux biosourcés. Sur la même marche du podium, les activités de recyclage et de réemploi comptent sept projets dont trois figurant parmi les plus importants en termes d’emplois. Les projets dans les biens d’équipement portent notamment sur la production des équipements d’optimisation de la production (robotique) et aussi d’équipements de production d’énergie. Dans la plasturgie, trois projets portent sur le recyclage et l’usage de plastiques recyclés dans le process et un autre sur des bioplastiques. Enfin, dans le secteur de la chimie, deux projets portent sur la production d’hydrogène vert.
80 % des projets liés à des créations de sites ou à des transferts et extensions
Les motifs qui déclenchent les besoins d’implantation des entreprises industrielles sont majoritairement de deux types : création de site hors siège dans 47 % des cas et transfert-développement d’activité8 dans 34 % des cas. Le reste se répartit principalement entre la création d’entreprise (9,5 % des cas) et les transferts d’établissements (4,5 % des cas). On constate par ailleurs, tant dans le cas de la création d’un site que dans celui d’un transfert ou d’un développement, que les modalités d’occupation favorisent en premier lieu l’achat dans respectivement 47 % et 56 % des cas. On peut supposer qu’il s’agit d’entreprises plus mûres qui cherchent donc plus systématiquement à acquérir leurs locaux.
La moitié des projets comptent 15 emplois ou moins à terme
Sur 265 projets, 246 ont renseigné le volume d’emplois attendus à terme. Ils en promettent 30 en moyenne ; cependant la moitié des projets ne porte que sur 15 emplois au maximum, tandis que 1 % des projets (3 projets) portent sur plus de 250 emplois (voir figure 1.e). Une autre lecture de cette répartition consiste à dire que la majorité des projets (56 %) porte sur des volumes attendus de 10 à 49 emplois.
En définitive, les projets comptant 50 emplois ou moins représentent 87 % du nombre de projets mais 47 % du total des emplois prévus.
Bien que la taille de l’échantillon soit un peu modeste pour en tirer des conclusions définitives, on constate que certaines activités sont plus intensives que d’autres en emplois. Le recyclage-réemploi, par exemple, représente 39 emplois en moyenne par projet, et plus de 100 emplois pour trois d’entre eux. C’est aussi le cas des activités autour de la santé et de la pharmacie, qui comptent en moyenne 42 emplois par projet et deux projets représentant plus de 100 emplois (malgré un nombre assez faible de projets). Les activités les plus représentées (IAA et métallurgie-mécanique) regroupent quant à elles des volumes moyens d’emploi identiques, autour de 21 emplois.
Sans surprise, les cas de regroupement d’activités sont ceux qui concernent les plus gros effectifs, avec une moyenne de 57 personnes, mais ils représentent un nombre de cas très faible. La création de site s’accompagne en moyenne de 39 emplois, contre 22 pour les transferts-développements ou les créations d’entreprises.
Une demande majoritairement portée sur des locaux existants
Sur les 265 demandes portant sur des activités industrielles, la majorité (55,5 %) concerne exclusivement des locaux existants. Un peu moins du tiers porte de façon indifférenciée sur des locaux ou des terrains. Les demandes ciblant seulement un terrain à bâtir représentent enfin 11 % des cas.
Par ailleurs, la demande de locaux ou de terrains porte sur des locaux plus grands d’un facteur 1,5 à 2 par rapport à la demande de locaux seuls.
La surface demandée se répartit très inégalement. Dans le cas de locaux seuls, la surface maximale souhaitée est en moyenne de 2 100 m2, mais 72 % des demandes se situent au-dessous de cette moyenne. Dans le cas de locaux et de terrains, la surface maximale recherchée avoisine en moyenne 3 600 m2, et 67 % des demandes se situent en dessous. Cela signifie qu’il existe, en queue de distribution, quelques projets à la fois très grands et moins nombreux. Ainsi, 13 % de la demande de locaux seuls porte sur des surfaces de 5 000 m² et plus, avec un maximum à 22 000 m². Concernant la demande de locaux ou de terrains, 10 % portent sur des surfaces supérieures ou égales à 10 000 m² avec un maximum de 20 000 m² souhaités.
Les valeurs médianes confirment le profil asymétrique de ces distributions. La moitié de la demande exprimée en locaux seuls porte sur des surfaces maximales inférieures à 800 m² tandis que, pour les locaux avec terrain, la moitié de la demande concerne des surfaces maximales de bâti inférieures à 2 000 m².
Dans le cadre des demandes ciblant exclusivement un terrain nu, le faible nombre de demandes de l’échantillon (28) invite à la prudence. Comme pour la demande de locaux, on observe une forte dispersion, avec une moyenne de 2,8 ha demandés et une médiane à 6 000 m². Les extrêmes se situent respectivement à 1 100 m² et 150 000 m² (15 ha)9 ; les deux cas relatifs à une demande de 15 ha correspondent à des unités de production, l’une en plasturgie et l’autre pour la production massive d’hydrogène.
Pour ce qui est des demandes de terrain ou de locaux, les surfaces de terrain demandées sont en moyenne plus petites que celles des terrains seuls : la médiane se situe à 6 000 m², tandis que 83 % de la demande se rapporte à des surfaces inférieures à la moyenne de 2 ha. La demande la plus importante concerne 30 ha de terrain. Une autre demande porte sur une surface de 20 ha et quatre visent 15 ha. Ces demandes correspondent à des projets de sites de production industrielle ou de sites liés à des activités de recyclage.
On observe une relative corrélation entre le volume d’emplois projeté et le type de bien recherché. Plus le nombre d’emplois attendus est important, plus la proportion de projets incluant des terrains seuls augmente. Au-delà de 99 emplois, la demande de terrains seuls progresse fortement. Dans le détail, les petits projets (de 1 à 9 emplois) recherchent très majoritairement des locaux seuls (84 %), seulement 8 % des projets portent sur des terrains seuls. Une faible part des projets de 10 à 99 emplois sont à la recherche de terrains seuls (< 20 %), ces projets privilégiant principalement les locaux seuls (> 50 %). Les projets de plus de 100 salariés (19 projets) portent sur des terrains seuls (42 %) ou des locaux seuls (37 %).
La propriété en tête des modes d’occupation souhaités
L’achat est la principale modalité d’occupation recherchée par les porteurs de projets, avec 45 % des cas, suivi par la location dans 35 % des recherches. Pour un projet sur cinq, la modalité d’occupation est indéterminée. Ces chiffres cachent en revanche de fortes disparités selon le type de bien recherché. En effet, l’achat domine largement lorsque le projet porte sur un terrain nu (28 cas, dont 89 % cherchent à acheter exclusivement) ou lorsqu’il porte sur un « terrain ou locaux » (82 cas dont 74 % cherchent à acheter exclusivement). Le motif « location » domine à 56 % lorsqu’il s’agit d’un projet concernant des locaux seuls (147 cas), avec cependant 23 % des demandes pouvant accepter l’achat ou la location et une demande sur cinq souhaitant exclusivement acheter les locaux. Conséquence logique de ce qui précède, on observe également un lien fort entre la taille du projet et la modalité d’occupation. La location concerne avant tout les petits projets de 1 à 9 emplois (60 % des cas). L’achat passe devant la location pour les projets de 10 à 19 salariés et devient majoritaire pour les projets de 20 emplois et plus.
Des projets d’implantation mobiles aux échelles départementale et régionale
Lors de leur recherche, les entreprises déterminent des aires de recherche variables suivant les projets. Au sein de l’échantillon étudié, 70 % des 265 projets portent sur une échelle allant de plusieurs intercommunalités à plusieurs départements : il s’agit de projets peu mobiles à assez mobiles. Seuls 20 % des projets sont très mobiles, c’est-à-dire qu’ils considèrent l’Île-de-France parmi d’autres régions françaises. À l’opposé, moins de 10 % des projets ne sont pas mobiles et ne portent que sur un rayon intercommunal au mieux.
Il apparaît que les projets « très mobiles » sont assez spécifiques par rapport aux autres projets. Ce sont, en moyenne, les projets qui promettent le plus d’emplois à terme : 47,3 contre 25 à 30 pour les autres catégories de projets. Logiquement, ce sont aussi ceux qui demandent les plus grandes surfaces de terrain (18 000 m² en moyenne) ou les plus grandes surfaces de locaux (3 900 m² en moyenne).
En revanche, la taille des projets n’est pas forcément un indicateur de leur degré de mobilité, même si on observe une progression de la proportion de projets très mobiles en même temps que leur taille. Les grands projets de plus de 100 emplois comportent ainsi une forte proportion de projets très mobiles.
- 8. Le transfert d’établissement et le transfert-développement d’activité désignent le déménagement d’un site ou d’un établisse- ment mais le premier n’implique pas de création d’emplois, d’ajouts de lignes de production, etc.
- 9. Nous avons exclu de notre échantillon la demande d’une gigafactory qui portait sur un terrain de 200 ha.
Une demande foncière et immobilière très contrainte
Outre les contraintes posées par les processus industriels, les entreprises se heurtent dans leur recherche de foncier à des contraintes d’autres natures, qui sont au rang des priorités des offreurs (intercommunalités, commercialisateurs, opérateurs), telles que l’inflation de normes urbanistiques, environnementales et paysagères, les ambitions politiques, la recherche de rendement, les injonctions à la mixité sociale ou à la sobriété foncière.
Un marché guidé par des intérêts divergents
La demande des industriels s’inscrit dans le marché de la « production de la ville » et de l’aménagement. Un ensemble d’acteurs y interagissent, formant une chaîne de valeur parfois longue : intercommunalités, promoteurs, aménageurs, investisseurs. Ces acteurs fonctionnent différemment et peuvent présenter des intérêts parfois contradictoires, entre eux et avec ceux des industriels.
Les intercommunalités, acteurs majeurs du développement économique
Parmi les différents acteurs, les intercommunalités10 mènent une politique foncière qui leur est propre et se révèle parfois déconnectée des attentes des entreprises. En effet, à la suite des lois et des réformes des années 2010 qui ont modifié leur périmètre et leurs fonctions (voir encadré), les intercommunalités se structurent progressivement et organisent, dans le même temps, leur politique foncière et immobilière.
Ainsi, entre mi-2021 et mi-2022, Est Ensemble n’en était qu’à la phase de structuration de son projet de territoire. Les nombreuses réflexions menées dans le cadre de la Fabrique du Grand Paris ont permis l’élaboration de son contrat de développement territorial (CDT), signé en février 2014. L’intercommunalité a également développé un projet urbain prospectif ainsi qu’un schéma de développement économique.
Dans le cas de Boucle Nord de Seine (BNS), un CDT a été signé en 2014 par l’État et les communes d’Asnières-sur-Seine, BoisColombes, Colombes et Gennevilliers, situées dans les Hauts-de-Seine. L’organisation du développement économique s’est ensuite opérée par la réalisation d’ateliers liés au programme Territoires d’industrie, dont BNS est lauréat. L’action économique locale s’est structurée progressivement à partir des coopérations entre les communes et l’EPT créé en 2016 pour organiser, notamment, l’offre foncière et immobilière aux entreprises. Choose Paris Region, l’agence de développement économique de la région Île-de-France, adresse à l’EPT les demandes d’implantation émanant d’entreprises extérieures (grands groupes ou ETI) tandis que les communes répondent aux besoins des entreprises endogènes au territoire (plutôt des PME-TPE). Par exemple, Gennevilliers intervient afin de mieux cerner les besoins fonciers et immobiliers des entreprises du territoire, comme la société de construction Balas ou Groupe Up, spécialiste des titres-restaurant, tout en menant conjointement des opérations avec la Société d’économie mixte d’aménagement de Gennevilliers (Semag 92).
Valence Romans Agglo (VRA) bénéficie d’une ancienneté plus importante mais a tout de même vu la fusion de deux intercommunalités se réaliser après la loi Maptam et la loi NOTRe (voir encadré). En effet, il existait encore trois établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) en 2014 : la communauté d’agglomération de Valence, la communauté d’agglomération de Romans-sur-Isère ainsi que la communauté de communes de la Raye. La fusion des EPCI s’est opérée progressivement entre 2013 et 2017 pour ne former qu’une seule communauté d’agglomération.
Les changements institutionnels opérés sur les trois territoires modifient donc l’organisation des services des collectivités pour élaborer une stratégie foncière et économique sur un périmètre plus large.
Par ailleurs, l’offre foncière et immobilière déployée par les collectivités reste dépendante de la demande placée11 et, plus généralement, des contraintes multiples qu’elles rencontrent dans le cadre des opérations d’aménagement ainsi que des concurrences d’usage qu’elles doivent arbitrer sur leur territoire (besoins en logement, limitation de l’artificialisation des sols, autorisation d’exploitation commerciale, etc.). Les stratégies territoriales d’accueil des entreprises doivent ainsi s’adapter au nouveau cadre institutionnel, tout en intégrant les injonctions du zéro artificialisation nette (ZAN)12 des sols, et sans se laisser prendre de court par les marchés fonciers et immobiliers des entreprises.
La compétence économique redistribuée
Si les premières mesures en faveur de la décentralisation de la politique de développement économique ont consacré le rôle des communes dans les années 1980, les intercommunalités ont hérité depuis le milieu des années 2010 de la compétence économique.
Outre la définition de collectivités «cheffes de file» pour coordonner les actions des collectivités, la loi de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles (Maptam) du 27 janvier 2014 crée un nouveau statut pour les métropoles, conférant aux territoires qui l’obtiennent davantage de compétences. Les agglomérations concernées ont plus de 400 000 habitants, sont dans une aire urbaine de plus de 650 000 habitants, dans les chefs-lieux de région, ou situées au centre d’une zone d’emploi de plus de 400 000 habitants.
La loi portant sur la nouvelle organisation territoriale de la République (NOTRe) du 7 août 2015 contraint les communes à être rattachées à une intercommunalité. Elle a aussi renforcé la compétence des EPCI en matière de développement économique. Ce sont eux notamment qui interviennent sur la création, l’aménagement, la gestion et l’animation des zones d’activité économique (ZAE).
La loi NOTRe a aussi entraîné la création d’établissements publics territoriaux (EPT) au sein de la métropole du Grand Paris: ce sont des EPCI sans fiscalité propre (hormis dans la période 2016-2020 où ils ont reçu la contribution foncière des entreprises) et dont la population totale doit être au moins égale à 300 000 habitants. La métropole élabore les politiques publiques qui sont mises en œuvre et gérées par les EPT. Les compétences en matière de développement économique, d’aménagement et de politique de l’habitat sont partagées entre les deux niveaux.
Parmi les intercommunalités, il existe les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) à fiscalité propre (métropole, communauté urbaine, communauté d’agglomération, communauté de communes) et les EPCI sans fiscalité propre (syndicats intercommunaux). Les autres intercommunalités sont les pôles métropolitains, les pôles d’équilibre territorial et rural et les syndicats mixtes.
