Retour sur l’écart de compétitivité France-Allemagne
La question obsède les industriels comme les pouvoirs publics: pourquoi la France continue-t-elle de perdre du terrain, quand les Allemands renforcent leurs atouts ? En 2011, le rapport COE-Rexecode a formulé quelques explications sur ce décrochage. Lecture critique.
Selon cette étude claire et argumentée, qui s’appuie notamment sur une enquête périodique de Rexecode auprès des acheteurs industriels, la France, qui compensait traditionnellement un écart négatif par rapport à l’Allemagne sur tous les aspects (qualité, innovation, design, respect des délais de livraison, service après-vente…) par un prix plus compétitif résultant essentiellement d’une main d’œuvre meilleur marché, a perdu cet unique avantage au cours de la dernière décennie.
D’autres facteurs structurels évoqués (spécialisation industrielle, taille des entreprises, moindre investissement dans la recherche industrielle1) n’ayant pas varié substantiellement dans la dernière décennie, le décrochage très brutal de compétitivité ne pourrait provenir que du coût de l’emploi. Le rapport cite, certes, l’étude du CEPII (Fontagné et Gaulier, 2008), selon laquelle la source principale de la surperformance allemande résiderait dans une plus grande externalisation vers les pays à bas coûts, tandis que la France externaliserait moins et plutôt vers l’Espagne devenue chère, mais les auteurs ne s’y attardent pas.
Ils se concentrent sur la proposition d’un nouveau pacte pour la compétitivité, fondé sur un effort des salariés (sobriété salariale), des contribuables (transfert de la fiscalité des entreprises et de certains prélèvements sociaux vers des taxes frappant d’autres acteurs) et du régulateur (règlements plus souples notamment en matière de marché du travail2 mais aussi de contraintes pesant sur l’industrie3).
Le point de vue de La Fabrique
Le reproche que l’on peut adresser aux auteurs de cet excellent travail est qu’ils proposent de s’attaquer uniquement à ce qui a changé depuis dix ans (la convergence du coût du travail), et non à ce qui est plus stable (les facteurs structurels induisant une moindre compétitivité globale, malgré une productivité horaire de la main d’œuvre comparable). Ils justifient par l’urgence d’un choc de compétitivité cette exploitation partielle d’un diagnostic par ailleurs équilibré.
De manière caricaturale, on pourrait conclure de leurs constatations que la France compensait, il y a dix ans, l’incompétence de ses élites par la sobriété de ses ouvriers. Nous étions en retard en matière de culture industrielle, d’efficacité organisationnelle, d’innovation technologique, de support de l’Administration à l’industrie et de qualité du dialogue social, ces différents facteurs se renforçant mutuellement : la compétence technique était moins valorisée4, le client moins respecté, la fiabilité moins considérée, le dialogue social plus agressif et les relations avec les autorités publiques moins constructives. ien n’a changé, mais cela se voit davantage. Les auteurs ont raison de constater que la mauvaise qualité de nos superstructures managériales, réglementaires, fiscales et administratives ne permet pas de maintenir notre compétitivité en payant les salariés français autant que leurs homologues allemands. Toutefois, l’effort qu’ils proposent (à la fois aux salariés, aux contribuables et aux consommateurs) sera probablement mieux accepté s’il s’accompagne aussi d’une réflexion plus substantielle sur les causes structurelles de l’écart de compétitivité.
1 Selon les auteurs, la faiblesse de l’investissement en R&D serait une cause « induite » (par la trop faible rentabilité des entreprises) et non « première ». Ceci suppose que si une entreprise française est riche, elle a la même appétence pour la R&D et l’innovation que son homologue allemand, ce qui reste à prouver.
2 Les auteurs proposent de s’inspirer de l’arbitrage différent sur le triptyque salaire-emploi-durée du travail, qui a évolué en Allemagne avec les lois Hartz :
– suspension (de durée croissante) des allocations chômage en cas de refus « injustifié » d’un emploi
– CDD ou temps partiel sans motivation pour l’embauche des plus de 52 ans
– garantie de salaire pour les plus de 50 ans qui acceptent un travail moins rémunéré
– dispense de cotisation employeur à l’assurance chômage pour l’embauche des plus de 55 ans.
3 La France serait, selon les auteurs, d’une technophobie obscurantiste face à des progrès « incontestables » comme les OGM (mais rien n’est dit sur la technophobie nucléaire des Allemands).
4 Sur 42 présidents et/ou directeurs généraux du CAC 40, un seul est docteur, et sur 32 directeurs de la recherche, de l’innovation ou assimilés, 10 sont docteurs. Si l’on compare avec les entreprises du DAX 30 allemand (qui ne sont pourtant pas les entreprises à plus forte intensité technologique d’Allemagne), sur 30 présidents directeurs généraux, 18 ont une thèse et sur 13 directeurs recherche ou innovation, 12 ont une thèse. On retrouve cette même considération allemande pour la compétence technique et professionnelle aux niveaux des différentes catégories d’ingénieurs (des Technische ou des Fachhochschulen) ou de la formation par l’apprentissage.