Dynamique des emplois exposés et abrités en France
© RMN-Grand Palais
Préface
Comme son titre l’indique, le texte de Philippe Frocrain et Pierre-Noël Giraud appuie son analyse sur la distinction entre deux catégories d’emploi : d’un côté sont les emplois exposés, ceux qui relèvent de la production de biens et services échangeables au-delà des frontières et donc soumis à la concurrence extérieure, de l’autre sont les emplois abrités qui ne sont de facto, par exemple du fait des coûts de transport, soumis qu’à une concurrence locale. Voilà qui renvoie à ce que Pierre-Noël Giraud appelle dans un texte grand public les emplois « nomades » opposés aux emplois « sédentaires ».
Une première remarque : cette distinction exposés/abrités n’est pas nouvelle, particulièrement dans ce pays. Les débats de politique économique des années 1970 avaient suscité un effort de modélisation dans l’administration Française et le modèle FIFI (conçu à l’INSEE, et utilisé au Commissariat du Plan, en liaison avec ce qui était alors la Direction de la Prévision au Ministère des finances) différenciait déjà secteur abrité et secteur exposé1. La prise en compte des deux catégories, pertinente et éclairante à l’époque, l’est a priori plus encore aujourd’hui en ce temps de mondialisation.
Bien entendu, la définition et la délimitation de chacune des catégories appellent une discussion approfondie qui est conduite avec soin et de façon convaincante dans le texte. Le recours assez systématique dans le commentaire à la classification binaire exposés/abrités, peut masquer au lecteur inattentif la variété des situations qui est prise en compte dans l’agrégation : le secteur exposé est constitué à partir de composants comme l’agriculture et l’industrie manufacturière, mais aussi des services aux entreprises ou touristiques, par exemple, et le secteur abrité regroupe, il ne faut pas l’oublier, fonction publique et secteur marchand dont une partie des activités industrielles, telles la production et la distribution d’eau et d’électricité. Mais l’information transmise, fût-elle parfois simplifiée, est riche et de nature à susciter la réflexion. Deux exemples parmi d’autres illustrent l’intérêt de l’analyse : la mesure, via une sorte de coefficient de Gini, du degré d’exposition des secteurs, et la mise en évidence de la croissance des emplois de services dans le secteur exposé.
Le point le plus original, pour un néophyte sur la question, est sans doute l’éclairage d’économie géographique que donne l’étude de la répartition sur le territoire des emplois de l’un et l’autre type. La dispersion des volumes et parts de l’emploi exposé, ainsi mise en évidence sur la carte de ce pays, fournit une vue synthétique spectaculaire et pédagogique de la situation et nouvelle, me semble-t-il.
La mondialisation est bien sûr à l’arrière-plan de l’enquête et ses effets sur les évolutions soulignées ici sont en ligne avec nombre d’autres études, et ce texte, sur ce point comme sur les autres, doit être soumis à la critique des pairs et de la profession des économistes, toutes sensibilités confondues. La régression récente du secteur exposé et l’accroissement de sa productivité fait écho par exemple, aux modifications des valeurs ajoutées dans la production de ce que Tilller et ses co-auteurs2, appellent la « global value chain ». Nous savons que la concurrence des bas salaires « chinois » crée une pression à la baisse sur les salaires des non qualifiés des pays développés, un effet qui fait écho à celui que les économistes scandinaves Heckscher et Ohlin avait déjà mis au cœur de leur explication de l’épisode de mondialisation du XIXe siècle. Même si nous ne sommes plus dans ce monde3, il y a toujours de vifs débats sur la forme présente de cette pression – part de « l’offshoring » et du commerce stricto sensu, rôle endogène de l’innovation – et sur son intensité4. Le texte reste relativement discret sur la mécanique de la mondialisation ; trop sans doute pour que l’argumentaire esquissé satisfasse pleinement un lecteur a priori sceptique. Certes la recommandation de politique économique mise en avant, rendre plus compétitif non seulement le secteur exposé, mais aussi bien le secteur abrité ne devrait pas être beaucoup contestée ; mais peut-on, et comment, aller plus loin ?
Aller plus loin requiert sans doute d’approfondir l’investigation : dans le monde à deux catégories de qualifications (qualifiés/non qualifiés) souvent évoqué pour la facilité de l’analyse, le progrès de compréhension doit s’appuyer, entre autre, sur plus d’information sur la relation entre niveau d’éducation et ajustements salariaux et certainement sur une analyse explicite des marchés du travail concernés.
Que ce texte nous laisse sur des questions ouvertes, qu’il ne nous dise pas tout sur le vaste sujet dans lequel il entre, ne signifie pas qu’il ne nous dise rien, bien au contraire. Il mérite un large lectorat, composé à la fois d’experts qui, comme c’est leur rôle, soumettront les constructions à la critique, et de lecteurs plus généralistes auxquels seront fournis de façon pédagogique une série de points de vue originaux et éclairants sur un sujet essentiel.
Roger Guesnerie
Professeur au Collège de France et président d’honneur de l’École d’économie de Paris
- 1 – Aglietta-Courbis « Un outil du Plan, le modèle Fifi », Economie et statistique, 1.1, 1969.
- 2 – Timmer- Erumban-Los- Stehrer- de Vries “Slicing up global value chain”, Journal of Economic Perspectives, 28-2-2014.
- 3 – Carluccio-Ekeland-Guesnerie (2016) “Away from Heckscher–Ohlin, how and how much?”, mimeo.
- 4 – Voir Ebenstein- Harrisson- Mc Millan (2016) “Why are american workers getting poorer ? China, Trade and Offshoring” mimeo.
Remerciements
Cette étude réalisée par La Fabrique de l’industrie a bénéficié des commentaires, des contributions ou de la relecture de nombreux experts qui nous ont permis d’enrichir ce travail.
Nous remercions en particulier Romain Bizet (Cerna – MINES ParisTech), Paul-Hervé Tamokoué Kamga (Cerna – MINES ParisTech), Thierry Weil (La Fabrique de l’industrie), Vincent Charlet (La Fabrique de l’industrie), Sophie Piton (CEPII), Olivier Bouba-Olga (CRIEF – Université de Poitiers), Gilles Koléda (IUT de Tours), Sarah Guillou (OFCE), Clément Malgouyres (Banque de France), Marie-Anne Le Garrec (Insee), Jean-Loup Picard, Michel Berry (Ecole de Paris du management), Grégoire Postel-Vinay (DGCIS), Elizabeth Ducottet (Thuasne), et Roger Guesnerie (École d’Économie de Paris) pour leur aide précieuse.
Les conclusions de cette note n’engagent en rien ces personnes. Nous assumons par ailleurs l’entière responsabilité des erreurs qui pourraient subsister dans ce document.
Résumé
Un constat s’impose : l’imbrication de l’industrie manufacturière et des services marchands est devenue si forte qu’elle rend de moins en moins pertinente la distinction traditionnelle entre secteurs secondaire et tertiaire. C’est pourquoi cette note fait le choix d’opposer les emplois exposés à la concurrence internationale et ceux qui en sont abrités, que l’on trouve à la fois dans l’industrie et les services.
Emplois exposés, emplois abrités : une distinction simple
Chaque pays a deux économies. La première, connectée à l’économie mondiale, regroupe les emplois exposés. Ces emplois concourent à la production des biens et services échangeables par-delà les frontières, et sont donc en concurrence avec des emplois situés dans d’autres pays (ingénieurs en logiciels, ouvriers de l’automobile, viticulteurs, etc.).
La seconde économie est constituée d’emplois abrités, qui ne sont en concurrence directe qu’avec des emplois situés dans le même territoire. Le plus souvent, ces emplois sont abrités parce que la production doit être réalisée à proximité du bénéficiaire, voire en sa présence (médecins, boulangers, enseignants, etc.).
Les activités exposées, pour lesquelles les lieux de production et de consommation peuvent être différents, ont tendance à se concentrer pour profiter d’externalités positives tandis que les emplois abrités restent proches des consommateurs. En mesurant leur répartition géographique on peut donc distinguer ces deux catégories d’emplois.
L’emploi exposé est minoritaire, en recul, et se « tertiarise »
On observe ainsi que l’emploi exposé est minoritaire et en recul : il est passé en France de 30 % à 26,8 % de l’emploi total entre 1999 et 2013. Le secteur abrité est le véritable moteur de l’emploi : il progresse de 2,37 millions d’unités entre 1999 et 2013, alors que le secteur exposé perd 204 000 emplois. Néanmoins les gains de productivité sont supérieurs dans le secteur exposé. Les salaires y sont en moyenne 25 % plus élevés que dans le secteur abrité, et croissent plus rapidement, alors que les niveaux de qualification sont comparables.
Enfin, les emplois de services exposés représentent désormais plus d’un emploi exposé sur deux (sièges sociaux, centres d’appel, programmation informatique, hôtellerie, etc.). Toutefois, l’essor de ces activités (+ 780 000 emplois entre 1999 et 2013) profite à un nombre restreint de bassins d’emplois, correspondant aux espaces métropolitains, à la façade atlantique, et au pourtour méditerranéen. Inversement, la diminution continue de l’emploi industriel (-755 000 emplois) déstabilise un grand nombre d’économies locales.
L’emploi exposé exerce un effet multiplicateur sur l’emploi abrité
Pour différents qu’ils soient, les emplois exposés et les emplois abrités n’en demeurent pas moins articulés et interdépendants. En particulier, l’implantation d’entreprises de secteurs exposés est un puissant levier de développement de l’emploi abrité local, car les nouveaux travailleurs consomment des biens et services abrités. On parle de « multiplicateur d’emploi local ».
Selon nos estimations, sur la période 2004-2013, lorsque 100 emplois exposés apparaissent dans une zone de France métropolitaine, environ 64 emplois abrités sont créés au sein de la même zone.
Améliorer la productivité des secteurs abrités pour éviter d’accroître les inégalités
Pour rester compétitives, les entreprises exposées ont intérêt à ce que les prix – et donc les salaires – demeurent contenus dans le secteur abrité, afin de limiter la hausse du coût des intrants. Mais contenir les prix dans le commerce de proximité, les services à la personne, ou les administrations, accroît les inégalités déjà perceptibles entre les employés des deux groupes.
Il paraît donc préférable de viser une « sortie par le haut », consistant d’abord à agir sur la productivité des abrités. En suivant cette voie, on peut améliorer la compétitivité-coût du secteur exposé tout en contenant les inégalités salariales entre emplois exposés et abrités.
Pour y parvenir, reste à déterminer comment combiner des politiques d’intensification de la concurrence au sein du secteur abrité avec d’autres politiques de formation, de soutien à l’innovation et de diffusion des technologies.
INTRODUCTION
On oppose traditionnellement les emplois industriels et les emplois de services pour appréhender des enjeux tels que la compétitivité, la création d’emplois, ou la croissance de la valeur ajoutée. L’interpénétration croissante de l’industrie et des services rend cependant cette distinction de plus en plus inopérante. Un bien manufacturé incorpore une part croissante de services nécessaires à sa production ou vendus avec lui. Symétriquement, certains services sont produits sur un mode industriel (Fontagné et al., 2014) et exigent des infrastructures et des équipements – comme les réseaux de communication – pour être délivrés5.
Nous pensons donc qu’il faut renoncer à la distinction entre industrie et services au profit d’autres catégories d’analyse, qui tiennent compte explicitement des bouleversements induits par la mondialisation. Dans cette étude nous choisissons d’opposer les emplois exposés à la concurrence internationale et ceux qui en sont abrités, que l’on trouve à la fois dans l’industrie et dans les services.
La distinction entre emplois exposés et abrités6 part de l’idée simple que, dans chaque pays, il y a deux économies. La première, connectée à l’économie globale, produit des biens et services qui peuvent être consommés ailleurs que là où ils ont été produits, ou, dans le cas particulier du tourisme, qui suscitent le déplacement de consommateurs étrangers. La seconde économie, sédentaire, voit sa production satisfaire une demande exclusivement domestique, voire très locale.
