Travail à distance

Combiner les usages synchrones et asynchrones des outils numériques pour des réunions plus efficaces

Les outils numériques collaboratifs dont l’usage s’est intensifié depuis la crise sanitaire pour soutenir le travail à distance permettent d’expérimenter des pratiques de travail innovantes, notamment en matière d’organisation des réunions. L’une des grandes vertus de ces outils est d’ouvrir la possibilité de combiner des phases de travail asynchrones avec des phases synchrones afin d’améliorer les processus et de gagner du temps.

Ce billet de blog est proposé en lien avec la parution de l’ouvrage des auteures « Numérique collaboratif et organisation du travail » à l’initiative de la Chaire Futurs de l’industrie et du travail (FIT2) de Mines Paris – PSL.

 

« Les outils collaboratifs permettent de compléter une activité synchrone avec de l’asynchrone », déclare le dirigeant d’une business unit du conseil. Cette phrase a l’air simple, mais elle implique de réfléchir de façon innovante à la manière de combiner différents usages des outils numériques pour atteindre davantage d’efficacité. 45 % des jeunes interrogés par Asana[1] pensent qu’une amélioration des processus de travail leur ferait gagner entre 7 et 20 heures par semaine. Ils mettent particulièrement en cause les réunions et appels vidéo chronophages et inutiles qui leur donnent l’impression de perdre leur temps et qui nourrissent leur frustration. Comment se réinventer ?

Complémentarité entre temps de réflexion asynchrone et temps d’échange synchrone

L’un des leviers fondamentaux pour le renouvellement des réunions[2] passe par la complémentarité entre des temps de réflexion asynchrones et des temps d’échanges synchrones. Actuellement, même quand il existe un ordre du jour, la réflexion sur le ou les objets de la réunion commence seulement au moment de la réunion synchrone – peu importe qu’elle soit physique ou à distance. Les temps de réflexion et d’échange entre les participants sont donc entremêlés, ce qui conduit à une moindre qualité de réflexion, à des inégalités d’influence dans la discussion et, globalement, à un allongement de la durée de la réunion sans que la prise de décision ne devienne plus pertinente. Selon une enquête Ipsos pour Lecko[3], 72,3 % des collaborateurs pensent ainsi que la recherche d’efficacité en réunion est un sujet à prioriser.

Utiliser systématiquement deux temps distincts pour les réunions

Une organisation inspirante que nous avons étudiée dans le cadre d’une enquête qualitative sur les outils numériques collaboratifs et l’organisation du travail, utilise systématiquement deux temps distincts pour ses réunions, des plus routinières aux plus stratégiques. Le premier temps concerne la préparation de chacun à la réunion sur un document partagé qui agrège les réflexions et propositions de chaque participant. Le deuxième concerne la discussion et la prise de décision collective qui peut avoir lieu en présentiel, à distance via l’outil de visioconférence habituel ou encore de manière hybride.

Pour les réunions stratégiques ou budgétaires, cette organisation mobilise l’outil Klaxoon de la manière suivante. Un « board » (tableau blanc virtuel) partagé est créé en amont de la réunion par l’organisateur pour préciser les différents sujets ou propositions inscrits à l’ordre du jour. Chacun des participants doit l’alimenter avant la réunion et exprimer publiquement mais de manière asynchrone sa position sur chaque sujet au travers de symboles : favorable via une coche verte ; défavorable via une croix rouge ; plutôt favorable mais besoin d’en discuter via une flèche verte ; plutôt défavorable mais prêt à en discuter via une flèche rouge ; « je ne sais pas » via un point d’interrogation (figure 1).

Figure 1 – Les symboles permettant d’exprimer son avis sur les sujets à l’ordre du jour en amont de la réunion

Chaque participant exprime également des commentaires sur le board selon différentes catégories de post-it : avis et recommandation sur un post-it jaune, questions de clarification sur un post-it vert, objection argumentée sur un post-it rose, émotion et ressenti sur un post-it bleu (figure 2).

