Réinventer l’Occident – Hakim El Karoui
« La désoccidentalisation du monde a commencé et nous regardons ailleurs ». La sortie en poche de l’ouvrage de Hakim El Karoui offre l’occasion de revenir sur les thèses originales de cet ancien banquier d’affaires, aujourd’hui associé chez Roland Berger, et d’examiner leurs conséquences pour l’industrie mondiale.
Nous imaginons un Occident désirable, où marché, démocratie, liberté et enrichissement général vont de pair, menacé seulement par quelques laissés pour compte fanatisés. Pourtant, nous sommes simultanément en crise politique, morale et économique. Notre organisation sociale se délite, car les individus éduqués, surpuissants, ne veulent pas s’encombrer de solidarité avec le reste d’une nation à laquelle ils ne s’identifient plus. La crise économique, née de la dette des Américains qui ont cru qu’ils pouvaient durablement se passer de produire pour consommer, se poursuit avec la crise de l’euro, liée aux Etats qui n’ont pas les moyens de rembourser leur dette, ce que les marchés financiers ne font que constater.
La Chine se développe, mais la croissance asiatique sera de plus en plus autocentrée et découplée du reste de l’économie mondiale. La Chine invente un capitalisme d’Etat sans démocratie, beaucoup moins précaire que les Occidentaux ne l’imaginent, malgré un endettement largement dissimulé, une bulle de surinvestissement, des tensions sociales et une grave corruption.
Que pouvons nous faire pour redevenir compétitif ?
Moins taxer le travail, plus taxer le capital au niveau national, certes, mais surtout réguler le commerce international, en demandant dans tous les domaines la réciprocité, idée à laquelle se rallient en Amérique de grands chefs d’entreprises comme les patrons de General Electric et d’Intel ou le prix Nobel Paul Krugman. Pour cela, il faut être unis et fermes face à une Chine qui joue de nos divisions et de notre absence de gouvernance efficace, mais qui a plus besoin de nous aujourd’hui que nous n’avons besoin d’elle. Une rupture des liens commerciaux entre l’OCDE et la Chine coûterait certes 2,5 à 4,5% de son PIB à l’OCDE, mais au moins 20% à la Chine.
Nous devons réinventer un Occident réaliste, fondé sur l’égalité – nous ne sommes pas supérieurs ; sur la vérité – nous nous sommes trop trompés dans nos modes de développement et de relations avec le reste du monde pour ne pas vouloir éviter, en admettant ces erreurs, que de nouvelles puissances les reproduisent ; sur la réciprocité, face à la Chine notamment ; enfin sur l’identification : il faut rendre l’Occident et ses valeurs de liberté, de démocratie et d’économie de marché à nouveau désirables.
.
Conséquences pour l’industrie
L’impuissance américaine vient, selon l’auteur, de l’abandon de l’industrie traditionnelle au profit d’une économie tournée vers les services à faible valeur ajoutée, d’une part, et vers les nouvelles technologies et la finance, d’autre part, services à forte valeur ajoutée mais incapables de tirer de façon pérenne la croissance et l’emploi d’une grande économie.
La désindustrialisation provoque de surcroît une disparition progressive des emplois de qualification intermédiaire et une bipolarisation : en Allemagne un salarié de la distribution, du transport ou des loisirs gagne en moyenne 58% de moins qu’un ouvrier de l’industrie (27 500 euros contre 47 000).
Après un développement fondé sur l’export (et un taux d’épargne considérable de 50%, lié à la faible protection sociale), la Chine relance sa consommation intérieure, mais fermera progressivement son marché, la production domestique étant en mesure de remplacer ses importations actuelles. Un nouveau capitalisme est en train de naître, ni libre, ni démocratique, ni guidé par le seul intérêt économique et la rationalité des affaires, qui permettra à la Chine de retrouver son statut de première puissance mondiale après une éclipse de deux siècles.
La régulation du commerce prônée par l’auteur ne consiste pas à ériger des murailles que personne n’acceptera dans le cadre d’une économie mondiale intégrée, mais plutôt à définir d’un commun accord des écluses, permettant des mises à niveau, économiques en Occident, sociales et environnementales chez les émergents. Plutôt que d’accuser la Chine, l’Occident doit être pragmatique et protéger ses intérêts, sans crainte d’une rétorsion qui a été largement anticipée et ne peut être que limitée ; la Chine est encore pour un temps très dépendante de l’ouverture des marchés occidentaux. L’auteur précise qu’une régulation commerciale sans politique industrielle ne ferait que repousser les échéances. Il faut savoir utiliser à bon escient le répit gagné.