Les champions cachés du XXIe siècle

Le professeur Hermann Simon a « inventé » en 1989 le concept de champion caché, qu’il a popularisé dans un livre à succès en 1996. Un champion caché est une entreprise (très souvent une PME ou une ETI), leader mondial ou européen de son secteur, peu connue du grand public et le plus souvent familiale. L’Allemagne en regorge. Il n’est donc guère étonnant que ce soit précisément un allemand, Hermann Simon, qui ait le premier formalisé ce concept.

Hermann Simon a récidivé en 2009 en publiant Hidden Champions of the XXIst Century. La version française du livre, cosignée par Stéphan Guinchard, a été publiée il y a quelques mois.

Le livre a pour objet essentiel de mettre à jour les ressorts qui ont permis à ces ETI de s’imposer sur un marché mondial, de croître et d’y prospérer contre vents et marées et sur la longue durée. Nombre d’entre elles sont plus que centenaires.

Chapitre par chapitre, les auteurs « convaincus qu’il est plus probable de trouver un modèle d’excellence managériale et stratégique chez un champion caché qu’au sein d’une grande entreprise », s’attachent ainsi à dévoiler les secrets de ces entreprises en tirant des enseignements généraux à partir de nombreux exemples. Des secrets qui ne sont d’ailleurs pas bien sorciers… Ce sont essentiellement la qualité irréprochable des produits, la spécialisation sur une niche, l’innovation, l’internationalisation et l’investissement sur le long terme.

Le livre, préfacé par Yvon Gattaz, ardent promoteur des ETI en France, n’apprendra pas énormément de choses nouvelles aux lecteurs attentifs du premier opus si ce n’est que, depuis 1996, ces champions ont quasiment tous connu une très forte croissance de leur chiffre d’affaires et de leur effectif salarié. Pour les autres, il sera passionnant de découvrir ce que sont ces entreprises de taille moyenne, ce qui fait leur force et comment elles arrivent souvent à capter plus de 70 % de leur marché. Il n’est pas inutile non plus de regarder de près les leçons que les PMI et les grands groupes peuvent tirer de ces réussites. Rien qui ne se trouve déjà dans les manuels de management.

Stéphan Guinchard, qui était au moment de la parution senior director de Simon, Kucher et Partners (la firme d’Hermann Simon) à Paris, a apporté sa contribution au livre. Il a eu le loisir d’effectuer quelques mises à jour par rapport à l’édition anglaise. Surtout, il a quelque peu « francisé » l’ouvrage. Il s’est efforcé en particulier de mettre en évidence quelques champions cachés français ; il en a même listé une cinquantaine. C’est appréciable, même si le livre reste malgré tout largement dominé par des exemples venus d’outre-Rhin. Difficile d’y échapper : 60 % des champions cachés recensés dans le monde sont allemands. Les entreprises françaises comparables sont quatre fois moins nombreuses.

Côté critique, on regrettera que les chapitres soient parfois un peu longs, même si Stéphan Guichard a réduit de 80 pages la version originale. Les auteurs ont toutefois fourni au lecteur (très) pressé le moyen d’aller droit au but, dans la mesure où le chapitre final d’une trentaine de pages résume l’ensemble des enseignements qu’il est possible de tirer de ces champions.

Seconde remarque. La plupart des champions cachés cités dans ce livre sont actifs dans la mécanique, dans l’ingénierie, la chimie. Pensez à Miele, Kärcher, Bosch… Peu s’illustrent dans le numérique pur, comme Dassault Systèmes par exemple (juste cité dans un tableau). Résultat : le livre donne parfois l’impression d’analyser parfaitement les industries des secteurs traditionnels mais de faire l’impasse sur celles du futur. Là aussi, il est difficile d’éviter le biais. Il tient évidemment à ce que la plupart des champions cachés sont nés il y a plusieurs décennies mais aussi à ce que l’Allemagne ne s’illustre pas particulièrement dans le domaine du numérique. Sans compter que son champion, SAP, ne figure pas dans le livre car il est désormais devenu trop grand et trop connu pour répondre aux critères qui définissent un champion caché.