Les emplois au sein de la première économie, que nous qualifions d’exposés, sont en concurrence avec des emplois localisés dans d’autres pays. Il ne s’agit plus uniquement d’emplois des secteurs manufacturiers et agricoles mais également de tous les emplois engagés dans la production de services délivrables à distance. Le secteur exposé regroupe donc des emplois aussi divers que des ouvriers de l’automobile, des employés de call centers, des viticulteurs, ou encore des ingénieurs en logiciel. À ceux-là s’ajoutent les emplois touristiques, dans l’hôtellerie par exemple, soutenus pour partie par le déplacement de consommateurs étrangers. Certes les touristes consomment dans le territoire où la production s’effectue, mais en opérant un arbitrage entre plusieurs destinations ils mettent en concurrence des emplois localisés dans différents territoires.
Quant aux emplois de la seconde économie, que nous qualifions d’abrités, ils ne sont en concurrence directe qu’avec des emplois situés dans le même territoire, ce qui n’exclut nullement que la concurrence locale entre abrités puisse être extrêmement féroce. Des restrictions commerciales sous la forme de droits de douane prohibitifs peuvent expliquer pourquoi certains emplois sont abrités de la concurrence étrangère. D’autres sont abrités pour des raisons institutionnelles : c’est le cas par exemple des militaires et des hommes politiques. Mais le plus souvent ce sont les coûts de transport qui constituent une barrière aux échanges internationaux, en particulier pour les activités nécessitant une proximité physique entre le consommateur et le producteur. L’exemple emblématique est le service de coiffure, pas encore automatisable et pilotable à distance et pour lequel les différences de prix et de qualité ne justifient pas de déplacements internationaux de consommateurs. Ce constat est également valable pour d’autres emplois abrités comme les boulangers ou les kinésithérapeutes.
Par conséquent, les emplois exposés peuvent disparaître d’un pays et réapparaître dans un autre en satisfaisant les mêmes clients. À l’inverse, un emploi abrité détruit est nécessairement recréé dans le territoire sur lequel se trouvent ses clients. Prenons l’exemple d’un boulanger qui vend du pain de mauvaise qualité, au point qu’il doive fermer boutique. Ceci entraînera soit l’apparition d’une nouvelle boulangerie, soit la création d’un emploi supplémentaire chez l’un des concurrents du boulanger, car la demande de pain restera la même localement.
Cette présentation de deux économies au sein d’un même territoire exige naturellement d’étudier leurs interactions. En particulier, les emplois abrités vont être très dépendants des activités exposées qui peuvent abandonner un territoire au profit d’un autre. Et plus les exposés d’un territoire sont nombreux et riches, plus la demande qu’ils adressent au secteur abrité est élevée, ce qui entraîne une augmentation de leurs revenus ou de leur nombre. Dans le même temps, les entreprises exposées utilisent des intrants abrités (immobilier, infrastructures publiques, eau, etc.) et verront par conséquent leur compétitivité dépendre assez largement du prix et de la qualité de ces intrants.
Une première partie de cette note passe en revue les principales manières d’aborder la mesure des emplois exposés et abrités, ainsi que la méthodologie retenue dans cette étude. Dans un second chapitre, sont étudiées les différences entre emplois exposés et abrités en France entre 1999 et 2013, en termes de volume d’emploi, de rémunération, de qualification, de productivité, et de géographie. La note s’intéresse enfin aux grandes interactions entre emplois exposés et abrités. Au passage, on verra que les objectifs de compétitivité et de cohésion sociale et territoriale ne sont pas aisément compatibles.
- 5 – Pour une analyse plus approfondie de l’interpénétration croissante de l’industrie et des services, le lecteur pourra se référer à la Synthèse Numéro 8 de La Fabrique (Weil, 2016). Voir également Huber et Hennion (2010).
- 6 – Giraud (2012, 2015) les qualifie aussi d’emplois nomades et sédentaires.
Les emplois exposés sont concentrés sur quelques territoires
1. Comment quantifier les emplois exposés et abrités ?
Chacun comprend que le suivi des emplois exposés et abrités fournit une information précieuse sur l’évolution de la structure d’une économie ouverte aux échanges internationaux. Or, en pratique, il est peu aisé de quantifier de manière précise les emplois exposés et abrités. La comptabilité nationale ne nous en fournit pas directement le nombre. Elle propose une classification des emplois en secteurs d’activité ou en métiers (professions et catégories socioprofessionnelles).
On peut dès lors opter pour une classification ad hoc des emplois, à partir d’une évaluation subjective de l’insertion de chaque secteur ou métier dans l’économie globale. On considère ainsi le plus souvent que l’agriculture, le secteur minier et l’industrie manufacturière sont exposés alors que toutes les activités – et donc tous les emplois – de services sont abritées. Raisonnable il y a quelques décennies, cette hypothèse est devenue trop fragile aujourd’hui, alors qu’un grand nombre de services sont échangés internationalement. Comme le montre une étude de la Banque de France (Cezar, 2016), lorsque l’on mesure les échanges internationaux en valeur ajoutée et non plus en chiffre d’affaires, les services sont à l’origine de plus de la moitié de la valeur des exportations françaises. Cette manière de classifier les secteurs est de plus très dépendante du jugement de chaque auteur, de sorte que les classifications qui en résultent sont parfois très différentes pour un même pays7.
Il est donc préférable d’avoir recours à des indicateurs. Des données sur les échanges de biens et services au niveau des firmes (ou d’ensembles plus agrégés) constituent probablement l’indicateur le plus pertinent. Les emplois d’une firme ou d’un secteur seront considérés comme exposés dès lors qu’une part significative de leur production est échangée8. Hélas, contrairement aux données sur les échanges des biens, la comptabilisation des échanges internationaux de services n’est pas disponible à un niveau sectoriel fin. L’estimation du commerce international de services est délicate en raison du caractère immatériel des flux, et par conséquent moins précise et détaillée que celle des biens.
Des travaux récents utilisent des informations détaillées sur les différentes tâches effectuées par les individus afin de déterminer si leur emploi est directement « délocalisable ». Selon Bardhan et Kroll (2003) les spécialistes de l’externalisation ont tendance à dire, un peu en plaisantant, que tous les emplois consistant principalement à « …être assis à un bureau, parler au téléphone et travailler sur un ordinateur… », sont potentiellement menacés de délocalisation9. Le contenu du travail peut donc permettre de classer les emplois, indépendamment de l’entreprise dans lesquels ils se trouvent. Néanmoins, les travailleurs effectuent bien souvent à la fois des tâches délocalisables et des tâches non délocalisables (Lanz et al. 2011). De plus, les informations sur les tâches effectuées par métier, dans l’Enquête sur les conditions de travail de l’Insee et la Dares, ne nous paraissent pas être suffisamment détaillées pour servir de base à notre classification des emplois exposés et abrités en France.
La méthodologie retenue dans cette étude pour distinguer les emplois exposés et abrités utilise la géographie. Paul Krugman (1991), brillant théoricien de l’économie internationale, constate que les activités exposées sont relativement libres de s’installer où elles veulent puisqu’elles sont en capacité de servir leurs clients à distance. Elles ont donc intérêt à se concentrer afin de pouvoir profiter d’économies d’échelle ou d’agglomération. À l’inverse, puisque la production des entreprises abritées ne s’échange pas internationalement, celles-ci préfèreront se situer à proximité immédiate des consommateurs pour limiter les coûts de déplacement et nouer des liens avec leurs clients. En résumé, on s’attend à observer un découplage géographique marqué entre les entreprises exposées et leurs clients alors que les entreprises abritées seront dispersées proportionnellement à une demande propre à chaque territoire.
2. Une classification basée sur la concentration géographique des emplois
La Carte 1 illustre bien le phénomène de répartition plus ou moins uniforme des emplois. Plus de la moitié des emplois dans la fabrication de produits à base de tabac sont concentrés dans trois zones d’emploi10 (Nantes, Clermont-Ferrand et Paris), alors que ces produits sont consommés dans l’ensemble du territoire. Il en va de même pour les emplois de la pêche et de l’aquaculture, localisés dans les zones côtières. A contrario, les emplois dans le commerce de détail – qui répondent essentiellement à des besoins locaux – sont répartis de façon nettement plus uniforme sur le territoire français. La distribution géographique des emplois dans l’enseignement est remarquablement comparable.
En calculant des indices de Gini, on donne une valeur numérique (comprise entre 0 et 1) au degré de concentration géographique de chaque secteur relativement à la demande qui lui est adressée. Dans le cas extrême où tous les emplois d’un secteur sont concentrés dans une seule zone, et qu’ils servent des clients localisés partout en France, l’indice de Gini a pour valeur 1. Un indice de Gini égal à 0 correspond à l’inverse à une situation dans laquelle les emplois d’un secteur sont dispersés de manière strictement proportionnelle à la demande qui émane de chaque territoire. Une application rigoureuse de la méthode de Krugman (1991) a été réalisée pour la première fois par Jensen et Kletzer (2005) dans le cas des États-Unis, puis par Barlet, Crusson, Dupuch, et Puech (2010) dans le cas de la France. Nous reprenons la méthodologie de Barlet et al. (2010) pour calculer des indices de Gini pour l’année 2012. Différemment de ces auteurs, qui calculent des indices de Gini afin d’identifier les services « échangeables » internationalement, nous nous intéressons à l’ensemble des emplois exposés et à leurs caractéristiques, dans un cadre dynamique11. La méthodologie ainsi que les données utilisées dans cette étude sont présentées dans le détail en Annexe 2.A.
Carte 1 – Répartition spatiale de l’emploi, 2012
Notes : l’emploi est considéré au lieu de travail, selon l’activité principale de l’établissement.
Source : Insee, recensement de la population 2012. Réalisé avec Philcarto : http://philcarto.free.fr
Encadré 1 – Le choix d’un seuil d’exposition à la concurrence internationale
Il faut naturellement convenir d’un seuil qui sépare les exposés des abrités, ce qui fait nécessairement intervenir une part de subjectivité. Nous choisissons comme seuil l’indice de Gini de l’activité la moins concentrée de l’industrie manufacturière : Réparation et installation de machines et d’équipements. Cette façon de déterminer le seuil est similaire à celle de Eliasson et al. (2012) dans le cas de la Suède. Ainsi, les secteurs ayant un indice de Gini supérieur ou égal à 0,25 sont considérés comme exposés. Lorsque la valeur de l’indice de Gini est inférieure à 0,25 les emplois du secteur sont abrités.
On arguera qu’il peut exister des activités exposées à la concurrence internationale pour lesquelles la concentration géographique ne présente pas d’intérêt particulier, par exemple parce qu’elles ne peuvent pas réaliser d’économies d’échelle. Afin de prendre en compte ce cas de figure, nous considérons que les secteurs ayant un taux d’ouverture aux échanges commerciaux supérieur à 15 % sont automatiquement classés dans le secteur exposé. Nous estimons par ailleurs que les activités de collecte et traitement des eaux usées, et de dépollution et autres services de gestion des déchets, répondent à une demande très largement domestique même si elles affichent une concentration assez élevée. Elles ne correspondent pas à notre définition théorique des activités exposées et sont donc classées dans le secteur abrité. Enfin, nous intégrons 30 % des emplois de la restauration dans le groupe des exposés. Ceci correspond à la proportion des emplois de la restauration qui dépendent du tourisme (Le Garrec 2008).
Au total, seuls 5 des 86 secteurs étudiés, représentant 4,4 % de l’emploi total, se voient attribuer une classification différente de celle déterminée par le seuil de 0,25 pour l’indice de Gini12. Ces exceptions n’altèrent nullement les principaux résultats d’une classification basée sur les seuls indices de Gini. Une liste complète des 86 secteurs étudiés ainsi que leur classification figure en Annexe 3.
Sans surprise, les indices de concentration géographique sont particulièrement élevés (entre 0,31 et 0,97) pour l’agriculture et le secteur extractif, dont l’activité est largement déterminée par la géographie. Notons que les richesses du sol et de la mer ne constituent pas des barrières infranchissables à la concurrence internationales dès lors que d’autres territoires proposent des produits similaires ou de substitution à des prix attractifs. Il n’est pas non plus surprenant de constater que le secteur manufacturier affiche des indices de concentration élevés (entre 0,25 et 0,80). Mais la forte concentration de l’offre par rapport à la demande ne concerne pas uniquement les secteurs primaires et secondaires (Figure 1).