Un marché de l’immobilier d’entreprise guidé par la recherche de rendement
La filière de l’immobilier d’entreprise se compose de propriétaires vendeurs et d’acquéreurs mais, entre ces deux catégories, il existe un nombre d’intermédiaires parfois élevé : commercialisateurs, contractants généraux, investisseurs notamment. Ceux-ci peuvent être réunis pour former une chaîne qui interviendra dans le processus de négociation. Surtout, ces différents acteurs établissent une hiérarchie des biens qu’ils proposent aux entreprises selon leur prix par mètre carré hors taxe et hors charge, leur localisation et le volume de transactions réalisées par les commercialisateurs.
Dans ce domaine, l’immobilier de bureau a longtemps été présenté comme le meilleur placement à l’aune de son rendement (la somme des loyers perçus divisée par le montant d’acquisition du bien), supérieur à celui des autres types d’immobilier d’entreprise, les locaux d’activité et les entrepôts étant moins recherchés dans les années 2010. Seul l’immobilier commercial pouvait
rivaliser avec l’immobilier de bureau, en Île-de-France et dans les principales métropoles régionales, avant la crise sanitaire de 2020. Il est d’ailleurs assimilé à un produit de placement financier et présente un rendement en capital, comme cela a été analysé par Guironnet et Halbert (2018) ou Theurillat et al. (2014).
Face à cette hiérarchie des rendements et à l’hégémonie des commercialisateurs, des investisseurs et des promoteurs façonnant le marché de l’immobilier d’entreprise – en fonction de critères financiers plutôt que des besoins des entreprises utilisatrices –, les locaux des activités productives ont vite été considérés comme des produits de second ordre. Pourtant, les locaux industriels, artisanaux et d’entrepôts sont nombreux dans une région comme l’Île-de-France. Ils représentent près de 2 250 000 m² pour l’industrie et plus de 3 000 000 m² pour la logistique pour la période 2008-2016, d’après les données des permis de construire (Sitadel) du ministère de la Transition écologique diffusées par la CCI Paris Île-de-France. Le marché est même particulièrement dynamique en grande couronne francilienne. En revanche, sur les marchés métropolitains et les zones urbaines à forte concentration d’actifs et d’entreprises, les niveaux de prix pratiqués rendent plusieurs demandes foncières et immobilières insolvables.
Des intérêts économiques propres à chaque acteur
La demande foncière et immobilière pour les activités productives (artisanat, industrie, logistique de proximité, activité technologique et scientifique) obéit en outre à des objectifs communs aux activités tertiaires (bureaux et services aux entreprises, logistique et commerce) : le besoin d’un rendement locatif suffisant pour rentabiliser l’opération d’investissement ; la recherche de terrains pour devenir propriétaire et constituer un patrimoine pour l’entreprise ; la minimisation du risque financier en acquérant des terrains et des locaux offrant une garantie à la revente (qualité et notamment performances environnementales du bâtiment, proximité d’infrastructures routières ou de transports en commun) ; la capacité à mettre en œuvre un projet immobilier dans des délais maîtrisés ; et, pour finir, la recherche de terrains ou de locaux dans un contexte de raréfaction du foncier économique.
Chaque acteur (voir focus) est guidé par ses propres intérêts. Les entreprises utilisatrices cherchent à acquérir des locaux ou à faire construire sur un terrain qu’elles auront acheté préalablement. Les investisseurs acquièrent des immeubles en blanc ou des biens déjà loués dont ils vont évincer progressivement les occupants pour les relouer plus cher ensuite. Ils achètent ces programmes neufs avec des taux de rendement locatif plus faibles (de 5 % à 3 %) et pour une valeur locative moyenne de 50 €/m². En revanche, tous ces acteurs s’entendent pour préciser que la demande foncière et immobilière pour des locaux d’activités industrielles ou artisanales a progressé depuis 2018, en raison d’un mouvement de réindustrialisation, de la raréfaction du foncier économique et de l’essor de nouvelles activités qui arrivent à s’insérer dans un tissu urbain dense.
Certains promoteurs ajoutent que « les collectivités sont friandes d’immobilier productif mais chassent les entreprises à travers les comportements et les pratiques qu’elles adoptent. Elles ne se sont pas rendu compte que les activités industrielles ont souvent les moyens financiers pour payer plus cher des terrains bien situés et qu’elles n’accordent pas d’importance à l’intégration urbaine. »
Les commercialisateurs doivent aussi rechercher des locaux en fonction d’une demande parfois volatile ou floue. « On a beaucoup de clients qui peinent à formuler leur demande et qui nous demandent de la reformuler ensuite, avec de plus en plus de demandes de réversibilité, de capacité d’évolution des espaces », confirment des commercialisateurs en immobilier d’entreprise.
Enfin, le marché des terrains et des locaux d’activité pour des activités productives tend à se financiariser en Île-de-France, avec l’arrivée de fonds d’investissement et d’investisseurs qui se reportent sur ce marché en délaissant l’immobilier tertiaire et commercial en raison des incertitudes nées sur ces deux segments depuis la crise sanitaire (essor prononcé du télétravail et du commerce électronique, évolution des comportements des consommateurs, difficultés financières des foncières privées, etc.).
Des politiques territoriales de plus en plus coercitives
On observe au fil des entretiens un volontarisme affiché de la part des responsables publics locaux pour maintenir et attirer des entreprises industrielles. D’une façon générale, les territoires sont attentifs aux besoins de ce secteur et ils tentent d’insérer les activités productives au sein d’écosystèmes à leur service afin de séduire les entrepreneurs. Dans le territoire BNS par exemple, des plateformes de services aux entreprises sont mises à disposition autour de plusieurs projets industriels, et des polarités sont développées près des transports en commun. Nonobstant, ce volontarisme se traduit par un durcissement des propos à l’égard des entreprises du secteur productif, comme si prioriser ces activités revenait à prescrire plutôt qu’accompagner. Nos interlocuteurs assument une politique plus coercitive envers les entreprises, qui se traduit par une série de contraintes et un interventionnisme assumé des collectivités. La négociation permet toutefois de desserrer les contraintes, dans le cadre de l’application des lois (voir plus loin « Des contraintes urbanistiques, paysagères et environnementales plus ou moins négociées »). Mais, si le respect des référentiels de l’action publique peut s’évaluer au cas par cas, d’autres contraintes liées à la production ou relatives aux normes de sécurité des installations (ICPE) ne relèvent pas de ce registre et s’imposent aux entreprises.
L’usage du foncier face à la priorité environnementale
Concernant le foncier d’abord, certaines agglomérations dessinent une offre foncière grevée de contraintes qui sont autant de filtres à l’accueil des activités productives ou à leur agrandissement. Le territoire impose une offre qui peut aller jusqu’à prescrire des formes architecturales (comme le fait l’établissement public foncier régional Epora sur VRA). Le dirigeant d’une entreprise familiale de construction explique ainsi comment il a dû recourir à un cabinet d’architecte pour le conseiller et faire l’étude des locaux. Il a dû modifier quatre fois le permis de construire avant de le déposer, puis il a attendu la réponse pendant quatre mois. Il a l’impression d’avoir fait l’objet d’un audit de la part de la mairie, de VRA et de l’architecte conseil. En outre, en zone détendue, hors grandes métropoles, la disponibilité du foncier confère aux territoires des marges de manœuvre supplémentaires. C’est le cas du territoire VRA. Cependant, les documents d’urbanisme (dont le PLUi en cours ou déjà révisé) présentent la préservation de l’environnement comme une priorité et la densité comme un moyen pour y parvenir. À VRA, le volontarisme politique en la matière est clairement assumé : réduction des surfaces proposées de 2 800 m² à 1 800 m², obligation de construire en limite de parcelle en mutualisant les accès, instauration de normes environnementales (10 % d’espace vert, photovoltaïque, etc.).
Une pratique en développement : l’imposition d’un promoteur
Le « monopole sur le foncier » dont elle bénéficie, avec des « clients de plus en plus captifs », permet à l’intercommunalité d’imposer le choix du promoteur. Cette exigence est perçue comme une forte contrainte par les entreprises interrogées dans les territoires Est Ensemble et VRA : « [Nous étions] obligés de passer par un promoteur car la société d’économie mixte empêche l’achat direct. Or, le promoteur savait faire des bureaux mais pas vraiment une coque pour une usine frigorifique », raconte le dirigeant d’une société située en Île-de-France.Pourtant, cette pratique se répand : un écosystème local fort est entendu comme un ensemble d’acteurs, de professionnels avec lesquels la collectivité peut et choisit de travailler. Et s’appuyer sur un seul promoteur lors de l’aménagement d’une zone est pour elle un gain de temps et d’énergie. Éviter la logique des confettis est aussi un gage de confort pour les opérateurs et leurs donneurs d’ordre.
De la sélection des entreprises à leur éviction
De la même manière, la sélection du type d’activité souhaitée et souhaitable peut surprendre mais, en réalité, elle traverse en filigrane tous les discours. D’une mandature à l’autre, les élus imposent leur vision des activités économiques devant être accueillies en priorité : cela peut être pour afficher une marque, une spécificité territoriale (VRA pour La Cartoucherie13 et le film d’animation ; Est Ensemble où les arts, le design et le numérique ont éclipsé les activités productives) ou, plus rarement, pour maintenir une tradition industrielle, une main-d’œuvre spécialisée. À la volonté politique s’oppose la fragilité de ces priorisations dans le temps ; un changement de majorité ou de nouvelles priorités gouvernementales (réindustrialisation par exemple) peuvent renverser les priorités et favoriser de nouveaux profils. « Si l’entreprise ne correspond pas à un parcours politique local, c’est compliqué », confirme un représentant d’une collectivité du territoire VRA.
Sélectionner les activités en amont pour ensuite évincer celles qui ne correspondent ni au projet politique ni au projet d’aménagement de zone débouche naturellement sur des conflits, pouvant se solder par le recours à l’expropriation, particulièrement mal vécue par les entreprises. Déplacer une activité déjà implantée, au risque de fragiliser l’écosystème de la collectivité, est un risque que cette dernière accepte parfois de prendre, au nom de ses prérogatives et de sa compétence en matière d’aménagement de l’espace, ou pour assurer l’équilibre financier de l’ensemble de l’opération14.
Cela étant, la mise en œuvre de ces politiques locales n’est pas la seule explication à l’éviction des activités productives. Au regard de la lourdeur des procédures, tant pour la collectivité que pour l’entreprise, il ne fait guère de doute que d’autres paramètres entrent en ligne de compte. Plus sûrement, nous sommes en présence de deux mondes mus par des objectifs, des référentiels, des cultures éloignés. Ils ne s’opposent d’aucune façon, ils s’inscrivent simplement dans des temporalités discordantes.
Comment les intercommunalités connaissent-elles les besoins des industriels ?
D’après les entretiens que nous avons menés et les travaux que nous avons pu consulter, la demande des entreprises est appréhendée de trois façons différentes par les collectivités. D’une part, des contacts directs sont établis par les services économiques et les élus des collectivités territoriales. D’autre part, des enquêtes sont réalisées auprès des entreprises, par les organismes consulaires notamment. Enfin, des relations sont établies par les collectivités territoriales avec les instances professionnelles chargées de représenter les entreprises ou par des observatoires de l’immobilier d’entreprise.
Les contacts directs avec certaines entreprises permettent de recenser dans des bases de données les besoins fonciers et immobiliers, l’existence de projets de développement ou encore les risques de délocalisation. En nouant des relations privilégiées avec certaines entreprises, les collectivités peuvent s’adresser régulièrement à elles ainsi qu’aux associations et fédérations locales qui les représentent de manière générale (représentations locales du Medef), par secteur ou branche d’activité (UIMM) ou encore par taille (CPME). Ces dernières les renseignent sur les besoins fonciers et immobiliers des entreprises à un instant précis, mais ne constituent pas une source représentative de ces besoins dans la plupart des cas. Les collectivités peuvent aussi les consulter à l’occasion de la révision des documents d’urbanisme (PLU) et dans le cadre de la concertation préalable à des projets d’aménagement (ZAC). Dans cette forme de dialogue, la demande restera forcément partielle mais elle apporte des informations indispensables aux collectivités pour calibrer leur dispositif d’intervention et d’animation sur leur territoire, dans le champ du développement économique comme dans les domaines de la voirie et de la gestion de l’espace public ou encore de l’urbanisme et de la délivrance des permis de construire.
La connaissance de la demande peut s’avérer très précise dès lors qu’une enquête a été menée et que les questions sont posées directement aux dirigeants des entreprises concernées. Nous avons identifié des enquêtes de ce type dans quelques territoires de France métropolitaine (Chambre de métiers et de l’artisanat Gironde et Bordeaux Métropole, 2016 ; Observatoire régional du foncier en Île-de-France, 2018 ; Chambre de commerce et d’industrie Lyon Métropole Saint-Étienne Roanne, 2018).
Quelques institutions ont enquêté sur la demande foncière et immobilière des entreprises, afin de mieux cerner les besoins mais aussi les risques liés à une couverture partielle de ces mêmes besoins ou encore les risques de déclassement de terrains à vocation économique dans les documents d’urbanisme. Ces enquêtes émanent, à notre connaissance, essentiellement des chambres consulaires (chambre de commerce et d’industrie, CCI, et chambre de métiers et de l’artisanat, CMA) mais pas directement des collectivités territoriales, même si elles en sont partenaires.
« Le temps de la ville n’est pas celui de l’industrie »
Autre élément vécu comme une contrainte forte par nos interlocuteurs : les « délais abusifs » pour obtenir une autorisation en France, qui seraient liés à « une lenteur administrative consubstantielle ». Parce que les priorités de l’entreprise ont pu changer ou que son projet a pu évoluer, le risque est réel que soit constatée, à la livraison du programme, une nouvelle inadéquation à ses besoins. La complexification de la réglementation et l’inflation normative pénaliseraient d’autant l’entreprise française face à ses concurrents européens. Par exemple, « même si aujourd’hui un permis de construire peut s’obtenir en quinze jours », d’après le dirigeant d’une entreprise d’agroalimentaire, la réforme du permis de construire a compliqué la vie des constructeurs en créant de nombreuses catégories et en taxant fortement l’entreposage, rappelle un représentant d’une collectivité locale d’Île-de-France. La complexité de la réglementation sur les sites classés ICPE ralentit elle aussi les projets et ce quelle que soit la taille de l’entreprise à laquelle elle s’applique. Les entreprises jugent donc le temps de l’instruction des demandes incompatible avec l’urgence des situations qu’elles doivent gérer.
Pour cette raison, proposer des solutions à court terme serait alors un gage d’attractivité pour les collectivités où le foncier est encore disponible, comme à VRA : « À Valence, c’est plus simple qu’ailleurs ; contrairement aux zones plus riches comme Lyon, Valence sort le tapis rouge rapidement et la décision est rapide. Dans les agglos, c’est trop long », souligne un promoteur investisseur.
Si le jugement est sévère envers les collectivités accusées d’être les premières à faire partir les activités productives des villes, c’est oublier un peu vite la part de responsabilité qui revient aux entreprises. Par manque de temps, par incapacité à formuler une demande claire et pérenne, certaines admettent avoir abandonné leur projet et renoncé à se lancer dans une nouvelle recherche.
