Le luxe français : pourquoi ce secteur déjoue toutes les crises
Projets industriels à l’arrêt, panne de productivité, décrochage en matière de compétitivité… L’industrie française montre plusieurs symptômes d’une santé fragile. Pourtant, un groupe d’irréductibles entreprises résiste « encore et toujours » à cette fatalité : celles du secteur du luxe. L’industrie du luxe a bénéficié ces dernières années d’une vitalité que certains qualifieraient d’insolente, laissant à penser que ce secteur survolera toujours en majesté, malgré les crises, l’appareil productif français. Cette réussite n’a pourtant rien d’inné ou de facile : le luxe est certainement l’une des industries les plus soumises au jeu de l’équilibriste entre rationalité industrielle et tradition artisanale, principe de concurrence et nécessaire communautarisme, ouverture internationale et culture locale… En somme, le secteur du luxe cultive l’art du “pas de côté” ou de ce désormais iconique “en même temps”, dont Marie Desjeux nous livre un décryptage dans une nouvelle étude de La Fabrique de l’industrie.
Internationalisation et identité locale
Des chiffres qui donnent le ton : les secteurs regroupant le cuir, la chaussure, la joaillerie, les bijoux, les parfums et cosmétiques affichent des exportations de 50,6 milliards d’euros et un excédent commercial de 22,5 milliards d’euros en 2023. À titre de comparaison, l’aéronautique, principal secteur exportateur, a enregistré 56,5 milliards d’euros d’exportations. On compte par ailleurs plus de 80 pays d’implantation des maisons de luxe françaises. Pourtant, la notoriété du luxe repose sur un imaginaire localisé. Pour de nombreux acteurs du secteur, il est démontrable que l’opinion internationale associe en priorité le luxe à la France et en particulier à Paris. À tel point que la marque “France” permet d’augmenter de 30 % en moyenne la valeur d’un produit cosmétique. Un adoubement qui va jusque dans le domaine juridique puisque cette mainmise est protégée par le label « haute couture », contrôlé depuis 1945. D’autres régions françaises sont également réputées à juste titre pour leurs savoir-faire haut de gamme, comme la cristallerie en Lorraine, ou l’incontournable champagne qui porte le nom de son ancrage.
Rationalité industrielle et exigence artisanale
C’est d’ailleurs bien cet ancrage des savoir faire français qui fait la force du secteur et de ses acteurs, veillant toujours à ne pas perdre de vue l’adn du « fabricant », à ne pas devenir de simples distributeurs. Tout en intégrant des principes de rationalisation industrielle (gestion des stocks, anticipation de la demande, logistique performante), le secteur du luxe français a su conserver l’atout de l’artisanat. Marie Desjeux relate ainsi la façon dont les marques de luxe se sont impliquées dans la transmission des savoir-faire, notamment en intégrant des écoles de formation en interne (l’école des savoir-faire Hermès par ex.). Le vieillissement des actifs et le manque de formations adéquates, à l’heure où l’industrie souffre d’un désintérêt massif pour les métiers manuels, ont en effet amené les entreprises à prendre en charge le sujet de la transmission des compétences. Aux États-Unis, les marques de luxe ont à l’inverse abandonné toute structure de production en propre : elles conçoivent des produits puis mettent des sous-traitants en concurrence, du Mexique à la Turquie, qui se chargent de l’approvisionnement et de la réalisation et leur livrent des produits finis.
Des concurrents coopératifs
Le présent ouvrage offre une solide preuve supplémentaire des vertus économiques et industrielles de la solidarité de filière. Dans un marché oligopolistique, les marques de luxe sont capables de coopérer de manière très poussée pour conquérir de nouveaux marchés, étendre leur influence ou encore s’adapter aux nouveaux cadres réglementaires. À l’export par exemple, lorsqu’un nouveau centre commercial ouvre en Chine, chaque marque vérifie que ses concurrentes y seront présentes également ; cette présence simultanée de plusieurs grands noms du luxe accentue le caractère prestigieux du cadre et constitue le meilleur moyen de capter la clientèle. Ce collectif du luxe a somme toute compris depuis très longtemps sa responsabilité et son intérêt à préserver un patrimoine immatériel qui le valorise, l’oblige et le dépasse tout à la fois. La concurrence demeure toutefois de mise, en particulier au sein de la sous-traitance, et chaque acteur, marque ou fournisseur, travaille activement à se singulariser, en se diversifiant ou en cherchant à acquérir de nouvelles compétences.
Julie Celeste Meunier
Chargée des relations presse
- 01 56 81 04 26
- julie-celeste.meunier@la-fabrique.fr
- 81 boulevard Saint Michel
75005 Paris