De l’impact du numérique sur l’emploi

Deux études similaires estiment respectivement que 47 % des emplois américains et 42 % des emplois français sont très fortement menacés à terme par le numérique. A prendre avec circonspection …

Une étude très récente réalisée par le cabinet Roland Berger* ainsi qu’un travail académique de 2013 réalisée par deux chercheurs de l’université d’Oxford**, la première étant très proche de la seconde, s’intéressent à un sujet redevenu brûlant : l’impact des nouvelles technologies numériques sur l’emploi.

Depuis la parution de leur livre Race Against the Machine, la thèse des deux professeurs du MIT Erik Brynjolfsson et Andrew McAffee n’en finit pas de provoquer des remous. Ces derniers affirment que, avec les progrès de la technologie, il commence à devenir possible d’automatiser des tâches et des métiers intellectuels et tertiaires, qu’on imaginait jusque-là réfractaires à toute automatisation. Ils ajoutent que, étant données les progressions exponentielles des capacités technologiques, le phénomène va très vite prendre de l’ampleur. Les technologies en question sont le machine learning, le Big Data, le Cloud… Ils citent volontiers à l’appui de leur thèse la voiture automatique de Google, l’ordinateur Watson d’IBM et l’arrivée prochaine de robots hyper-intelligents.

Se fondant sur ces prémisses, les deux études se sont appliquées à déterminer l’impact sur l’emploi de ces technologies numériques. Pour ce faire, elles utilisent une décomposition analytique des emplois en activités élémentaires, effectuée par l’équivalent britannique de l’Insee (O∗NET), en estimant la probabilité de chacune d’être automatisée.

Résultat : l’étude britannique conclut que « 47 % des emplois américains connaissent un très grand risque d’être automatisés à terme »… sans préciser ce terme. Avec les données françaises, Roland Berger indique pour sa part : « en France, 42 % des métiers présentent une probabilité d’automatisation forte du fait de la numérisation de l’économie. » Le cabinet se fait plus précis en ajoutant que « 3 millions d’emplois pourraient être détruits par la numérisation à l’horizon de 2025. »

Enfin, ces deux études s’accordent sur le fait que « les bas salaires, associés aux faibles niveaux de qualification, sont les plus exposés, dans l’industrie comme dans le secteur tertiaire. »

Elles divergent toutefois concernant les emplois intermédiaires. Roland Berger juge que « des emplois intermédiaires sont également à risque. Il s’agit notamment des fonctions administratives en entreprise, des métiers juridiques, ou de nombreuses fonctions d’encadrement intermédiaire, constitués majoritairement d’activités facilement automatisables. » L’étude d’Oxford, au contraire, indique que ces métiers, qui ont été les plus touchés depuis quelques décennies, seront désormais moins affectés, au détriment des moins qualifiés.

Aussi intéressants soient-ils, ces travaux doivent être pris avec une très grande précaution. Tous deux tiennent en effet pour acquises les prévisions technologiques de Brynjolfsson et McAffee, les chercheurs britanniques avec une grande prudence, le cabinet conseil beaucoup plus radicalement. Ils en concluent que l’automatisation des tâches intellectuelles va se propager comme une trainée de poudre.

C’est aller bien vite : la thèse de Brynjolfsson et McAffee fait débat. D’autres chercheurs, comme David Autor (voir sur ce site) ou Robert Atkinson (voir sur ce site), sont beaucoup plus sceptiques. Ce n’est d’ailleurs pas la première fois que des chantres de l’intelligence artificielle promettent monts et merveilles… pour mieux en rabattre ensuite. Et même à supposer que l’intelligence vienne rapidement aux machines, il est difficile d’imaginer que l’automatisation se produira partout à la même vitesse. Il ne suffit pas de disposer d’un outil pour l’utiliser ni qu’une tâche soit automatisable pour qu’elle soit automatisée. Sinon, les robots seraient déjà présents partout et depuis longtemps, ce qui est loin d’être le cas.

*Les classes moyennes face à la transformation digitale – Comment anticiper ? Comment accompagner ? Roland Berger Strategy Consultants http://www.rolandberger.fr/actualites/ACTUALITES/2014-10-27-la-transformation-digitale-classes-moyennes.html
**The future of employment: how susceptible are jobs to computerisation ? De Carl Benedikt Frey and Michael A. Osborne : http://www.oxfordmartin.ox.ac.uk/downloads/academic/The_Future_of_Employment.pdf

 

Franck Barnu

Après des études de physique, Franck Barnu s’est dirigée vers la presse industrielle et technologique. Comme journaliste, il a en particulier suivi le domaine des technologies...

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