La mixité à l’épreuve du terrain
Si la raréfaction du foncier disponible et à urbaniser préoccupe depuis quelques années les aménageurs, la perspective de l’application de la ZAN devrait faire de la réduction des mobilités et du rapprochement des lieux de travail et des lieux de vie des objectifs encore plus prégnants. En cela la mixité fonctionnelle est parfois décrite comme une voie à envisager pour estomper les effets négatifs du zoning15, mais cela pose la question de la place des activités productives dans les politiques d’aménagement.
L’ambivalence des discours autour de la mixité
Du côté des collectivités, la question de la mixité est complexe et ne trouve pas de réponse unique. Elle existe déjà mais semble sérieusement menacée, d’après nos interlocuteurs, les anciens centres-villes des territoires franciliens étant soumis à une trop forte pression foncière. C’est bien d’une concurrence entre usages qu’il s’agit, entre les « reliquats » d’activités artisanales, les programmes de logements neufs et les activités commerciales ; et les friches et les vieux quartiers en réhabilitation en sont les lieux d’expression. Dans les territoires franciliens, la mixité est menacée dans ce que d’aucuns appellent le « tissu faubourien », où des PME-TPE se retrouvent en concurrence directe avec le logement.
En outre, certains interlocuteurs s’interrogent sur le maintien de l’activité industrielle là où elle a détérioré l’image d’un quartier, voire d’une ville : les nuisances (flux et pollution) auraient décrédibilisé des territoires fortement marqués par l’activité productive. On peut comprendre que, avant de réinscrire ces activités dans des territoires qui en ont déjà souffert par le passé, les élus fassent preuve de prudence.
Pourtant, la nécessité de développer la mixité fonctionnelle reste d’actualité dans le référentiel des politiques publiques. Elle est même fortement souhaitée par les collectivités. Tout se passe comme si, parce qu’il leur est de plus en plus difficile de la maintenir dans l’existant, il fallait impérativement l’imposer ailleurs (VRA/Est Ensemble). Dans l’existant, elle est conçue plutôt comme un moyen de favoriser la densification (voir Est Ensemble, chapitre 3) ou de remettre de l’industrie et de l’artisanat dans les centres des villes moyennes (voir VRA, chapitre 3). Lorsqu’il est question de zones peu denses, dans les espaces ruraux, la question se pose aussi : comment produire de la « multiactivité » en zone pavillonnaire, c’est-à-dire développer en milieu rural des activités économiques non bruyantes compatibles avec l’habitat ? Car, de toute évidence, la mixité fonctionnelle, en ville comme à la campagne, implique des nuisances rendant hasardeuse l’acceptabilité par les riverains.
Faut-il alors réinscrire les activités productives dans le tissu dense ou « mettre la ville » dans les zones d’activité ? Telle est la question posée par nos interlocuteurs. Envisager la coconstruction avec les habitants est une autre piste. Améliorer la qualité urbanistique des zones d’activité en est une autre, mais il nous est rapporté que les politiques ne s’y intéressent pas : est-ce parce que les entreprises se plaignent moins que les habitants ?
Un argument de poids encourage pourtant à privilégier la mixité fonctionnelle dans les opérations d’aménagement : le bilan. Le nécessaire équilibre financier du projet pousse en effet parfois à mélanger habitat et activités productives : en clair, le logement permet de sécuriser l’opération d’aménagement de l’ensemble. Toutefois, la loi NOTRe en complexifie la faisabilité. En effet, si la zone économique relève de la compétence de l’EPCI, ce dernier se doit de respecter le PLU si celui-ci interdit le logement dans la zone d’activité économique. C’est la commune et non l’agglomération qui supporte ce risque. Reste alors à modifier le PLU communal, afin que la garantie de l’opération ne repose pas sur un seul outil (l’établissement public foncier par exemple), et à convaincre la commune de l’intérêt d’un risque partagé pour équilibrer l’aménagement.
Les collectivités sont bien conscientes de la contradiction qui existe entre leur souhait de développer du foncier productif et les contraintes financières qui les obligent à les mêler à du bureau et du logement. « Le dogme de la mixité fonctionnelle pose de réelles difficultés aux territoires, qui peinent à répondre à des injonctions contradictoires. Sur le plan opérationnel, cela s’avère tout simplement impossible à réaliser. Si en plus on rajoute la ZAN… », explique un promoteur. « Ces critères de fonctionnalités poussent les entreprises à partir en deuxième couronne depuis une quinzaine d’années. Elles récupèrent des sommes conséquentes en vendant leur terrain à proximité de Paris et vont s’installer près d’une gare RER ou Transilien dans des locaux plus fonctionnels, moins coûteux, avec une fiscalité locale plus avantageuse et des élus locaux à l’écoute de leurs besoins, car plus disponibles. Elles y trouvent leur compte car elles récupèrent des indemnités d’éviction et vendent leur terrain pour en racheter un moins cher », poursuit-il.
La « proximité choisie » prônée par les entreprises
Pour les entreprises, l’équation est simple : moins de mixité activité-habitat équivaut à moins de problèmes. Une entreprise localisée sur une zone d’activité appartenant en quasi-totalité à une famille de propriétaires raconte : « Sur cette zone industrielle se sont développées des activités commerciales en B to C (business to consumer) qui généraient du trafic et du stationnement anarchique, ainsi que des circulations piétonnes sur le site même de l’entreprise avec tous les dangers que cela comporte. » La mixité est en effet un vrai problème pour beaucoup d’entreprises, selon deux des collectivités que nous avons interrogées (mais pas pour toutes : soit parce que l’entreprise est déjà installée dans une zone pavillonnaire ou mixte, soit parce que, fondamentalement, ce n’est pas un sujet pour elle). Lorsque l’unité de production est située en région parisienne, ce discours est plus modéré car tout éloignement du centre est préjudiciable. La mixité n’est donc pas un problème en soi si elle est bien gérée : avoir des commerces à proximité ne pose pas de problèmes si les espaces et les circulations sont bien séparés. La présence de services (commerces et restaurants) est même un atout pour la main-d’œuvre et les clients.
Cela n’empêche pas les entreprises de plébisciter les zones d’activité, en région parisienne comme à VRA. Leur crainte est d’être « rattrapées » par les habitations et de voir ce que d’autres ont observé autour de leur activité : l’arrivée de zones pavillonnaires à proximité. « Il ne faudrait pas que dans dix ans on nous dise : “Vous êtes le pollueur de produits chimiques ou autres”, alors que nous étions là avant ; il ne faut pas inverser la courbe », prévient un entrepreneur. Les commercialisateurs accompagnent ce discours. Vendre en ZAE est beaucoup plus facile qu’ailleurs : l’offre est claire et ciblée autour des seules activités économiques.
À la mixité fonctionnelle, les entreprises préfèrent un mélange d’activités productives, explique le représentant d’une collectivité : une proximité d’autres acteurs du secteur productif est souhaitée, et souhaitable, pour créer de nouvelles synergies en personnel et en services, voire pour envisager de l’économie circulaire, confirme une entreprise située sur le territoire BNS.
A contrario, la distinction entre bons et mauvais voisins productifs imprime leurs discours. Par exemple, comme le souligne une entreprise, il serait impossible qu’une activité alimentaire provoquant des fumées grasses s’implante n’importe où. « L’entre prise n’émet pas de nuisance, donc il n’y a pas de contrainte particulière, cependant nous ne souhaitons pas cohabiter avec un voisin bruyant ou polluant », confirme le dirigeant d’une entreprise de conception et de fabrication plastique. De façon plus générale, la mixité semble ne pas pouvoir concerner les activités polluantes ou classées ICPE.
L’argument « Not in my backyard (Nimby)16 » peut donc viser toutes les activités, tous les propriétaires, tous les usagers ; à une mixité imposée, les entreprises répondent par une proximité choisie.
Avec la zéro artificialisation nette comme horizon, quel avenir pour les activités productives ?
Par suite de l’inscription d’une limite à l’artificialisation des sols dans le Plan biodiversité de 2018, la loi Climat et résilience impose la réduction de 50 % du rythme de consommation d’espace à l’horizon 2031 et l’absence de toute artificialisation nette (la ZAN) des sols en 2050. Nos entretiens révèlent des positions attendues sur ce sujet de la ZAN : les territoires, logiquement, le portent et l’intègrent déjà dans leurs projets, les commercialisateurs et les promoteurs le redoutent, et les entreprises l’intègrent peu dans leurs réflexions.
Les territoires comme VRA, où l’espace n’est ni rare ni trop cher (par rapport aux métropoles lyonnaise et grenobloise), peuvent envisager de nouvelles constructions, en conformité avec le référentiel de la ZAN, qui impose de prévoir davantage de constructions en hauteur (deux étages, avec les activités productives en rez-de-chaussée et les bureaux au-dessus). En outre, les disponibilités en foncier autorisent encore la réalisation de constructions neuves.
Les intercommunalités franciliennes, elles, abordent autrement la question de la ZAN. Parce que tout est déjà urbanisé ou presque, elles constatent d’abord que l’augmentation des prix s’explique plus par l’arrivée des transports en commun que par la perspective de la ZAN, d’après nos interlocuteurs d’Est Ensemble. Elles observent ensuite une dynamique de construction en hauteur déjà amorcée : « Concernant la ZAN, on observe plus de constructions en hauteur, du travail sur l’existant et des projets de mutualisation », relève un technicien du service économique d’une intercommunalité.
Lorsque l’on interroge les commercialisateurs, leur raisonnement porte d’abord sur les coûts. En effet, même s’ils avouent ne pas bien connaître la ZAN, ils ont parfaitement intégré sa conséquence : la raréfaction du foncier, qui ne manquera pas de renchérir les coûts d’acquisition et de décourager un peu plus les entreprises qui le sont déjà, surtout si la tendance à la transformation et à la destruction des zones d’activité existantes se poursuit en zone dense. « L’inertie des projets d’aménagement n’aide pas : la collectivité et les propriétaires n’investissent plus. Par conséquent, la paupérisation des zones d’activité se généralise en attendant l’éclosion du projet urbain. Avant de densifier, il faut les préserver », explique un commercialisateur.
Où implanter les activités productives pour les opérateurs ?
Les opérateurs commencent à intégrer la contrainte de la ZAN et envisagent par exemple plus systématiquement le réemploi de foncier pour des usages productifs. Ils proposent aussi plus souvent des constructions en étage, même si on parle surtout de bureaux placés au-dessus des ateliers. Certains d’entre eux avouent être soumis à des contraintes déjà très fortes de la part des directions départementales des territoires (DDT) sur ce sujet.
Les opérateurs identifient les friches, lorsqu’elles existent, comme des ressources pour y réimplanter des activités productives dans le cadre d’opérations de recyclage. Ils avancent notamment l’argument que cela fait d’autant plus sens que ces sites souvent pollués nécessiteraient des niveaux de dépollution moindres que pour du logement et donc seraient moins coûteux à remettre sur le marché pour accueillir des activités productives.
Ils citent aussi la nécessité de cibler des espaces bien desservis et de créer des espaces très spécialisés de haute qualité. Cela peut aussi concerner les centres-villes pour des activités plus spécifiques (pépinières par exemple).
Par ailleurs, un phénomène encore embryonnaire est observé : les investisseurs sont à la recherche de rendements de substitution des loyers commerciaux, affectés par les crises du secteur. Cela pourrait bien accélérer, avec la ZAN, l’éviction des entreprises propriétaires de leurs usines. En particulier, les PME-PMI pourraient être « déshabillées » de leur capital retraite. « Désormais, avec la raréfaction du foncier, les sociétés cotées en Bourse considèrent le foncier comme un actif : [elles] achètent de gros volumes et donc cela va éjecter les PMEPMI ou les SCI propriétaires du local, qui n’auront plus de capital à leur retraite », déplore un commercialisateur. « L’incidence sur les loyers risque d’être très violente. Les industriels peuvent la supporter en Île-deFrance, mais il faudra des dispositifs pour inciter les propriétaires d’actifs vétustes à les libérer [freins fiscaux et de succession] », poursuit un autre commercialisateur.
Des voies alternatives à l’heure de la ZAN : la verticalité
Si la verticalité n’est pas encore inscrite dans le paysage industriel français, cela pourrait s’accélérer avec la ZAN.
Aujourd’hui, peu d’immeubles d’activité concernent les activités productives stricto sensu. Plusieurs entreprises témoignent que travailler en hauteur n’est pas possible car le poids des machines nécessiterait une portance au sol du premier étage très importante, et donc une structure particulièrement robuste, entraînant des coûts supplémentaires de construction. La contrainte réglementaire intervient également : « Quant à surélever le bâtiment, il y a des réserves plutôt techniques, mais surtout réglementaires : […] les hauteurs de bâtiments sont contraintes par la réglementation sur les monuments historiques », rappelle un entrepreneur. Les hôtels dits industriels, de la capitale en particulier, sont surtout remplis de professionnels qui n’exercent pas une activité productive. Il s’agit de bureaux d’ingénierie en économie de la construction, d’architectes et de maîtres d’œuvre. Ces hôtels présentent l’avantage de proposer des loyers très faibles (130 €/m² HT) alors que les loyers sont à plus de 500 €/m² dans Paris. L’exemple de Grand-Orly Seine Bièvre en témoigne : « À Grand-Orly Seine Bièvre, les locaux d’activité en étage seront destinés à des activités de service ou à des activités d’ingénierie mais pas à de l’industrie. Les cas sont rares et sont liés à des activités qui peuvent se contenter d’un espace restreint en raison du processus d’assemblage fondé sur des pièces de petite taille, comme la microélectronique », explique un commercialisateur.
Pour autant, la faiblesse de l’offre en matière d’immeubles d’entreprise ne relève pas forcément d’une demande inexistante, y compris de la part du secteur productif. D’aucuns y réfléchissent sérieusement pour l’avenir. Pour certaines entreprises, construire autrement, en hauteur, s’inscrit dans une démarche prospective face à la concurrence : « Dans notre configuration actuelle, ce n’est pas possible mais on y réfléchit pour la concurrence et pour se diversifier. » Pour d’autres, cette réflexion se fait dans une perspective d’investissement ou de stratégie patrimoniale : elles pensent à la « surélévation pour des bureaux supplémentaires ou pour louer à d’autres ».
En outre, certains process s’adaptent parfaitement à la verticalité, comme le montrent quelques exemples dans les pays voisins comme l’Allemagne ou les Pays-Bas : c’est le cas de la production de pâtes pour lesquelles, en Allemagne, il existe un process de fabrication sur quatre étages.
Verticalité : l’exemple de Mozinor à Montreuil
Mozinor est l’un des plus anciens bâtiments à vocation industrielle construit en hauteur. Il fait référence et nos interlocuteurs parisiens l’évoquent dès lors que la question de la verticalité est abordée. Sur un espace foncier de 28 400 m2, Mozinor offre 42 000 m2 de surfaces d’activités dont 18000 m2 de voiries intérieures (double rampe d’accès et parkings au centre de l’immeuble) sur cinq niveaux avec 43 cellules assez homogènes de 580 m2 en moyenne avec 5,30 m de hauteur sous plafond. Le site compte 500 emplois soit 178 emplois à l’hectare. Mozinor ne consomme que 3,2 ha de terrain, soit une empreinte foncière divisée par dix par rapport au projet initial.