Certains secteurs des services ont également des indices de Gini très élevés, notamment dans les transports, l’organisation de jeux de hasard et d’argent, les activités de programmation et diffusion, l’assurance ou l’édition. D’autres activités sont localisées à proximité de leurs clients ou usagers. L’enseignement, la santé, le commerce de détail, l’administration, ou les autres services personnels (blanchisserie-teinturerie, coiffure, services funéraires, etc.) sont faiblement concentrés car ils répondent essentiellement à des besoins locaux. Notons qu’une part importante de l’emploi abrité correspond à un socle de prestations assurées par la collectivité dans tout le territoire. Par conséquent, nous décomposerons parfois l’emploi abrité en une composante marchande et non marchande13.
Précisons enfin que la classification des emplois réalisée dans cette étude, bien que rigoureuse, ne constitue qu’une approximation. Les secteurs, même à un niveau relativement désagrégé, peuvent réunir à la fois des activités exposées et abritées. Et même dans chaque activité, il y a des tâches qui doivent être réalisées sur place et d’autres non. Cette classification est également susceptible d’évoluer dans le temps. L’exposition à la concurrence internationale peut en effet s’étendre à de nouveaux emplois, notamment par la diffusion et le développement des outils numériques.
Figure 1 – Indices de Gini par secteur, 2012
Notes : chaque point correspond à une activité (niveau Divisions de la nomenclature d’activités française révision 2), et l’abscisse correspond au code NAF de chaque activité. Pour faciliter la lecture, on ne fait apparaître que les grands ensembles sur l’axe des abscisses (agriculture, extraction, etc.).
Source : Frocrain et Giraud (2016).
Encadré 2 – Et si les emplois « abrités » n’étaient pas si abrités que ça ? Par Jean-Loup Picard
Dans « La mondialisation, Emergences et Fragmentations », Pierre-Noël Giraud écrit qu’une des caractéristiques de la mondialisation actuelle est « la mise en compétition généralisée des territoires et des activités sédentaires qui s’y trouvent par des firmes globales nomades ». Depuis la publication de cet ouvrage en 2012, le phénomène n’a fait que s’accentuer. Les GAFA (Google, Apple, Facebook, Amazon), que l’on serait bien incapable de positionner dans les catégories fonctionnelles de l’INSEE, sont nomades, sinon sur le plan physique, du moins sur le plan fiscal, mettant en concurrence les Etats, dans des conditions proprement scandaleuses ! La révolution numérique va sans doute accentuer les transformations des secteurs « abrités », tels qu’identifiés dans cette étude. Les quelques 500 000 caissières de supermarchés, les commerçants des centres-villes des agglomérations moyennes concurrencés par les ventes internet, ou encore les salariés des agences bancaires, sont moins bruyants que les chauffeurs de taxis, mais tout autant inquiets pour leur avenir, et seraient bien surpris de se voir catalogués parmi les « abrités ». La trajectoire des emplois décrite sur la période 1999-2013 dans cette étude, où la croissance des emplois de services vient compenser la réduction des emplois industriels, risque de s’infléchir dangereusement. La numérisation avec la mondialisation, c’est un peu la « double peine » qui hante les opinions dans nos démocraties occidentales. Les seuls emplois réellement « abrités » sont les emplois de fonctionnaires, privilégiés par les Français selon une longue tradition qui remonte au XVIIe siècle, mais cette fortune risque de se tarir.
- 7 – C’est ce que montrent Knight et Johnson (1997) dans le cas de l’Australie.
- 8 – Des classifications se basant sur les échanges commerciaux ont été réalisées par exemple par Dwyer (1992), De Gregorio, Giovanni et Wolf (1994), Knight and Johnson (1997), ou encore plus récemment par Mano et Castillo (2015).
- 9 – Le lecteur intéressé par l’estimation du nombre d’emplois délocalisables dans le cas des États-Unis pourra se référer notamment à Blinder (2009), Jensen et Kletzer (2010), Blinder et Krueger (2013). Pour des références complémentaires et une classification dans le cas de l’Allemagne voir : Boockmann (2014), Brändle and Koch (2014), et Pueschel (2013).
- 10 – Une zone d’emploi est un espace géographique au sein duquel la plupart des actifs résident et travaillent, et dans lequel les entreprises peuvent trouver l’essentiel de la main d’œuvre nécessaire pour occuper les emplois offerts.
- 11 – En outre, Barlet et al. (2010) utilisent des données issues de la base Clap (Connaissance locale de l’appareil productif, Insee) pour l’année 2005, sur l’emploi salarié uniquement, alors que nos données proviennent du Recensement de la population 2012 (Insee) et couvrent les emplois salariés et non-salariés.
- 12 – Nous classons la recherche-développement dans le secteur exposé sans reporter d’indices de Gini. Depuis 2010 la R&D n’est plus considérés comme une dépense de consommation intermédiaire mais comme une dépense d’investissement. Et puisque les ménages ne consomment pas ce service, la demande mesurée au niveau locale et l’indice de Gini sont nuls par construction (voir méthodologie Annexe 2.A). Barlet et al. (2010) ont néanmoins montré que, avec un indice de Gini de 0,59 (bien supérieur à notre seuil de 0,25), ce secteur est l’un des secteurs des services les plus concentrés. Par ailleurs, on observe des échanges commerciaux significatifs pour cette activité. Le même problème se pose dans le cas de la Construction de bâtiment. Ce secteur, dont l’emploi est très dispersé sur le territoire, sera considéré comme abrité.
- 13 – La composante non marchande regroupe les divisions 84 à 88 de la NAF. La composante marchande regroupe toutes les autres divisions du secteur abrité.
L’évolution de l’emploi exposé et abrité en France
1. La France perd des emplois exposés et crée de nombreux emplois abrités14
L’emploi exposé a vu son poids se réduire sensiblement, passant de 30 % à 26,8 % de l’emploi total entre 1999 et 2013 (Figure 2). La baisse a été très forte au début des années 2000 et pendant la crise (2009-2010), mais moins marquée depuis 2010. En effectifs absolus, le constat est similaire : sur l’ensemble de la période l’emploi exposé a diminué de 204 000 unités (Figure 3), tandis que l’emploi abrité a augmenté de 2,37 millions unités.
Figure 2 – Part de l’emploi exposé dans l’emploi total, 1999-2013
Source : Comptes nationaux. Calculs des auteurs.
Figure 3 – Évolution de l’emploi exposé et abrité, 1999-2013
Source : Insee, Comptes nationaux. Calculs des auteurs.
Notre repérage met en évidence un autre changement structurel important : celui de la tertiarisation de ces emplois. Aujourd’hui, plus d’un emploi exposé sur deux se trouve dans les services (Tableau 1). Alors que l’industrie manufacturière, l’agriculture et l’extraction ont vu leurs effectifs fondre, les services exposés ont créé au total 780 000 emplois. Les créations d’emplois dans les services exposés se sont nettement accélérées à partir de 2006 et ont à peine ralenti pendant la crise. Il est d’ailleurs intéressant de constater que, sur la période étudiée, ils ont progressé beaucoup plus rapidement que les services abrités ou que le secteur abrité marchand (+26 % contre +12 % et +17 %). Les services exposés les plus dynamiques ont été les activités des sièges sociaux et de conseil de gestion (+172 000) ; les activités administratives et autres activités de soutien aux entreprises (+137 000) qui comprennent notamment les centres d’appel ; la programmation, conseil et autres activités informatiques (+130 000) ; la recherche-développement (+63 000) et des activités liées au tourisme comme les activités créatives, artistiques et de spectacle (+69 000), ou l’hébergement (+41 000)15.
Tableau 1 – Évolution de la structure de l’emploi exposé, 1999-2013
Source : Insee, Comptes nationaux. Calculs des auteurs.
Le recul de l’emploi manufacturier, qui explique trois quarts des pertes d’emplois dans le secteur exposé, résulte d’une conjugaison de plusieurs facteurs bien connus : l’augmentation plus rapide de la productivité dans l’industrie que dans les services combinée à une moindre sensibilité des consommateurs aux baisses de prix des biens manufacturés (faible élasticité-prix de la demande de biens manufacturés) ; une modification de la structure des dépenses des ménages qui se compose d’une part toujours plus grande de services ; l’externalisation de certaines activités à des sociétés spécialisées relevant du secteur tertiaire ; et pour finir, la concurrence internationale, notamment celle des pays émergents16.
Dans le secteur abrité, les plus fortes progressions de l’emploi ont été enregistrées dans la construction (divisions 41-43, +402 000), la santé (+300 000), le commerce de détail (+268 000), le social (divisions 87-88, +419 000) ou encore la restauration. Les organisations associatives et l’administration sont les deux secteurs abrités ayant détruit le plus d’emplois (respectivement -184 000 et -64 000). Le secteur marchand avec 1,7 million d’emplois créés (+17 %) a été globalement plus dynamique que le secteur non marchand où l’emploi a progressé de 655 000 (+9 %).
2. La géographie des emplois exposés et abrités
Rappelons que les emplois abrités suivent peu ou prou la distribution géographique de leurs clients, par opposition aux emplois exposés qui peuvent produire loin du consommateur final et tendent donc à se concentrer. Les zones d’emploi abritant le plus grand nombre d’emplois exposés sont des zones urbanisées correspondant aux principales métropoles françaises : Paris, Lyon, Toulouse, Nantes, Marseille, etc. (Carte 2). Les 10 premières zones concentrent ainsi le tiers de l’emploi exposé français. En revanche, en part relative (% d’exposés dans l’emploi total), c’est principalement dans les zones d’emploi peu peuplées que l’on trouve la plus forte population d’exposés. Elles sont situées dans l’Ouest de la France (Carte 3), sur une longue bande de terre allant de Cognac (Charente) à Vire (Calvados), dans le Nord-Est ou encore en Auvergne et en Midi-Pyrénées. Ces zones se caractérisent le plus souvent par une forte présence de l’industrie manufacturière17.
Carte 2 – Volume de l’emploi exposé par zone d’emploi, 2012
Notes : l’emploi est considéré au lieu de travail, selon l’activité principale de l’établissement.
Source : Insee, recensement de la population 2012. Calculs des auteurs. Réalisé avec Philcarto : http://philcarto.free.fr
Carte 3 – Part de l’emploi exposé par zone d’emploi, 2012
Notes : l’emploi est considéré au lieu de travail, selon l’activité principale de l’établissement.
Source : Insee, recensement de la population 2012. Calculs des auteurs. Réalisé avec Philcarto : http://philcarto.free.fr
La façade méditerranéenne est au contraire la zone où les emplois exposés sont les moins représentés dans l’emploi total18. L’industrie y est relativement moins présente qu’ailleurs mais les services exposés bien implantés. Il ne s’agit pas que de services liés au tourisme, on trouve de nombreux emplois dans des activités à plus haute valeur ajoutée (numérique, recherche-développement, sièges sociaux, etc.) à Aix-en-Provence, Cannes – Antibes, ou encore Marseille – Aubagne. Cela ne suffit pas à contrebalancer le poids des emplois abrités dans cette région.
Les services exposés représentent plus d’un emploi exposé sur deux, mais ils dominent dans seulement 58 des 304 zones d’emploi (Carte 4).
Carte 4 – Composante majoritaire au sein de l’emploi exposé, 2012
Notes : l’emploi est considéré au lieu de travail, selon l’activité principale de l’établissement.
Source : Insee, recensement de la population 2012. Calculs des auteurs. Réalisé avec Philcarto : http://philcarto.free.fr
Ils se concentrent dans les grandes métropoles françaises, la façade méditerranéenne et dans les zones touristiques. L’emploi agricole n’est majoritaire au sein des exposés que dans une poignée de zones d’emploi rurales, se situant principalement dans la partie sud de la France. Dans tout le reste du territoire, c’est-à-dire dans trois quarts des zones d’emplois, c’est l’industrie manufacturière qui domine les emplois exposés.
Cela suggère que la diminution continue de l’emploi industriel – et dans une moindre mesure de l’emploi agricole – est de nature à déstabiliser un grand nombre d’économies locales. Inversement, la progression des services exposés devrait favoriser un nombre plutôt restreint de bassins d’emploi. C’est en tous cas ce que l’on a observé entre 2004 et 201319 (voir cartes Annexes 1.A et 1.B). Très rares sont les zones où l’emploi manufacturier a progressé : 35 zones d’emploi sur les 304 que distingue l’INSEE. Parmi ces zones de résistance industrielle on trouve par exemple Toulouse (aéronautique), mais aussi Sablé-sur-Sarthe (agroalimentaire), ou encore Bagnols-sur-Cèze dans le Gard (métallurgie). La désindustrialisation touche donc la plupart des zones d’emploi. Sans surprise, les bassins traditionnels de l’industrie française (Hauts-de-France, Grand-Est, et Ile-de-France) sont en proie aux plus profondes restructurations, alors que l’emploi industriel résiste davantage dans l’Ouest. Nombre de ces zones assistent, de plus, au recul de leurs emplois de services exposés.
