Le secret de la croissance selon Jean-Baptiste Rudelle (Criteo) : « voyez grand ! »
Le co-fondateur et PDG de la success story française du numérique explique quelles sont selon lui les conditions nécessaires pour créer des entreprises à fort potentiel telles que Criteo, qui bat tous les records en la matière.
« Si nous étions une start-up américaine, notre croissance n’aurait rien de très étonnant », dit Jean-Baptiste Rudelle, PDG et co-fondateur de Criteo. Mais on est en France, Criteo est une entreprise française et, en tant que telle, exceptionnelle. Elle a été fondée en 2005. Son produit, un système très évolué de gestion de campagnes publicitaires sur Internet, est arrivé sur le marché en 2008. Cinq ans plus tard, c’est déjà une ETI : 700 personnes dans le monde, un CA estimé à quelque 400 M€ et elle revendique le titre « leader mondial de la publicité Display à la performance ».
Quels sont les secrets de cette ETI express ? Sont-ils reproductibles ? Pour Jean Baptiste-Rudelle, les conditions de la croissance se résument en deux points : « disposer d’un très bon produit, innovant et à très forte valeur ajoutée », ce qui ne se décrète pas et ne peut se répliquer. Et « voir grand dès le départ » : une démarche qui peut, en revanche, se généraliser et a des implications plus importantes qu’il n’y paraît à première vue.
« Voir grand » se traduit d’abord par la mise en place au plus tôt d’infrastructures prévues pour supporter un important changement d’échelle et, surtout, par le recrutement des meilleurs talents. « Au début ils seront surqualifiés mais à terme resteront parfaitement à la hauteur de leur fonction. » C’est ainsi que Criteo a pratiqué.
Pour J-B Rudelle, cet état d’esprit doit être partagé par le management de l’entreprise et ses investisseurs. Mais il avertit : « il faut vraiment se faire violence pour se lancer ainsi ; si j’ai pu le faire avec Criteo, c’est grâce à l’expérience acquise avec ma première start-up, Kiwee, revendue alors qu’elle avait atteint un CA de 20 M€. J’ai compris qu’il fallait prendre davantage de risques. Et je pouvais le faire plus sereinement car, cette fois, tout ce que je possédais n’était pas investi dans la start-up. »
Voir grand, c’est aussi viser très tôt le marché international, américain en particulier, mais « pas avant que le produit n’ait fait la preuve de sa supériorité sur le marché français. » La stratégie de J-B Rudelle diffère donc de celle des start-up israéliennes, souvent prise pour modèle, qui consiste à se lancer dès le départ outre-Atlantique. Elle a toutefois en commun avec elle le fait de conserver la R&D dans le pays d’origine. « La France dispose d’informaticiens et de mathématiciens de très haut niveau. Cela constitue un réel avantage concurrentiel. »
Criteo s’est ainsi implantée aux Etats-Unis mi-2009. Pour mettre toutes les chances de son côté, Jean-Baptiste Ruelle s’est installé avec sa famille dans la Silicon Valley. « Il est indispensable d’être sur place, ne serait-ce que pour recruter les meilleurs talents, ce qui est très difficile aux Etats-Unis. » Il a également tout de suite eu recours à des investisseurs locaux (5 M€ de Bessemer Venture Partners en 2010). « Le capital-risque, ce n’est pas seulement de l’argent. C’est surtout la possibilité de disposer localement d’un solide réseau, ce qui fait la différence. » Il avait déjà eu recours à cette pratique pour se déployer en Europe, puis pour s’attaquer à l’Asie en 2012, en s’appuyant cette fois sur le japonais Softbank. Criteo est désormais présent dans trente-cinq pays, avec des bureaux dans quinze d’entre eux.
Ce type d’ambition qui s’affirme à mesure que croit l’entreprise est, selon le patron de Criteo, ce qui fait défaut à beaucoup d’entrepreneurs français et qui restreint la croissance de leur entreprise. Cela se conçoit à deux conditions impératives. La première est d’ouvrir largement le capital de l’entreprise, ce qui crée une pression qui « impose d’avoir davantage d’ambition ». La seconde est d’ouvrir le capital aux salariés, via les stocks options, ce que Criteo a généralisé en son sein. « Sinon, comment voulez-vous attirer les meilleurs quand vous êtes une toute jeune entreprise ? Pour qu’ils viennent chez vous, il leur faut des preuves concrètes que vous êtes vraiment sérieux quand vous parlez de croissance. »
D’autres « secrets » pour croître à la vitesse de l’éclair ? Jean-Baptiste Rudelle souligne que les chances de succès s’accroissent significativement quand une start-up est créée par plusieurs fondateurs aux compétences complémentaires. Dans le cas de Criteo, ils étaient trois : J-B Rudelle, ingénieur Supélec, Franck Le Ouay et Romain Niccoli, tous deux issus de l’école des Mines de Paris.
Dernier conseil du patron de Criteo : « en phase de développement du produit, dépensez avec parcimonie ; ensuite, investissez au maximum ! »