La blockchain, affaire d’État ?

En permettant des transactions en toute confiance mais sans aucun contrôle centralisé, la technologie blockchain – sur laquelle s’appuie déjà le bitcoin – se révèle aussi révolutionnaire que le fut Internet en son temps. Un député se propose de sensibiliser les parlementaires à son sujet.

 

Le 24 mars prochain, Jean Launay, député et président de la commission parlementaire du numérique et des postes, ouvrira à l’Assemblée nationale une séance consacrée à un sujet informatique pointu : la blockchain. Heureuse initiative car, derrière ce mot, se cache une technologie dont l’impact est aujourd’hui considéré comme aussi révolutionnaire que le fut Internet en son temps. En Europe, les Anglais ne s’y sont pas trompés : le conseiller scientifique du gouvernement britannique a déjà remis, en décembre dernier, un important et complet rapport à ce sujet.

Qu’est-ce que la blockchain ou, en bon français, la « chaîne de blocs » ? Dit simplement, il s’agit d’une technologie qui permet de s’assurer qu’un transfert d’actifs a été effectué sans avoir recours à un registre centralisé. Les transactions sont enregistrées sur un registre partagé, distribué sur un réseau informatique, permettant une désintermédiation totale des processus et notamment des processus de paiement. Faisant appel à la cryptographie, à des moulinages informatiques complexes sur des réseaux d’ordinateurs, la technologie a été initialement mise au point pour assurer le fonctionnement de la monnaie électronique bitcoin.

Ironie de l’histoire, alors que le bitcoin était censé rendre les banques obsolètes, ce sont précisément les banques et institutions financières qui sont les premières à s’intéresser à la technologie. Elles y voient le moyen de revoir de fond en comble l’organisation des transactions financières. Un récent rapport de la banque Santander souligne que la technologie blockchain pourrait « réduire les coûts d’infrastructure des banques entre 15 et 20 milliards de dollars par an d’ici à 2022. »

Pas moins de 42 banques – dont UBS, Goldman Sachs, JP Morgan ainsi que la Société Générale et BNP Paribas en France – sont ainsi regroupées dans un consortium autour de la start-up R3, qui développe des solutions de blockchain pour la communauté financière. La liste des participants au consortium, lancé en 2014, ne cesse de s’allonger.

En réalité, le champ d’application de la technologie s’étend bien au-delà de la finance. Il est sans limite : n’importe quelle transaction peut être gérée sans intermédiaire et garantie par une chaîne de blocs. La technologie est en particulier considérée par IBM comme une solution propre à favoriser le développement de l’internet des objets (Ido). Elle permet en effet de s’affranchir d’un problème que posera à terme l’Ido, à savoir le contrôle et la gestion centralisés de myriades d’objets. En déportant les actions, décisions et échanges de données au niveau de chaque objet, tout en conservant les traces des transactions effectuées et en garantissant leur intégrité, la gestion d’un immense parc d’objets devient beaucoup plus simple.

Parmi les aspects révolutionnaires de la technologie figure la notion de « smart contract ». Ces protocoles autonomes et intelligents assurent automatiquement l’exécution des termes d’un contrat, dans des conditions fixées au préalable, sans nécessiter d’intermédiaire ou de tiers de confiance. Ainsi, par exemple, des utilisateurs d’applications comme Airbnb ou Uber peuvent s’organiser entre eux sans avoir recours à une structure centrale… Des start-up y travaillent déjà. C’est « l’uberisation ultime » dit l’économiste Philippe Herlin.

Aujourd’hui, tous les grands acteurs du numérique – IBM et Microsoft en tête – se sont pleinement engagés dans le développement de la technologie. Une myriade de start-up (plus de 200 !) s’y attelle également outre Atlantique.

La France n’est pas absente du paysage. Orange, via son antenne de la Silicon Valley, a participé récemment (aux côtés de Visa, Nasdaq, Citi, Capital One et Fiserv) à un investissement de 30 millions de dollars dans une start-up leader du secteur, Chain, installée à San Francisco. Cap Gemini, lui, a lancé une offensive dans le domaine bancaire. Stratumn, une start-up française, travaille sur des environnements de développement d’applications de chaînes de blocs. Et, déjà, une école d’ingénieurs, l’école supérieure d’ingénieurs Léonard-de-Vinci, va inclure la technologie dans son enseignement. Mieux, elle entend rapidement devenir la première école française à… certifier ses diplômes sur une blockchain !

Il y a encore, naturellement, d’immenses défis technologiques, organisationnels et réglementaires à relever. L’année 2015 aura vu la propagation fulgurante de l’idée de blockchain à la façon dont Internet avait explosé en 1995. Il faudra bien une décennie avant que la technologie ne se généralise. En attendant, il ne faut pas manquer le train. C’est le conseil que le rapport britannique donne à son gouvernement. C’est le sens, en France, de l’initiative de Jean Launay.

Franck Barnu

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