En revanche, il existe également un nombre important de zones où l’emploi dans les services exposés est suffisamment dynamique pour compenser la désindustrialisation. Il s’agit de quelques métropoles (Nantes, Bordeaux, Toulouse, et Montpellier), et plus généralement des façades ouest et méditerranéenne. Finalement, seuls 29 % les zones d’emplois ont vu leur emploi exposé progresser sur la période 2004-2013.
L’emploi abrité, quant à lui, progresse dans la majeure partie du territoire, en particulier dans les métropoles. Plus largement, nous identifions trois grandes zones dynamiques : le littoral atlantique, le littoral méditerranéen, et l’ancienne région Rhône-Alpes. Ces zones sont très prisées pour la qualité de vie qu’ils offrent, ce qui peut en partie expliquer leur dynamisme. Les territoires où l’emploi abrité a reculé (Centre-Val de Loire, Grand-Est) sont généralement également frappés par de nombreuses destructions d’emplois exposés (voir cartes Annexe 1.B).
3. Les caractéristiques des emplois exposés et abrités
A. Les salariés exposés sont en moyenne mieux rémunérés
La distinction entre emplois exposés et abrités révèle d’importants écarts de rémunération. Les salariés du secteur exposé percevaient un salaire annuel brut en moyenne supérieur de 25 % en 2013 (Figure 4), soit un écart annuel d’environ 8 300 euros. Ce différentiel s’est accru de 3,8 points entre 1999 et 2013. Naturellement, ces chiffres agrégés masquent une certaine hétérogénéité. Par exemple, les salaires sont en moyenne moins élevés dans l’agriculture que dans les secteurs abrités marchands et non marchands. Reste que le salaire moyen est plus élevé dans les services exposés, l’industrie, et l’extraction, qui représentent 90% de l’emploi exposé, que dans le secteur abrité. Les salariés des services exposés sont les mieux rémunérés avec un salaire brut annuel moyen de 44 942 euros, devant les salariés du secteur manufacturier et de l’extraction.
Figure 4 – Évolution du salaire relatif des exposés, 1999-2013
Notes : pour chaque groupe, le revenu par tête correspond au ratio de la somme des salaires et traitements annuels bruts et du nombre de salariés en équivalent temps plein.
Source : Insee, Comptes nationaux.
Contrairement à ce que l’on pourrait penser, ce n’est pas le signe d’une différence de qualifications. Au contraire, la structure des qualifications est assez similaire (Tableau 2) dans les deux groupes. Dans le secteur abrité (exposé), 43,7% (43,2%) des travailleurs ont un diplôme inférieur au baccalauréat, 20,1% (19,3%) un diplôme de niveau bac, et 36,2% (37,5%) sont diplômés de l’enseignement supérieur. Les emplois exposés et abrités présentent une structure comparable même lorsque l’on adopte une décomposition en 11 niveaux de formation.
Ce sont donc d’autres caractéristiques structurelles qui expliquent ces différences de salaire. Par exemple, la part des travailleurs masculins est plus importante chez les exposés (63,4 % contre 48 % chez les abrités). On verra également dans une prochaine section que la productivité du travail est plus forte dans le secteur exposé. Or, les gains de productivité sont redistribués – au moins partiellement – aux salariés. Cet avantage peut aussi correspondre à une compensation liée au fait que l’exposition de ces activités à la concurrence internationale rend la probabilité de perdre son emploi plus élevée, ou que la pénibilité est plus forte dans certains secteurs exposés (industriels ou agricoles).
B. Recul des peu qualifiés et progression des diplômés du supérieur dans les deux groupes
De manière frappante, les destructions nettes d’emplois intervenues entre 2009 et 2012 ne concernent que la catégorie de travailleurs ayant un niveau de diplôme inférieur au baccalauréat, tandis que les plus qualifiés ont vu leurs effectifs croître tant chez les exposés que chez les abrités (Tableau 2). Parmi les exposés, les plus qualifiés se trouvent principalement dans les services où plus de la moitié des effectifs détient un diplôme de l’enseignement supérieur. Au sein du secteur abrité, la composante non marchande est la plus qualifiée avec 45 % de diplômés du supérieur, concentrés surtout dans la santé, l’enseignement et l’administration, alors que l’hébergement médico-social et social ainsi que l’action sociale sans hébergement emploient majoritairement des personnes peu qualifiées. Le secteur abrité marchand présente quant à lui une structure de qualifications proche de l’industrie manufacturière avec moins de 30 % de diplômés du supérieur.
Tableau 2 – Part et évolution des effectifs (2009-2012) par niveau de qualification (%)
Lecture : 53,3 % des travailleurs de l’industrie avaient un diplôme inférieur au baccalauréat en 2012 et le nombre de ces travailleurs s’est réduit de 13,8% entre 2009 et 2012.
Source : Insee, recensements de la population 2009 et 2012. Calculs des auteurs.
L’érosion de l’emploi peu qualifié apparaît moins brutale dans le secteur abrité. Alors que les emplois peu qualifiés sont laminés dans bon nombre de secteurs exposés par l’automatisation et la concurrence des pays à bas coût de main-d’œuvre, certaines activités abritées sont relativement épargnées. Les activités liées aux déchets, le nettoyage et l’entretien paysager, ou encore l’action sociale sans hébergement (aide à domicile, crèches, etc.), fonctionnent ainsi comme un refuge pour les personnes peu qualifiées.
C. Une productivité plus forte dans le secteur exposé
Comme pour les rémunérations, le clivage entre exposés et abrités est très marqué s’agissant de la productivité, que nous définissons comme la valeur ajoutée réelle par travailleur en équivalent temps plein. Celle-ci est effectivement nettement plus élevée dans le secteur exposé (Figure 5). En niveau, elle est légèrement supérieure dans les services exposés que dans l’industrie manufacturière et bien plus élevée que dans le secteur abrité. Toutefois, la croissance de la productivité dans l’industrie a été beaucoup plus forte que dans les autres secteurs.
Figure 5 – Évolution des prix et de la productivité dans les secteurs exposés et abrités, 2000-2013
Source : Insee, Comptes nationaux. Calculs des auteurs.
Si les importants gains de productivité du secteur exposé peuvent expliquer une partie des différences de salaire, ils ont aussi largement bénéficié aux salariés abrités. L’écart de salaire entre exposés et abrités a en effet progressé bien moins rapidement que le différentiel de productivité. Depuis 2003, le différentiel de productivité entre exposés et abrités a augmenté de 18 % alors que le différentiel de salaire n’a progressé que de 3,1 %.
Un effet « Balassa-Samuelson » (Balassa 1964, Samuelson 1964) peut expliquer ce phénomène. Selon cet effet, une croissance de la productivité plus forte dans le secteur exposé se traduit par une appréciation du prix relatif des biens et services abrités. Les firmes du secteur abrité doivent en effet augmenter les salaires pour ne pas voir leurs employés fuir vers le secteur exposé qui propose des rémunérations plus avantageuses suite à l’augmentation de sa productivité. Toutes choses égales par ailleurs (taux de marge inchangés, gains de productivité stables, etc.), ces augmentations de salaires dans le secteur abrité ne peuvent s’obtenir que par des augmentations de prix. Et plus les travailleurs sont mobiles entre les secteurs, plus les firmes abrités doivent élever leurs prix afin d’aligner leurs rémunérations sur celles du secteur exposé.
À cela s’ajoute les préférences des consommateurs pour les biens et services abrités. Si, en s’enrichissant, les consommateurs consacrent une part croissante de leurs revenus à l’achat de produits abrités, alors le supplément de pouvoir d’achat généré par l’augmentation de la productivité dans le secteur exposé profite de manière disproportionnée au secteur abrité, et tire donc davantage les prix de ces produits à la hausse.
La dynamique des prix relatifs peut également être expliquée par l’intensité concurrentielle dans le secteur abrité : en raison d’une plus forte protection des marchés abrités, les entreprises sont plus libres dans la fixation de leurs prix et tendent donc à pratiquer des prix élevés. Bénassy-Quéré et Coulibaly (2014) montrent ainsi qu’une partie de la divergence des prix relatifs au sein de l’Union européenne s’explique par des différences dans le degré de réglementation des marchés des biens et services et des marchés du travail.
Enfin, une baisse des taux d’intérêt peut être à l’origine d’une progression plus rapide du prix des biens et services abrités. Piton (2016a) identifie trois mécanismes : (i) l’augmentation de la demande de produits abrités, consécutive à la baisse du taux d’intérêt, ne peut pas être satisfaite par des importations (Dornbusch, 1983) ; (ii) le secteur abrité serait plus dépendant des financements bancaires (Reis, 2013) ; (iii) le secteur abrité serait plus intensif en main-d’œuvre que le secteur abrité et bénéficierait donc moins de la baisse du coût du capital (Piton, 2016b).
On remarque effectivement que les prix dans le secteur abrité ont fortement augmenté alors qu’ils déclinaient légèrement dans le secteur exposé (Figure 5). Nous reviendrons sur ces aspects dans le prochain chapitre où nous étudierons les interactions entre exposés et abrités. Retenons simplement que, par le jeu des prix relatifs, les gains de productivité du secteur exposé bénéficient en partie aux travailleurs des secteurs abrités.
4. Regards internationaux
Nous avons montré qu’en France, l’emploi exposé est minoritaire, en recul, et se tertiarise. C’est un phénomène que l’on observe dans de nombreux pays développés.
Sur la même période (1999-2013) aux États-Unis, Hlatshwayo et Spence (2014) estiment que l’emploi exposé passe de 30 % à 26,3 % de l’emploi total, et se réduit en effectifs absolus (-3.4 millions) en raison d’un très fort repli de l’emploi manufacturier et agricole, non compensé par la progression des services exposés. S’agissant des rémunérations aux États-Unis, Jensen et Kletzer (2005) ont montré qu’elles sont en moyenne plus élevées dans le secteur exposé, en particulier dans les services20. Ces auteurs mettent par ailleurs en évidence une baisse généralisée de l’emploi peu qualifié entre 1998 et 2002, associée à une forte progression des plus qualifiés dans les services exposés et le secteur abrité.
Les tendances dégagées par Eliasson et al. (2012) dans le cas de la Suède sont également comparables aux nôtres. Ils soulignent en particulier l’impressionnant dynamisme de l’emploi dans les activités de services échangeables (exposés).
Au Royaume-Uni, l’emploi exposé s’est réduit de 770 000 entre 1996 et 2010 alors que l’emploi abrité augmentait de 3,29 millions (IPPR, 2011). Enfin, les estimations de Gonzales et al. (2012) indiquent que, même si entre 2000 et 2007 l’emploi exposé est beaucoup plus dynamique en Inde et au Chili qu’aux États-Unis, au Royaume-Uni ou en France21, son poids dans l’emploi total a cependant décliné en Inde et à peine progressé au Chili. Dans tous ces pays, la rémunération est la plus élevée dans les services exposés. Aux États-Unis comme en Inde, seuls pays pour lesquels Gonzales et al. (2012) peuvent décomposer l’emploi par niveau de qualification, les services exposés ont connu la plus forte augmentation de la part des plus qualifiés.
Si l’on applique notre classification des emplois exposés et abrités aux autres pays européens (UE-27)22, on observe des tendances comparables. On assiste au déclin de la part de l’emploi exposé dans tous les pays, sous l’effet d’un repli de l’emploi agricole ou manufacturier. L’emploi exposé est partout minoritaire, sauf en Roumanie où une grande partie de la population active travaille dans l’agriculture. L’Allemagne, première puissance économique européenne, compte 30 % d’exposés, composés majoritairement d’emplois industriels (57 %), même si les emplois de services exposés (37 %) ont progressé sur la période 1999-2013. L’Italie, l’Autriche, la Finlande et la Suède, présentent une structure de l’emploi exposé proche de celle de l’Allemagne. À l’Ouest (Espagne, France, Royaume-Uni, Belgique, Pays-Bas), les services exposés dominent et l’industrie recule. En Europe centrale, l’emploi exposé avoisine les 40 % (Carte 5), et correspond à une base industrielle forte.
