Compétitivité et montée en gamme des entreprises exportatrices
Notre économie souffre d’un problème de compétitivité à l’export. Pour simplifier, il faut retenir qu’un cercle vicieux s’est enclenché, qui mêle une montée des coûts (du travail notamment), un écrasement des marges, un investissement insuffisant, un appareil de production en obsolescence, une difficulté à innover…
Résultat : l’offre française se trouve coincée entre l’offre des pays low-cost, avec lesquels elle ne peut pas rivaliser sur des produits peu différenciés, et l’offre haut-de-gamme, sur laquelle elle peine à se positionner. Ce diagnostic a été posé, partagé, notamment dans le rapport Gallois.
La situation est en train de s’améliorer, notamment du fait de la baisse du prix du pétrole et de l’euro. Les prix à la production ont baissé, les marges se sont un peu rétablies. Tout le monde guette et espère maintenant la reprise d’un nouveau cycle d’investissement, qui se fait attendre.
C’est dans ce cadre que se joue le débat actuel sur la compétitivité du coût du travail en France, et en particulier sur le rôle que peuvent jouer les allégements de charges pour réduire le chômage.
Le coût du travail en France est relativement élevé. Il l’est sur les emplois non qualifiés, en raison d’un Smic plus élevé que dans les pays voisins ; il l’est aussi sur les emplois qualifiés parce que les charges sont non plafonnées et que la France a fait le choix historique d’asseoir sur le travail le financement d’une grande part des dépenses de solidarité. Un salaire net élevé a des avantages économiques évidents, parce que cela maintient une demande dynamique, mais cela pèse évidemment sur la capacité de l’économie à créer des emplois pour chaque point de croissance obtenu, surtout s’il faut lui ajouter des charges sociales beaucoup plus importantes que chez nos voisins, même ceux qui offrent des prestations sociales de bon niveau mais les financent par l’impôt.
Des outils ont donc été mis en place pour garder les avantages en réduisant les inconvénients. Les allégements de charges généraux, le CICE et le Pacte de responsabilité représenteront en 2016 l’équivalent de 50 milliards chaque année. Aujourd’hui, cet effort bénéficie essentiellement aux emplois à proximité du Smic. Cela représente une somme importante, dont le financement pèse nécessairement sur d’autres acteurs ; il est juste de vouloir en mesurer l’efficacité.
Un certain nombre d’économistes énoncent qu’il faut continuer à baisser en priorité les charges au niveau du Smic, pour stimuler la création rapide d’emplois. Leur raisonnement repose sur l’analyse du fonctionnement du marché du travail : pour chaque euro d’allégement accordé, on crée rapidement davantage d’emplois en ciblant les profils non qualifiés que les profils qualifiés ; d’autant plus que les chômeurs sont en majorité peu qualifiés. Cette thèse est à la fois promue par des économistes keynésiens, pour qui soutenir la demande et le pouvoir d’achat des ménages est un passage obligé de la relance, et par des penseurs libéraux qui estiment que le coût du travail est le tout premier blocage du marché du travail en France. Dans tous les cas, cela revient à recommander d’enrichir la croissance en emplois, autrement dit de diminuer la productivité et substituer du capital au travail. Plus concrètement, cela s’apparente à la volonté de développer de nombreux emplois non qualifiés, mais d’une manière moins brutale que ce qui a été accompli au Royaume-Uni ou en Allemagne.
La Fabrique de l’industrie vient de publier une étude qui pose le sujet autrement. Le marché du travail n’est qu’une composante du fonctionnement de l’ensemble de l’économie. La croissance provient de deux choses : l’accroissement de la quantité de travail d’une part et les gains de productivité d’autre part. Autrement dit, à trop vouloir stimuler les emplois en sacrifiant les gains de productivité, on grève les perspectives de croissance potentielle, et donc d’emploi à long terme.
Si, au contraire, on cherche à actionner le levier de la compétitivité à l’export, par exemple en ciblant les allégements sur les entreprises exportatrices, le mécanisme qui se met en place est un peu plus élaboré mais nettement bénéfique. Concrètement, si le coût du travail diminue pour les entreprises exposées à la concurrence internationale, elles peuvent vendre leurs produits moins cher et gagnent des parts de marché. Cela rétablit le solde des échanges extérieurs et, les calculs le montrent, cela crée autant d’emplois au bout de trois ans que lorsque les allégements portent sur les bas salaires. Mais, grande différence, il s’agit alors d’emplois qualifiés, créés sans renoncer aux gains de productivité.
Pour aller plus loin, il y a deux sujets à garder en mémoire. Le premier est celui de la modération salariale. Que les allégements soient ciblés sur les bas salaires ou sur les salaires élevés, ils ne créent pas d’emploi s’ils sont immédiatement redistribués sous forme de salaires. Le risque inflationniste induit par des outils comme le CICE est un vrai sujet, suivi de près. Cela s’est déjà observé par le passé, par exemple lorsqu’une réduction de la TVA a été accordée au secteur de l’hôtellerie-restauration. Plus la progression est modérée, plus les effets bénéfiques de ces mesures durent dans le temps. Les partenaires sociaux sont des acteurs essentiels sur ce point. Le second sujet, c’est celui de la montée en gamme. Le passage à ce qu’on appelle aujourd’hui l’industrie du futur est un grand projet, mobilisateur. Il offre un exemple symptomatique des besoins en nouveaux profils qualifiés dans les années à venir, dont dépendront nos capacités à l’exportation. Une action sur le coût du travail appelle donc une action complémentaire sur la formation, initiale et continue, pour que les opportunités de compétitivité puissent se confirmer.
Interview de Vincent Charlet