Réaction au document de La Fabrique « La stratégie du jardinier »

Le document « La stratégie du jardinier : quand les entreprises investissent dans les ressources humaines du territoire », consacré au rapport entre les entreprises et les ressources humaines du territoire, est intéressant à plus d’un titre.

Le document « La stratégie du jardinier : quand les entreprises investissent dans les ressources humaines du territoire », consacré au rapport entre les entreprises et les ressources humaines du territoire, est intéressant à plus d’un titre. Tout d’abord, considérant le paradoxe de la persistance des difficultés de recrutement en période de chômage, l’auteur – O. Mériaux – insiste sur la nécessité de dépasser une conception mécaniste de l’appariement offre-demande sur la marché du travail et de mettre en œuvre des méthodes plus fines d’identification des besoins des entreprises mais aussi des salariés. Il remarque très justement que la politique salariale de l’entreprise, les conditions de travail et les possibilités de progression dans un métier socialement utile sont des critères importants pour les demandeurs d’emploi. On pourrait pousser l’analyse en intégrant les effets des nouvelles organisations du travail dans le clivage de l’offre d’emploi, selon que les « profils » exigés soient à basse qualification avec primat du comportement ou à haute qualification avec primat du niveau de formation.

Ensuite, l’auteur pointe les limites des régulations de cet appariement en montrant que l’évolution du cadre institutionnel depuis les années 80 a certes eu des effets positifs, notamment quant à l’adaptation de l’offre de formation, mais a abouti à une perte de cohérence des interventions d’acteurs ainsi multipliés. La régionalisation est toujours en chemin (nous dirions même qu’elle est toujours « entre deux chaises ») et la complexité – voire la conflictualité – des rapports entre les Régions, l’Etat et des branches professionnelles toujours très centralisées (du côté employeur comme du côté syndical) pèsent sur l’opérationnalité des choix.

Enfin, à partir de différentes études de cas, O. Mériaux  définit une méthodologie permettant une différenciation des rapports entreprise / territoire des ressources humaines, depuis le rapport purement instrumental (de « prédation », dirions-nous), au coup par coup ou « à chaud » quand survient un problème, jusqu’à la construction (« coproduction ») « en continu d’un rapport négocié au territoire », même lorsqu’aucune nécessité urgente n’y contraint. Ce qu’il nomme avec bonheur « la posture du jardinier », en insistant sur ce qu’elle implique en termes « d’interactions et d’interconnaissances entre l’entreprise et son écosystème » (que nous identifions comme un « complexe territorialisé de compétences ») et de permanence dans le processus de mise en culture de ces interactions.

Comme y insiste à plusieurs reprises O. Mériaux, cette participation est objectivement difficile pour les TPE et PME mais se heurte surtout, pour les grandes entreprises, à une forte « réticence à partager des informations sur leurs choix stratégiques ». Il y a là, selon nous, un obstacle majeur à la pertinence des politiques régionales et territoriales de l’emploi et des compétences. Plus largement, cela se traduit par une coupure (accentuée par la dichotomie des fonds européens FEDER et FSE) entre les politiques dites « industrielles » et les politiques sociales d’autre part, dont relèvent l’emploi et la formation. On constate en effet que les premières sont essentiellement des politiques d’innovations, par ailleurs hautement sélectives, et laissent dans l’ombre les choix stratégiques productifs correspondants (par exemple la décision d’industrialiser – en France ou à l’étranger – un nouveau procédé issu d’un projet de recherche coopérative). Les secondes sont alors chargées d’assurer « à l’aveugle » l’accompagnement nécessaire (adaptation des niveaux de compétences ou de la mobilité des salariés…). D’où les dysfonctionnements que l’on constate actuellement en Rhône-Alpes concernant le fonctionnement des « comités stratégiques » où se rencontrent Etat, Région et « partenaires sociaux », au niveau territorial (comités territoriaux emploi-formation) comme au niveau filière (comités stratégiques régionaux de filière) ; à ces deux niveaux, le débat ne porte généralement que sur l’accompagnement de décisions économiques qui échappent largement aux syndicalistes, voire aux acteurs publics, le patronat des grandes entreprises n’y assurant, à quelques exceptions près, qu’une présence formelle.

Pour parvenir à ses fins, le jardinier ainsi évoqué devra donc montrer au moins autant de « patience » que celui du roman éponyme de John Le Carré !

Jacques Perrat

Docteur 3ème cycle en Economie et HDR, Jacques Perrat est économiste à l’ADEES Rhône-Alpes (association pour le développement des études économiques et sociales qui conduit des...

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