Figure 2 – Exemple de board rempli en amont d’une réunion

Ce travail asynchrone permet de réfléchir en profondeur au sujet sur lequel on sera invité à discuter, plutôt que de réagir « à chaud » au cours de la réunion. Comme l’explique une participante : « Le fait de devoir poser ce qui se joue par écrit, sur un post-it versus le verbaliser, ce n’est pas du tout pareil. Et comme l’espace du post-it n’est pas grand, cela oblige vraiment à réfléchir à ce qu’on veut dire. Il n’est pas rare que mon post-it, je le réécrive 15 fois jusqu’à trouver la bonne formulation. Alors qu’à l’oral, j’aurais été beaucoup plus approximative. »

C’est seulement dans un second temps, une fois ce travail de réflexion achevé et visualisé par tous, que la réunion se tient en mode synchrone afin d’aboutir à des décisions. Les participants peuvent ainsi se concentrer sur l’essentiel : « Si la tendance est verte, on regarde directement les recommandations. Si la tendance est rouge, on rentre dans le sujet, on regarde ce qui bloque et on refait un tour. Cette manière de procéder nous permet de nous concentrer sur ce qui fait débat. »

Cette décomposition des réunions permet un gain de temps considérable, tout en permettant à chacun de faire valoir équitablement ses arguments : « Avant, on se noyait dans la décision en oubliant pourquoi nous étions là. La prise de décision durait en moyenne trois heures. Nous avons divisé par 3 en moyenne notre temps de réunion. »

Pour des réunions plus courantes, la manière de les préparer reste à peu près la même, sauf qu’elle se fait via un simple document partagé (sur Google Docs par exemple) que les personnes enrichissent et annotent. Ici encore, l’intérêt de cette méthode est qu’elle permet à chaque participant de s’approprier en amont le sujet de la réunion, d’y réfléchir et de connaître les arguments qui seront évoqués par les autres participants.

Même s’il ne s’agit que d’un exemple nécessitant d’être adapté à chaque organisation, nous avons été surprises par l’engouement qu’il a suscité lors d’une présentation auprès de chefs d’entreprise (N et N-1)[4]. Parmi les feed-back reçus : « préparer mon Comex selon le mode présenté », « partager cette méthodologie avec mon Codir », « faire le lien entre mes ODJ et les votes en amont pour être focus sur les points de blocage et les feed-back ».

Alors que toute la réflexion sur le travail hybride semblait avoir porté jusqu’ici sur la segmentation entre réunions présentielles et distancielles, l’introduction d’une nouvelle polarité entre phases asynchrones et synchrones permet de dépasser l’enjeu de la localisation du travail et ouvre les dirigeants à de nouvelles perspectives organisationnelles, soulignant ainsi qu’avec les outils numériques, on peut sans doute travailler n’importe où, n’importe quand, mais certainement pas n’importe comment.

 


[1] Asana (2021). L’Anatomie du travail – rapport spécial : le leadership face aux besoins de la génération Z. Étude menée par GWI en septembre 2021 auprès de 10 624 travailleurs en Allemagne, Australie, États-Unis, France, Japon, Royaume-Uni et Singapour.
[2] Cahier M.-L., Canivenc, S. (2022). « Réinventer les réunions à l’heure du numérique », Repère Futurs du travail n°8, Chaire FIT2, juin 2022.
[3] Lecko (2023). État de l’art de la transformation interne des organisations. Enquête Ipsos auprès de 1 000 salariés travaillant dans des entreprises de plus de 500 employés en France.
[4] Convention Apm (Association progrès du management), Nantes, 16 mars 2023.

Suzy_Canivenc

Suzy Canivenc

Suzy Canivenc est Docteure en Sciences de l’Information et de la Communication (spécialisée en communication organisationnelle). Ses travaux portent sur les innovations...

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Marie-Laure Cahier

Diplômée en droit et de Sciences Po Paris (Relations internationales), Marie-Laure Cahier a été pendant quinze ans directrice éditoriale dans l’édition universitaire et...

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