Carte 5 – Part des emplois exposés dans l’emploi total (UE-27), 2013
Source : Eurostat. Calculs des auteurs. Réalisé avec Philcarto : http://philcarto.free.fr
En Europe comme aux États-Unis, c’est donc l’emploi abrité qui affiche le plus fort dynamisme. Mais le repli de l’emploi exposé ne s’opère pas partout au même rythme ni à partir des mêmes niveaux, et les spécialisations varient sensiblement d’un pays à l’autre. En schématisant, on peut distinguer trois grandes zones en Europe : l’Ouest où l’emploi exposé est largement minoritaire et composé d’un grand nombre d’emplois de services ; une partie centrale, comprenant aussi l’Italie et la Scandinavie, où l’emploi exposé est mieux représenté grâce à la résistance de l’emploi industriel ; et enfin une partie Sud-Est (Roumanie, Bulgarie, Grèce) où l’emploi exposé correspond d’abord à des emplois agricoles (Carte 6).
Carte 6 – Composante majoritaire au sein de l’emploi exposé (UE-27), 2013
Source : Eurostat. Calculs des auteurs. Réalisé avec Philcarto : http://philcarto.free.fr
- 14 – Pour étudier l’évolution de l’emploi exposé et abrité en France nous utilisons des données issues des comptes nationaux (Insee) sur l’emploi total par branches. Nous faisons l’hypothèse que la classification des secteurs exposés et abrités établie dans la section précédente, pour l’année 2012, ne varie pas sur l’ensemble de la période 1999-2013.
- 15 – Notons que la part de la valeur ajouté du secteur exposé est également en déclin. Elle représentait 29,7 % du PIB en 2013 contre 34,4 % en 1999.
- 16 – Voir Demmou (2010) pour une évaluation de l’importance de ces déterminants structurels dans le recul de l’emploi industriel en France entre 1980 et 2007.
- 17 – La Ferté-Bernard (Pays de la Loire) est la zone d’emploi française comptant la part d’exposés la plus importante dans l’emploi total. Avec moins de 16 000 emplois, cette zone d’emploi fait partie des 50 plus petites. Plus de 80 % de l’emploi exposé se trouve dans l’industrie, surtout dans l’agroalimentaire et la métallurgie, environ 10 % dans l’agriculture et une faible part restante dans les services.
- 18 – La zone d’emploi comptant la plus faible part d’exposés est Toulon (département du Var). Les trois grandes composantes de l’emploi exposé (industrie manufacturière, services, et agriculture) sont présentes dans des proportions proches de la moyenne nationale. L’emploi industriel est principalement concentré dans le secteur des autres matériels de transport (construction navale) et dans l’agroalimentaire. La moitié de l’emploi exposé se trouve dans le secteur des services, en particulier dans le tourisme, l’assurance, les sièges sociaux, ou encore l’entreposage.
- 19 – Notez que les données issues de la base Clap (Connaissance locale de l’appareil productif) de l’Insee que nous utilisons pour étudier les évolutions dans la géographie des emplois entre 2004 et 2013 ne concernent que l’emploi salarié et non l’emploi total.
- 20 – Selon les auteurs, la rémunération est en moyenne supérieure de 6 % lorsque l’on tient compte de l’influence de l’âge, du sexe, du groupe ethnique, et du fait d’être diplômé de l’enseignement supérieur.
- 21 – Notons que les auteurs ont repris la classification de Jensen and Kletzer (2005) en faisant l’hypothèse que les activités exposées sont les mêmes dans ces pays qu’aux États-Unis.
- 22 – On utilise des données Eurostat sur l’emploi total. Les données sont initialement ventilées en 64 secteurs contre 88 dans le reste de la note (données Insee, sur la France uniquement). Par chance, des activités exposées et abritées (au sens de notre classification, figurant en Annexe 3) ne sont regroupées au sein d’un même secteur que dans trois cas. Deux fois nous avons décidé d’imputer la moitié des emplois au groupe des exposés, l’autre moitié correspondant à des emplois abrités. Dans le dernier cas, nous avons décidé d’imputer l’ensemble des emplois au groupe des abrités, compte tenu du poids relatif des activités regroupées.
Comment interagissent les exposés et les abrités
Dans les deux premiers chapitres nous avons distingué deux types d’emplois. Pour différents qu’ils soient, ils n’en demeurent pas moins articulés et interdépendants. Pour bien le comprendre, considérons le monde comme une mosaïque de territoires économiques. Un « territoire économique » désigne un espace géographique borné par des frontières, à l’intérieur desquelles les hommes, les marchandises, les capitaux et les informations circulent librement. Les flux entre deux territoires ne sont jamais aussi « libres » qu’au sein d’un même territoire, ne s’agirait-il que du flux des hommes.
Les entreprises exposées se caractérisent par leur relative mobilité entre les territoires. Elles peuvent décider de produire où bon leur semble et mettent donc en concurrence les territoires dans leur choix de localisation.
Le secteur exposé a potentiellement accès à une demande émanant du monde entier, et nous avons vu que sa productivité et ses rémunérations sont élevées. Du point de vue d’un territoire, c’est une raison suffisante pour vouloir attirer ou simplement maintenir ces emplois sur son sol. C’est aussi, comme nous allons le voir, un puissant levier de développement de l’emploi abrité.
En situation de plein emploi, attirer une activité mobile ne fait que déplacer des ressources. On peut ouvrir une nouvelle usine d’assemblage d’avions en recrutant des travailleurs de l’automobile. Mais puisque toute la main-d’œuvre de l’économie est employée, on devra – toutes choses égales par ailleurs – réduire l’emploi et la production dans l’automobile. En situation de plein emploi, on ne créera donc aucun emploi en attirant des activités exposées23.
En revanche, s’il existe des travailleurs inemployés, attirer des activités exposées peut exercer un effet multiplicateur sur l’emploi. Celui-ci jouera surtout au niveau local. Par exemple, les commandes record adressées en 2016 au chantier naval STX France auront certes un impact non négligeable sur la balance commerciale française, mais les retombées bénéficieront surtout à l’agglomération nazairienne où sont localisés les milliers d’employés de l’entreprise et de ses sous-traitants. Les revenus générés par ces nouveaux emplois devraient permettre à leur tour des créations d’emplois induits, et notamment des emplois abrités, dans les restaurants, les cinémas, les commerces ou encore les entreprises du bâtiment de la zone.
Dans la suite nous proposons une quantification de l’effet multiplicateur local de l’emploi exposé sur l’emploi abrité. Nous élargissons ensuite la discussion en raisonnant à l’échelon national.
1. L’impact local de l’emploi exposé sur l’emploi abrité : les mécanismes en jeu24
Imaginons que, suite à l’arrivée d’une nouvelle firme exposée dans une zone ou à l’expansion d’un établissement, le nombre de personnes employées dans cette zone augmente. Ces nouveaux travailleurs vont consommer une partie de leurs revenus en biens et services abrités. De même, l’augmentation de la production des exposés va accroître la demande d’intrants, dont une partie est nécessairement abritée (service de fourniture d’eau et d’électricité, sécurité, immobilier, services postaux, etc.). L’impact local final de l’emploi exposé sur l’emploi abrité dépendra des paramètres clefs suivants.
La préférence pour les biens et services abrités. Plus la part des revenus consacrés à l’achat de produits abrités est élevée, plus la création de nouveaux emplois exposés favorise le nombre ou le revenu des travailleurs abrités.
La technologie de production. Plus la production abritée est intensive en main-d’œuvre, plus le supplément de demande adressée à ce secteur est susceptible de se traduire en embauches.
Le type d’emplois créés dans le secteur exposé. On s’attend à ce que le multiplicateur soit plus grand quand des emplois offrant des rémunérations élevées apparaissent.
Le taux de chômage. Plus le taux de chômage d’une zone est faible plus les entreprises doivent consentir à des augmentations de salaire pour attirer des travailleurs qui ont un pouvoir de négociation important.
La mobilité géographique des travailleurs. Si une zone est au plein emploi, il faut attirer des travailleurs d’autres territoires pour réaliser la production. Ceux-ci n’apprécient pas – en général – la mobilité, ne serait-ce que parce qu’elle induit des coûts et des désagréments. Si le taux de chômage est faible et la mobilité géographique est faible, ce sont surtout les salaires qui réagiront à l’augmentation de la demande de travail du secteur abrité et non l’emploi.
L’offre de logement. Une « faible » offre de logement25 ou de terrains constitue une entrave à la mobilité des travailleurs et au développement des entreprises, et freine par conséquent la progression de l’emploi dans le secteur abrité. Elle varie selon les conditions géographiques et réglementaires propres à chaque zone.
Les bénéfices liés à l’agglomération. Un grand bassin d’emploi permet d’avoir accès à une plus grande variété de consommations intermédiaires, de trouver plus facilement un profil de travailleur correspondant à ses attentes, de voir circuler davantage de connaissances, etc.
En résumé, des exposés plus nombreux, ou plus riches, ou plus friands de biens et services locaux favorisent le développement d’emplois abrités. Cependant, la réaction des prix (foncier et salaires) à l’augmentation de la demande de travail et de terrains peut réduire le nombre d’emplois abrités créés à la suite de la progression de l’emploi exposé. L’augmentation des prix peut même faire fuir ou disparaître certaines firmes exposées ayant trop perdu en compétitivité prix pour continuer à produire dans cette zone. Inversement, des effets positifs liés à l’agglomération peuvent compenser l’augmentation des prix : une firme globale de matériel électronique localisera une nouvelle unité d’assemblage final à Shenzhen (Chine) et non (pour le moment) à Kinshasa (RDC), même si les salaires y sont plus bas. Elle trouvera en effet à Shenzhen des infrastructures, un bassin de compétences, des sous-traitants et un savoir-faire collectif dont elle bénéficiera gratuitement.
2. 100 nouveaux emplois exposés créent 64 emplois abrités au niveau local
Une approche économétrique, développée par Enrico Moretti (2010), permet d’estimer le nombre d’emplois abrités créés dans une zone donnée à la suite de l’apparition d’un nouvel emploi exposé dans cette même zone. On parle de « multiplicateur local ». Dans le cas des États-Unis, il estime que 100 nouveaux emplois exposés créent localement 160 emplois dans le secteur abrité, soit un multiplicateur local égal à 1,6. De manière intéressante, Moretti (2010) rompt avec les analyses basées sur les tableaux entrées-sorties et privilégie une approche économétrique qui permet aux effets d’équilibre général développés précédemment (migrations de travailleurs, hausse du foncier, fuite de firmes suite à la hausse des coûts, etc.) de jouer librement.
Pour estimer un multiplicateur local « moyen » dans le cas de la France, nous avons constitué un échantillon regroupant les 304 zones d’emploi de la France métropolitaine, observées sur trois intervalles de temps au cours de la période 2004-2013. Les données, la méthodologie et les résultats complets sont disponibles en Annexe 2.B.
Selon nos estimations, lorsque 100 emplois exposés apparaissent dans une zone d’emploi, 64 emplois abrités supplémentaires sont créés au sein de cette même zone. Notons que le secteur exposé exerce un effet multiplicateur local sur lui-même non négligeable (25 emplois pour 100 nouveaux emplois) mais nettement inférieur à celui exercé sur l’emploi abrité.
On ne trouve pas d’effet multiplicateur local significativement différent de zéro de l’emploi abrité sur l’emploi exposé. Ceci est cohérent avec l’idée que, puisque la demande adressée à une firme exposée émane virtuellement du monde entier, l’augmentation de la demande locale n’a que peu d’impact. Par exemple, la progression de l’emploi abrité à Toulouse n’aura pas d’impact notable sur la production d’Airbus A380.
