Dans son ouvrage L’Homme Inutile, Pierre-Noël Giraud explique comment la globalisation contribue à accroître le nombre des hommes « inutiles », de même qu’elle fait des emplois nomades « l’or du XXIe siècle ».

L’auteur nous propose d’envisager le monde comme une mosaïque de territoires économiques. La globalisation des firmes divise les emplois présents sur ces territoires en deux catégories : les emplois nomades, exposés à la concurrence des autres territoires (concurrence internationale) et qui doivent rester compétitifs sous peine d’être délocalisés, et les emplois sédentaires qui ne sont en compétition qu’avec les emplois situés sur le même territoire. Le premier regroupera par exemple des OS de l’automobile, des employés de call center, des viticulteurs, ou encore des ingénieurs en logiciel. Quant au groupe des sédentaires, il peut se composer de boulangers, avocats, ouvriers du bâtiment, hommes politiques, etc.

La globalisation et le progrès technique influencent fortement les évolutions de la part des emplois nomades et des écarts de revenus entre nomades et sédentaires au sein des territoires. Entre 1990 et 2010, la France, l’Allemagne, le Japon ou encore les Etats-Unis assistent ainsi à un fort repli du poids de leurs nomades (dont la part dans l’emploi total représente respectivement 15 %, 19 %, 20 %, et 11 % en 2010). De manière concomitante, les écarts de revenus entre nomades et sédentaires semblent s’être nettement accrus, en faveur des nomades.

Plus grave, selon Pierre-Noël Giraud, le secteur sédentaire des pays avancés peine à absorber le trop grand nombre d’emplois que le secteur nomade ne crée plus. Dans les pays émergents, nombreux sont ceux qui ne bénéficient pas de la multiplication des emplois nomades et tombe dans des trappes à sous-emploi et pauvreté. En somme, si la mondialisation favorise l’émergence et le rattrapage de certaines économies, elle contribue aussi à accroître le nombre des hommes « inutiles ».

Le risque est donc de voir s’aggraver les inégalités entre un groupe de nomades toujours moins nombreux mais prospère et une masse de sédentaires pour lesquels la précarité et la pauvreté progressent. Pierre-Noël Giraud identifie deux leviers principaux pour favoriser la croissance économique et la réduction des inégalités. D’abord, il est urgent d’attirer ou simplement de retenir les emplois nomades, généralement plus qualifiés et plus riches que les emplois sédentaires. En France, cela se résume à monter en gamme par le biais de la formation professionnelle, d’une meilleure insertion des entreprises dans leur territoire local, et d’une réforme du dialogue social. Le second levier consiste à rendre plus désirables les biens et services sédentaires afin de tirer vers le haut les revenus de ceux (sédentaires) qui concourent à leur production. Des politiques de croissance verte pourraient stimuler l’emploi sédentaire, notamment dans la rénovation du bâtiment. Déréglementer certains monopoles et favoriser ainsi l’entrée d’entreprises innovantes constitueraient également des politiques actionnant ce second levier.

Thierry Weil

Docteur en physique, ingénieur général des mines, membre de l’Académie des technologies, Thierry Weil est professeur à Mines Paris – PSL (Centre d’économie industrielle) et...

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