La déroute du photovoltaïque européen, cherchez l’erreur
Comment le soutien à une filière d’avenir axé sur les consommateurs a fini par se retourner contre les producteurs.
Alors que la demande d’électricité photovoltaïque explose en Europe et que les objectifs de puissance installée prévus par les pouvoirs publics sont partout dépassés, les fabricants européens de panneaux solaires déposent leur bilan les uns après les autres. Dernier en date, Q-Cells, autrefois premier fabricant au monde de panneaux solaires, et dont les 2 200 emplois sont aujourd’hui menacés. Cette faillite intervient après celle de trois autres poids lourds du photovoltaïque allemand, Solarhybrid, Solar Millennium et Solon. En France, la situation n’est pas meilleure : le projet de l’américain First Solar de construction d’une usine en Gironde est gelé depuis plus d’un an et Photowatt ne doit sa survie qu’à sa reprise inespérée par EDF… en pleine campagne présidentielle. La cause de cette hécatombe ? La Chine, nous dit-on, dont les fabricants de panneaux sont accusés de casser les prix grâce aux avantages dont ils bénéficient de la part du gouvernement chinois et des autorités provinciales. En assurant aux entreprises chinoises un « accès illimité au crédit » et des terrains au rabais, les autorités leur ont permis de créer d’importantes capacités de production et de réaliser ainsi rapidement des économies d’échelle. Les sociétés chinoises ont pu ainsi pratiquer des prix plus bas que leurs concurrents et inonder le marché mondial.
Pour autant, peut-on parler de dumping ? A ce jour, aucune plainte n’a été déposée par les européens. Par ailleurs, les producteurs chinois ont habilement misé sur l’appel d’air créé en Europe par des tarifs avantageux offerts aux installations photovoltaïques pour anticiper une croissance rapide de la demande. Peut-on le leur reprocher ? Les installateurs français n’ont pas d’ailleurs été les derniers à acheter chinois pour satisfaire la clientèle de particuliers et GDF-Suez a suivi le même chemin pour approvisionner la construction de sa centrale solaire dans les Alpes de Haute Provence. Le succès remporté en Inde par Solairedirect semble leur donner raison. Répondant à un appel d’offre du gouvernement indien, le groupe français a proposé le prix le plus bas, plus faible qu’attendu, et répondu à ceux qui l’accusaient là aussi de dumping de « gagner de l’argent à ce prix ». Tout simplement, en misant sur la taille du marché qui est elle-même d’autant plus grande que le prix de l’électricité produite est bas, sans qu’il soit nécessaire de le subventionner.
Où est l’erreur ? La réponse est donnée par Jean-Louis Beffa dans son livre La France doit choisir. Elle réside dans une politique qui privilégie le consommateur, et plus précisément ici le consommateur photovoltaïque, et ignore le producteur. A la suite du Grenelle de l’environnement, le gouvernement a choisi de subventionner massivement le consommateur sous la forme d’un prix de rachat par EDF de l’électricité produite particulièrement avantageux avec une garantie de 20 ans : alors que le coût de l’électricité photovoltaïque était de 200 €/MWh (valeur juin 2010), le prix de rachat était de 314 € pour les installations au sol et de 580 € pour celles intégré au bâti sur la base de contrats valables 20 ans ! Cette véritable rente, payée sous la forme d’une contribution (la CSPE) imputée sur le prix de l’électricité et donc payée par les consommateurs-clients d’EDF, a conduit à une multiplication des projets au point que les demandes déposées en 2009 représentaient 90 % de l’objectif de 5,4 GWc fixé pour 2020. Fin 2009, on assista même à une véritable spéculation, notamment dans le secteur agricole et de la grande distribution avec environ 3000 dossiers déposés auprès d’EDF par jour contre une moyenne de 5000 par mois au cours de l’été qui concernaient presque exclusivement le tarif de rachat à 580 €. Devant le coût de l’opération, estimé par le gouvernement à 2,8 Md€ par an, soit 56 Md€ sur 20 ans (soit augmentation de la facture d’électricité de 10 à 11 %), le gouvernement s’est résolu à faire marche arrière. Si la nouvelle politique est moins avantageuse, sur le fond son inspiration n’a pas changé.
Tout à son objectif de satisfaire le lobby écologique, le gouvernement a omis de regarder du côté de la production. Il est vrai que la France est pratiquement absente de l’amont de la filière photovoltaïque. Les panneaux installés sont donc importés, pour l’essentiel de Chine. Pour reprendre la terminologie de Jean-Louis Beffa, le panneau solaire est un produit mondial, qui ne nécessite pas forcément d’être produit sur place. Dès lors, une industrie nationale ne peut se construire que si elle se positionne d’entrée sur le marché mondial de façon à disposer d’un marché suffisant pour réduire ses coûts. C’est ce qu’a compris l’entreprise française Solaire direct, fondée en 2006, en s’ouvrant à l’international dès 2009 (Chili, Afrique du sud, Malaisie…) avant d’aller se positionner sur le sous-continent indien avec l’ambition de solvabiliser un marché de 300 millions de foyers.
La politique photovoltaïque en France résume à elle seule les errements de la politique industrielle en France. Certes, dans le cas présent, il ne s’agit pas d’une désindustrialisation mais de l’incapacité à saisir une source d’énergie d’avenir pour construire une industrie nationale puis européenne et la positionner en leader sur le marché mondial. La volonté d’une diversification des sources d’énergie électrique et de développement d’alternatives aux énergies fossiles et d’origine nucléaire pouvait se concevoir de façon tout-à-fait différente, moins émotive et plus rationnelle. Les récents appels d’offre pour l’installation d’éolien offshore qui exige la création d’unités de production sur place montre que la puissance publique n’est pas dépourvue de moyens pour soutenir la production. Des appels d’offre pour des fermes solaires auraient pu jouer ce rôle et aller de pair avec un soutien à l’exportation.
Le raccordement au réseau EDF, et la construction éventuelle de nouvelles lignes à haute tension, offraient également un vecteur d’intervention à l’Etat du fait de la nécessité de compenser les périodes où l’énergie photovoltaïque n’est pas disponible. Malgré le caractère décentralisé de la production d’énergie solaire, l’autarcie n’est pas possible pour alimenter les grands centres urbains et la construction des infrastructures, que le marché des installateurs ignore superbement, nécessite une planification du ressort de l’Etat. L’inscription dans un projet européen de diversification de la production électrique aurait par ailleurs permis de concevoir les questions de réseaux au plan européen et d’encourager des rapprochements entre entreprises françaises, allemandes, espagnoles plutôt que de laisser s’installer une concurrence entre des unités qui n’ont pas la taille critique au plan mondial et qui aboutit aujourd’hui à la déroute générale des entreprises européennes. Enfin, si une subvention au prix du KWh pouvait se concevoir au début du processus, ce soutien aurait dû s’inscrire dans une perspective de recherche d’une convergence des prix (qui pourrait être effective d’ici à 2015) et le montant des subventions décroitre à mesure que celle-ci se réalisait. Rien n’est totalement perdu, mais il y a urgence à méditer cet exemple pour changer de méthode.