L’autoédition, un exemple de désintermédiation « à la carte
Article publié dans The Conversation – mars 2016
Article publié dans The Conversation (ww.theconversation.com) – mars 2016
Beaucoup prédisent l’uberisation générale de l’économie : de grandes plateformes mettent directement en contact l’offreur de bien, service ou expérience avec son client. Le consommateur a accès à moindre coût à un immense catalogue, agrégeant non seulement l’offre des circuits économiques classiques, mais aussi des biens et services qui ne lui auraient même pas été proposés quand le « coût de transaction » lié à la mise en relation de l’acheteur et du vendeur excédait la valeur du bien offert : vêtement d’enfant devenu trop petit, location d’une pièce de son appartement pour une ou deux nuits, disponibilité d’une place inoccupée dans une voiture pour un trajet quelques heures avant le départ…
La possibilité de se passer de l’intermédiation habituelle permet d’obtenir un service sur mesure
Cette capacité d’accès direct à l’usager ou au consommateur permet de nouvelles offres, notamment dans le domaine de la création littéraire ou artistique. Tel créateur qui n’a pas su convaincre un producteur ou un éditeur peut proposer ses œuvres sur diverses plateformes, lui permettant de cibler dans le monde entier ceux qui sont susceptibles de les apprécier. Tel autre qui a déjà su trouver son public utilisera cette option pour refuser les conditions imposées par la corporation des intermédiaires habituels.
Dans leur ouvrage Publier son livre à l’ère numérique, Marie-Laure Cahier et Elizabeth Sutton montrent une réalité beaucoup plus nuancée. Si de plus en plus d’auteurs qui refusent les contraintes imposées par les éditeurs ou ne réussissent pas à les convaincre de publier leurs ouvrages recourent à l’autoédition, beaucoup découvrent aussi que « l’éditeur » (dans un sens classique ou selon des modèles nouveaux) apporte certains services dont ils ont du mal à se passer, tant pour améliorer la qualité de leur production (corrections, fabrication, packaging) que pour en assurer la promotion. Ils adoptent alors une démarche hybride, payant certains des services du package éditorial dont ils ont le plus besoin, tout en gardant la maîtrise du produit. On voit ainsi apparaître tout un écosystème d’assistance à la publication avec des prestataires nouveaux ou simplement « réinventés ».
On voit donc que la réalité est plus nuancée qu’un simple choix entre une intermédiation « one size fits all » très contrainte et la désintermédiation (ou plutôt l’intermédiation minimale par une plateforme ouverte).
Pour le consommateur aussi, les plateformes ne sont pas toujours une panacée
Cette situation n’est pas si exceptionnelle et se retrouve du côté des consommateurs. Tous les consommateurs ne sont pas à l’aise avec des agrégateurs et comparateurs de prix. L’interface présumée conviviale les laisse souvent frustrés : tel billet d’avion s’avère plus cher qu’annoncé dès que j’ai fait mon choix, faisant apparaître des taxes ou frais annexes, les conditions de flexibilité sont peu claires, le conseil et le service après-vente aux abonnés absents. Beaucoup apprécient d’aller dans un magasin se « faire présenter » une offre, de trouver un interlocuteur humain capable de comprendre leurs demandes spécifiques et de les conseiller, quitte à terminer, après réflexion, leur commande sur internet. De nombreux vendeurs ont ainsi appris à combiner des canaux hybrides, dont Apple ou la Fnac qui gèrent la complémentarité des boutiques physiques et en ligne.
Vers une intermédiation enrichie et personnalisée
Dans le cas de l’édition comme dans celui de l’achat de bien ou de service « complexe », la possibilité d’une désintermédiation devrait conduire les intermédiaires classiques à se remettre en cause et à proposer une intermédiation à la carte, flexible et personnalisée, plus riche et mieux adaptée aux besoins spécifiques de chaque client (dans notre cas, les maisons d’édition à l’égard des auteurs).