Coût des consommations intermédiaires : l’industrie française reprend pied face à l’Allemagne
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RÉSUMÉ
Le coût des consommations intermédiaires en France, en particulier celui des services, a été pointé à juste titre comme une explication importante de la dégradation de la compétitivité de l’industrie vis-à-vis de l’Allemagne dans les années 2000. L’amélioration de cette compétitivité depuis 2012 nous invite à reconsidérer nos certitudes en la matière.
Les consommations intermédiaires en services représentent une part tou- jours plus importante de la valeur ajoutée de la production manufacturière française. Toutefois, l’évolution récente des coûts du travail dans les services, en particulier dans les services abrités, a joué en faveur de la France : durant les années 2010, ils ont connu une augmentation plus rapide en Allemagne, réduisant ainsi l’écart observé durant la décennie précédente.
L’industrie française a donc rétabli une part de sa compétitivité-coût vis-à-vis de l’Allemagne, sans que l’on n’observe une variation de ses niveaux de prix à l’export, ce qui est cohérent avec le rétablissement de ses marges entre 2010 et 2015. De quoi faciliter le renforcement de l’offre et la montée en gamme de l’industrie française, si cette tendance se poursuit et qu’elle n’est pas freinée par la crise liée à la pandémie de Covid-19.
Les travaux sur la compétitivité de la France depuis 2012 s’accordent sur un certain nombre de résultats. Premièrement, le niveau de nos prix à l’export – autrement dit notre « compétitivité-prix » – est resté stable vis-à-vis de l’OCDE et de la zone euro (CNP, 2019). Deuxièmement, l’écart des coûts de production entre la France et l’Allemagne s’est réduit, alors qu’il était défavorable à la France durant la première partie des années 2010 ; c’est ce que l’on appelle la « compétitivité-coût » (France Stratégie, 2016). Troisièmement et enfin, les parts de marché mondiales des exportations françaises se sont maintenues depuis 2012 : 3,1 % pour les biens et 3,5 % sur l’ensemble des biens et services (DG Trésor, 2019). Pour résumer, la France a réussi à réduire ses coûts de production vis-à-vis de l’Allemagne, sans que cela ne se répercute pour l’instant dans ses niveaux de prix à l’export ni dans ses parts de marché.
Avant ce redressement, l’écart de compétitivité-coût observé entre la France et l’Allemagne s’expliquait en partie par le coût du travail dans les services utilisés comme consommations intermédiaires (ou intrants) dans le processus de production. Dans les années 2000, l’industrie allemande a tiré une part de sa compétitivité de l’essor des « minijobs », très concentrés dans le secteur des services. Ces emplois à temps partiel, exonérés de charges sociales et dont le salaire est limité à 400 euros, ont en effet contribué à la modération salariale observée dans le secteur tertiaire allemand. Nous allons voir ici que la situation a sensiblement évolué.
LES SERVICES CONSOMMÉS PAR L’INDUSTRIE MANUFACTURIÈRE : UNE PART PLUS IMPORTANTE EN FRANCE QU’EN ALLEMAGNE
Les consommations intermédiaires, qui peuvent être industrielles ou tertiaires, domestiques ou importées, sont une composante essentielle des coûts de production des biens manufacturiers. Elles représentent en effet 72% de la valeur de la production manufacturière française et 67,5% en Allemagne en 2014 (selon les données du tableau entrées-sorties des pays, Insee/Destatis).
Or, selon Aubourg (2017), la valeur ajoutée de l’ensemble des services domestiques aux entreprises (activités scientifiques, techniques, services administratifs, de soutien, de transport, commerce, services juridiques et comptables, financières) ne représente que 15 % de la production manufacturière française en 2015, tandis que la valeur ajoutée issue de l’industrie manufacturière française en représente 43 %.
En revanche, si l’on considère les seules exportations de l’industrie manufacturière, le résultat diffère. La France se place parmi les pays dont la part de la valeur ajoutée représentée par l’achat de services compris au sens large est la plus élevée. Elle se situe aux alentours de 50 %, contre 33 % pour l’Allemagne en 2014 (OCDE, 2017b). La majorité de ces services sont fournis par des acteurs domestiques dans les deux pays. Du coût de ces services dépend ainsi toujours la compétitivité-coût de la France.
UNE RÉDUCTION DE L’ÉCART DE COÛT DE LA MAIN-D’ŒUVRE ENTRE LES DEUX PAYS
Le coût horaire de la main-d’œuvre dans l’industrie manufacturière est aujourd’hui favorable à la France : il est depuis 2014 inférieur à celui relevé en Allemagne, de l’ordre de 2 euros par heure (Aubourg, 2017). L’écart de coûts salariaux unitaires entre les deux pays, prenant en compte le rôle joué par les caractéristiques qualitatives de l’offre, s’est également réduit (France Stratégie, 2020). En revanche, la main-d’œuvre est nettement moins onéreuse en Allemagne pour ce qui concerne les services, avec un écart de l’ordre de 4 euros par heure. Dans les années 2000, durant la phase de développement des minijobs, le coût de la main-d’œuvre peu qualifiée dans le secteur des services abrités s’est maintenu à un niveau relativement élevé en France, en raison du niveau de salaire minimum et du manque de concurrence dans certaines professions réglementées (France Stratégie, 2016).
