Facture énergétique : un coûteux manque d’autonomie

Facture énergétique : un coûteux manque d’autonomie

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RÉSUMÉ

La guerre en Ukraine a marqué le début d’une crise énergétique majeure en Europe : les ménages et entreprises subissent une forte inflation des prix de l’énergie, doublée d’un risque sérieux de pénurie au tournant de l’hiver 2022-2023. Dans ce contexte tendu, le fonctionnement du marché européen de l’électricité a vite été désigné comme un fardeau injuste pour les entreprises et les ménages français qui doivent payer le prix d’une électricité fabriquée à partir de gaz dans les autres pays d’Europe. En réalité, le doublement de la facture énergétique des entreprises industrielles observé en un an – ce qui est considérable – aura relevé pour moitié de problèmes purement français et notamment de l’indisponibilité de notre parc nucléaire. L’autre moitié de l’explication tient certes au contexte international mais pas à l’interconnexion des marchés européens. Celle-ci est plutôt une opportunité en cas de pénurie et un gisement d’exportations dans les meilleurs jours, qu’il serait mal avisé de remettre en cause. Pour le système de fixation des prix, c’est une autre affaire…

En un an, les prix du gaz – et donc ceux de l’électricité produite à partir de gaz – ont presque quadruplé en Europe. Certains observateurs ont alors déploré que le prix de l’électricité facturé aux industriels français ne reflète pas le faible coût de production de notre électricité domestique, principalement nucléaire et hydraulique, et ont récusé un marché européen jugé inefficace.

LES COÛTS ÉNERGÉTIQUES INDIRECTS RENCHÉRISSENT LES BIENS MANUFACTURIERS

Entre le printemps 2021 et le printemps 2022, la facture énergétique des industriels européens a plus que doublé. Dans le cas particulier de l’industrie française, elle représentait 6,7 % du chiffre d’affaires en 2019 (soit le taux le plus faible d’Europe) et a subi depuis un accroissement de huit points. À elle seule, cette inflation énergétique explique la moitié environ de l’évolution des coûts de production constatés, secteur par secteur, sur la même période.
Il est important de noter que, en moyenne pour une entreprise industrielle, cette facture énergétique ne comprend qu’un tiers d’achats directs. Les deux tiers restants correspondent au contraire à des achats indirects, c’est-à-dire réalisés par des fournisseurs et répercutés par ces derniers dans le prix des biens intermédiaires ; 44 % de la dépense énergétique de l’industrie française est même consommée hors du territoire (33 % dans le cas de l’électricité). Ainsi en 2019, la France a importé 30 TWh d’électricité via les interconnexions aux frontières, mais 74 TWh via les chaînes de valeur sous forme de produits intermédiaires. Toute initiative nationale pour contenir l’augmentation des prix de l’énergie dans l’industrie aura donc une efficacité partielle si elle n’est pas menée à l’identique ailleurs en Europe.

LA FLAMBÉE DES PRIX DE L’ÉLECTRICITÉ AU DÉSAVANTAGE DE LA FRANCE

Les prix de l’électricité aux industriels ont été moins élevés en France qu’en Allemagne pendant les quatorze années précédant la crise énergétique1
– sauf pour les très gros consommateurs dont les prix se rapprochaient du fait des exonérations accordées en Allemagne. Mais cette époque semble loin désormais ! En effet, les prix de gros sur le marché français sont maintenant deux fois plus élevés qu’en Allemagne. Si tous les pays européens subissent l’augmentation du prix du gaz depuis l’invasion russe de l’Ukraine, la France est en plus pénalisée par l’indisponibilité de son parc nucléaire. Ces deux phénomènes pèsent d’un poids à peu près équivalent, à en juger par le différentiel de prix France-Allemagne. Ce n’est donc pas en sortant du système européen que l’on pourrait faire baisser le prix de l’électricité en France, bien au contraire. Si l’on fait abstraction de sa fiscalité accommodante, c’est même depuis 2016 que la France subit des prix de fourniture plus élevés qu’en Allemagne, preuve supplémentaire que le mix électrique français rencontre des problèmes spécifiques de compétitivité.