Le multiplicateur local que nous obtenons est deux fois moindre que celui estimé par Moretti (2010) dans le cas des États-Unis. Néanmoins, nos résultats ne sont pas tout à fait comparables car Moretti (2010) limite le périmètre du secteur exposé aux seuls emplois manufacturiers, alors que nous incluons des emplois de l’agriculture, du secteur minier et des services exposés. En outre, nous améliorons légèrement sa méthodologie, en suivant les recommandations de van Dijk (2015). Avec les mêmes données que Moretti (2010), van Dijk (2015) trouve ainsi un multiplicateur de 0,84 pour l’industrie manufacturière. Gerolimetto et Magrini (2015), qui incluent les services exposés et appliquent les recommandations de van Dijk (2015), obtiennent un multiplicateur local de 0,53, inférieur au nôtre. Enfin, Avec une méthodologie un peu différente, Malgouyres (2016) trouve un multiplicateur local de 1,46 en France, sur la période 1995-2007, en n’incluant que les emplois manufacturiers dans le secteur exposé. Dans le cas de l’Italie, deux études tendent à montrer que l’effet multiplicateur local est nul (Blasio et Menon, 2011 ; Auricchio, 2015), en raison notamment de l’existence de freins à la mobilité des travailleurs.
Il y a donc, dans la littérature, plusieurs estimations proches de la nôtre. D’autres sont plus éloignées. Mais ce n’est pas tant la valeur exacte du multiplicateur local qu’il faut retenir, puisqu’elle est évidemment entourée d’une part d’incertitude26, mais l’idée essentielle que, dans le cas de la France, l’emploi exposé a un impact fort et attesté sur l’emploi abrité.
Enfin, ces effets locaux se diffusent sur le territoire national via trois principaux canaux. Premièrement, la mobilité des individus soutient les emplois abrités d’autres zones (déplacements, tourisme…). Deuxièmement, le supplément de revenus généré dans une zone offre des débouchés pour certaines activités exposées d’autres territoires, dont une partie sont situées sur le territoire national. Troisièmement, le surcroît de recettes fiscales engrangées par l’administration centrale est redistribué dans plusieurs zones.
Encadré 3 – Si l’effet multiplicateur local existe, pourquoi l’emploi abrité progresse-t-il ?
La mise en évidence d’un effet multiplicateur local peut sembler contradictoire avec les évolutions présentées dans le chapitre précédent, i.e. l’augmentation de l’emploi abrité concomitante du recul de l’emploi exposé. Pour lever la contradiction, il suffit de répondre positivement à la question suivante : est-il possible que la demande adressée au secteur abrité progresse alors même que l’emploi exposé se réduit ? Oui, compte tenu de la dynamique de la productivité dans le secteur exposé et de l’évolution générale de la structure de la consommation.
Le secteur exposé réalise l’essentiel des gains de productivité. En utilisant ce supplément de richesse créée à la consommation de tel ou tel produit, les consommateurs déterminent quels secteurs profitent de l’enrichissement de la société. Or, à mesure que la société s’enrichit, la structure de la consommation se déforme au profit des services (Kuznets, 1973) : si une voiture ou un ordinateur de bonne qualité coûte moins cher, on aura certes tendance à en changer plus facilement, mais en général le budget consacré à cet équipement diminuera, au bénéfice d’autres consommations, notamment de services. Et puisque le secteur exposé est constitué pour moitié d’emplois agricoles et industriels, le supplément de demande va surtout bénéficier au secteur abrité. Par conséquent, alors que l’industrie ou l’agriculture produisent autant, voire plus, avec moins de travailleurs, les entreprises du secteur abrité réagissent à l’augmentation des débouchés par des hausses de prix (effet Balassa-Samuelson) ou des embauches.
En résumé, compte tenu des préférences de consommation des individus, le différentiel de productivité induit des transferts d’emploi des secteurs à forte croissance de la productivité (exposés bien souvent) aux secteurs à la productivité moins dynamique (abrités bien souvent)27.
3. La compétition internationale implique-t-elle la rupture des solidarités économiques ?
Nous venons de mettre en lumière des mécanismes de diffusion de la richesse générée par les emplois exposés sous la forme de création d’emplois abrités ou d’augmentation de leurs revenus. En économie fermée, ce transfert intersectoriel, qui permet une certaine homogénéisation des revenus est tout à fait vertueux. Mais comme le souligne Giraud (1996, 2012, 2015), un des effets de la globalisation des firmes est de mettre à mal les « solidarités économiques objectives » à l’œuvre dans des économies relativement fermées. Aujourd’hui, le marché des entreprises exposées est international. Lorsque les salaires et le pouvoir d’achat stagnent dans leur territoire, elles peuvent vendre ailleurs, la seule exigence étant d’être compétitif dans l’économie globale.
Pour rester compétitives, les entreprises exposées ont intérêt à ce que les prix – et donc les salaires – demeurent contenus dans le secteur abrité afin de limiter la hausse du coût des intrants. Quant aux travailleurs des entreprises exposées, dont la rémunération est largement fixée au niveau international, ils tireront également avantage, en tant que consommateurs, de biens et services abrités bon marché.
On a constaté qu’en France, les prix dans le secteur abrité avaient augmenté nettement plus vite que dans les secteurs exposés (Figure 5). Ce qui compte pour la compétitivité des exposés est la comparaison avec les territoires concurrents : selon France Stratégie (Sy, 2014 ; Aussilloux et Sode, 2016) et l’OFCE (Le Moigne et Ragot, 2015) il ne fait pas de doute que le prix relatif des biens et services abrités handicape la compétitivité-coût du secteur exposé français vis-à-vis de l’Allemagne.
« […] nous pouvons même affirmer que l’essentiel du désavantage de compétitivité-coût français tient à la divergence nominale entre la France et l’Allemagne dans le secteur abrité de la concurrence internationale. » Le Moigne et Ragot, 2015.
Autrement dit, soutenir la compétitivité des emplois exposés, qui jouent un rôle décisif dans la création de richesses et d’emplois, pousse à limiter la progression des salaires, des profits et des rentes foncières dans le secteur abrité. Il est incontestable que la réglementation a créé en certains endroits des rentes de monopole, pouvant appeler une intensification de la concurrence dans certains secteurs abrités. Mais il est également incontestable que tous les emplois abrités ne relèvent pas de ce cas de figure. Une stratégie « simpliste » de compétitivité-prix des exposés pourrait avoir comme conséquence de creuser les inégalités déjà visibles entre les employés des deux groupes. En outre, comme le soulignent Aussilloux et Sode (2016), la capacité de redressement de notre compétitivité-coût est largement dépendante des politiques de nos partenaires :
« Vis-à-vis de l’Allemagne […] l’écart de compétitivité-coût s’est fortement réduit pour atteindre 6 points contre 17 à son pic en 2007. Cette résorption s’explique en grande partie par l’augmentation des coûts salariaux unitaires dans le secteur abrité allemand depuis 2008 et par la baisse du coût du travail permise par le CICE et le Pacte de responsabilité. Il n’est cependant pas sûr que la dynamique récente se maintienne. En Allemagne notamment, l’arrivée massive des réfugiés pourrait compromettre les futures revalorisations du salaire minimum et donc les évolutions à la hausse des coûts salariaux. À l’inverse, l’Espagne et l’Italie se sont engagées depuis la crise dans une compression salariale nettement plus vigoureuse qu’en France. Cette concurrence exacerbée ne peut être ignorée. Si elle perdurait, elle pourrait lourdement remettre en question les résultats des efforts récents de la France. »
Il nous paraît donc préférable de viser une « sortie par le haut », consistant bien évidemment à cultiver l’attrait du territoire pour les activités exposées, mais aussi à agir sur la productivité des abrités. En théorie, cette voie permettrait non seulement d’améliorer la compétitivité-coût du secteur exposé mais également d’enrayer la progression des inégalités salariales entre emplois exposés et abrités. Reste à déterminer comment parvenir à cette augmentation de la productivité dans le secteur abrité. En particulier, comment combiner politiques d’intensification de la concurrence (domestique) au sein du secteur abrité afin d’y réduire certaines rentes inefficaces, et politiques de formation, de soutien à l’innovation et de diffusion des technologies.
- 23 – Le changement dans la structure de la production ne sera néanmoins pas sans conséquences sur la croissance et les revenus.
- 24 – Le cadre conceptuel développé dans cette section s’appuie sur Moretti (2010, 2011) et Moretti & Thulin (2013)
- 25 – On peut préférer le terme d’offre inélastique, c’est-à-dire une offre qui augmente faiblement avec le prix de marché.
- 26 – Comme nous venons de le voir, les choix méthodologiques, de même que le pays et la période étudiée, déterminent en partie les résultats. Il convient à ce propos de mentionner les limites de notre étude. D’abord, les données utilisées dans Frocrain et Giraud (2016) ne concernent que l’emploi salarié et non l’emploi total ou le nombre total d’heures de travail. Ensuite, certains effets de moyen/long terme peuvent ne pas être pris en compte puisque nous étudions des intervalles de trois années. Enfin, le multiplicateur n’est pas nécessairement le même dans toutes les zones : il peut être plus élevé dans les zones où le chômage est important (van Dijk, 2016).
- 27 – Voir Schreiber et Vicard (2011) pour une étude des liens entre la tertiarisation de l’économie française et l’évolution de la productivité.
Sarah Guillou – Distinction exposés/abrités : les questions en suspens – Commentaire
Sarah Guillou est directrice ajointe au département innovation et concurrence de l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE). Ses principaux thèmes de recherche portent sur l’économie internationale et les politiques publiques affectant la compétitivité des entreprises.
La distinction services-industrie bien qu’aisée sur le plan statistique en raison des classifications sectorielles existantes, n’est plus vraiment utile ni pertinente pour identifier les caractéristiques technologiques et concurrentielles des activités de production (Guillou, 2016 ; INSEE Entreprises, 2016). Philippe Frocrain et Pierre-Noël Giraud propose la distinction entre secteurs abrités et exposés. Cette dichotomie est indéniablement plus pertinente dans la nouvelle division internationale du travail bien qu’elle soit plus difficile à opérer. Cette classification apporte une compréhension supplémentaire des enjeux de la globalisation. Je discuterai cependant de ses limites et des moyens de l’améliorer, puis je reviendrai sur les enseignements qu’elle apporte tout en soulignant les énigmes qu’elle ne résout pas.
A. Limites et approfondissement de la classification exposés/abrités
La distinction exposés/abrités est très proche d’une distinction ancienne en théorie du commerce international qui est celle entre les biens échangés et les biens non échangés. Cette distinction théorique s’est traduite empiriquement par une comparaison du degré d’ouverture des secteurs aux échanges internationaux (exportations et importations). Il serait utile que les auteurs précisent ce qu’apportent de plus leur typologie relativement à une approche selon le degré d’ouverture, et comparer les incidences sur le classement des secteurs
Le critère qui consiste à identifier la distance entre la production et la localisation du consommateur mériterait d’être approfondi. En effet, la distance pourrait être non seulement géographique mais aussi culturelle, institutionnelle et économique (concordance des cycles ou proximité des spécialisations). Un indicateur composite par secteur pourrait enrichir la compréhension de l’intensité d’exposition du secteur. Par ailleurs, il faut aussi intégrer une évolution récente de la division internationale du travail qui engendre deux types d’exposition : celle où les clients sont à l’étranger et la production est localisée dans le pays domestique, et celle où les clients mais aussi les emplois sont à l’étranger. Le cas récent d’Alstom qui a obtenu un contrat aux États-Unis mais dont la production sera localisée aux États-Unis illustre l’importance à accorder à cette différence pour mesurer l’exposition des emplois.
Au final, les auteurs utilisent principalement un indicateur de concentration qui permet de classer 86 secteurs d’activités selon qu’ils sont abrités ou exposés sur la base de la concentration géographique qui révèle la distance entre production et consommation. Il demeure une ambiguïté quant à la contrainte de localisation. La concentration des activités n’est pas forcément la traduction d’une absence de contrainte de localisation. En général, les secteurs qui exportent beaucoup sont localisés près des infrastructures de transport, de communication et des viviers de qualification, c’est-à-dire dans les grandes villes. Il est juste de dire que leur localisation est concentrée mais non qu’elle pourrait se réaliser partout. Par ailleurs, si on inclut le tourisme dans les secteurs exposés, la contrainte de localisation est très forte puisque le produit est lié à la localisation. En France, le secteur du tourisme est très important et se singularise au sein des secteurs exposés.
B. Enseignements de la classification et énigmes
Les auteurs mettent en évidence des dynamiques différenciées dans les deux groupes de secteurs qui à la fois apportent des éclairages intéressants mais aussi soulèvent des questions.
