Patrick Artus, militant de l’industrie
Un livre militant mais nuancé, habile mais documenté, pour mettre la question industrielle au cœur de la campagne présidentielle
Il y avait la question sociale, il y aura désormais la question industrielle ! A la veille des campagnes de 2012, voici un livre aussi intelligent que plaisant, qui tombe à pic. Tellement à pic d’ailleurs que d’aucuns ne manqueront pas de l’imaginer téléguidé par quelque puissant groupe de pression. Trêve de procès d’intention, le fond est intéressant et la mise en forme efficace.
Patrick Artus, professeur d’économie et directeur des études de Natixis, part d’un constat désormais connu : en une décennie, la France s’est désindustrialisée et notre perte de compétitivité est patente, non seulement à l’échelle mondiale, mais – et c’est le plus inquiétant – vis-à-vis de nos partenaires européens.
L’auteur passe en revue les causes les plus fréquemment évoquées pour expliquer ce phénomène : coût et durée du travail, délocalisations sauvages, piège du milieu de gamme et défaillance de l’innovation, absence d’un tissu de PME performantes, fiscalité confiscatoire, méfiance envers le progrès scientifique et technique, euro fort, etc. Chaque item est traité de façon plutôt fine et nuancée, évitant ainsi le piège des explications “monothéistes” propres aux périodes électorales.
On retiendra deux hypothèses originales. La première concerne le “serpent de mer” du différentiel de compétitivité France-Allemagne. Contrairement à l’idée reçue, les industriels allemands auraient externalisé la partie sophistiquée de leur production industrielle dans les pays d’Europe centrale, et conservé la partie moins sophistiquée sur leur propre sol, pratiquant ainsi un “offshoring” sur le travail qualifié. Ce qui expliquerait aussi bien le mystère de la faible productivité de l’Allemagne que la réduction de ses coûts de production, lui permettant de conquérir des parts de marché à l’export. “Quand Renault va chercher en Roumanie la main d’oeuvre moins chère pour fabriquer la gamme Logan, puis Sandero, Volkswagen produit en République tchèque des véhicules haut de gamme telle la Porsche Cayenne 4×4.”
La seconde porte sur la monnaie unique. Non seulement l’Euro a fait office de révélateur des problèmes structurels qui avaient été artificiellement “dissimulés” par la multiplication des dévaluations “compétitives”, mais il a en outre fabriqué de la “spécialisation” productive. L’Union monétaire, loin de favoriser la convergence annoncée des économies avec la disparition de ce que les experts appellent les “asymétries”, aurait au contraire pousser chaque pays de la zone à exploiter ses avantages comparatifs, en développant des spécialisations productives différentes. Cela expliquerait la concentration progressive de l’industrie dans le Nord de la zone euro et la spécialisation des pays du Sud dans la construction et les services non exportables. La France comme l’Italie se situant entre les deux, c’est-à-dire nulle part.
Le point de vue de La Fabrique
On ne regrettera pas ici que les analyses et démonstrations de Patrick Artus ne soient pas plus fouillées. Ce n’est pas l’objet d’un tel livre, dont la vocation est de stimuler les débats et de mobiliser l’opinion. Nous ne doutons pas un instant que ses amis universitaires sauront mettre sur la sellette nombre de ses affirmations. Il n’en demeure pas moins que cet ouvrage est probablement la meilleure synthèse “vulgarisatrice” sur l’état de l’industrie française et ses enjeux pour l’avenir. Les pages que Patrick Artus consacre au lien entre désindustrialisation, déqualification des emplois, désintégration des classes populaires, et montée en puissance des partis protestaires, Front national en tête, sont particulièrement éloquentes. La question industrielle est en réalité au coeur de la question sociale.