Le sursaut des grands groupes à l’ère du numérique ?
Les grands groupes doivent faire le deuil de nombreuses pratiques anciennes pour réellement adapter leur stratégie et leurs métiers à l’économie numérique et maintenir leur position de leader.
Le basculement de l’économie française dans l’ère numérique produit chaque jour ses effets. L’économie numérique, ce n’est pas seulement une rupture technologique associée à de nouveaux outils, de nouveaux produits ou de nouveaux modes de communication. C’est aussi un profond bouleversement des interactions entre les entreprises et leurs clients.
L’offre numérique est en évolution, voire en ébullition, permanente. Sans cesse émergent de nouveaux services ainsi que de nouvelles entreprises animées par un esprit de croissance et de développement. Les géants du numérique (Gafa, Batx et Natu) s’étendent dans des secteurs de plus en plus diversifiés, comme la santé ou l’alimentation. De nouvelles start-ups agiles peuvent, à tout moment, s’imposer sur des parties de chaînes de valeurs traditionnelles. Résultat : des entreprises autrefois partenaires, comme les constructeurs et leurs équipementiers, deviennent concurrentes dans leur relation à l’utilisateur final.
Dans ce contexte concurrentiel mouvant, les grands groupes traditionnels sont mis à l’épreuve. Des catastrophes industrielles ont déjà eu lieu, comme le décrochage de Kodak ou la faillite de Blockbuster en 2010, pendant que Netflix s’envolait.
Pour demeurer compétitifs aux yeux de leurs interlocuteurs, les grands groupes traditionnels — dont les cultures, les modèles d’affaires et les modes d’organisation datent d’avant l’ère numérique — se doivent d’afficher leur volonté de transformation numérique.
Mais quels sont les défis associés à cette transformation numérique ? Rien moins que de changer en profondeur le fonctionnement de l’entreprise, ses rapports avec son écosystème et son offre de produits et de services. Le terme de transformation numérique est fort, il implique une véritable métamorphose. Il suppose l’abandon d’un certain nombre de caractéristiques historiques de l’entreprise au profit de nouvelles pratiques, fondées sur l’intelligence collaborative, l’open innovation, la participation des salariés… qui sont directement dérivées du fonctionnement des start-ups et des géants du numérique. Comment y parvenir ? C’est là toute la difficulté.
La transformation numérique a d’abord été évoquée comme un slogan, brandie tel un mythe mobilisateur. Or, si les grands groupes doivent se transformer, les discours mobilisateurs, même ambitieux, ne suffisent pas. Les dirigeants de grands groupes que nous avons rencontrés en sont convaincus. D’ailleurs, à notre connaissance, tous les groupes du CAC40 ont à l’heure actuelle formulé des plans d’action, internes ou externes, parfois très ambitieux — le groupe Carrefour étant le dernier en date.
À l’occasion de notre mémoire de fin d’études, nous avons souhaité comparer les ambitions de transformation affichées par les grands groupes et l’ampleur de leurs engagements de terrain. La formulation, l’écriture et la communication d’une stratégie de transformation numérique sont-elles une épreuve à laquelle il est impossible de se soustraire, sous peine d’apparaître dépassé ? Ou bien l’indice d’un engagement sincère de l’ensemble d’une organisation au vue d’efforts réels ?
Nous sommes donc allés à la rencontre d’une dizaine de grands groupes français, privés et publics, de secteurs variés. Nous y avons découvert des motivations et des façons de faire tout à fait différentes. Un point commun a émergé : la conduite de la transformation numérique est une dynamique qui s’apparente au parcours d’une « courbe du deuil ». Cette expression désigne un schéma de psychologie, souvent transposé aux organisations et bien connu des professionnels de la conduite du changement. Autrement dit, les grands groupes auront réussi à s’intégrer pleinement à l’économie numérique lorsqu’ils auront fait le deuil d’un certain nombre de leurs pratiques historiques.
L’un des premiers stades d’une « courbe du deuil » est celui du déni. En matière de transformation numérique, les occasions de déni sont nombreuses. Il est par exemple tentant de multiplier les preuves de concept sans jamais s’attaquer à leur industrialisation, de participer à des Trophées du Numérique pour travailler son image de marque, ou d’appliquer des recettes toutes faites pour développer sa présence en ligne, sans s’attaquer en priorité au changement culturel au sein même de l’organisation. Nos observations nous poussent à mettre en garde les entreprises contre la tentation des solutions miracle : créer dans l’urgence un Digital Lab, nommer un Chief Digital Officer ou lancer une plateforme n’a parfois fait que retarder les réflexions stratégiques, tout en aggravant une déconnexion entre les équipes dirigeantes et la réalité du terrain.
Nos études de cas nous montrent également que la réussite de ces projets de transformation repose en grande partie sur l’implication des dirigeants : ils doivent en effet convaincre l’ensemble de leurs collaborateurs, afin de mener à bien les changements organisationnels nécessaires et de favoriser l’émergence et le recrutement de nouveaux talents au sein de l’organisation.
L’adaptation d’un grand groupe à la nouvelle donne numérique n’est pas un acte de foi mais de gouvernance. L’effort d’innovation trouve son sens et sa justification au cours de son déploiement, qui doit être suivi par des indicateurs concrets. Pour favoriser l’adoption des éléments essentiels au succès, il faut savoir mettre l’organisation sous tension en insufflant un sentiment d’urgence, repenser constamment les indicateurs pour forcer l’alignement stratégique et s’ouvrir de manière courageuse pour créer un écosystème à son avantage.
Pour découvrir notre analyse nourrie d’exemples et le détail de nos préconisations, vous êtes cordialement invités à venir assister à la soutenance de notre mémoire le 14 juin 2018, de 9h à 10h30, à l’Ecole des Mines de Paris, salle L109. Le rapport écrit sera disponible fin juin 2018.