Les loyers s’établissent entre 130 et 150 €/m2 et sont compétitifs au regard des locaux disponibles dans le secteur (160€/m2 HT et HC, soit 190€/m2 CC et TTC, d’après un commercialisateur) mais Mozinor présente des contraintes. Le bâtiment dispose d’une rampe à double sens mais les monte-charges qui s’y trouvent requièrent un gestionnaire sur place, alourdissant d’autant les charges liées à l’entretien. Il n’est pas confortable, dispose de peu de lumière naturelle et héberge des artisans qui, faute de mieux, préfèrent cette solution. Surtout, il revient à une SEM* publique de supporter des prix très bas.
* Les sociétés d’économie mixte (SEM) sont créées à l’initiative des collectivités territoriales et associent des capitaux privés (minoritaires) pour réaliser des opérations d’aménagement et de construction, et la gestion de services publics. Elles constituent des structures de portage financier, c’est-à-dire des structures permettant d’acquérir du foncier en le dissociant de la construction immobilière ou en lissant l’effort d’investissement dans le temps.
La verticalité ne séduit pas plus les financeurs, en particulier les banques. « La réalisation de locaux verticaux en étage ne correspond pas à la demande des entreprises aujourd’hui car ils sont 2,5 fois plus chers et les banques ne financent pas des projets de ce type quand un acteur leur soumet une proposition », souligne un commercialisateur. Pourtant, certains investisseurs franchissent le pas, comme à Pantin, où des projets voient le jour avec rampe d’accès. Mais l’effet inflationniste est immédiat, devenant vite discriminant pour beaucoup d’entreprises, contraintes de quitter les locaux pour d’autres moins chers.
Des contraintes urbanistiques, paysagères et environnementales plus ou moins négociées
Ces différentes contraintes urbanistiques, paysagères ou environnementales peuvent peser au cours des négociations qui ont lieu lors du transfert de la propriété foncière et immobilière. Pour une entreprise produisant du bois, le prix du foncier dans son projet de développement, soit 23 euros HT le mètre carré, représente 25 % des bénéfices. Mais ce prix n’a pas été déterminant dans les négociations avec la collectivité VRA. Les discussions ont davantage tourné autour des contraintes paysagères liées aux bâtiments, et de l’impossibilité de s’étendre comme l’entreprise le souhaitait, contraintes qui n’apparaissent pas dans le PLU de la commune : « J’aurais aimé plus de terrain. […] Les contraintes ne sont pas officielles, c’est dans le cadre de la négociation, […] ce n’est pas inscrit dans le PLU. […] C’est dur, car c’est beaucoup trop de contraintes dans le permis de construire. […] C’est le cabinet d’architectes choisi qui a négocié. »
Certaines entreprises vont négocier ces contraintes en faisant du chantage à l’emploi auprès des collectivités locales. Si bien que, selon Epora, dans la zone de Rovaltain, les entreprises ne paient pas le juste prix du foncier. Certaines d’entre elles ne respectent pas les contraintes architecturales et environnementales et ne paient pas cher le foncier car elles créent des emplois. « Les nappes de voitures et les créations d’emplois sont plus importantes que l’environnement ! », regrette Epora.
Et quand les entreprises respectent les contraintes, elles cherchent parfois à négocier des contreparties. Ainsi, une entreprise ne pouvant pas négocier les mètres carrés à construire ni choisir son promoteur a pu négocier avec VRA une contrepartie : des travaux d’isolation des nouveaux locaux, dans la zone d’activités où elle s’était installée.
Comment la valeur économique du foncier est-elle définie ?
La valeur économique du foncier et de l’immobilier est fonction du marché, de la rareté ou non du foncier dans le diffus, mais également des décisions publiques, de la capacité financière et du type d’activité des entreprises. Cette valeur est souvent négociée.
À Valence Romans Agglo par exemple, le prix du mètre carré en ZAE est fixé par la collectivité et est différent d’une zone à l’autre. Dans la ZAE d’Alixan, le mètre carré hors taxe est de 80 euros, alors que, dans celle de Rovaltain, il évolue entre 30 et 50 euros. Dans les zones d’activité vierges comme celle de Bourg-de-Péage, le mètre carré est à 30 euros.
Autre exemple, en Île-de-France : une entreprise productrice de détecteurs de gaz souhaite acheter le bâtiment qu’elle loue, ainsi qu’un peu de terrain pour aménager un parking. Le prix proposé est fonction, d’une part, des prix pratiqués dans le quartier (qui a une fonction économique) et, d’autre part, des prix affichés dans les agences immobilières. Dans ce cadre-là, le prix doit tenir compte des loyers payés sur plusieurs années, et des travaux de rénovation énergétique, d’isolation et de climatisation réalisés par l’entreprise. D’ailleurs, dans le bail, il est prévu que, si l’entreprise se rend acquéreur, les travaux effectués ne seront pas pris en compte pour ne pas augmenter le prix du bien. L’entreprise ne négocie pas ce prix toute seule, elle s’appuie au contraire sur une agence immobilière spécialisée.
Le prix de l’immobilier peut être discuté en fonction de l’activité. Un bâtiment ne vaut rien « en soi » ; ce sont l’activité qui y sera développée et l’architecture rendant l’activité possible ou non qui permettront de fixer le prix. « La question qui se pose, c’est : “Qu’est-ce qu’on va y mettre dedans?” Dans la pharmacie, le prix grimpe, dans le transport, c’est différent », explique un commercialisateur.
Les prix des loyers, quant à eux, peuvent être fixés en fonction du taux d’effort des entreprises et négociés entre l’acteur bailleur et les entreprises futures utilisatrices. Ainsi, un opérateur explique que, si l’achat du foncier est cher et que l’entreprise est prête à le payer, le loyer sera plus élevé. Si le local proposé est brut, le bailleur sera plus enclin à négocier le prix des loyers. Il peut proposer une gratuité des loyers les premiers temps, des loyers progressifs, des services avec prise en charge des travaux d’aménagement, par exemple.
- 10. Les intercommunalités ont comme objectif l’exercice de compétences qui dépassent les frontières communales. Historique- ment, elles ont été créées pour gérer les réseaux d’eau et d’électricité.
- 11. La demande placée est une demande qui a trouvé son offre ; elle s’oppose ainsi à la demande de biens immobiliers non satisfaite.
- 12. La loi Climat et résilience impose la réduction de 50 % du rythme de la consommation de l’espace en 2031 et l’absence de toute artificialisation nette (ZAN) des sols en 2050. L’artificialisation nette désigne un solde entre les sols artificialisés et les sols renaturés sur un périmètre et une période donnés égal à zéro.
- 13. La Cartoucherie de Bourg-lès-Valence est un ancien ensemble architectural industriel, d’abord usine textile, puis cartoucherie nationale, qui abrite aujourd’hui diverses entreprises consacrées à l’image, au cinéma et à l’animation.
- 14. Ces exemples, marginaux à l’échelle de notre étude, touchent en priorité les territoires sous tension foncière des première et deuxième couronnes parisiennes.
- 15. Le zoning, ou zonage, est le cadre réglementaire qui organise la répartition des fonctions dans l’espace selon le site Géoconfluences.
- 16. Cette expression appliquée à l’industrie désigne le fait que des personnes soient favorables à la réindustrialisation tout en s’opposant à l’implantation d’usines à côté de chez eux (peut se traduire par « pas dans mon jardin » ou « surtout pas chez moi »).
FOCUS – Comment se négocient le foncier et l’immobilier d’entreprise ?
La négociation est une « activité qui met en interaction plusieurs acteurs qui, confrontés à la fois à des divergences et à des interdépendances, choisissent (ou trouvent opportun) de rechercher volontairement une solution mutuellement acceptable » (Dupont, 1994) ou « un dialogue centré sur un problème à résoudre et visant une décision conjointe » (Stimec, 2011). Dans ce cadre, l’objectif est de réaliser une série d’échanges de points de vue autour de divers sujets tels que la valeur foncière et immobilière, la surface des terrains et des locaux, l’accessibilité du site pour les salariés et les transporteurs de produits, les contraintes urbanistiques, environnementales et paysagères… La négociation vise aussi à faciliter des interactions sociales entre acteurs qui, au départ, sont liés par ces questions – mais qui ont des représentations différentes à leur égard (Duarte, 2015) – pour aboutir à un accord, notamment sur la valeur, les coûts, les charges et les contraintes admissibles.
Les processus de négociation peuvent être bilatéraux ou multilatéraux, et linéaires ou circulaires. Dans ces processus de négociation, la multiplication des acteurs intermédiaires et des « moments » d’échanges a divers effets sur le transfert du foncier et de l’immobilier des activités productives. Un des premiers effets est que ce sont ces moments de négociation intermédiaire qui déterminent le prix final du foncier et de l’immobilier des activités productives. Plus il y a d’acteurs intermédiaires, plus il y a de marges financières pour ces acteurs, plus le prix final augmente. Ensuite, une déconnexion s’amplifie entre l’offre et la demande foncière et immobilière des activités productives. Les entreprises futures utilisatrices sont de plus en plus tributaires des intérêts des acteurs intermédiaires et ne sont pas sûres d’être les destinataires finales de l’offre foncière et immobilière. Enfin, la tendance des acteurs publics à déléguer ou à se dessaisir du foncier et de l’immobilier des activités productives au profit d’autres acteurs, notamment des investisseurs, peut favoriser la financiarisation progressive du foncier et de l’immobilier productif (NappiChoulet, 2013).
La négociation sans intermédiaire
Le premier processus de négociation dans le transfert de la propriété foncière et immobilière est linéaire, avec d’un côté l’entreprise propriétaire du foncier et de l’immobilier, privée ou publique, qui vend ou loue, et, de l’autre côté, l’entreprise d’activité productive, future utilisatrice de la propriété foncière et immobilière. La négociation est classique, sans dispositif particulier, spontanée, et a lieu à un seul « moment ». Ainsi, à VRA, par exemple, une entreprise de production de pâtes alimentaires négocie régulièrement avec les propriétaires voisins l’achat de terrain pour s’agrandir. Les négociations sur les valeurs économiques peuvent être plus ou moins longues. Quand il n’y a pas d’urgence pour l’entreprise, qu’elle n’est pas en phase de développement, et que le propriétaire vend très cher son terrain, l’entreprise prend du temps pour négocier le prix. Quand l’entreprise se développe, qu’il faut trouver du foncier rapidement, elle ne négocie pas et achète au prix proposé.
Autre exemple dans le territoire d’Est Ensemble, un fabricant de pompes centrifuges, entreprise créée en 1962, est implanté sur trois sites, à Bagnolet, à Aix-les-Bains et à Fontenay-le-Comte. Le propriétaire du terrain de Bagnolet, un prince arabe, louait à l’entreprise son bien sans l’avoir jamais vu. Il a souhaité lui céder le terrain en deux tranches : la première en 2000, sur le terrain de laquelle l’entreprise avait installé son atelier d’usinage, et la seconde tranche un peu plus tard. Les discussions sur le transfert de propriété se sont faites directement entre l’entreprise locataire et le propriétaire. Cet exemple montre que les transferts peuvent même se faire sans que les entreprises aient à déménager.
La négociation avec un ou plusieurs intermédiaires
Le deuxième processus de négociation, également linéaire, est plus complexe. Entre le propriétaire privé et la future entreprise qui achète ou qui loue, il y a des acteurs intermédiaires tels que les collectivités locales, les promoteurs, les investisseurs ou les commercialisateurs qui peuvent aussi négocier entre eux. Cela multiplie les moments de négociation bilatérale.
Deux moments de négociation
Il y a généralement deux moments de négociation. Le premier se déroule entre le propriétaire, qu’il soit privé ou public, et un acteur intermédiaire (promoteur, commercialisateur, investisseur ou collectivité locale). À Valence Romans Agglo, nous avons l’exemple des échanges entre un propriétaire foncier et immobilier privé et un promoteur. Ce dernier négocie le foncier et l’immobilier pour le vendre ou le louer auprès d’un futur prospect acheteur ou locataire. La négociation porte sur le prix et sur le coût de travaux éventuels pour adapter les locaux.
Les propriétaires publics, comme les collectivités locales ou les institutions publiques, peuvent également faire appel à des promoteurs ou à des investisseurs pour commercialiser leurs biens fonciers ou les vendre. Ainsi, à VRA, la société d’économie mixte In Situ, qui représente l’intercommunalité, discute avec des promoteurs et des investisseurs les prix de vente et de location du foncier et de l’immobilier.
Le deuxième moment de négociation se tient entre l’acteur intermédiaire et la future entreprise utilisatrice. Par exemple, en Îlede-France, une entreprise fabriquant des tunneliers veut racheter un crédit-bail. Elle sera propriétaire en 2023 et revendra dans cinq ou dix ans, sauf s’il y a un développement de nouvelles activités. Pour cela, elle a contacté deux promoteurs, CBRE et BNP Parisbas immobilier, qui lui ont fait des propositions pour l’accompagner dans sa démarche. CBRE lui a même proposé de se délocaliser et d’acheter 1 200 m² de stockage et 300 m² de bureaux sur un terrain de 3 000 m² pour 1,6 million d’euros. Depuis, l’entreprise est régulièrement sollicitée par ces deux promoteurs qui souhaitent racheter le site, lequel est encore rentable.
Il y a aussi des négociations entre des investisseurs et les futures entreprises utilisatrices. Ainsi, dans le territoire de BNS, une entreprise de céramique s’est d’abord installée à Clichy et a négocié avec un bailleur privé, Intencity, une parcelle de 10 000 m² à 50 €/m², en s’engageant sur trois ans. Puis, elle a discuté avec un nouveau propriétaire, Novaxia Investissement, à qui elle a loué de manière temporaire un autre site à Clichy avant démolition. Enfin, elle a intégré un nouveau lieu à Colombes grâce à ce même investisseur.
Dans ce processus, les propriétaires et certaines entreprises futures utilisatrices font le choix de passer par des acteurs intermédiaires. D’autres futures entreprises utilisatrices ne font pas ce choix et les acteurs intermédiaires sont imposés par les propriétaires.
Quand un acteur public intervient dans les négociations
Parfois un acteur public – une collectivité locale ou une institution parapublique telle qu’une société d’économie mixte, un établissement public – intervient dans les négociations. Quand l’acteur public est une intercommunalité qui a la compétence de développement économique, il y a en parallèle ou au préalable un moment de négociation entre la ou les communes et l’intercommunalité. Dans la plupart des territoires observés, les acteurs publics interviewés ont peu parlé des négociations entre les intercommunalités et les communes. Toutefois, à VRA, alors que l’intercommunalité est compétente en matière de développement économique, et assure la création, l’entretien et la requalification des 57 ZAE intercommunales et des friches industrielles rachetées, on apprend qu’il y a des discussions entre l’intercommunalité et les communes autour de projets de reconversion. Ainsi, sur le site de La Cartoucherie, ex-friche industrielle, la commune de Bourg-lès-Valence exerce un droit de regard sur la composition du projet d’aménagement et a pu, en mobilisant son PLU, s’opposer à la mixité proposée par l’agglomération.
