Y a-t-il des menaces sur le redressement industriel aux Etats-Unis ?
Point de vue de Patrick Artus
Les Etats-Unis se différencient nettement de la zone euro, du Japon, du Royaume-Uni par le redémarrage de la production industrielle, de l’investissement productif, par le redressement des parts de marché à l’exportation, de l’emploi manufacturier… Les causes de la réindustrialisation des Etats-Unis sont connues. Quels sont les aspects négatifs de ce redressement industriel, et quelles menaces pèsent sur ce redressement ?
Il ne s’agit pas d’un redressement de la partie la plus sophistiquée de l’économie américaine (IT,…). La première menace est la perte de l’avantage de compétitivité-coût, qui peut venir d’une appréciation forte du dollar. La seconde menace est due au fait que la réindustrialisation des Etats-Unis est intimement liée à la stagnation du pouvoir d’achat de la classe moyenne et à l’ouverture des inégalités. La troisième menace est liée au risque, pour les Etats-Unis, de perte dans le futur, de l’avantage concernant les prix de l’énergie.
Redressement industriel des Etats-Unis
Les Etats-Unis se distinguent nettement des autres pays de l’OCDE (zone euro, Royaume-Uni, Japon) par le redressement de la production industrielle, par le redressement de l’investissement productif (graphique 1), par le début de remontée des parts de marché à l’exportation et par celui de l’emploi industriel.
Quand on regarde les différents secteurs de l’industrie, on voit que la reprise de la production concerne surtout l’automobile, les biens d’équipement, l’énergie. La reprise de l’emploi concerne surtout l’énergie, la métallurgie, le matériel de transport, le plastique, le caoutchouc.
Les causes de la reprise industrielle des Etats-Unis sont connues
La reprise industrielle des Etats-Unis vient essentiellement de trois causes. De l’amélioration de la compétitivité-coût : le niveau des salaires dans l’industrie est faible aux Etats-Unis par rapport à l’Europe, surtout dans les Etats du Sud où une heure de travail coûte environ 20 $, contre 30 $ dans le Nord et 50$ en France et en Allemagne. Du développement des secteurs liés à l’énergie : matériel de forage, métallurgie, raffinage, liquéfaction, chimie. Du faible niveau du prix de l’énergie aux Etats-Unis, avec l’utilisation du gaz naturel pas cher avec le gaz de schiste et le gaz produit avec le tight-oil pour la chimie, pour la production d’électricité. Le gaz naturel est utilisé pour 30% de la production d’électricité en 2014 contre 20% en 2006, le charbon pour 39% contre 49%.
La réindustrialisation des Etats-Unis va aussi être alimentée par les délocalisations des autres pays vers les Etats-Unis : aéronautique, autos, chimie.
Un aspect négatif : il ne s’agit pas d’une montée en gamme de l’économie américaine
Le développement des industries liées à l’énergie, de l’automobile, de la métallurgie, de la chimie aux Etats-Unis correspond à un développement en milieu de gamme de l’économie américaine, pas à une montée en gamme. Dans le même temps, le secteur des Nouvelles Technologies perd des emplois, la productivité du travail aux Etats-Unis continue à ralentir , ce qui est cohérent avec le niveau faible de compétence de la population active aux Etats-Unis. L’enquête PIAAC de l’OCDE sur les compétences de la population active classe les Etats-Unis en 12ème position sur 16 pays.
On peut illustrer le fait que ce développement de l’économie américaine se situe en milieu de gamme par la comparaison des niveaux de productivité et des niveaux de salaire des différents secteurs.
L’énergie et la chimie ont des niveaux de productivité et de salaires très élevés.
Mais les autres secteurs en forte croissance (métallurgie, plastique-caoutchouc, automobile) se trouvent bien à mi-chemin entre les nouvelles technologies, les services financiers, d’une part ; les services aux particuliers, la construction, la distribution, les restaurants-loisirs d’autre part.
Trois menaces sur la réindustrialisation des Etats-Unis
Regardons maintenant ce qui pourrait menacer ce processus de réindustrialisation des Etats-Unis. Il s’agit d’abord de la perte de l’avantage de compétitivité venant du coût du travail. Les salaires réels et le coût salarial unitaire continuent à augmenter très peu aux Etats-Unis, avec la perte de pouvoir de négociation des salariés. Il n’est pas certain que la faiblesse du chômage (5,9% en septembre 2014) conduise à une accélération des salaires, la stagnation des salaires réels s’observant depuis le début des années 2000.
Une menace plus forte sur la compétitivité-coût des Etats-Unis est sans doute la réappréciation du dollar, avec les politiques monétaires expansionnistes au Japon et dans la zone euro, avec les difficultés des émergents qui réduisent les flux de capitaux vers les pays émergents et conduisent à la dépréciation de leurs devises.
Il peut s’agir du rejet du modèle social américain. Il faut remarquer que le gain en compétitivité-coût des Etats-Unis est associé à la caractéristique la plus négative du modèle social des Etats-Unis : la stagnation du pouvoir d’achat de la classe moyenne (tableau 2), l’ouverture des inégalités d’où la faiblesse en moyenne des salaires et les gains de compétitivité.
Nous avons dit plus haut que même le plein-emploi n’entrainait plus de hausse plus rapide des salaires réels aux Etats-Unis. Mais il pourrait y avoir dans le futur contestation du modèle social et de l’ouverture des inégalités.
La perte de l’avantage concernant le coût de l’énergie est aussi une menace importante. Il est possible que, dans le futur, l’avantage des Etats-Unis concernant le prix de l’énergie disparaisse si d’autres pays font l’effort de produire une énergie bon marché. Le tableau 3 montre la structure par pays des réserves connues de gaz de schiste. On sait que la Chine, l’Argentine, le Royaume-Uni et probablement l’Allemagne vont essayer de développer leur production de gaz de schiste.
Conclusion : une menace immédiate, le dollar. La réindustrialisation des Etats-Unis est due essentiellement à la faiblesse du coût du travail et du coût de l’énergie. Il s’agit d’une réindustrialisation « milieu de gamme » : le premier problème est qu’elle ne conduit pas à une montée en gamme ou à un redressement des gains de productivité aux Etats-Unis. Elle peut être menacée :
- à long terme, par une remise en cause du modèle social des Etats-Unis qui implique la stagnation des salaires d’une majorité d’américains et est à la source de l’amélioration de la compétitivité ;
- à moyen terme, par la baisse du prix de l’énergie dans d’autres pays, en particulier ceux qui produiront du gaz de schiste ;
- à court terme, par l’appréciation généralisée du dollar, due à l’écart de croissance et de politique monétaire entre les Etats-Unis et les autres pays.
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