Comment surmonter la mélancolie de la bonne pratique ?
Point de vue de Bernard Gazier.
Le principal mérite du document de travail de la Fabrique de l’Industrie Formation professionnelle et industrie : le regard des acteurs de terrain élaboré par Thibaut Bidet-Mayer et Louisa Toubal, est d’avoir rassemblé et mis en regard et en dialogue de multiples points de vue d’acteurs sur ce qui reste un défi en France : la désaffection dont sont victimes à la fois les filières de l’industrie et celles de l’apprentissage.
Le nombre d’études et de rapports officiels sur les deux sujets est impressionnant. L’activité législative n’est pas en reste, la France va de réformes en réformes de son système de formation professionnelle sans qu’on puisse dire qu’une solution satisfaisante ait été trouvée, même si la dernière en date (2014) ouvre beaucoup de pistes.
Les acteurs interviewés sont très divers : des employeurs et responsables d’entreprises industrielles, grandes et petites, des formateurs, des responsables politiques, administratifs… Quelques expériences étrangères sont utilement étudiées : la Suisse, la Norvège. Il résulte de ce travail une grande richesse de points de vue souvent convergents. Le message principal du rapport est que de nombreuses bonnes pratiques sont expérimentées actuellement en France, par exemple les passerelles-métiers entre l’automobile et l’aéronautique. Pour les généraliser il faut surmonter le verrou d’une dichotomie persistante entre appareil de formation initiale et dispositifs de formation professionnelle, et mieux aménager la complémentarité au sein de ces derniers. La responsabilité grandissante des Régions est très logiquement mise en avant et questionnée.
Un indiscutable élan parcourt le document, porteur d’une brassée d’expériences réussies et d’innovations stimulantes. En fin de texte, le lecteur reste toutefois en prise à une affection très répandue : la mélancolie de la bonne pratique. Ces initiatives sont remarquables, mais elles dépendent de gens eux-mêmes remarquables et de circonstances précises, pourra-t-on vraiment les dupliquer ?
Il est vrai ce rapport centré sur les « acteurs » les a entendus en un sens étroit, il manque en effet les principaux intéressés, les travailleurs et les syndicats, et les jeunes eux-mêmes ! Or l’enjeu est bien de faire des entreprises industrielles notre affaire à tous, et on sait que cela dépend de pratiques de dialogue et d’appropriation qui sont en France très en retrait par rapport à ce qui se fait par exemple en Allemagne. Avec la codétermination, les travailleurs allemands ont le sentiment que leur entreprise leur appartient à eux aussi. Ce n’est pas le cas en France en dépit de timides avancées récentes.
Il en résulte, en France, des pratiques contradictoires. En voici deux.
Reprise dans le document, une suggestion d’expert vise à mieux diffuser la connaissance des pratiques de type « lean production », or cela n’a rien pour rassurer les éventuels candidats aux emplois industriels…
Ensuite, le document fait état de la critique par André Gauron de la pratique persistante des subventions au maintien tels quels dans l’emploi des travailleurs non qualifiés. Payer indéfiniment les entreprises pour qu’elles gardent en emploi des travailleurs identifiés comme insuffisamment productifs ? Cette contradiction essentielle devrait être bien davantage mise en avant. Ces travailleurs devraient faire l’objet d’un programme massif de requalification. Finalement, n’est-ce pas en promouvant une social-démocratie exigeante en termes de dialogue social et de qualité du travail et de l’emploi que l’on pourrait mieux rassembler les acteurs et sortir de la mélancolie de la bonne pratique ?
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