Le véritable enjeu des Big Data
François Bourdoncle, co chef de file du plan « Big Data », explique comment les spécialistes de l’exploitation des données menacent de capter la valeur ajoutée des entreprises à leur profit.
Ecoutez François Bourdoncle parler des enjeux liés au développement de la technologie des Big Data. Très vite, vous aurez froid dans le dos. Si son discours vous alarme, c’est à dessein. Il est co chef de file du plan gouvernemental Big Data avec Paul Hermelin (PDG de Capgemini) et sa mission commence par faire prendre conscience aux entreprises de la formidable menace que peut représenter pour elles cette technologie. Il dit : « Avec les Big Data, c’est une guerre sans merci entre les « anciens » et les « modernes » qui se joue et les nouveaux venus disposent de très forts atouts pour prendre la place des entreprises établies. »
Les « modernes », ce sont tous les géants du numérique – les Google, Amazon, Facebook, Apple et autres IBM. Leurs armes : les formidables outils à siphonner – et à traiter – des Everest de données qu’ils ont bâtis et continuent de renforcer. Il ne se passe ainsi quasiment pas un jour sans que Google n’acquière à prix d’or des start-up qui, d’une façon ou d’une autre lui donnent accès à des précieuses données concernant des utilisateurs. La dernière en date est Nest.
Qui sont les « anciens » ? Quasiment toutes les entreprises traditionnelles !
Comment la seule maîtrise des données peut-elle assurer une position dominante aux nouveaux venus ? François Bourdoncle explique simplement que la possession des données concernant un immense panel d’utilisateurs donne aux modernes un formidable levier pour s’emparer de la position stratégique de la relation client et, ce faisant, tirer un énorme profit de cette situation au détriment des entreprises traditionnelles.
Exemple frappant : la mésaventure du constructeur de moteurs d’avions Pratt & Whitney. Il s’est peu à peu vu déposséder de la relation avec ses clients, les compagnies aériennes, par son prestataire de service, IBM. C’est ce dernier qui, possédant toutes les données de fonctionnement des moteurs qu’il recueille de longue date pour le motoriste, est désormais le mieux placé pour dialoguer avec les compagnies aériennes…
Le tableau est pire encore dans le domaine de l’assurance où la connaissance intime des clients donne un formidable avantage à une entreprise comme Google, qui s’intéresse ouvertement à ce secteur.
En fait, diagnostique François Bourdoncle, « le schéma est le même quelle que soit l’activité et aussi bien pour la vente au grand public que le B to B : les entreprises qui possèdent les données « client » réduisent peu à peu le métier des acteurs traditionnels à sa seule dimension technique ; devenus intermédiaires incontournables de la relation avec les clients, ils s’approprient progressivement la part la plus significative de la valeur ajoutée. »
Que faire pour éviter le pire ? « Il faut réagir très vite » affirme François Bourdoncle. Pour cette raison, on ne peut guère espérer affronter frontalement les Amazon et autres Google qui ont pris une formidable avance. En revanche, il n’est pas trop tard pour que toutes les entreprises traditionnelles se dotent des capacités pour acquérir les données et des moyens de traitement qui leur serviront à résister aux nouveaux venus. « Il faut que les « anciens » aient la capacité d’affronter les « modernes » sur leur propre terrain » résume François Bourdoncle. Il précise : « Pour les entreprises, la première question à se poser est ‘Quelles sont les données dont j’ai besoin pour offrir un service à mes clients ?’ et non ‘Quel service puis-je offrir avec les données dont je dispose déjà ? »
On notera que la démarche qu’il préconise est précisément celle adoptée par General Electric. Le groupe américain a investi en 2012 pas moins d’un milliard de dollars dans un centre de R&D voué précisément aux Big Data. Il a également fait de l’acquisition et du traitement des données l’axe majeur de son développement industriel, ce qu’il a baptisé « internet industriel ». Une façon d’éviter dans chacun de ses métiers – et en particulier dans la production de moteurs d’avions – que ne lui arrive le problème que connaît son rival Pratt & Whitney.