Concernant la dynamique des emplois, les auteurs observent la baisse de la part et du nombre des emplois exposés dans l’emploi total et par ailleurs, au sein des secteurs exposés, une augmentation de la présence des services. Il serait intéressant de mettre en perspective ce résultat avec le mouvement de désindustrialisation qui fait disparaître l’emploi manufacturier. Bien sûr, ce recul est aussi une question d’exposition mais par ailleurs, les emplois exposés sont plus soumis à la substitution homme-machines et il serait intéressant d’explorer ce point.
Concernant les performances comparées, les emplois exposés sont mieux rémunérés. Cette observation est cohérente avec la plus forte productivité de ces secteurs. Ce qui est plus surprenant, c’est l’absence de lien avec les qualifications. Il faudrait approfondir ce point et contrôler de la présence du secteur non marchand dont les salaires répondent à une dynamique particulière. Si la distribution des diplômes est en effet comparable une fois ces contrôles réalisés, cela signifie que le capital humain n’est guère différent mais que la combinaison hommes-machines est plus intense dans les secteurs exposés. Une mesure de l’intensité capitalistique apporterait à ce titre un complément d’information. Par ailleurs, la présence de services étant plus forte parmi les secteurs abrités, on est confronté à l’interprétation, voire au calcul, de la productivité dans les services (Baumol et Bowen, 1966).
Concernant la dynamique des qualifications, les auteurs ne mettent pas en évidence une polarisation des emplois, telle que le secteur exposé verrait se concentrer la croissance des emplois qualifiés et le secteur abrité celle des emplois peu qualifiés. Les deux secteurs connaissent une réduction des emplois peu qualifiés. Toutefois, le secteur abrité est le seul à admettre des créations d’emplois peu qualifiés et apparaît comme un refuge pour les emplois non qualifiés. Il serait intéressant de se demander si la source de la moindre productivité des secteurs abrités n’est pas le résultat de la migration des salariés les moins qualifiés des secteurs exposés notamment de l’industrie comme le suggère les travaux de Young (2014). Il importe de comprendre les sources de la moindre productivité des secteurs abrités pour définir des pistes pour l’augmenter. C’est en effet à cette condition que les inégalités entre les deux secteurs seront soutenables.
Au final, c’est moins l’ouverture en tant que telle qui crée des ruptures d’inégalités que la dynamique industrielle, concurrentielle et technologique de la dernière vague de mondialisation. Cette dernière affecte les performances des secteurs exposés, s’accompagne de turbulences sur la démographie des entreprises mais crée aussi une dynamique positive pour les emplois abrités. La qualité des secteurs abrités en termes de prix mais aussi de productivité est un élément clé de la compétitivité des secteurs exposés. Le secteur exposé n’a pas intérêt à une dépréciation de la qualité des biens et services abrités relativement aux partenaires commerciaux. L’évolution relative des prix (Figure 5) montre qu’en France, le secteur abrité n’est pas victime d’une dépréciation mais au contraire d’une distance entre la croissance de sa productivité et celle de ses salaires.
Elizabeth Ducottet – Pour un Mittlestand à la française – Commentaire
Elizabeth DUCOTTET est Président-directeur-général de Thuasne, ETI industrielle internationale créée en 1847, et l’un des acteurs majeurs du dispositif médical dans le monde. Elle est également membre du Conseil général de la Banque de France, Co-président du METI, Président du R3I Lab, membre élu de la CCI Paris Ile-de-France, membre du Conseil stratégique d’EY et membre du Conseil national de l’industrie (CNI).
Emplois abrités, emplois exposés : c’est à l’aune de cette grille de lecture renouvelée de la dynamique de l’emploi en France proposée par la Fabrique de l’Industrie que devrait se construire la politique économique du pays pour les années à venir.
Le constat est particulièrement saisissant : à l’heure de l’accélération de la mondialisation, l’emploi exposé est, en France, minoritaire. En recul de surcroît : en moins de 15 ans, il est passé de 30% à 26,8% de l’emploi total ! C’est bien aujourd’hui sur le secteur exposé qu’il faut porter l’effort. Miser sur le secteur exposé, ce n’est ni abandonner ni négliger le secteur abrité, c’est au contraire lui redonner vigueur, compétitivité et dynamisme tant l’effet d’entraînement de l’industrie, des services qualifiés, ou encore des entreprises du numérique sur le secteur abrité est puissant, au plus profond des territoires.
Le chemin le plus court pour soutenir le secteur et l’emploi exposés, est de porter l’ambition d’un Mittelstand à la Française en faisant passer – ENFIN ! – les entreprises de taille intermédiaire (ETI) de catégorie statistique à objet de politique publique à part entière. La contribution économique de nos 5000 ETI aux exportations, à l’industrie, à l’emploi dans les régions est majeure. Elle n’est plus à démontrer. Nous manquons d’ETI en France, le constat est également unanimement partagé. Reste à agir en permettant aux ETI et aux futures ETI de monter en taille et en gamme. Décadenasser notre appareil productif d’une mauvaise fiscalité assise sur les facteurs de production, libérer la capacité d’investissement de nos ETI pour qu’elles soient en mesure de se robotiser et de prendre la vague de la transformation digitale formidable gisement de croissance, aligner le coût du travail – notamment de nos cadres – sur la moyenne européenne pour que les ETI puissent attirer les meilleurs talents, telles pourraient être les quelques voies pour doper l’emploi du secteur exposé.
Alors que débats et doutes s’installent sur la capacité de la France à se réindustrialiser, le plus puissant des remèdes au fatalisme et à la résignation reste l’action. Action résolue, stratégique en faveur du secteur exposé. Il y a urgence, les cinq années à venir seront décisives.
Conclusion
Un constat s’impose : l’imbrication de l’industrie et des services est devenue si forte qu’elle rend de moins en moins pertinente cette distinction traditionnelle. Cette note explique pourquoi il est préférable de distinguer les emplois exposés à la concurrence internationale de ceux qui en sont abrités, et dresse, sous cet angle, un portrait de l’emploi en France.
On constate que l’emploi exposé en France est minoritaire et en recul : il est passé de 30 % à 26,8 % de l’emploi total entre 1999 et 2013. Cependant la productivité est plus élevée dans le secteur exposé que dans le secteur abrité, tout comme les salaires, de 25 % supérieurs en moyenne, alors que les niveaux de qualification sont comparables.
La tertiarisation des emplois exposés (un sur deux est un emploi de services) constitue un autre changement structurel majeur. Ces tendances sont également observées aux États-Unis et dans l’Union Européenne.
L’emploi exposé est assez inégalement réparti sur le territoire. L’essor des activités de services exposés, principalement dans les espaces métropolitains, la façade atlantique et le pourtour méditerranéen, profite à un grand nombre de personnes mais dans un nombre relativement restreint de bassins d’emploi. À l’inverse, l’érosion de l’emploi manufacturier est de nature à déstabiliser bon nombre d’économies locales peu denses.
Les emplois exposés exercent un effet d’entraînement très puissant sur l’emploi abrité : on estime ainsi que, lorsque 100 emplois exposés apparaissent, environ 64 emplois abrités sont créés au sein de la même zone. D’un autre côté, le maintien de la compétitivité des premiers suppose généralement un accroissement des inégalités de revenus entre les deux, qui peut être insoutenable politiquement ou socialement.
S’agissant des politiques économiques, il convient de ne pas négliger un secteur au profit d’un autre. Le secteur abrité, dont dépend en partie la performance du secteur exposé, représente trois quarts des emplois. Agir sur sa productivité pourrait rendre compatible les objectifs de compétitivité et de réduction des inégalités entre employés des deux groupes. Il faut également tenir compte de l’effet multiplicateur de l’emploi exposé sur l’emploi abrité au niveau local, en particulier dans les territoires où le chômage est élevé.
Bibliographie
Auricchio, M., 2015, Local Manufacturing Multiplier and Human Capital in Italian Local Labor Markets, PhD Thesis.
Aussilloux, V., Sode, A., 2016, Compétitivité : que reste-t-il à faire ?, Enjeux, France Stratégie, mars.
Balassa, B, 1964, “The purchasing power parity doctrine: A reappraisal. Journal of Political Economy, 72(6), 584-596.
Bardhan, A., & Kroll, C. A., 2003, The new wave of outsourcing. Fisher Center for Real Estate & Urban Economics Research Report Series, (1103).
Barlet, M., Crusson, L., Dupuch, S., & Puech, F., 2010, Des services échangés aux services échangeables: une application sur données françaises, Économie et statistique, 435(1), 105-124.
Baumol, W., Bowen, W., 1966, Performing Arts, the economic dilemma, Twentieth Century Fund, New York.
Blinder, A. S., 2009, How many US jobs might be offshorable? World Economics, 10(2), 41.
Blinder, A.S. and A.B. Krueger, 2013, Alternative Measures of Offshorability: A Survey Approach, Journal of Labor Economics 31 (2), 97-128.
Bartik, Tim, 1991, Who Benefits from State and Local Economic Development Policies? W.E. Upjohn Institute, Kalamazoo, MI.
Bénassy-Quéré, A., Coulibaly, D., 2014, The impact of market regulations on intra-European real exchange rates, Review of World Economics, 150(3), 529-556.
Boockmann, B., 2014, Offshoring potential and employment dynamics (No. 111), Institut für Angewandte Wirtschaftsforschung (IAW).
Brändle, T., Koch, A., 2014, Offshoring and Outsourcing Potentials – Evidence from German Micro-Level Data, IAW Discussion Papers 110, Institut für Angewandte Wirtschaftsforschung (IAW).
Cezar, R., 2016, L’insertion commerciale de la France mesurée en valeur ajoutée, Bulletin de la Banque de France, (205), 25-37.
De Blasio G. and Menon C., 2011, Local Effects of Manufacturing Employment Local Effects of Manufacturing Employment Growth in Italy, Giornale degli Economisti, vol. 70, pages 101-12.
De Gregorio, J., A. Giovannini, and H. Wolf, 1994, International Evidence On Tradables and Nontradables Inflation, European Economic Review, 38, 1225-1244.
Demmou, L., 2010, Le recul de l’emploi industriel en France entre 1980 et 2007. Ampleur et principaux déterminants : un état des lieux, Économie et statistique, 438(1), 273-296.
Dornbusch, R., 1983, Real Interest Rates, Home Goods, and Optimal External Borrowing. The Journal of Political Economy, 141-153.
Dwyer, J., 1992, The Tradeable Non-tradeable Dichotomy : A Practical Approach, Australian Economic Papers, vol. 31, 59 :443-459.
Eliasson, K., Hansson, P., Lindvert, M., 2012, Jobs and exposure to international trade within the service sector in Sweden, The World Economy, 35(5), 578-608.
Fontagné, L., Mohnen, P., & Wolff, G., 2014, Pas d’industrie, pas d’avenir ? Notes du conseil d’analyse économique, (3), 1-12.
Frocrain, P., Giraud, P N, 2016, Tradable and non-tradable employment dynamics : evidence from France, Working paper.
Gerolimetto, M., Magrini, S., 2015, A spatial analysis of employment multipliers in the US. Letters in Spatial and Resource Sciences, 1-9.
Giraud, P. N., 1996, L’inégalité du monde, Gallimard, Paris.
Giraud, P. N., 2012, La mondialisation: émergences et fragmentations, Sciences humaines.
Giraud, P. N., 2015, L’Homme inutile: Du bon usage de l’économie, Odile Jacob.
Gonzales, F., Jensen, J. B., Kim, Y., and Nord_as, H. K., 2012, Globalisation of services and jobs, Policy Priorities for International Trade and Jobs, 175-92.
Guillou, S., 2016, Le recul industriel trouve-t-il son explication dans la dynamique des services ? OFCE, le Blog, 10 mai 2016.
Hlatshwayo, S., Spence, M., 2014, Demand and Defective Growth Patterns: The Role of The Tradable and Non-Tradable Sectors in an Open Economy, The American Economic Review, 104(5), 272-277.
Huber, E., Hennion, C., 2010, Industrie et services: une distinction dépassée ?, La Gazette de la société et des techniques, novembre 2010. INSEE Références, 2016, Des unités légales aux unités économiques.
Knight, G, & Johnson, L., 1997, Tradables – developing outputs and price measures for Australia’s tradable and non-tradable sectors (Working Paper No 97https://www.la-fabrique.fr/wp-content/uploads/pdf-images/11020/1, ABS Catalogue No. 1351.0).
Krugman, P., 1991, Geography and Trade, MIT Press.
