Comment Tesla veut dévorer le véhicule électrique
Une information délivrée par Tesla concernant ses brevets est passée relativement inaperçue. Elle révèle pourtant comment le constructeur américain de voitures électriques entend dominer ce marché.
Elon Musk, patron et fondateur (entre autres…) du fabricant d’automobiles électriques Tesla, est un homme du numérique. Il a fait fortune en créant Paypal et, aujourd’hui, il applique à l’industrie automobile les recettes qui ont fait leurs preuves dans le monde numérique : la notion d’open source et celle de « plate-forme », concept popularisé en France par le livre de Colin et Verdier, L’Age de la multitude.
C’est une annonce faite en juillet dernier sur le blog d’Elon Musk qui révèle cette stratégie ambitieuse – et potentiellement dévastatrice pour les acteurs établis. Elle tient a priori en peu de choses : l’entreprise Tesla laissera quiconque le souhaite utiliser librement les brevets qu’il a déposés sur le véhicule électrique. Il y a toutefois un codicille : en retour, tout constructeur qui utilisera les brevets Tesla s’engage à la réciprocité, c’est-à-dire à ouvrir à Tesla un libre accès à ses propres brevets.
La manœuvre est habile. D’abord parce que Tesla prive ainsi les constructeurs établis – et donc riches de brevets – de la possibilité d’utiliser ses technologies. Ensuite parce que Elon Musk mise sur la génération spontanée d’une foule de nouveaux fabricants de voitures électriques, alléchés par la perspective d’assembler comme un Lego les briques fournies par Tesla pour créer leur propre véhicule. Ce faisant les technologies Tesla deviendraient une norme de fait. Mieux, en vertu de la clause de réciprocité, chaque nouveau-venu profitant des technologies de Tesla enrichirait la « plate-forme Tesla » et la rendrait davantage attractive. Splendide cercle vertueux (pour Tesla) !
Cela ressemble à s’y méprendre à ce qui a fait le succès du PC face à Apple. Disposant des briques de base Wintel (processeur Intel, système d’exploitation MS DOS), une foule de constructeurs partis de rien ont pu créer des « compatibles PC ». Ils ont peu à peu envahi le marché, suscitant l’intérêt des développeurs de logiciels lesquels, avec leurs produits ont renforcé l’intérêt de la « plate-forme PC » et cela jusqu’à la quasi asphyxie d’Apple.
Il est clair que Tesla vise à devenir une sorte de « Wintel » de la voiture électrique. Il s’y emploie ardemment, non seulement en développant les technologies pour son véhicule mais en allant bien au-delà de la seule voiture. Du côté de la batterie d’abord, avec la « Giga usine » qui doit s’établir au Nevada : un investissement de 5 milliards de dollars pour produire en grande masse des batteries à plus faible coût pour l’ensemble de l’industrie. Mais Tesla déploie également son propre écosystème, allant jusqu’à l’installation de stations de recharge dédiées à ses véhicules sur le territoire américain.
Si le pari d’Elon Musk réussit, s’il suscite effectivement la naissance d’une foule de « clones » de ses véhicules, utilisant ses propres batteries et ses propres stations de recharge, les constructeurs traditionnels courent le risque de connaître le sort d’Apple. Ce dernier ne doit en effet sa survie – et sa splendide réussite – qu’à un changement radical de métier. La part de marché de ses ordinateurs reste minime comparée à celle des PC. Son succès est le résultat de sa réinvention dans le secteur de l’électronique grand public d’abord (iPod) puis à la création de marchés radicalement nouveaux depuis les smartphone jusqu’aux tablettes.