Concernant les négociations entre propriétaires et intercommunalité, les expériences sont diverses selon les territoires. À VRA, la collectivité a mis en place, depuis septembre 2021, un acteur qui la représente sur le territoire : une SEM. Celle-ci achète des terrains et des locaux auprès de propriétaires privés, mais aussi auprès de la collectivité, et les loue. Elle devient propriétaire bailleresse et représente la puissance publique dans les négociations.
À BNS, les entreprises peuvent vendre leur terrain à une SEM, qui se charge par la suite de la démolition, de la dépollution, des raccordements aux réseaux et de la revente foncière.
À Est Ensemble, les acteurs ne parlent pas en détail des transactions foncières entre les entreprises propriétaires et les collectivités locales, mais expliquent que les négociations ne sont pas favorables aux entreprises qui vendraient leur terrain. En effet, ces dernières ne bénéficient pas d’incitations fiscales lors de leur relocalisation dans des bâtiments en location et en cas de vente de leur terrain. Elles sont même imposées en raison de l’absence de réinvestissement du montant de la transaction immobilière. Beaucoup de propriétaires préfèrent vendre leurs locaux pour réaliser une plus-value et parfois déménager ailleurs. Il arrive même que des entreprises demandent aux maires de faire évoluer leur PLU pour y faire du logement.
Enfin, concernant les négociations entre acteur public et future entreprise utilisatrice, là aussi les témoignages révèlent des approches très variées.
À VRA, par exemple, l’entreprise de l’économie sociale et solidaire Archer travaille avec les villes et avec l’intercommunalité toutes les semaines. Ainsi, la ville de Romans a été un interlocuteur, notamment quand l’entreprise a poussé certains fabricants de chaussures à se regrouper sur un même lieu. Elle a discuté avec la ville pour permettre l’implantation de cette Cité de la chaussure en centre-ville, à côté du site de Marques Avenue, et a racheté un terrain appartenant au Conseil départemental de la Drôme et à un hypermarché pour y installer les activités de production et de vente de chaussures.
Dans le territoire de BNS, une entreprise fabriquant des composites a dû déménager car elle était expropriée à la suite des travaux du Grand Paris. Elle s’est installée il y a quatre ans dans une ZAE. L’entreprise a trouvé seule son local, qui correspondait à ses besoins, mais elle a discuté les conditions de son installation avec les services économiques de la ville de Gennevilliers.
Certaines entreprises ne s’adressent pas directement à la collectivité ; elles sont envoyées vers elle par d’autres acteurs intermédiaires. Ainsi, des commercialisateurs comme Axite CBRE adressent des entreprises à la recherche de foncier et d’immobilier à des acteurs publics qui achètent des biens et aident financièrement les collectivités dans leurs opérations. Ces acteurs parapublics les renvoient vers les collectivités locales. Des organisations professionnelles comme la chambre de métiers et de l’artisanat et l’Union des industries et des métiers de la métallurgie (UIMM) font le lien entre les entreprises qui s’adressent à elles et l’agglomération. Ainsi, un fabricant de tôles qui cherchait un bâtiment d’au moins 2 000 m2 est passé par des promoteurs locaux tels que Arthur Loyd et CBR, et l’UIMM, qui l’ont renvoyé vers l’intercommunalité pour négocier des locaux directement avec elle.
Dans certaines situations, les collectivités locales ne négocient pas directement avec les futures entreprises, elles peuvent néanmoins les aider, servir de relais entre elles et les propriétaires. Ainsi, en Île-de-France, les deux acteurs fondateurs d’une entreprise de compostage de déchets alimentaires ont créé leur premier site sur la pointe nord de la commune de L’Île-Saint-Denis, sur une ancienne plateforme de stockage de déchets. C’est le maire de la commune qui a servi d’intermédiaire entre cette entreprise et l’association Halage, laquelle cherchait à végétaliser la parcelle et avait besoin de compost. Une convention d’occupation temporaire de dix ans, sur une friche non viabilisée, non constructible, en zone Natura 2000 a donc été signée. Toute la production de biodéchets a été utilisée sur place. De même, l’EPT Est Ensemble joue un rôle d’intermédiaire en intervenant notamment par le biais de commissions de contrôle ou en encadrant les transactions.
Quand les intermédiaires se multiplient
Ce processus de négociation peut se complexifier, avec l’intervention d’autres acteurs intermédiaires tels que les promoteurs, les contractants généraux, les commercialisateurs ou les investisseurs, qui peuvent négocier entre eux avant de négocier avec la future entreprise utilisatrice.
Ces négociations préalables peuvent ainsi s’engager entre, d’un côté, les services d’urbanisme de la ville, les services économiques des intercommunalités ou des institutions parapubliques et, de l’autre, les promoteurs, les investisseurs ou les commercialisateurs. Ainsi, à Valence Romans Agglo, dans les ZAE, les services économiques de l’intercommunalité négocient avec des promoteurs, des contractants généraux, des investisseurs ou des commercialisateurs la nature du foncier et de l’immobilier, leurs fonctions et leurs usages. Ils imposent des contraintes urbanistiques, environnementales et paysagères et le prix du mètre carré. Enfin, ils discutent et mettent en concurrence des promoteurs ou des commercialisateurs comme Arthur Loyd, CBR ou Bicem pour le rachat du foncier et sa revente ou sa location.
Un promoteur, qui travaille avec des particuliers et quelques entreprises et propose de l’immobilier dans l’ancien, témoigne de ces discussions avec l’agglomération, les communes et leurs architectes conseils : « On a eu des demandes sur des zones précises afin d’implanter 5 000 m2 et on avait sollicité Valence Romans Agglo pour savoir s’ils avaient du foncier, mais ils n’avaient pas ce qu’il fallait […]. Valence Romans Agglo est très ouverte ! […] C’est bien d’avoir Valence Romans Agglo qui a une vraie maîtrise du métier ! […] À Romans, ils ont leurs architectes conseil, donc on passe directement par eux, ils sont à même de donner les réponses. »
À BNS, l’investisseur commercialisateur interrogé répond à des appels d’offres des communes, et se voit contraint de respecter les cahiers des charges qui favorisent des opérations à faible risque. Quant à l’opérateur, il définit les besoins des entreprises, en les écoutant, et élabore avec les communes des cahiers des charges portant, entre autres, sur la taille, la surface, les nuisances, l’accessibilité, le stationnement. Cette SEM cherche ensuite, parmi toutes les opérations en cours, celle qui correspondrait le mieux à la demande de l’entreprise et travaille avec des commercialisateurs.
À Est Ensemble, lors du déménagement d’une entreprise d’agroalimentaire, dès les premiers contacts, la mairie et la SEM Séquano tombent d’accord sur le maintien de l’entreprise sur la commune, même si la SEM souhaitait un déménagement le plus vite possible. Les recherches de terrain par l’acteur public vont durer deux ans environ. Après une première proposition jugée non pertinente par l’entreprise, OP2 propose un ancien terrain appartenant à Sanofi pour accueillir la future usine. La dépollution du terrain est nécessaire et significative : un retraitement de la terre sur 1,5 mètre de profondeur durant quatre à cinq ans. La SEM impose des règles de construction aux promoteurs. Après sélection du promoteur, les nouveaux locaux sont construits et commercialisés en vente en l’état futur d’achèvement (VEFA)17. Il s’agit d’une coque en béton dans laquelle l’entreprise réalise son usine frigorifique. Le coût de l’investissement est de 6 millions d’euros pour une surface de près de 2 000 mètres carrés, ce qui représente 1,5 fois la surface de l’usine initiale. C’est un investissement important représentant deux fois l’indemnité d’éviction versée à l’entreprise.
Les négociations peuvent aussi se faire entre les investisseurs et les promoteurs commercialisateurs. À VRA, les investisseurs placent dans les locaux d’activité car, sur le territoire, c’est rentable et il existe très peu de sociétés foncières. Parmi ces investisseurs, « il y a de gros industriels qui commencent à acheter pour eux, qui placent leur argent en achetant à côté avec une capacité d’emprunt de 400 000 euros à 2 ou 3 millions d’euros, ou des constructeurs comme Bouygues car Lyon est saturé et que Valence est dynamique ».
Dans le secteur d’Est Ensemble, et plus généralement en première couronne parisienne, les acquéreurs de programmes immobiliers industriels sont aujourd’hui essentiellement des investisseurs privés (appelés foncières) qui se positionnent ainsi sur une classe d’actifs qui pourrait devenir rare. La carence de locaux d’activités déjà observée aujourd’hui a notablement fait augmenter la valeur des friches industrielles. Des grands groupes financiers spécialisés dans la gestion d’actifs immobiliers pourraient se positionner sur des bâtiments industriels. Dans ce contexte, les entreprises utilisatrices pourraient même à terme être évincées du marché de l’acquisition faute de pouvoir s’aligner sur des valeurs foncières qui ont significativement augmenté ces dernières années, suivant parfois un multiple de trois à cinq dans certains secteurs recherchés. Par exemple, dans un secteur où le foncier industriel se vendait autour de 110 – 120 €HT/m² dans les années 2010, une transaction a été observée autour de 700 €HT/m² en 2021 (sans changement de sa destination industrielle). Aujourd’hui, la hausse des taux d’intérêt a significativement ralenti la surenchère foncière et, après des années de hausse continue, les prix subissent même aujourd’hui des corrections assez fortes. Néanmoins, dans les zones tendues, l’intérêt des foncières pour les sites industriels reste intact. Ce sont en effet des gisements de constructions futures qui pourraient devenir de plus en plus rares s’il n’est plus possible de construire en périphérie urbaine avec la ZAN.
Les négociations encadrées
Plus rare que les deux précédents, le troisième processus de négociation est aussi moins linéaire et plus circulaire. Les négociations ne sont plus bilatérales, mais multilatérales, et raisonnées, car réfléchies et encadrées dans un dispositif mis en œuvre à cet effet.
Ainsi, en Île-de-France par exemple, des négociations multilatérales entre l’Agence nationale pour la rénovation urbaine (ANRU), des promoteurs, d’autres investisseurs, des collectivités et les futures entreprises utilisatrices ont régulièrement lieu. L’ANRU intervient particulièrement dans les quartiers labellisés quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPPV) en renouvellement urbain et gère un fonds de coinvestissement sur l’immobilier d’activité dans le cadre du Programme d’investissements d’avenir (PIA). Cet acteur discute, dans le cadre d’un projet de renouvellement urbain, à la fois avec des promoteurs, des coinvestisseurs (Groupama, Amundi…), des collectivités, des SEM qui vendent le foncier et les futures entreprises utilisatrices.
Dans le territoire d’Est Ensemble, il existe un exemple de négociation entre une entreprise bailleresse, un promoteur, une collectivité (Montreuil) et de futures entreprises utilisatrices. L’entreprise du secteur de l’économie sociale et solidaire propose une offre de services aux artisans qui souhaitent s’installer en ville. Elle loue des bâtiments ou les réhabilite, achète des machines pour les artisans et leur propose des formations sur le site. Elle discute avec tous ces acteurs et signe des contrats tripartites avec le promoteur et la collectivité. Dans le cadre de ces contrats, les négociations portent sur les prix de location, en y intégrant la possibilité offerte aux artisans de travailler pour le promoteur et de contribuer à certaines tâches prévues dans les chantiers de réhabilitation.
Dans certaines situations, les négociations multilatérales peuvent être raisonnées. Prenons le cas d’une entreprise installée dans l’hôtel d’entreprises Cap 18 au nord de Paris et locataire de la Ville de Paris depuis quarante ans. Cette entreprise doit déménager parce que les travaux du projet Charles de Gaulle Express18 menacent de couper le site en deux et d’entraver la circulation des semi-remorques. Face aux difficultés de communication entre SNCF Réseau et l’entreprise, la Ville de Paris a mis en place des réunions : une première réunion d’information a eu lieu, la deuxième réunion annoncée est restée sans suite, tout comme la troisième réunion. Dans le cadre de ces réunions, SNCF Réseau a mandaté un négociateur privé pour discuter avec l’entreprise et la ville. Une première recherche de locaux ou d’un terrain en première couronne et au nord de Paris s’est avérée infructueuse car les valeurs foncières sont trop élevées et la propriété foncière est très concentrée. Mais une deuxième recherche permet à l’entreprise d’envisager un déménagement à Roissy-en-France, avec le paiement de la rupture du bail, sans aucun dédommagement de la part de SNCF Réseau.
- 17. La VEFA est un contrat permettant à l’acquéreur de devenir propriétaire d’un bâti au fur et à mesure de sa construction.
- 18. CDG Express est un projet de liaison ferroviaire qui concerne la région Île-de-France, entre la gare de Paris Est, au centre de Paris, et l’aéroport de Paris-Charles de Gaulle.
Une offre dictée par des stratégies territoriales
L’offre foncière pour les activités productives présente des visages différents d’un territoire à l’autre, en raison non seulement de l’histoire économique et institutionnelle de chacun d’entre eux mais aussi des pratiques instaurées par les acteurs privés. Il en résulte un déséquilibre entre l’offre produite localement et la demande des entreprises industrielles et artisanales et du secteur de la logistique. Ces décalages sont le fruit de la pression foncière exercée sur chaque territoire et conduisent à une offre soit « résiduelle »19 comme à Est Ensemble, soit concentrée sur un périmètre restreint, soit très orientée par la collectivité au stade de l’aménagement. Ils sont aussi le reflet d’une offre qui se développe au prix de multiples contraintes, compliquant la mise en œuvre des discours proactifs et des orientations ambitieuses. Les EPT d’Est Ensemble et de BNS semblent engagés dans une course-poursuite visant à assurer un avenir aux activités productives, tandis que VRA est à la recherche d’un nouveau modèle tenant compte de la ZAN dans un contexte de forte croissance de la demande foncière et immobilière. Les offres proposées sur VRA, sur Est Ensemble et sur BNS expriment ainsi une volonté de maintenir les activités productives selon des ressources techniques (produits, partenariats, outils) et financières différentes.
Une gouvernance incomplète
Point commun aux trois territoires étudiés : aucun d’entre eux ne dispose d’un dispositif éprouvé de gouvernance du foncier et de l’immobilier qui intègre toutes les différentes « parties prenantes », leurs préoccupations et leurs stratégies. Toutefois, Boucle Nord de Seine est en train de mettre en place un schéma d’accueil des entreprises (SAE) qui est un exemple de système de gouvernance complète, c’est-à-dire un mode de gouvernance de l’action publique articulant les acteurs locaux (publics, privés), leurs logiques et leurs ressources, et permettant aux instances publiques de jouer des rôles différents pour « faire tenir ensemble » ces univers fragmentés (Gaudin, 2002 ; Le Galès, 2003). Un tel dispositif complet doit dresser un état des lieux des zones d’activité économique (ZAE) d’un territoire et définir une stratégie en faveur du développement économique. Il doit adopter une approche globale en considérant l’ensemble des parcs d’activité économique qui forment le portefeuille de l’offre d’un territoire et se différencie en cela des démarches classiques menées individuellement site par site, trop souvent sans recul ni hauteur. Conduit principalement à l’échelle intercommunale, il constitue une réponse stratégique aux enjeux liés aux parcs d’activités : être attractif et commercialiser efficacement, rendre plus lisibles et complémentaires les sites économiques, optimiser et densifier l’offre existante et produire de nouveaux fonciers de manière raisonnée face à l’impératif de réduction de la consommation foncière, etc. Le SAE est un document d’orientation stratégique qui cadre les réflexions futures et les décisions d’investissement. Il n’est en aucun cas contraignant et n’a pas de valeur réglementaire, contrairement au SCoT (schéma de cohérence territoriale) et au PLUi (plan local d’urbanisme intercommunal), que le SAE est d’ailleurs susceptible d’alimenter20.
