Ne donnez pas du temps à vos salariés pour innover, laissez-les en prendre !
La thèse de Lucie Puech intitulée Processus intrapreneurial : entre temps alloué et temps autosaisi traite de la contribution du temps à l’émergence et à la poursuite des projets intrapreneuriaux, qui intègrent une large part d’innovation, mais se situent en dehors des activités courantes prescrites et ne disposent donc a priori d’aucunes ressources supplémentaires. Retrouvez ici un résumé de son travail.
Certaines grandes organisations font le choix d’allouer du temps libre à leurs collaborateurs pour promouvoir l’innovation. Google par exemple donne la possibilité à ses salariés de consacrer 20 % de leur temps à un projet de leur choix ; ceci est reconnu comme une manière de révolutionner les pratiques managériales et perçu de manière positive par le grand public.
La thèse questionne l’intérêt d’une telle mesure. Elle traite de la contribution du temps à l’émergence et à la poursuite des projets intrapreneuriaux, qui intègrent une large part d’innovation, mais se situent en dehors des activités courantes prescrites et ne disposent donc a priori d’aucunes ressources supplémentaires.
L’étude empirique, conduite dans un centre de R&D du groupe ENGIE, permet de mettre en avant la dimension qualitative du temps. Le processus intrapreneurial – identification, poursuite et développement d’une opportunité innovante – se nourrit de formes de temps plurielles, qui se caractérisent par une qualité singulière, la disponibilité d’esprit. Celle-ci s’entend comme la capacité à se détacher du quotidien, soit pour laisser son esprit se promener, se concentrer sur un sujet innovant ou pour partager un moment collectif en étant réceptif aux sollicitations des pairs. Aussi, pour conduire des activités intrapreneuriales, la qualité du temps importerait davantage que sa quantité.
En outre, même lorsque l’organisation encourage et soutient les activités innovantes à travers un ensemble de moyens tangibles et intangibles, les activités intrapreneuriales reposent sur une forme de proactivité des acteurs vis-à-vis des ressources temps, c’est-à-dire sur leur faculté à s’emparer délibérément de temps ; c’est parce que ces temps sont autosaisis, pris délibérément, que les acteurs disposent de disponibilité d’esprit et qu’ils parviennent à conduire des activités intrapreneuriales. L’intrapreneuriat reposerait alors davantage sur la capacité de l’entreprise à laisser les collaborateurs prendre du temps, qu’ils s’y sentent autorisés et incités, plutôt que sur une allocation systématique de temps libre.
Intérêt pour l’industrie
Si la créativité s’avère largement soutenue par des dispositifs internes, les entreprises semblent rencontrer davantage de difficultés à trouver les moyens pour favoriser la transformation de ces idées foisonnantes en innovations. En mettant en exergue les enjeux majeurs en termes de ressources que revêt cette étape intermédiaire, la thèse envisage de manière singulière la gestion du
temps pour les acteurs de l’innovation. Une fois l’opportunité innovante identifiée, sa poursuite dépend principalement de leur capacité à prendre du temps. Il s’avèrerait pertinent d’investir dans des « espaces temps » que les collaborateurs peuvent mobiliser lorsqu’ils le jugent opportun. Dit autrement, les laisser choisir délibérément le moment où ils se sentent « disponibles » pour réfléchir à leur projet intrapreneurial et innover s’avère d’autant plus aisé que des « espaces-temps » sur lesquels cette autosaisie opère, existent : par exemple du temps non alloué aux activités prescrites, des marges gagnées dans la négociation des contrats avec les clients, de la latitude dans les livrables…
Encourager les intrapreneurs à s’autosaisir de temps leur offre davantage de liberté et d’autonomie, rendant ainsi l’exigence d’autodiscipline légitime. La réponse du dosage et des limites à instaurer serait alors à trouver dans la construction d’un dialogue de confiance entre managers et collaborateurs. Aussi est-il possible de considérer l’existence d’une compétence particulière à
savoir « mobiliser du temps » à bon escient, et d’envisager que les managers soient incités à la développer chez leurs collaborateurs afin d’étayer les capacités de jugement de chacun à l’égard des activités innovantes qui émergent en marge des activités prescrites. Il s’agirait en somme d’apprendre (ou de réapprendre) à prendre du temps, son temps.