Reconstruire le manufacturing américain

Après trois ans d’enquête, le MIT livre le résultat de son travail dans un livre important « Making in America – From Innovation to Market » Il affirme l’importance du manufacturing pour l’innovation future et donne des pistes pour reconstituer l’écosystème de production américain.

« Est-ce que la présence d’un secteur manufacturier domestique est indispensable à l’économie de l’innovation américaine ? » Pour y répondre le MIT a créé en 2010 la Commission « Production in the Innovation Economy » (PIE). Trois ans plus tard, et après une grande enquête, les conclusions de ce travail se traduisent par un livre « Making in America – From Innovation to Market » signé de Suzanne Berger et de la Task Force du PIE.

La réponse immédiate à la question posée est clairement : « oui, le secteur manufacturier est critique pour le développement de l’économie américaine. » Sa thèse majeure tient à l’idée – déjà exprimée dans d’autres études – que le savoir fabriquer est souvent indissociable de l’innovation. En confiant leur production à des tiers à l’étranger, les entreprises peuvent voir leurs capacités d’innovation s’éroder et ainsi contribuer à l’appauvrissement de l’écosystème industriel.

Le livre commence par rappeler l’évolution du manufacturing dans les grands groupes depuis l’époque où, verticalement intégrés, ils disposaient en interne de toutes les ressources leur permettant de passer de la R&D à la production de masse. Epoque révolue. Sous la pression financière – la volonté de maximiser la « shareholder value » – elles se sont progressivement dé-intégrées, se sont recentrées sur leur cœur de métier et ont très largement abandonné la production à des sous-traitants, en particulier dans des pays à bas coûts. Il en est résulté à la fois une perte de substance, non seulement au niveau des groupes eux-mêmes, mais de tout le système productif américain qui en dépendait. « Cette perte de savoir-faire prive l’écosystème industriel de l’accumulation de nouvelles connaissances diminuant d’autant la capacité à produire des innovations dans le futur » avertissent les auteurs.

L’ouvrage montre toutefois que pour des produits critiques, certaines grandes entreprises s’efforcent malgré tout de conserver en interne un véritable savoir-faire local en production. C’est notamment le cas pour des produits très pointus technologiquement comme les oscilloscopes très haut de gamme de Tektronix (qui par ailleurs sous traite allègrement la fabrication de ses oscilloscopes standards). Mais également pour des produits banals, mais stratégiques pour l’entreprise, comme les lames de rasoirs de Gillette.

Making in America s’intéresse ensuite aux start-ups et jette un éclairage très intéressant sur les limitations inhérentes à ces champions de l’innovation. Hormis celles qui se consacrent au logiciel – pour lesquelles la notion de manufacturing ne se pose pas – ces jeunes entreprises n’ont en effet que très rarement la possibilité –tant en termes de finances que de compétences – de mettre en place l’outil de production capable de produire leur innovation à grande échelle. Elles doivent donc nécessairement se tourner vers des partenaires – souvent étrangers, vu la faiblesse de l’écosystème américain – pour produire. Avec le risque, si le savoir-faire en production est très lié à l’innovation, de perdre peu à peu la main.

Troisième problématique, celle des entreprises traditionnelles, – « mainstream manufacturers » – souvent des PMI voire des sous-traitants medium ou low tech. Ici l’ouvrage a le mérite de rappeler l’importance de ces industries : alors que la high tech américaine a généré 390 milliards de dollars de valeur ajoutée en 2010, les mainstream manufacturers en ont généré… 3 000 milliards ! Les auteurs analysent également très bien la nature de l’innovation dans ces entreprises et montrent qu’il s’agit le plus souvent d’innovations très liées au processus de production lui-même et aux machines.

A leur propos, le livre se pose une question qui fait écho aux préoccupations françaises : « Pourquoi ces entreprises ne croissent-elles pas davantage ? ». Il apporte une réponse spécifique au contexte américain : la raison de leur stagnation tient à ce qu’elles sont isolées et totalement abandonnées à elles-mêmes. Elles ne bénéficient plus des atouts liés à un dense réseau industriel ni des retombées des activités de production des grands groupes. Et, face à cet épuisement des ressources technologiques et humaines locales, elles ne disposent pas non plus de ce qui fait la force des entreprises allemandes (un chapitre leur est consacré) : un solide réseau de centres techniques parmi lesquels les fameux instituts Fraunhofer aptes à les ressourcer technologiquement.

L’analyse du PIE peut ainsi se résumer à deux conclusions majeures. Primo, le manufacturing est une source déterminante d’innovation. Secundo : l’écosystème industriel américain est affaibli et ses nombreux manques handicapent toutes les entreprises dans la course à l’innovation. Il n’est évidemment pas question pour les auteurs de revenir au temps où l’activité des grands groupes, irriguant tout le tissu industriel tant en termes de formation que de technologie, bénéficiait à tous. En revanche, pour eux la solution pour bâtir une nouvelle industrie aux USA passe par la mise en place de partenariats publics-privés et, en particulier, par le développement de centres capables de mutualiser des recherches, notamment sur les outils de production avancés qui jouent un rôle clé. De quoi combler les « trous » de l’écosystème de production pour le plus grand bien de l’ensemble de l’industrie. Ils se félicitent ainsi du récent développement d’un tel réseau de centres techniques par l’administration Obama, le premier à entrer en service étant le National Manufacturing Innovation Institute, voué au développement des technologies d’impression 3D.

Making in America est le résultat d’un travail de trois ans au cours duquel plus de 250 responsables d’entreprises soigneusement sélectionnées aux USA, en Asie (principalement Chine) et en Europe (principalement Allemagne) ont été interviewés. Un millier d’entreprises, ont également été étudiées par une bonne dizaine de spécialistes du MIT. Ce travail réalisé en réponse au problème lié au développement de la Chine, est exactement de la même nature que celui mené à la fin des années 1980 pour trouver une solution à la crise de productivité américaine révélée par la phénoménale montée en puissance du Japon. Le MIT avait alors lancé une grande étude dont avait été issu, en 1989, un livre important « Made In America ».

Franck Barnu

Après des études de physique, Franck Barnu s’est dirigée vers la presse industrielle et technologique. Comme journaliste, il a en particulier suivi le domaine des technologies...

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