En fonction des territoires, les acteurs publics développent des stratégies différentes. L’intercommunalité VRA développe une stratégie forte de maîtrise foncière, à travers le développement de 57 ZAE et la mise en place d’un service économique au sein duquel des agents sont chargés de gérer un petit nombre de ZAE ainsi que les relations entre la collectivité et les autres acteurs.
Les deux autres collectivités, celles des EPT de BNS et d’Est Ensemble, ont des difficultés à se structurer et à se doter de moyens humains et techniques pour maîtriser cette question. Sur ces deux territoires, l’offre foncière et immobilière reste privée, souvent gérée par des acteurs privés et ponctuellement par quelques acteurs publics – comme les SEM –, les communes tentant avec leur PLU de faire face à ces enjeux du maintien et du développement des activités productives. Ainsi, le territoire d’Est Ensemble est passé d’une offre foncière et immobilière « municipalisée » à une offre « résiduelle », et donc restreinte, mais adaptée aux besoins des activités productives. Dans le territoire BNS, l’offre foncière reste limitée dans sa géographie et portée par les acteurs privés.
Dans ces trois territoires, les différentes stratégies des acteurs, leurs relations et les ressources engagées ne sont donc pas intégrées dans des dispositifs de gouvernance gérés par des acteurs publics, elles se déploient tout au long des processus de transfert de la propriété foncière et immobilière. Au cours de ces transferts, la négociation entre acteurs semble se développer (voir focus précédent).
Est Ensemble : de l’offre municipalisée à l’offre résiduelle
Le territoire d’Est Ensemble est marqué par une offre en foncier et en immobilier d’entreprise historiquement forte, caractérisée par le bâtiment emblématique de Mozinor21 (voir chapitre 2) et par le développement de centres d’activité économique sur la commune de Montreuil dans les années 1980 et 1990. La politique des CAP (centres d’activité de pointe) à Montreuil a en effet permis de conserver un tissu industriel dans la ville puisque 32 CAP22 y ont été créés entre les années 1960 et 1990.
Aujourd’hui, l’augmentation de la pression foncière et des besoins en logement semble à l’origine de la perte de terrains à usage économique sur l’ensemble de l’intercommunalité (EPT). Aussi, reconstituer l’offre à la hauteur de la demande foncière et immobilière des activités productives demeure un défi pour la collectivité et les opérateurs publics ou privés. Il existe une offre foncière et immobilière adaptée aux besoins des activités productives comme l’illustrent les opérations récentes et en cours de réalisation : le programme d’aménagement d’ensemble (PAE) Innovespace dans la zone d’aménagement concerté (ZAC) de l’Horloge à Romainville, la mutation progressive du site du fabricant de batteries Saft à Noisy-le-Sec et Romainville, et l’émergence d’une offre foncière et immobilière privée. Pour autant, ces exemples constituent des éléments de réponse encore limités par rapport aux opérations d’aménagement engagées sur le territoire d’Est Ensemble, dans lesquelles le logement et les équipements publics occupent la majorité des surfaces programmées.
Par exemple, à Romainville, la surface de 51 hectares de la ZAC de l’Horloge est principalement consacrée au logement, aux bureaux et aux commerces23. Innovespace, qui représente l’espace dédié à l’activité productive de cette ZAC (voir section suivante), représente seulement 1,7 hectare24.
Est Ensemble : un territoire aux trois paysages
Le territoire d’Est Ensemble est marqué par sa topographie. Trois paysages façonnent son identité. « Au nord, sur la plaine, le territoire est le fruit de l’industrialisation du début du xixe siècle avec les grandes infrastructures que sont le canal de l’Ourcq, les réseaux ferrés et les routes nationales. Au centre, le Plateau, ayant connu une urbanisation plus tardive, du fait d’une tradition maraîchère et agricole plus importante […] . Enfin une urbanisation “faubourienne” a constitué la série des centres anciens qui pour la plupart jouxtent Paris […]; elle est remarquable par la diversité de ses bâtiments et l’imbrication de ses fonctions », peut-on lire sur le site du territoire. « Le projet de territoire d’Est Ensemble s’inscrit nécessairement dans la reconnaissance de cette histoire multiple», est-il ajouté.
Innovespace, un exemple de reconstitution d’une offre résiduelle sur Est Ensemble
Innovespace Romainville est un parc d’activités implanté depuis 2021 sur la ZAC de l’Horloge, projet de réaménagement urbain d’une ancienne friche de l’industrie pharmaceutique.
Le site a été racheté à Sanofi par Séquano Aménagement, la SEM de Seine-SaintDenis, à un prix inférieur au prix de marché car il était déjà délaissé depuis dix ans. De plus, les grandes surfaces se vendent moins cher au mètre carré que les petites. Séquano a ensuite vendu le terrain au promoteur francilien Alsei, afin qu’il y aménage le parc d’activités artisanales. La collectivité a apporté 15 millions d’euros pour boucler le financement du parc sur la ZAC. Alsei a développé le site puis l’a revendu à la société foncière privée Inéa, désormais propriétaire et gestionnaire du site.
Ce parc occupe 15 000 m² au sol et propose une surface de 8 920 m² avec des cellules de 510 m² au minimum, réparties en 11 lots offrant des ateliers en rez-de-chaussée et des bureaux en mezzanine selon un ratio 70/30. La hauteur sous plafond des ateliers varie de 4,50 m à 7,50 m. Les bâtiments ont une hauteur totale de 12 mètres environ. Le prix de location est de l’ordre de 150 €/m² par an. On compte 186 emplois sur le site, soit 124 emplois à l’hectare et 48 m² de surface construite par emploi. Le parc est déjà plein, il a connu un franc succès, notamment auprès des entreprises locales qui ont choisi de s’y relocaliser. La mairie de Romainville tente aussi d’y relocaliser les entreprises qu’elle doit déloger. Le parc accueille ainsi des entreprises aux activités variées, dont une entreprise de biotechnologie issue du parc Biocitech, un menuisier et les Boucheries de l’Île-de-France (BIF), la seule entreprise du site à être propriétaire de ses murs.
Reconstituer une offre par la mutation du foncier
Les activités productives sont globalement confrontées à deux obstacles de nature différente : le manque de terrains disponibles pour accueillir l’industrie et l’artisanat et la surface insuffisante des terrains disponibles pour y implanter ces activités. Ces obstacles – l’un étant plutôt de nature quantitative (ils sont peu nombreux car concurrencés par d’autres usages), et l’autre étant plutôt de nature qualitative (ils sont mal situés ou d’une taille ne correspondant pas aux critères recherchés par les entreprises) – sont capables d’empêcher les activités productives de se maintenir et de se développer.
Plusieurs exemples illustrent la volonté du territoire de pallier ces deux défauts, en reconstituant une offre dédiée aux activités productives grâce à la mutation du foncier25.
Le premier exemple est celui d’un site de 2,6 hectares, anciennement occupé par l’entreprise Saft, localisé dans le périmètre de deux ZAC distinctes – entre Noisy-le-Sec et Romainville – toutes deux gérées par Séquano. Ce site a été créé en 1919 par le fabricant de batteries, qui l’a quitté en 2000. Il a été alors revendu à un promoteur qui s’est contenté de louer les espaces à la découpe à des entreprises pour certaines encore en place. Le site a été enfin racheté en 2021 par l’EPF Île-de-France (EPFIF), venant ainsi étoffer l’offre foncière et immobilière de l’intercommunalité par rapport à sa stratégie d’accueil d’entreprises. Aujourd’hui le site est en phase de reconversion vers des activités de l’ESS avec de l’occupation temporaire. La ville de Noisy-leSec souhaiterait y créer un pôle recyclage de matériaux de construction avec une forte composante ESS, le tout sur 16 000 m², dont 12 000 m² à occuper. L’objectif est de conserver la vocation économique du site, sans projet précis pour le moment concernant l’aménagement. Le bail 3/6/9 des entreprises présentes est transformé en bail précaire (donc avec rachat de bail) avec une proposition de prix inférieurs de 30 % au prix du marché. Pour les espaces vacants, la volonté de la collectivité est de produire une offre immobilière ciblée conduisant à une sélectivité des entreprises. Un appel d’offres d’occupation temporaire a donc été lancé. Au total trente-cinq candidatures ont été reçues, et quinze d’entre elles seront finalement retenues. L’EPFIF se donne trois ans pour observer le fonctionnement du site et l’occupation des bâtiments avant de décider lesquels seront conservés et lesquels seront détruits.
D’autres fonciers ont déjà muté et offrent des surfaces variées qui sont rapidement occupées en raison de la rareté des locaux neufs sur un territoire dont la localisation est très attractive du fait de la proximité des infrastructures de communication (autoroutes, transports en commun) pour les fournisseurs, les clients et les salariés. Des acteurs privés se positionnent sur ces fonciers rares et proposent des projets immobiliers qu’Est Ensemble recherche : des parcs d’activités de taille modeste, fermés et gérés par des opérateurs privés, ce qui limite les frais d’entretien pour la collectivité et fournit une offre prête à l’emploi pour les jeunes entreprises. C’est le cas du parc de la Fraternité à Romainville inauguré en 2019 par AB group (Yuman Immobilier). Il héberge, au sein d’une pépinière, 27 entrepôts sur 5 900 m2 de terrain. Chaque entrepôt a une surface minimale de 200 m2 sur deux étages et 8,5 mètres de hauteur (100 à 150 m² d’atelier et de bureaux au-dessus), pouvant accueillir tout type d’activité (traiteur, BTP, parfumerie…). Les espaces sont loués à 115 €/m²/an.
Peu d’achats par les industriels : le signal d’une offre insuffisamment adaptée à leurs besoins
L’analyse des mutations foncières dans le territoire d’Est Ensemble parait confirmer le manque et l’inadéquation du foncier disponible pouvant intéresser les industriels.
Le marché des transactions fait état d’un dynamisme marqué pour les locaux tertiaires et commerciaux : sur un total de plus de 5 000 transactions entre 2010 et 2021, plus de 4 000 transactions concernent ces deux catégories de locaux contre 405 pour les locaux artisanaux et industriels, et encore moins pour les entrepôts. Malgré une attractivité inférieure aux secteurs prime (La Défense, Paris-quartier central des affaires, etc.), Est Ensemble enregistre des volumes de transactions majoritairement portées sur les bureaux en comparaison des trois autres segments traditionnels de l’immobilier d’entreprise. Sur le périmètre plus restrictif des ZAE (afin de limiter les interférences avec des mutations sur des logements), le résultat ne varie pas beaucoup : le nombre de mutations est évidemment plus faible (797), mais le nombre de mutations de locaux relatifs à l’industrie et aux entrepôts est toujours faible (89).
Cependant, si nous nous intéressons aux mutations ayant fait l’objet d’une transformation (nouveau local par renouvellement urbain ou extension de la surface de plancher), alors les locaux artisanaux et industriels et les locaux logistiques présentent un taux de transformation supérieur aux deux autres catégories de locaux (bureaux, commerces). En termes d’expression de la demande foncière et immobilière des entreprises, cela signifie que les surfaces acquises nécessitent des opérations de transformation pour que puisse s’y exercer une activité artisanale ou industrielle qui n’aurait pas été possible autrement. Une double contrainte semble peser sur les activités productives : la difficulté à acquérir des biens proviendrait non seulement de disponibilités foncières insuffisantes mais aussi de terrains ou de locaux peu adaptés aux besoins des entreprises.
Séquano développe aussi une opération sur la Plaine de l’Ourcq fondée sur le départ volontaire d’entreprises (Sanofi, MBK, Omo, Engelhart) qui se sont relocalisées ailleurs en Île-de-France ou ont fermé leur établissement. Il y a eu aussi des expropriations et des négociations à l’amiable avec d’autres entreprises qui représentaient des nuisances pour leur environnement urbain. Ces activités industrielles ont été remplacées par des programmes de logements et par des parcs d’activités de plus faible superficie. Il s’agit des parcs développés par Spirit (Noisy-le-Sec) et par Alsei (Romainville) qui comportent des cellules de taille modeste (de 500 à 1 500 m²) et plus souples en termes d’utilisation.
Enfin, des zones d’activité sont en attente de mutation, à l’image de la zone industrielle des Vignes à Bobigny. Aménagée dans les années 1970, elle devrait faire l’objet d’un projet de requalification encore à l’étude. Vaste zone d’activité, elle est aujourd’hui en déficit d’image et d’attractivité en raison de son ancienneté et de sa dégradation (manque d’entretien des bâtiments et des voieries, décharges sauvages, stationnement anarchique des poids lourds, etc.).
Boucle Nord de Seine : un territoire industriel à l’offre foncière limitée dans sa géographie
Une offre foncière très concentrée
Grâce à sa proximité avec Paris et à la voie de communication qu’offre la Seine, le territoire BNS a bénéficié après-guerre d’un fort développement industriel. Ce territoire est ainsi marqué à la fois par une forte identité industrielle sur le port de Gennevilliers et les zones d’activité de Villeneuve-laGarenne, et par une vocation plus résidentielle à Colombes, à Bois-Colombes ou encore à Argenteuil. Les tissus urbains sont hétérogènes, mêlant pavillons, cités-jardins, grands ensembles, tissus mixtes, grandes emprises industrielles en reconversion et bureaux. La concentration des entreprises industrielles dans ce secteur géographique, fruit d’un passé industriel riche, explique la concentration de l’offre foncière économique que les collectivités cherchent depuis plusieurs années à préserver, en dépit de la pression foncière exercée par les secteurs tertiaire et résidentiel.
Le portrait de territoire dressé par Faytre (2017) est éloquent de ce point de vue : « L’histoire urbaine et sociale de ce territoire est fortement liée à son passé industriel (Chausson, Hispano Suiza, Snecma…).
La concentration de l’offre foncière pour les activités productives pèse sur le dynamisme du marché
Au cours de la période 2010-2020, seules 115 transactions* ont été enregistrées sur le périmètre de Gennevilliers et de sa zone d’activité économique correspondant au port et à ses abords. Ces transactions sont essentiellement le fait de l’immobilier de bureaux et des entrepôts.
Après leur vente, ces locaux ont connu peu de modifications ou de transformations par la suite afin d’accueillir une nouvelle activité. Cette stabilité témoigne d’un marché peu dynamique car très contraint par la quasi-absence de possibilité d’extension ou par les délais inhérents à un recyclage foncier pour une entreprise qui préférerait investir ailleurs sans avoir à démolir, et dans des délais plus rapides.
