Trois questions à Patrick Pélata, vice-président exécutif de SalesForce
Point de vue.
Quel regard portez-vous sur l’état actuel de l’industrie américaine et sur sa capacité à poursuivre le rebond qu’elle connaît depuis la fin de la crise ?
Nous assistons aujourd’hui à une transformation en profondeur d’une grande partie de l’industrie américaine, comme cela a déjà été le cas entre 1929 et la deuxième guerre mondiale. Il y a mille façons de le voir, mais un aspect majeur des mutations en cours est la convergence de plusieurs révolutions : les smartphones, le cloud, les médias sociaux et l’internet des objets, le tout produisant les big data. Ces technologies ouvrent de nouvelles perspectives en bouleversant les business models et en offrant de nouveaux marchés à de nombreuses activités industrielles. Je rappelle à ce titre le fameux article « Why software is eating the world » de Marc Andreessen publié dans le Wall Street Journal en août 2011.
Avec la transformation en cours, les frontières entre manufacturing et services s’estompent ou méritent a minima un réexamen. Il faut en conséquence faire preuve de prudence dans l’analyse car certaines statistiques telles que les indicateurs physiques de production, qui étaient bons au temps de la CECA des années 1950-60, sont maintenant bien moins pertinents. Pour comprendre ce qu’il se passe aujourd’hui, il faut avoir en tête qu’un iPhone est certes assemblé en Chine et à Taiwan mais que la majorité des coûts et des profits attachés à cet objet sont localisés aux Etats-Unis.
Selon vous, les Etats-Unis n’ont donc rien perdu de leur compétitivité. Comment cela se manifeste-t-il ?
Un indicateur majeur de la compétitivité industrielle est la part de marché dans les exportations mondiales. Je constate (cf. grpahique ci-dessous) que les Etats-Unis sont le seul pays, excepté la Chine bien sûr, à progresser sur la dernière année connue. Il faudrait creuser ce point par branches mais c’est en tout état de cause un résultat capital.
La note étudie de manière plus approfondie la question du déficit de la balance commerciale mais, comme le dit Martine Azuelos citée en page 64, « la reprise économique des Etats-Unis ne peut pas être distinguée de la dynamique des autres pays de l’Alena (Canada et Mexique). » Je me souviens, dans la comparaison de l’industrie France-Allemagne faite il y a trois ans, que le deuxième facteur de succès de l’Allemagne, après sa baisse du coût complet du travail, était l’excellente utilisation qu’elle avait faite dès les années 1990 de l’Europe de l’Est sur les biens intermédiaires et les composants les plus simples à fabriquer, dans l’industrie automobile en particulier. Il me semble que depuis quelques années, l’industrie américaine opère massivement de la même manière avec le Mexique. Ce n’est pas une perte de compétitivité, bien au contraire. Mais le solde commercial, en tout cas temporairement, ne « voit » pas cela si l’on ne le regarde pas de façon très fine.
Vous semblez résolument optimiste quant à la reprise de l’industrie américaine. Identifiez-vous malgré tout des éléments pouvant entraver ces perspectives ?
Il est vrai que l’éducation, la formation des salariés, les infrastructures physiques, le coût des télécommunications, les faibles salaires et la « social imbalance » que cela génère, la pauvreté de la relation syndicats-entreprises par rapport à des pays comme l’Allemagne ou le Japon sont autant de handicaps sérieux que les Etats Unis devront surmonter pour poursuivre sur leur lancée.
Mais au-delà de ces remarques, je pense que la créativité entrepreneuriale des Américains, la puissance de leur R&D publique, privée et mixte, les bijoux comme la Silicon Valley et maintenant Seattle, le North East, Austin, etc. représentent de sérieux atouts, qui fonctionnent à plein régime en ce moment. Cette capacité à innover est toujours un facteur majeur de la compétitivité, et bien plus encore durant les périodes de grandes transformations telles que celle que nous vivons actuellement.