Pourquoi le robot ne tue pas l’emploi

Le développement de la robotisation, des outils numériques et de l’intelligence artificielle dans l’industrie ravive les craintes d’un impact négatif du progrès technique sur l’emploi. Ces dernières sont-elles justifiées ? Comment se positionner par rapport à ce débat ?

Trois millions. C’est le nombre d’emplois qui devraient être supprimés en France par la numérisation d’ici 2025 selon le cabinet Roland Berger[1]. Frey et Osborne, deux chercheurs américains, estiment pour leur part que près de la moitié des emplois américains présentent un fort risque d’automatisation d’ici dix ou vingt ans[2].

Ces études, largement relayées dans la presse, alimentent les craintes de pertes d’emplois liées à la robotisation. Il ne fait aucun doute que l’automatisation des processus conduit à la destruction d’emplois, plus particulièrement dans le secteur industriel. Les avancées technologiques en matière de robotique, d’intelligence artificielle, etc. attisent la peur d’une substitution totale de l’homme par la machine.

Ces craintes sont toutefois largement exagérées et la vision d’usines totalement vidées de leurs travailleurs a peu de chance de se réaliser. Il faut en effet rappeler que le robot ne détruit pas des emplois mais des tâches : l’OCDE estime qu’environ un tiers des emplois industriels comporte une proportion importante (entre 50 et 70 %) de tâches automatisables et seront donc réorganisés en profondeur. L’homme ne disparaîtra donc pas de l’usine, mais son rôle est amené à évoluer. Il sera en charge de tâches que le robot reste incapable de réaliser car elles requièrent de la créativité, des interactions sociales, etc. Il reste aujourd’hui, et pour longtemps encore, le seul à avoir une compréhension fine du produit et de l’amélioration de la qualité et à pouvoir gérer les incidents des systèmes complexes de machines connectées.

De plus, si les pertes d’emploi dues à la robotisation et à l’automatisation sont directement visibles, le phénomène de création d’emplois et de nouvelles activités est souvent plus diffus. On le voit actuellement avec les difficultés éprouvées pour quantifier les emplois créés par le numérique. Sa diffusion à l’ensemble de l’économie participe à rendre les frontières entre industrie et services beaucoup plus floues.

Il faut aussi rappeler qu’il existe une corrélation entre le taux de robotisation et la richesse créée par le secteur industriel ; les gains de productivité générés induisent des effets d’entraînement sur le reste de l’économie. Une baisse des prix liée à une plus forte productivité permet par exemple aux individus de consommer d’autres types de produits (services, loisirs, etc.), et soutient donc l’emploi dans d’autres secteurs.

On le comprend bien, les exercices de quantification de l’effet de l’automatisation sur l’emploi sont difficiles. Ce qui est certain, c’est qu’en à peine vingt-cinq ans, la part des ouvriers non qualifiés a chuté de 15 points pour s’établir à 17,1 % de l’emploi total en 2009. Sur la même période, la part des ouvriers qualifiés et surtout des professions intermédiaires ont progressé de respectivement 4,6 et 6,8 points[3]. Nul doute que ce mouvement va se poursuivre dans les prochaines années et qu’il crée de nombreuses attentes vis-à-vis du système de formation tant initiale que continue.

Dans une étude à paraître en novembre 2016, La Fabrique de l’industrie développera plus en détails ce débat.


[1] Roland Berger, 2014, « Les classes moyennes face à la transformation digitale », octobre.

[2] Frey C., Osborne M., 2013, « The Future of Employment: How Susceptible are Jobs to Computerisation? », septembre.

[3] Source : enquêtes Emploi (Insee), traitement Dares.

Louisa Toubal

Titulaire d’un DEA d’économie internationale de l’université de Paris I Panthéon-Sorbonne, Louisa Toubal a réalisé de nombreuses études pour des institutions privées et...

Lire la bio de l'auteur

Thibaut Bidet-Mayer

Titulaire d’un master d’économie appliquée, Thibaut Bidet-Mayer fut chef de projet à La Fabrique de l’industrie de janvier 2013 à avril 2017. Il travailla notamment sur la...

Lire la bio de l'auteur
Devenez contributeurs !

Vous souhaitez partager votre point de vue sur une problématique industrielle ? Contactez-nous en nous proposant un sujet et un texte court.

Devenir contributeur
Partager
Imprimer
Pour réagir