Les transactions enregistrées hors ZAE sur la même période reflètent le poids des activités tertiaires et des bureaux dans le diffus de BNS et la quasi-absence de terrains à bâtir sur le périmètre de l’EPT, quelle que soit la destination envisagée. Les locaux pour l’artisanat ou l’industrie représentent un peu plus d’une centaine de transactions sur les dix années disponibles, ce qui confirme la rareté de ces locaux par comparaison aux 900 locaux tertiaires et moins de 700 bureaux ayant donné lieu à une transaction sans transformation.
Sur les mutations de locaux, nous observons une proportion importante de transactions entre des acteurs privés. Ceux-ci sont de plusieurs types : des SCI, des sociétés foncières privées et des investisseurs institutionnels (Natixis, par exemple). C’est donc un marché animé par des opérateurs privés, sur des locaux d’activité et dont le fonctionnement permet à ces acteurs de céder ou d’acquérir des biens immobiliers. L’intervention des opérateurs publics, par l’intermédiaire de la Semag 92 notamment, se limite à un faible nombre d’opérations au regard du volume de transactions enregistrées et à des acquisitions partielles sur des fonciers pour permettre la réalisation d’une opération d’aménagement.
Les transactions de terrains à bâtir sont marginales, avec quelques opérations portées par la Semag 92 mais qui ne permettent pas aux acteurs publics locaux de peser sur le marché de l’offre de locaux productifs. Il ne s’agit évidemment pas d’une ambition des collectivités que de peser sur ce segment par l’intermédiaire de leur SEM d’aménagement mais, que ce soit en régie ou en régime de concession d’aménagement, les collectivités ne maîtrisent pas l’offre foncière économique sur le territoire de BNS.
* Les données récupérées pour les transactions de locaux productifs et de terrains destinés à accueillir des activités productives (ateliers, dépôts) sont traitées à partir de la base de données DV3F et des permis de construire délivrés en fonction de périmètres géographiques situés en zones d’activité économique (secteurs du port de Gennevilliers, du Val d’Argent et des rives de Seine à Argenteuil). (Voir annexe I)
La Boucle Nord, située dans l’aire d’influence de La Défense, a connu ces dernières années une désindustrialisation au profit d’emplois plus tertiaires. De grandes entreprises y ont implanté leurs sièges (Oracle, Colgate à Colombes, IBM, Coface à BoisColombes, L’Oréal à Clichy…). Le territoire conserve cependant un tissu de PMEPMI et de grandes emprises industrielles. Il compte de nombreux secteurs d’habitat social qui font ou ont fait l’objet de projets de rénovation urbaine. »
Les activités industrielles et artisanales restent ainsi présentes sur le port de Gennevilliers, à Argenteuil, de l’autre côté des berges de la Seine, et à Villeneuve-laGarenne. Les départs par transfert, délocalisation ou fermeture définitive d’entreprises sur les autres communes, ont été remplacés par des programmes résidentiels et tertiaires (y compris de commerce).
Dans la zone d’activité du Val d’Argent, située à l’écart des trois lieux précédents, des opérations sont engagées visant à maintenir les activités industrielles encore présentes mais elles ne ciblent pas les activités artisanales, dont le maintien est difficile car les parcelles et les tailles de locaux ne correspondent guère à leurs besoins. Par ailleurs, on observe la progression des locaux logistiques sur ce territoire, avec l’émergence de nouveaux besoins (entreposage, hub logistique à proximité du centre de Paris, demande d’e-commerce).
Une offre essentiellement portée par les acteurs privés
Dans ce contexte, l’offre à destination des activités productives se développe à Argenteuil sur un périmètre limité et aux abords du port de Gennevilliers. En outre, hormis les hôtels d’activités réalisés par la Semag 92 et la CMA Île-de-France, l’offre foncière publique est minoritaire sur ce territoire animé par les opérateurs privés et des entreprises très demandeuses de foncier et de locaux, compte tenu de la localisation proche de l’A86 et de Paris.
Les opérations comme le 116 et le 114 à Argenteuil illustrent le renouveau de l’offre dans un cadre contraint avec l’appui d’opérateurs privés. Le 116 est un bâtiment d’activité livré en 2016 par le promoteur investisseur Bricqueville26 en lieu et place des entreprises Amica (groupe SNEF), Le Tellier et Pantax (relocalisé à proximité). Des ateliers sont proposés en rez-de-chaussée et des bureaux en étage pour un loyer de 160 €/m². Le 114 est un autre bâtiment en cours de commercialisation, complémentaire du 116.
À terme, le site devrait accueillir 300 salariés avec un ciblage prioritaire sur la cosmétique, l’industrie agroalimentaire, la sécurité et la mécatronique. Le 116 est ainsi le fruit d’une collaboration entre la mairie d’Argenteuil et le promoteur depuis 2012, qui se prolonge aujourd’hui avec différents projets d’aménagement lauréats du concours d’architecture, d’urbanisme et d’aménagement « Inventons la métropole du Grand Paris » tels qu’Urban Valley, un concept de parc d’activités développé par la société foncière privée Atland. Pour ce projet et comme pour les projets à venir, Argenteuil s’appuie sur un réseau de promoteurs et d’investisseurs dont les produits sont adaptés à l’offre foncière créée par renouvellement urbain, grâce à des modèles économiques en adéquation avec les locaux commercialisés et une demande réelle. Urban Valley permet à la collectivité de redéployer une offre à destination des entreprises industrielles et artisanales à Argenteuil. Il comprend de 20 à 30 % de bureaux et une halle de 30-35 mètres de long avec des bureaux attachés (et pas en mezzanine), lesquels sont complétés par une cour de circulation dédiée aux manœuvres et au stockage. Ce concept ne permet pas d’installer de la grande logistique.
Une nouvelle étape dans le projet Urban Valley a été franchie le 23 février 2021 avec la signature de la promesse de vente de l’exsite de Yoplait avec Atland.
Le projet prévoit une mixité d’activités : 21 000 m² (sur 28 000 m² de terrain) de surfaces de bureaux, activités, commerces, restaurant interentreprises, jardin central et parking silo. Il répond à une demande de la part des entreprises de disposer d’un cadre de travail valorisant, offrant un ensemble de services nécessaires aux activités et au bien-être de leurs salariés. La réversibilité des bureaux et des espaces d’activités sera également possible.
Le projet architectural s’inspire directement de la sobriété industrielle des bâtiments alentour. Dans une logique de réemploi, le projet valorise des éléments présents sur le site, tels que les portiques ou les dalles des anciennes usines Yoplait.
Outre Argenteuil, c’est à Gennevilliers que l’offre se renouvelle, même si elle s’organise souvent autour des opérateurs privés, comme Nexity, BNP RE ou AEW, et de quelques projets bénéficiant du soutien de la collectivité (entreprise Tricycle27). Si l’on constate un certain renouvellement, les opérations récentes (Urban Valley à Argenteuil, Eco City Parc à Colombes, projet Intencity à Clichy et serres urbaines à Gennevilliers) reflètent un « glissement » vers des activités de service et d’ingénierie où la dimension productive (transformation et production) occupe une proportion limitée des surfaces mises en vente ou en location. À titre d’illustration, l’Eco City Parc de Colombes, qui offre des espaces à la location, accueille aujourd’hui le conseil départemental des Hauts-de-Seine (archives départementales) sur 1 600 m² en rez-de-chaussée, le service de formation aux concessionnaires automobiles de Hyundai et les activités de stockage de la branche véhicule intelligent d’Intel.
La forme urbaine est quant à elle plus innovante avec un bâtiment réalisé sur 5 200 m² de terrain, avec 8 200 m² de surface de plancher livrés en juillet 2021, en R+5 avec 1 500 m² par niveau, tous accessibles par une rampe d’accès pour des véhicules de 3,5 tonnes. Ce type de bâtiment est plus adapté aux services aux entreprises et aux activités de logistique du dernier kilomètre qu’aux activités de fabrication. Ce site est d’ailleurs commercialisé comme étant adapté à la logistique urbaine. L’importance des entrepôts tels que Paris Air2 Logistique aux abords du port de Gennevilliers (Bureau, 2019) comme sur le port (300 000 m² d’entrepôts) témoigne du dynamisme de cette activité pour laquelle les services de la ville ne recensent pas moins de 204 établissements (entreposage et commerce de gros) pour 243 seulement dans le secteur des services (hors commerce).
Valence Romans Agglo :
une offre foncière organisée par la collectivité
Située au sud de la région AuvergneRhône-Alpes, au croisement de plusieurs axes européens majeurs, VRA compte 54 communes. Sur ce territoire relativement étendu, VRA dispose d’un volume de foncier confortable à offrir aux entreprises : au total 650 000 m² de foncier disponible appartiennent à VRA28, ce qui correspond à 75 % du foncier disponible sur le territoire. La collectivité peut vendre ce foncier directement aux entreprises ou le vendre à des promoteurs qui commercialisent ensuite ou louent les locaux en tant qu’investisseurs. Elle peut également décider de racheter le terrain par préemption29 quand le projet ne correspond pas aux orientations souhaitées par la collectivité.
En outre, VRA gère 1 650 hectares de foncier économique en ZAE et, à ce titre, joue un rôle clé dans la constitution d’une offre foncière économique. Ce rôle semble plus limité dans le diffus et les centres-villes où les commercialisateurs prennent le relais.
Les ZAE : zones d’accueil privilégiées des activités productives
L’analyse des transactions est un bon révélateur de la stratégie d’aménagement économique menée par VRA au cours des dernières années. Pour les activités productives qui, d’après la définition de la collectivité, réunissent l’artisanat, l’industrie et les entrepôts, les transactions sur le marché du foncier et de l’immobilier se font essentiellement en zone d’activité économique. Sur les 1 630 mutations en ZAE (figure 3.3) et les quelque 9 000 mutations hors ZAE entre 2011 et 2021, un tiers des acquisitions se font sur un terrain à bâtir en ZAE, un tiers sur des locaux en ZAE et seulement un tiers sur des locaux hors ZAE.
Sur le territoire VRA, l’offre foncière en terrains à bâtir pour les activités productives entre 2010 et 2021 est quasi exclusivement une offre en ZAE. Plus précisément, elle représente 396 ventes de terrains à bâtir en ZAE, dont un quart est destiné à des locaux artisanaux ou industriels ou des entrepôts (voir figure 3.3). VRA ne propose pas d’offres de locaux d’activité et intervient à travers une offre de terrains aménagés proposés aux entreprises. S’il est difficile d’évaluer le volume de ventes de terrains à destination d’activités hors des ZAE, il semble malgré tout qu’il soit très nettement inférieur aux transactions en ZAE, environ cinq fois moins important.
Le marché des terrains à bâtir illustre fortement la politique d’offre foncière pratiquée par VRA, très présente sur le marché foncier et immobilier en ZAE, et sa volonté d’intervenir en faveur du foncier productif : près des deux-tiers des terrains à bâtir pour une destination artisanat-industrie sont vendus par VRA (voir figure 3.4). Cette forte intervention publique se vérifie aussi pour les fonciers d’entrepôts et tertiaires.
Cette offre foncière en ZAE a la particularité d’être régulée par les destinations du PLU et organisée par la puissance publique qui, on l’a vu, en est le principal commercialisateur. En effet, en premier lieu, le PLU joue sur la destination des terrains et sur la gestion de la concurrence dans l’accès au foncier. Cela aide principalement l’artisanat et l’industrie à s’implanter selon une politique de zoning d’activité mixte, acceptant différents types d’activité (artisanat, industrie, commerce, service)30. En second lieu, la maîtrise foncière par la collectivité joue sur la régulation du prix et la politique d’accueil des entreprises. 60 % des terrains vendus pour la construction d’un local d’activité ont été directement achetés à la collectivité (une commune, l’EPCI) et ce sans intermédiaire. L’artisanat et l’industrie représentent 70 % des acquéreurs de ces terrains ; on trouve malgré tout 30 % de commerces et de bureaux bénéficiaires de ces transactions.
En matière de prix du foncier, les transactions de terrain à bâtir semblent homogènes entre zones. De fait, la concurrence au sein des zones se joue autour du projet de la collectivité et de la charge foncière admissible pour les différents types d’activité.
La charge foncière pratiquée pour les bureaux est sensiblement supérieure à la charge foncière pratiquée pour l’artisanat et l’industrie. En revanche, en ZAE, le commerce n’est pas toujours soumis à une charge foncière supérieure aux locaux d’activité productive. La raison est certainement à rechercher dans le fait que les locaux commerciaux en ZAE ne sont pas nécessairement dans un secteur géographique favorable au commerce de détail, et se situent donc hors zone commerciale.
Toutefois, pour une vente de terrain à bâtir en ZAE entre 2010 et 2021, plus de deux ventes concernent des locaux. Environ 360 ventes de locaux ont été opérées en ZAE au profit de l’artisanat, de l’industrie et des entrepôts sur la même période ; un chiffre analogue concerne le tertiaire. Parmi les locaux acquis, plus d’une centaine sera transformée, selon nos estimations. On peut faire l’hypothèse que ces achats de locaux destinés à être transformés constituent un gisement pour une entrée sur le territoire d’entreprises qui privilégieraient la situation faute de trouver un foncier adapté. Ces ventes échappent à la collectivité et sont quasi exclusivement des ventes sans intermédiaire, de gré à gré entre entreprises.
Bien sûr, les transactions s’opèrent majoritairement hors ZAE : pour 860 locaux d’activité vendus en ZAE, 2 400 sont vendus hors ZAE. Parmi ces ventes de locaux, il s’agit majoritairement de locaux tertiaires et commerciaux. On estime à environ 350 ventes de locaux d’activité productive (industrie, artisanat, entrepôts) le volume des biens échangés hors ZAE, soit autant qu’en ZAE, dont une cinquantaine sera transformée.
Vers un nouveau modèle d’aménagement du territoire
Néanmoins, Valence Romans Agglo prend progressivement conscience des limites du modèle d’aménagement par acquisitioncommercialisation des terrains que la collectivité a mis en œuvre pendant deux décennies environ. Selon les personnes interrogées, VRA poursuit désormais une stratégie foncière infléchie par la raréfaction du foncier disponible. Une raréfaction alimentée par une demande toujours très soutenue de la part des entreprises et par le cadre institutionnel plus contraignant issu de l’objectif de ZAN.
L’objectif est désormais de développer la compacité des sites d’activité après des décennies de pratiques extensives des ZAE. Les ZAE sont en effet caractérisées par une grande emprise au sol et par des infrastructures routières surdimensionnées relativement au trafic réel (Lejoux et Charieau, 2019), ce qui participe à l’artificialisation des sols. Il existe plusieurs solutions envisagées et mises en œuvre depuis 2021. La première est la nécessaire requalification de friches, comme l’atteste la réflexion autour de l’avenir du site Solystic, spécialiste de l’automatisation des activités de tri et de distribution de courrier, à Bourg-lès-Valence. Il s’agit de l’ancien site de production d’une entreprise industrielle qui a construit un nouveau bâtiment dans le parc d’activités de Rovaltain. Compte tenu de sa localisation en tissu urbain mixte et dense, le futur site aménagé ne pourrait pas accueillir de logements non seulement en raison du risque d’inondation, de la pollution des sols, mais aussi en raison du classement au PLU en secteur urbain d’activité. L’accueil d’activités productives reste possible mais difficile en raison des risques technologiques et naturels.
