L’industrie du futur ? Des robots et des hommes
[confidences d’un patron] À la tête d’Alliansys, une PME d’électronique, Michel de Nonancourt mène de front modernisation de l’outil industriel et autonomisation des salariés.
Dès que Michel de Nonancourt est devenu actionnaire d’Alliansys, une PME normande de 75 salariés, il a souhaité l’engager dans la démarche Industrie du futur, c’est-à-dire la modernisation de son outil industriel et la transformation de son modèle économique par le numérique. Ce projet s’appuyait sur deux convictions fortes. « La fabrication des cartes électroniques en grande série peut parfaitement être rapatriée en France. Et elle doit l’être si l’on veut éviter que les activités de conception finissent par suivre les activités de fabrication, déjà délocalisées dans les pays émergents », explique le PDG de l’entreprise. Soulignant que le prix du matériel de base et des composants est le même pour les entreprises implantées en Chine, en Allemagne ou en France, il estime que « les différences de prix liées à la main-d’oeuvre sont contrebalancées par les coûts de logistique, en sachant que nos clients exigent des délais de livraison de plus en plus courts, pour des produits fabriqués en quantité variable et personnalisables à la demande ».
Robotisation et partage de données
L’enjeu est donc ailleurs. « Plus que le coût de la main-d’oeuvre, c’est le caractère obsolète des machines qui pose problème. » L’impératif de renouveler le parc a pris un caractère d’urgence lorsque Michel de Nonancourt a découvert la photo d’un atelier chinois équipé d’une cinquantaine de robots de nouvelle génération, capables de réaliser de façon automatique la pose de composants traversants, jusqu’alors effectuée à la main. « Cela m’a empêché de dormir la nuit suivante », avoue-t-il. Il se prépare à acquérir cette machine, dont il n’existe qu’un exemplaire en Allemagne et aucun en France. Ces nouveaux équipements ne supprimeront pas pour autant des emplois. « Comme nous recevons de plus en plus de commandes pour des produits intégrés exigeant davantage de main-d’oeuvre, les opérateurs qui ont perdu leur poste peuvent être affectés à d’autres tâches, explique-t-il. Notre opération Industrie du futur ne se traduit donc pas par une baisse d’effectif. »
Parallèlement, le système d’information a été refondu pour regrouper tous les logiciels spécialisés et suivre la gestion des 25 000 références fournisseurs. Un système EDI (échange de données informatisé) permettra bientôt d’interroger directement les bases de données des fournisseurs pour savoir si les composants recherchés sont disponibles, à quel endroit et à quel prix. Alliansys veut aller encore plus loin. « Nous travaillons sur un outil qui nous permettra d’ouvrir nos bases de données à nos confrères, afin de pouvoir nous revendre des composants entre nous, avant même de nous adresser à nos fournisseurs. »
Mise à niveau des équipes
Mais la modernisation de l’outil industriel ne suffit pas. La démarche Industrie du futur suppose aussi que les salariés soient plus autonomes, se montrent capables de gérer eux-mêmes les problèmes rencontrés et deviennent polyvalents au sein d’une même cellule. « Aujourd’hui, précise Michel de Nonancourt, même les magasiniers doivent maîtriser Excel et savoir faire des tableaux croisés dynamiques. Le temps où ils cochaient des petites cases sur des fiches en carton est révolu… »
Un gros effort de mise à niveau a été nécessaire. Certains des salariés, qui n’avaient pas suivi de formation depuis dix ans, ont commencé par protester : « Pourquoi moi ? Qu’est-ce que vous avez à me reprocher ? Envoyez plutôt ma collègue ! » Ces résistances ont conduit à embaucher une personne à plein temps pour préparer les formations, expliquer pourquoi tel groupe allait devoir suivre tel programme et quel résultat en était attendu. Désormais, l’investissement dans la formation représente entre deux et trois fois plus d’heures que ce qui est prévu par la loi. Et pour lutter contre le stress qu’engendrent inévitablement toutes ces transformations, l’entreprise met à disposition de ses salariés des zones de détente, une console de massage et un parc paysager de trois hectares, dont l’herbe, bien loin de toute technologie, est tondue par des moutons…
Cet article a été initialement publié dans le magazine de l’Usine Nouvelle.