Kuznets, S., 1973, Modern economic growth: findings and reflections, The American Economic Review, 63(3), 247-258.
Lanz, R., S. Miroudot and H. K. Nordas, 2011, Trade in Tasks, OECD Trade Policy Working Papers, No. 117, OECD Publishing.
Jensen, B., and Kletzer, L., 2005, Tradable services: Understanding the scope and impact of service outsourcing, Institute for International Economics.
Jensen, J. B., and Kletzer, L. G., 2010, Measuring tradable services and the task content of offshorable services jobs, Labor in the new economy (pp. 309-335), University of Chicago Press.
Le Garrec, M-A, 2008, Le tourisme : un secteur économique porteur, Le tourisme en France, édition 2008.
Le Moigne, M., Ragot, X., 2015, France et Allemagne: une histoire du désajustement européen, Revue de l’OFCE, (6), 177-231.
Malgouyres, C., 2016, The impact of chinese import competition on the local structure of employment and wages : evidence from France, Banque de France, Document de travail n°603, septembre 2016.
Mano, R., and Castillo, M., 2015, The level of productivity in traded and non-traded sectors for a large panel of countries (No. 15-48), International Monetary Fund.
Moretti, E., 2010, Local multipliers, The American Economic Review, 100(2), 373-377.
Moretti, E., 2011, Local labor markets, Handbook of labor economics, 4, 1237-1313.
Moretti, E., Thulin, P., 2013, Local multipliers and human capital in the United States and Sweden, Industrial and Corporate Change, 22(1), 339-362.
Piton, S., 2016a, Divergence des prix relatifs: une maladie européenne? La Lettre du CEPII, (369).
Piton, S., 2016b, A European Disease? Non-tradable inflation and real interest rate convergence, Document de travail du CEPII, n° 2016-09.
Püschel, J., 2013, A Task-Based Approach to US Service Offshoring (Doctoral dissertation, Freie Universität Berlin).
Reis, R., 2013, The Portuguese Slump and Crash and the Euro Crisis, Brookings Papers on Economic Activity, 143-193.
Schreiber, A., Vicard, A., 2011, La tertiarisation de l’économie française et le ralentissement de la productivité entre 1978 et 2008, DARES, Document d’études, (161).
Spence, M., and Hlatshwayo, S.,2012, The evolving structure of the American economy and the employment challenge, Comparative Economic Studies, 54(4), 703-738.
Sy, M., 2014, Réduire le déficit des échanges extérieurs de la France : le rôle du taux de change interne, La Note d’analyse, France Stratégie, septembre.
van Dijk, J., 2014, Local Employment Multipliers in US cities: A replication of Moretti (2010), (No. 731), University of Oxford, Department of Economics, Discussion Paper Series (December 2015). van Dijk, J., 2016, Investing in lagging regions is efficient: a local multipliers analysis of US cities (No. 776).
Weil T., 2016, L’imbrication croissante de l’industrie et des services, Les Synthèses de La Fabrique, n°8, juillet.
Young, A., 2014, Structural transformation, the mismeasurement of Productivity growth, and the Cost disease of services, American Economic Review, 104 (11), pp 3635-67.
Annexes
1. Éléments cartographiques complémentaires
A. Variation de l’emploi salarié dans l’industrie manufacturière et les services exposés entre 2004 et 2013
Source : Frocrain et Giraud (2016). Données Clap. Réalisé avec Philcarto : http://philcarto.free.fr
Source : Frocrain et Giraud (2016). Données Clap. Réalisé avec Philcarto : http://philcarto.free.fr
B. Variation de l’emploi salarié dans le secteur exposé et le secteur abrité (page suivante) entre 2004 et 2013
Source : Frocrain et Giraud (2016). Données Clap. Réalisé avec Philcarto : http://philcarto.free.fr
Source : Frocrain et Giraud (2016). Données Clap. Réalisé avec Philcarto : http://philcarto.free.fr
2. Annexe technique
A. Calcul des indices de Gini – Données et méthodologie
Rappelons que l’on calcule des indices de Gini pour déterminer si l’offre (l’emploi) d’une activité est davantage concentrée géographiquement que la demande qui s’adresse à elle. Si l’offre excède la demande dans une zone, cela veut nécessairement dire qu’une partie de la production est consommée en dehors de cette zone, et donc qu’elle peut faire l’objet d’un commerce international.
Suivant Jensen et Kletzer (2005) et Barlet et al. (2010), nous estimons dans un premier temps la demande adressée à chaque activité dans chaque zone d’emploi. La demande locale adressée à un secteur peut varier selon les revenus et le nombre d’habitants de la zone, et l’importance des dépenses en consommations intermédiaires adressées par les autres secteurs. Toutes les données utilisées dans Frocrain et Giraud (2016) proviennent de l’Insee. Nous utilisons des données du Recensement de la population 2012 sur l’emploi au niveau divisions (86 activités28). L’unité géographique est la zone d’emploi (304 en France métropolitaine). Des données sur la population, et le revenu médian par zone d’emploi pour l’année 2009 nous permettent d’évaluer la demande locale des ménages29. La demande locale des entreprises est estimée à l’aide d’un tableau des entrées intermédiaires (TEI) fournit par l’Insee au niveau Divisions de la Naf. La part de la demande adressée aux entreprises de l’activité i dans la zone d’emploi ze s’écrit :
- CIi,j : consommations intermédiaires de l’activité j produite par i,
- Di : demande totale adressée à l’activité i,
- EMPj,ze : nombre d’emplois dans l’activité j au sein de la zone d’emploi ze,
- EMPj : nombre total d’emplois dans l’activité j,
- CMi : consommation totale des ménages en produits i30 ,
- RMze : revenu médian par unité de consommation dans la zone d’emploi ze,
- RMtot : revenu médian par unité de consommation en France métropolitaine,
- Popze : population dans la zone d’emploi ze,
- Poptot : population en France métropolitaine.
Le premier terme de la formule représente la demande locale adressée aux entreprises de l’activité i par d’autres entreprises. Elle est proportionnelle au poids de chaque activité dans l’emploi de la zone et se base sur le TEI (disponible au niveau national). Le second terme correspond simplement à la demande locale des ménages en produits i.
Celle-ci dépend du nombre et de la richesse des ménages de la zone et de leur propension (au niveau national) à consommer des produits i. On compare ensuite le degré de concentration géographique de l’emploi (qui représente l’offre) d’un secteur à celui de la demande. Pour cela on utilise un indice de Gini, calculé de la manière suivante :
Où dli,ze(n) et λ i,ze(n) sont respectivement la part cumulée de la demande adressée à l’activité i et la part cumulée de l’emploi dans les n premières zones d’emploi, les zones d’emploi étant classées par ordre croissant du ratio dli,ze/λ i,ze. Dans le cas où l’emploi dans l’activité i et la demande adressée à cette activité i sont distribués exactement de la même manière sur le territoire, l’indice de Gini a pour valeur 0. Il sera égal à 1 si l’emploi est concentré dans une seule région alors que la demande émane de l’ensemble du territoire.
B. Calcul du multiplicateur local
Suivant Moretti (2010), on cherche à estimer l’élasticité de l’emploi abrité à l’emploi exposé avec le modèle suivant (Modèle 1) :
Où ∆Aze,t et ∆Eze,t représentent la variation au cours d’une période du logarithme du nombre d’emplois abrités et du nombre d’emplois exposés. On observe chacune des 304 zones d’emploi de France métropolitaine sur trois intervalles de temps (2004-2007, 2007-2010, et 2010-2013). Nous utilisons des données sur l’emploi salarié issues du dispositif Clap (Connaissance locale de l’appareil productif). Sur la période étudiée, les données suivent la nomenclature d’activités française révision 2 (NAF rév. 2) au niveau 5 (732 activités) et à l’échelon communal. Nous avons procédé à une agrégation des effectifs salariés au niveau divisions (A88), en cohérence avec la classification réalisée dans le reste de l’étude, et à l’échelon des zones d’emploi. Notons que l’activité des ménages (divisions 97 et 98) ne fait pas partie du champ Clap. Nous excluons par ailleurs les activités extra-territoriales (environ 4 000 emplois) qui ne figurent pas dans notre classification. Enfin, nous classons l’ensemble des emplois de la restauration dans le secteur abrité, contre 70 % dans le reste de l’étude
On introduit des indicatrices temporelles dt pour tenir compte des chocs nationaux sur l’emploi abrité aux différentes périodes, et un terme d’erreur εze,t. Le paramètre β représente l’élasticité de l’emploi abrité à l’emploi exposé. Afin d’obtenir la valeur du multiplicateur local, il suffit simplement de multiplier l’estimateur de β par le poids relatif de l’emploi abrité évalué à chaque début de période (van Dijk, 2015) :
Avec une estimation par la méthode des moindres carrés ordinaire (MCO), l’estimateur de β capture non seulement l’effet de l’emploi exposé sur l’emploi abrité mais également l’effet de l’emploi abrité sur l’emploi exposé. Surtout, des chocs locaux inobservés peuvent affecter à la fois l’emploi exposé et abrité. Moretti et Thulin (2013) soulignent qu’ils peuvent être de nature diverse : des changements dans la qualité des écoles, le taux de criminalité, les taxes locales, les services publics, ou encore la qualité de l’air. Ces chocs affectent l’offre de travail dans les deux secteurs de sorte que l’estimateur ne distingue pas entre leurs effets et l’effet multiplicateur de l’emploi exposé sur l’emploi abrité. Pour mesurer uniquement l’effet causal de la croissance de l’emploi exposé sur la croissance de l’emploi abrité on utilise un instrument à la Bartik (1991) comme suggéré par Moretti et Thulin (2013) :
Oùreprésente la part de l’emploi de l’activité exposée j dans l’ensemble de l’emploi exposé J de la zone d’emploi ze à la période t. Le terme entre crochets est une approximation de la croissance de l’emploi de l’activité exposée j au niveau national (en excluant la zone d’emploi ze). En utilisant cet instrument on fait l’hypothèse que les chocs nationaux sur les secteurs exposés affectent les zones d’emploi proportionnellement au poids que représentent ces secteurs dans le total de l’emploi exposé de chaque zone.
Nous estimons une variante du Modèle 1 (Modèle 2), où le groupe des exposés est divisé en deux composantes définies de manière aléatoire. On veut estimer l’effet multiplicateur d’une partie de l’emploi exposé sur les autres composantes de l’emploi exposé. La relation à estimer est alors la suivante :
Enfin, avec le Modèle 3, on estime le multiplicateur local de l’emploi abrité sur l’emploi exposé :
Les résultats de l’estimation par les doubles moindres carrés sont présentés dans la colonne VI du tableau ci-dessous. Le multiplicateur est calculé à partir de la valeur de l’estimateur dans la colonne VI.
3. Classification des secteurs
Notes : L’écart-type de l’estimateur partitionné au niveau zone d’emploi est indiqué entre parenthèses. Les étoiles informent sur les niveaux de significativité (* pour 10 %, ** pour 5 %, *** pour 1 %). Kleinbergen-Paap Wald rk statistic entre crochets.
- 28 – On retire 2 des 88 activités définies à ce niveau d’agrégation. Ces deux activités non couvertes dans les comptes nationaux sont les activités indifférenciées des ménages en tant que producteurs de biens et services pour usage propre, et les activités des organisations et organismes extraterritoriaux. Cette omission ne devrait pas avoir d’importantes conséquences sur les résultats, ces deux activités représentant un très faible nombre d’emplois.
- 29 – Ces données proviennent de l’Atlas des zones d’emploi 2010 (Dares, Insee, Datar, 2012).
- 30 – Elle correspond à la somme des dépenses de consommation finale des ménages et les dépenses individualisables des administrations publiques dans le tableau des entrées-sorties (TES) que l’Insee a mis à notre disposition.
Philippe Frocrain et Pierre-Noël Giraud, Dynamique des emplois exposés et abrités en France, Paris, Presses des Mines, 2016.
ISBN : 978-2-35671-445-9
© Presses des MINES – TRANSVALOR, 2016
60, boulevard Saint-Michel – 75272 Paris Cedex 06 – France presses@mines-paristech.fr
www.pressesdesmines.com
© La Fabrique de l’industrie
81, boulevard Saint-Michel – 75005 Paris – France info@la-fabrique.fr
www.la-fabrique.fr