Une filière française pour la fibre de carbone
Les matériaux composites, qui vont être abondamment utilisés par l’automobile, exigent des fibres de carbones spécifiques. L’industrie a jugé que l’enjeu était stratégique et vient de lancer une filière française.
Un beau panel d’industriels de l’automobile et de la chimie, des centres de recherche, la Plateforme de la filière automobile (PFA), l’Union des industries chimiques (UIC) et l’institut de recherche technologique Jules Verne viennent de lancer le projet Force. Leur but : mettre en place en France une filière de production de fibres de carbone pour l’automobile. Force signifie : « fibre optimisée et réaliste de carbone économique ». Quel est l’enjeu de cette mobilisation sans précédent ?
Après avoir conquis l’aéronautique, les matériaux composites s’apprêtent aujourd’hui à pénétrer un nouveau marché, celui de l’automobile. Même motif dans les deux cas : ils permettent d’alléger significativement les structures, par rapport à l’acier et même par rapport à l’aluminium, donc de diminuer la consommation des engins.
Mais la comparaison s’arrête là. Les composites « auto » ne seront pas les mêmes que les composites « aéro ». Ces derniers, des polymères dits « thermodurs » renforcés de fibre de carbone, sont utilisés en volumes limités, sont très chers et très complexes à mettre œuvre. Pour l’automobile, il faut précisément l’inverse : des produits à bas coût, capables d’être produits en masse et à grande cadence. Ici, l’industrie a trouvé son Graal : des polymères « thermoplastiques », renforcés eux aussi de fibre de carbone. Mais pas le même type que la fibre « aéro » : elle doit être d’un coût de moitié inférieur, au bas mot. Objectif visé par Force : 8 euros le kilo.
Pour mettre au point les procédés de fabrication des polymères thermoplastiques, plusieurs initiatives ont déjà été lancées, en particulier celle qui réunit l’industrie automobile française : le développement de lignes pilotes pour développer les technologies de production à haute cadence. Cette ligne « nationale » se met en place au sein de l’IRT Jules Vernes.
Mais quid des fibres ? En son temps, la France a laissé s’échapper la fibre de carbone aéronautique. Le français Soficar a été absorbé par le japonais Toray qui, toutefois, produit en France. Allait-elle laisser filer la fibre auto ? L’enjeu est apparu suffisamment important à l’industrie automobile pour que soit lancé ce projet de filière française de fibre à bas coût. Le temps n’est en effet pas si lointain où les composites thermoplastiques commenceront à prendre un place significative dans l’automobile : les spécialistes visent le début de la prochaine décennie. A terme, les progrès peuvent être fulgurants : passer de l’acier aux composites pour une caisse en blanc permettrait de gagner près de 200 kg !
Un constructeur l’a bien compris : BMW. Alors que les fabricants de fibre aéronautique ne sont par extrêmement motivés pour se lancer dans les fibres à faible coût pour l’automobile, beaucoup moins rentables, un nouvel acteur s’est positionné sur le marché. L’allemand SGL Group, auquel s’est associé à BMW. Leur joint venture, SGL Automotive Carbon Fibers, produit déjà 3 000 tonnes par an de fibre auto. Ils viennent même de lancer un investissement de 200 millions de dollars, destiné à tripler à moyen terme la production de leur usine située à Moses Lake (Etats-Unis).
Seule ombre au tableau : SGL Automotive Carbon Fibers produit ses fibres… exclusivement pour BMW ! En l’occurrence, le premier consommateur de ces produits est la BMW i3 (en composites thermodurs pour l’instant), actuellement fabriquée au rythme de 100 voitures par jour.
L’enjeu, en réalité, pourrait largement dépasser celui de la seule industrie automobile. Une fois que le développement des matériaux et des procédés à haute cadence aura permis à l’automobile de se saisir des composites, la production en volume fera chuter les coûts. De quoi, dès lors, intéresser toutes les industries mécaniques, susceptibles elles aussi de passer aux composites. Une hypothèse d’autant plus envisageable que, contrairement aux thermodurs, les procédés de mise en œuvre des composites thermoplastiques ne sont pas très éloignés des pratiques actuelles des mécaniciens.