Travailler à l’heure du numérique : nouveaux métiers, nouvelles compétences, nouvelles régulations
Du 13 au 20 septembre a eu lieu, au sein du centre culturel international de Cerisy, un colloque intitulé : « Le travail en mouvement : organisations, frontières, reconnaissances ». Co-organisé par la nouvelle chaire « Futurs de l’industrie et du travail : formation, innovation, territoires » (FIT2) de Mines ParisTech, dont la Fabrique de l’industrie est membre fondateur, il a rassemblé chercheurs, praticiens et citoyens intéressés.
Sociologie des travailleurs d’Uber – Sophie Bernard
Les sociétés occidentales seraient en voie « d’ubérisation ». Si ce terme très médiatisé est rarement défini, nous assistons bien à l’émergence d’un nouveau modèle économique caractérisé par le déploiement de plateformes numériques jouant le rôle d’intermédiaires entre clients et prestataires de service. Ces derniers ont pour particularité d’être soit des particuliers, soit des travailleurs indépendants. Le développement de ces plateformes est porteur de nombre d’interrogations quant à l’avenir du travail, mais il est également l’occasion de remettre sur le métier des questionnements animant les sciences sociales depuis des décennies. Ces interrogations ont été partagées dans le cadre d’un atelier. En quoi l’économie de plateforme participe-t-elle d’une redéfinition des frontières du travail ? En quoi les plateformes numériques accroissent-elles la porosité des statuts d’emploi? Comment s’organise la régulation juridique et politique des plateformes numériques?
Individualisation et coopération dans les entreprises de plateformes – Luca Paltrinieri et Muriel Prévot-Carpentier
Le modèle de l’entreprise comme institution fermée fondée sur le contrat de travail et la hiérarchie managériale correspond à un système de distinctions, de partage des espaces relatif à l’âge libéral, alors que la plateforme elle-même, en tant qu’hybride entreprise-marché (Casilli, 2017), est le produit ou la conséquence de l’effondrement d’une série de distinctions qui structuraient l’imaginaire du capitalisme: la distinction entre espace public et privé, vie personnelle et professionnelle, consommation et production. Cette transformation des formes du travail dans l’économie des plateformes, dans la manière dont elle rejoue la partition entre individu et collectif, a été interrogée par deux approches philosophiques croisées: d’une part, celle ergologique (Schwartz, 2000) qui analyse l’activité et les conditions de travail (Prévot-Carpentier, 2013) au regard de la représentation idéale des nouveaux modèles de coopération portée par les travailleurs qui s’y engagent (El Karmouni & Prévot-Carpentier, 2016); d’autre part, celle politique qui postule un contexte plus général de crise de la « forme entreprise » (Davis, 2016) et projette la possibilité d’entreprise commune ou de dépassement de l’entreprise (Paltrinieri, 2017) par les stratégies proposées par le mouvement du coopérativisme de plateforme (Scholz, 2016; Scholz & Schneider, 2017).
Travail, industrie du futur et cobots – Flore Barcellini
L’industrie du Futur ambitionne de redessiner les contours du monde industriel avec une volonté politique forte de modernisation des outils de production, à travers une collection de technologies hétérogènes (cobots et exosquelette, fabrication additive, big data & cloud, internet des objets…). Au-delà de ces aspects technologiques, les usines du futur ne peuvent se penser sans une réflexion sur des modèles organisationnels « de rupture » ouverts aux capacités d’innovation des salariés en les associant de manière active au renouvellement de leur système de travail. Cette communication se propose d’éclairer cette question en mettant en avant une vision constructive du travail de conception et de production des femmes et des hommes dans les usines du futur (Falzon, 2014), notamment dans le cadre d’un projet d’introduction de robots collaboratifs dans l’industrie.
Les métiers de l’IA en quête d’autorégulation – Isabelle Berrebi-Hoffmann
Les temps de travail au futur – Jean-Yves Boulin
Au cours de cet atelier nous nous sommes penchés sur les initiatives à l’œuvre aujourd’hui, en France et en Europe, s’agissant de la durée et de l’organisation du temps de travail, ainsi que sur leur portée avec en perspective de réfléchir à ce que pourrait (devrait?) être le temps de travail d’un travail en mouvement. Les questions qui ont structuré cet atelier renvoient aux enjeux sous-jacents aux politiques du temps de travail: aller vers un meilleur équilibre entre vie au travail et vie hors travail; imaginer des durées et formes d’organisation du temps de travail permettant de préserver la santé des travailleurs et d’assurer une meilleure réalisation de leur travail; mieux répartir le temps de travail entre ceux qui sont « débordés », et ceux qui n’ont que quelques heures de travail par semaine voire pas du tout; donner une plus grande autonomie aux individus dans la gestion de leur temps sociaux sur l’ensemble du cours de la vie. Un des fils rouges de notre atelier sera de voir comment articuler la flexibilité productive et la flexibilité individuelle, mais également d’évaluer dans quelle mesure (et jusqu’à quel point) le temps hors-travail peut être structurant des durée et rythme du temps de travail et selon quelles modalités cela peut être mis en œuvre.