Toutefois, sur la période 2010-2015, les coûts salariaux unitaires (coûts salariaux corrigés des gains de productivité) dans les activités scientifiques et techniques et les services administratifs et de soutien ont participé à la réduction de l’écart entre la France et l’Allemagne, alors qu’ils avaient été pointés du doigt pour leur rôle dans l’accroissement du coût relatif du travail en France sur la période 2000-2010. Plus généralement, les coûts salariaux unitaires dans les secteurs abrités de la concurrence internationale ont augmenté de 27 points de pourcentage entre 2008 et 2016 en Allemagne, contre 11 en France (CNP, 2019).
UNE AUGMENTATION DES PRIX À LA PRODUCTION DES SERVICES PLUS FORTE EN ALLEMAGNE QU’EN FRANCE ?
L’augmentation des coûts salariaux unitaires en Allemagne, malgré une diminution des marges dans les services également plus sévère outre-Rhin, explique que l’accroissement des prix des services y ait été plus élevé qu’en France sur la période 2010-2015 (Ponton, 2020). Les coûts unitaires des services ne jouent donc plus un rôle défavorable sur les prix de production relatifs de la France vis-à-vis de l’Allemagne.
Sur la période 2015-2019, on observe une hausse plus forte des prix à la production des services professionnels, scientifiques et techniques (services juridiques, comptables, d’ingénierie) en Allemagne mais ce n’est pas le cas des services administratifs et de soutien pour lesquels la France connaît au contraire une augmentation plus soutenue de ses prix à la production.
Ainsi, le rattrapage de la France vis-à-vis de l’Allemagne demeure fragile et ce d’autant plus que la quantité de consommations intermédiaires suit une tendance haussière (Ponton, 2020).
LE RÔLE DE L’INSERTION DANS DES CHAÎNES DE VALEUR MONDIALISÉES
La compétitivité d’une industrie dépend aussi de sa capacité à importer des consommations intermédiaires à faible coût. Ce facteur est d’autant plus important dans une logique de mondialisation des chaînes de valeur ; aujourd’hui, la part des produits importés dans la valeur ajoutée des exportations manufacturières françaises et allemandes est supérieure à 30 %. À titre d’illustration, selon une étude de la Banque de France réalisée par Blaum et al. (2016), le prix des biens manufacturés serait plus élevé de 27 % en l’absence de commerce sur les intrants.
Cet effet de compétitivité s’exerce en particulier sur les services importés : la concurrence internationale tire les prix vers le bas et les nivelle. En calculant un coût du travail unitaire corrigé de la participation aux chaînes de valeur mondiales, Cezar et Cartellier (2019) confirment que les services importés contribuent moins à l’augmentation des coûts unitaires salariaux que les services domestiques en France.
L’effet de la mondialisation sur les prix concerne également les intrants manufacturiers, bien sûr. Mais, comme le montre le rapport de la CNP (2019), les prix d’importation des consommations intermédiaires en biens manufacturiers évoluent de manière similaire en France et en Allemagne, grâce notamment à l’existence d’un marché européen et de l’euro. Rappelons en outre que cet effet prix est renforcé par la baisse de la part domestique des biens manufacturiers dans la chaîne de valeur.
CONCLUSION
L’évolution favorable du coût des consommations intermédiaires en services domestiques dans les années 2010 a permis à la France de ne pas décrocher en matière de compétitivité-coût vis-à-vis de l’Allemagne. Pour Ponton (2020), il sera difficile de trouver des leviers d’action autres que le coût du travail pour diminuer davantage encore le prix des consommations intermédiaires en services. L’auteur préconise donc de se tourner vers des leviers hors-prix pour améliorer la compétitivité de l’industrie française. Cela est d’autant plus nécessaire que la dégradation de la compétitivité-coût dans les années 2000 a également pesé sur les facteurs horsprix, la compression des marges empêchant notamment l’investissement, la montée en gamme ou le développement de processus innovants (France Stratégie, 2020).
Chiffres-clés
En savoir plus Bibliographie :
Aubourg A. (2017). L’industrie française a amélioré sa compétitivité-prix mais doit encore renforcer sa compétitivité hors prix, Le 4 pages de la DGE, no77, octobre.
Blaum J., Lelarge C. et Peters M. (2016). The gains from input trade with heterogeneous importers, Working Papers no 612, Banque de France.
Cezar R. et Cartellier F. (2019). Compétitivité-prix et hors-prix : leçons des chaînes de valeur mondiales. Bulletin de la Banque de France, 224/2, juillet-août.
CNP (2019). Productivité et compétitivité : où en est la France dans la zone euro ?, juillet.
DG Trésor (2019). Résultats 2018 du commerce extérieur.
France Stratégie (2016). Compétitivité : que reste-t-il à faire ?, mars.
France Stratégie (2020). Les politiques industrielles en France – évolutions et comparaisons internationales, rapport pour l’Assemblée nationale de France Stratégie, novembre.
OCDE (2017a). Allemagne : note statistique sur les échanges et l’investissement, coll. Commerce international, investissement direct étranger et chaînes de valeur mondiales.
OCDE (2017b). France : note statistique sur les échanges et l’investissement, coll. Commerce international, investissement direct étranger et chaînes de valeur mondiales.
Ponton C. (2020). Coûts des intrants et compétitivité en France, Allemagne et Italie, Trésor- éco, no 258, avril.
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