A contrario, l’interconnexion des marchés européens n’est pas en cause dans l’augmentation des prix de l’électricité en France. Les trois quarts du temps, ce prix dépend du coût marginal de centrales domestiques. Et, quand ce sont des installations étrangères qui le fixent, l’écart par rapport aux centrales domestiques est très faible, du moins jusqu’en 2021. Ajoutons que cette interconnexion permet depuis longtemps à la France d’exporter son excédent électrique et, en retour, de traverser la période actuelle en réduisant ses risques de rupture d’approvisionnement. Troisièmement et enfin, en l’état actuel de nos connaissances, les pics de demande ne peuvent être satisfaits que par des centrales à énergie fossile, dont les coûts sont équivalents qu’elles soient situées en France ou en Allemagne.

Si l’interconnexion ne peut être récusée, qu’en est-il de la règle de fixation du prix du MWh au coût marginal de la dernière centrale appelée ? On peut comprendre que, dans cette période de crise où les coûts d’approvisionnement atteignent des sommets – au point de mettre en péril certaines entreprises ou chaînes de valeur – certains souhaitent suspendre provisoirement ce principe. Certains soulignent que, en France du moins, ce principe est de facto atténué par trois dispositifs : le bouclier tarifaire financé par la fiscalité et qui s’applique aux approvisionnements en électricité et en gaz des particuliers et des PME, l’Arenh assurant un mégawattheure à coût fixe aux très gros consommateurs (même s’il a initialement été conçu avec une autre finalité) et, pour finir, le rachat à tarif préférentiel de l’électricité d’origine renouvelable. Tous les trois sont déjà des moyens d’opérer une péréquation entre producteurs et consommateurs. Toutefois, cet argument ne répond pas à une critique plus profonde du système de fixation des prix, qui a certes montré son efficacité pour ajuster offre et demande à court terme mais qui, à long terme, aurait pour effet mécanique de raréfier l’investissement dans de nouvelles capacités de production, faute d’un signal-prix stable et lisible. Tout encadrement des prix sur le marché électrique devrait nécessairement tenir compte du besoin de financer les centrales utilisées pendant les périodes de pointe de consommation, dont on a longtemps déploré le nombre insuffisant.

  • 1. Selon Eurostat, le prix de l’électricité payé par les entreprises françaises (hors TVA) était 1,5 fois moins élevé que le prix payé en Allemagne sur la période 2008-2021 pour l’ensemble des entreprises, industries et services confondus. Mais cet écart s’est résorbé puis inversé au 1er semestre 2022.

CONCLUSION

Il est urgent pour tous les acteurs produisant et utilisant de l’énergie de retrouver un cadre lisible et simple en Europe. À plus long terme, il faut également songer aux moyens de nous abstraire judicieusement de notre dépendance aux mix énergétiques étrangers, ainsi que des effets indésirables du système européen de tarification qui freine l’investissement dans de nouvelles capacités. Ce faisant, n’oublions pas que l’essentiel de l’inflation énergétique que nous subissons est importée sous forme de biens industriels intermédiaires achetés à des producteurs situés hors de France. Rappelons-nous également que l’interconnexion des marchés électriques a conféré efficacité et résilience au système européen : toute réforme porte en germe des évolutions futures qu’il convient de bien anticiper. Pour la France, la meilleure protection contre les dérives du marché européen reste à terme le renforcement de notre capacité de production d’électricité décarbonée : les énergies renouvelables d’un côté et de l’autre le nucléaire, pilotable et compétitif.

AUGMENTATION DE LA DÉPENSE ÉNERGÉTIQUE TOTALE DE L’INDUSTRIE ENTRE 2019 ET 2022, RAPPORTÉE AU CHIFFRE D’AFFAIRES DE 2019

Source : OCDE, calculs des auteurs, fondés sur les données de l’IEA. Tous droits réservés comme modifiés par La Fabrique de l’industrie

En savoir plus CRE (2022). Les prix à terme de l’électricité pour l’hiver 2022-2023 et l’année 2023. Rapport.Juillet 2022.
Mini C. et Bordigoni M. (2022), L’industrie face aux prix de l’énergie. Les marchés européens sont-ils en défaut ?, Les Notes de La Fabrique, Presses des Mines.
RTE (2022). Marché européen, mode d’emploi.
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