La deuxième solution est le développement de villages d’entreprises de type TPE ou PME avec des espaces mutualisés et des formes plus compactes. Parmi les sites, au nombre de treize à terme, trois sont déjà actifs et sept sont en cours de définition ou de travaux. Ils représentent 96 000 m² de parcelle pour 40 500 m² de surface de plancher, soit un coefficient de densification de 40 %.
Le parc d’activités de Rovaltain, reflet de décennies d’aménagement économique pour attirer des entreprises tertiaires et technologiques
Le parc d’activités de Rovaltain, implanté au sud de Lyon, a été aménagé aux abords de la gare de Valence TGV par un syndicat mixte de collectivités dans les années 2000 et 2010. Le périmètre représente 162 ha au total pour 51 ha aménagés répartis entre le Quartier de la Gare (12 ha), le Quartier du 45e Parallèle (22 ha) et le Quartier de la Correspondance (17 ha).
L’offre foncière organisée autour de l’infrastructure ferroviaire est assortie d’exigences environnementales et d’un comité d’agrément composé des élus et des représentants de clubs d’entreprise de chaque quartier de Rovaltain. Les exigences environnementales se traduisent par des noues de biodiversité autour des axes routiers, des champs et des toits végétalisés comptés dans les surfaces naturelles.
Rovaltain utilise plutôt des baux à construire* avec les entreprises du tertiaire (avec part fixe et part variable) et vend du terrain aux activités productives. Pour chaque mètre carré, Rovaltain propose aux porteurs de projets un architecte conseil et un énergéticien conseil pour préinstruire les dossiers.
Les porteurs de projets sont soit des entreprises qui achètent directement auprès de Rovaltain, soit des constructeurs ou des promoteurs investisseurs qui achètent à Rovaltain et qui louent par la suite aux entreprises.
* Le bail à construction confère au bailleur (la collectivité) la propriété du foncier et des revenus fonciers sous forme de loyers versés en une ou plusieurs échéances. Il confère au preneur (entreprise) des droits réels à construire sur le terrain et lui permet de louer les locaux pendant la durée du bail. La durée du bail peut varier selon les cas entre 18 et 99 ans.
Enfin, la SEM In Situ a été transformée par VRA en septembre 2021 pour servir l’aménagement de terrains d’activité et la valorisation d’immobilier d’entreprise. Cet outil de portage financier pourrait remplir plusieurs fonctions : In Situ rachète pour maîtriser pleinement le foncier ou achète avec
d’autres entreprises et devient copropriétaire ; In Situ achète en VEFA et devient propriétaire bailleur ; In Situ acquiert le terrain pour le revendre après aménagement.
- 19. L’offre de foncier est répartie en priorité entre le tertiaire, le logement et les équipements publics. Ce qu’il reste est appelé offre résiduelle.
- 20. Pour aller plus loin, consulter Le Guide permanent du développeur économique (2023), Territorial éditions.
- 21. La foncière de Montreuil a porté le projet puis l’a revendu par lots aux occupants. La SEM immobilière de la ville de Mon- treuil a finalement décidé de racheter les lots un par un et est désormais propriétaire majoritaire de Mozinor.
- 22. La foncière de Montreuil les a construits puis les a revendus en lots ou à des foncières privées, qui les louent aux utilisateurs finaux.
- 23. En termes de surfaces construites, 73 000 m2 de logement, 30 000 m2 de commerces, 200 000 m2 de locaux dédiés à l’activité économique sont prévus.
- 24. Cette taille modeste, relativement à celle de l’ensemble de l’opération, a permis à la SEM de faire une péréquation et de vendre la parcelle au promoteur Alsei à un prix bas permettant d’équilibrer leur bilan d’opération.
- 25. Selon la définition du Dictionnaire de l’environnement et du développement durable, la mutation foncière désigne le transfert du droit de propriété d’un bien immobilier par un acte volontaire ou forcé, à titre onéreux ou gracieux.
- 26. Bricqueville correspond aux orientations de la mairie, laquelle privilégie des investisseurs qui conservent les locaux dans leur patrimoine, car ce sont des produits rares sur les berges de Seine.
- 27. Tricycle est une entreprise spécialisée dans le recyclage des déchets professionnels comme le matériel de bureau (mobilier, ordinateurs, cloisons, moquettes, etc.).
- 28. Entre 2014 et 2020, 1 500 000 m2 de terrains ont été vendus sur le territoire de VRA.
- 29. Le droit de préemption urbain, inscrit au code de l’urbanisme, autorise la collectivité à acquérir de manière prioritaire un bien mis en vente par un propriétaire si cette collectivité exerce ce droit en raison d’un projet d’intérêt public (équipement scolaire, culturel, sportif, scientifique ou économique).
- 30. Les zones délimitées dans le plan local d’urbanisme et pouvant accueillir des activités productives sont les suivantes: la zone urbaine à vocation d’activités industrielles, artisanales et commerciales (UL), la zone urbaine à vocation d’activités économiques diversifiées, le secteur de la zone urbaine d’équipement (UE) réservé à des activités liées à l’exploitation de maté- riaux (UET), la zone à urbaniser à vocation d’accueil d’activités industrielles (AUai) et la zone urbaine – quartiers équipés – à vocation industrielle (Ui).
Conclusion
Les entreprises productives rencontrées, natives des territoires et souhaitant s’y développer, expriment clairement des besoins fonciers et immobiliers qui ne sont pas réductibles à des mètres carrés. Ces entreprises veulent majoritairement être propriétaires de leur bien et sont soucieuses de la vocation du site, de sa localisation et de son accessibilité. En revanche, la charge foncière ne revêt pas l’importance que lui accordent les collectivités et les aménageurs publics. Une majorité des entreprises ont plutôt tendance à minimiser le rôle de la charge foncière dans les problèmes qu’elles rencontrent, car elles seraient prêtes à payer plus cher leur bien foncier en échange d’une situation optimale pour leur activité, notamment en matière de flux de marchandises, d’accessibilité routière et de proximité de la main-d’œuvre et de leur clientèle.
Mais, au-delà des contraintes inhérentes à leur activité, les entreprises se heurtent à des obstacles d’une autre nature dans leur recherche de biens fonciers. On peut citer l’inflation des normes urbanistiques, environnementales et paysagères, les injonctions à la mixité sociale et à la sobriété foncière, ainsi que la lenteur dans la gestion administrative des besoins des entreprises. Traiter la demande foncière et immobilière pour les activités productives donne donc à voir le dialogue entre les industriels d’un côté et les collectivités et les acteurs de l’immobilier de l’autre, deux mondes interdépendants où se croisent les logiques du marché et celles du pouvoir sur l’espace, avec le foncier – ressource finie – comme objet de négociation. Les industriels négocient pour se maintenir, pour se relocaliser à proximité ou pour obtenir des compensations intéressantes en cas d’éviction. Les acteurs privés (aménageurs, promoteurs, investisseurs, etc.) sont quant à eux guidés par la recherche de rentabilité, et peuvent parfois être déconnectés des besoins des industriels et des acteurs publics. Enfin, dans leur stratégie d’aménagement du territoire, les collectivités doivent veiller à assurer un équilibre entre habitat, transports, activités économiques. Dans les négociations, les entreprises futures utilisatrices sont alors parfois plus tributaires des intérêts des acteurs intermédiaires et ne sont pas certaines d’être les destinataires finales de l’offre foncière et immobilière.
Dans les trois territoires observés, Valence Romans Agglo (VRA), Est Ensemble et Boucle Nord de Seine (BNS), l’offre foncière pour les activités productives est différenciée. Seul point commun : l’absence d’une gouvernance qui place le foncier productif au cœur de ses préoccupations. Différents facteurs concourent à expliquer les différences entre les territoires, notamment leur histoire économique et institutionnelle et les pratiques des acteurs privés. Ces facteurs expliquent aussi que l’offre produite localement ne réponde qu’imparfaitement à une demande qui peut être très soutenue de la part des entreprises industrielles et artisanales.
La stratégie de la collectivité VRA est celle de la maîtrise du foncier et de l’immobilier, par acquisition-commercialisation de terrains pour un usage productif, et la mise en place d’un service économique au sein duquel des agents sont chargés de gérer un petit nombre de ZAE. Néanmoins VRA semble infléchir sa stratégie en adoptant des mesures qui favorisent la compacité des sites d’activité (réhabilitation de friches, développement de villages d’entreprises, etc.). Les stratégies des deux autres collectivités, celles des EPT de BNS et d’Est Ensemble, peinent à se structurer et à se doter de moyens humains et techniques. Sur ces deux territoires, l’offre foncière et immobilière est restreinte, souvent gérée par des acteurs privés et, ponctuellement, par quelques acteurs publics (SEM notamment).
Au terme de cette recherche, plusieurs pistes se dégagent pour améliorer l’articulation entre la demande des industriels en matière de foncier et les stratégies publiques locales.
Au-delà de la différence entre le temps long de l’aménagement lié aux procédures d’acquisition, d’aménagement, de construction et le temps dont dispose une entreprise pour trouver des locaux adaptés à son déploiement, la question de la rigidité du zonage se pose. Il ne s’agit pas de rendre tout usage négociable mais plutôt d’assouplir l’action publique, en mettant en place, par exemple, un « urbanisme transitoire permanent » pour tester l’implantation d’activités productives, maîtriser les prix, avec un portage économique par la collectivité ou un acteur intermédiaire, sur un temps long. Cela reviendrait à sanctuariser un foncier en disponibilité permanente.
Par ailleurs, au sein des collectivités locales, les acteurs des services économiques ne collaborent pas suffisamment avec les acteurs des services d’urbanisme et d’aménagement, ce qui explique la méconnaissance par ces derniers des besoins fonciers et immobiliers des entreprises et leur manque d’anticipation pour les accueillir. La multiplication des acteurs intermédiaires distend les relations entre collectivités locales et entreprises et participe aux malentendus et aux incompréhensions entre les deux types d’acteurs. Ainsi systématiser, au sein des collectivités locales, les collaborations entre les acteurs des services économiques et d’urbanisme pour mieux préparer le foncier et accueillir les entreprises productives apporterait-il sans doute une plus grande efficience dans la mise en œuvre des politiques publiques.
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Petit, T. (2016). Les lieux de l’industrie en Île-de-France : une industrie sous contrainte mais attachée à son territoire. Institut d’aménagement et d’urbanisme (IAU). https://www.institutparisregion.fr/fileadmin/NewEtudes/Etude_1244/Les_lieux_de_l_industrie_en_IDF.pdf.
Stimec, A. (2011). La Négociation. Les Topos, Dunod.
Theurillat, T., Rérat, P., & Crevoisier, O. (2014). Les marchés immobiliers : acteurs, institutions et territoires. Géographie, économie, société, vol. 16, n° 2, pp. 233-254.
État des lieux et cadrage
Pour l’Île-de-France, nous avons utilisé les données du cabinet Ancoris, spécialisé en détection de projets d’implantation d’entreprises et en accompagnement des territoires dans leurs stratégies de développement économique. Il travaille ainsi avec des intercommunalités, des agences de développement et des chambres de commerce. L’accès à ces projets permet de repérer la demande spontanée des entreprises lors de leur recherche initiale de locaux et de terrains. Une analyse plus classique de la demande placée (vente ou prise à bail de terrains et de locaux d’activité) aurait simplement permis de mesurer le résultat de cette recherche après plusieurs filtres et contraintes de disponibilité, de coût, d’opportunités. Cette source comprend cependant des limites liées à son mode de collecte : seuls les projets traités par le cabinet constituent la base de données. Ainsi le nombre de projets est nécessairement restreint et dépend des mandats donnés au cabinet par les territoires et des demandes qui lui sont adressées par les entreprises. Toutefois, l’échantillon de 265 projets industriels de demande d’implantation sur la période 2018-2020 apparaît représentatif au regard des données observées à partir de la base Diane (Bvdinfo). Cette dernière recense 3 187 créations d’établissements industriels en France sur la même période, dont 589 en Île-de-France. Même si on ne connaît pas l’ensemble de la demande concernant l’Île-de-France, dont une partie seulement aboutit à une création effective d’établissement, on peut estimer que l’échantillon correspond environ à 45 % des créations d’établissements industriels franciliens.
Pour l’analyse des transactions, nous avons utilisé les données de DV3F (Demande de valeurs foncières), une base de données fiscales produite par la Direction générale des finances publiques (DGFiP), mise à disposition du public à la suite du décret du 28 décembre 2018 relatif à la publication sous forme électronique des informations portant sur les valeurs foncières déclarées à l’occasion des mutations immobilières. Elle permet l’obtention gratuite des données présentant les valeurs foncières de l’ensemble des transactions immobilières et foncières à titre onéreux des cinq dernières années ainsi que de certaines de leurs caractéristiques : la nature de la vente (vente, adjudication, VEFA, vente de terrains à bâtir…), la localisation des biens (références cadastrales, adresses…), la surface des parcelles et des locaux concernés ou encore les types de locaux (maisons, appartements, dépendances, locaux industriels ou commerciaux). Les données de cette base ont ensuite été croisées avec celles de la base Sitadel qui recense les permis de construire par catégorie de locaux sur la période 2010-2021 afin de vérifier si les transactions observées concernaient des locaux d’activité et si ces mêmes transactions comportaient des changements d’affectation (locaux industriels vers locaux tertiaires par exemple).
Enquête sur les territoires
Des entretiens collectifs auprès des services de Valence Romans Agglo, Est Ensemble et Boucle Nord de Seine ont été réalisés pour connaître leurs stratégies territoriales concernant l’accueil des entreprises.
Des entretiens individuels ont été également réalisés auprès des acteurs suivants :
– des opérateurs et des investisseurs immobiliers privés (12) formant un ensemble de professionnels intervenant dans les champs de la commercialisation des terrains et des locaux auprès des entreprises utilisatrices, de la promotion, de la conception (architectes) ou de l’investissement ont été interviewés sur leur perception de la demande des entreprises ;
– des agents des collectivités territoriales et de cinq opérateurs publics (SEM, EPF) ont été interrogés sur l’offre foncière et immobilière proposée pour maintenir des activités productives dans les territoires ;
– des entreprises utilisatrices et leurs représentants (chambres consulaires, fédérations professionnelles), au nombre de 31. Ces acteurs ont été questionnés sur leur demande foncière et immobilière, sur leurs relations avec les autres acteurs et sur leurs représentations sociales à l’égard des stratégies mises en œuvre par les collectivités locales pour les accueillir.
Des entretiens préparatoires et des visites de terrain dans les trois territoires ont également été organisés entre mars 2021 et juin 2022.
Annexe II – Liste des entretiens réalisés
Paulette Duarte, Sylvie Duvillard, Nicolas Gillio et Thierry Petit, Foncier industriel et stratégies publiques locales : une articulation imparfaite, Paris, Presses des Mines, 2024. ISBN : 978-2-38542-491-6 ISSN : 2495-1706
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