Changer le modèle de la formation

Denis Bismuth nous propose un travail de réflexion en 4 étapes. Dans cet ultime article, l’auteur développe l’idée de changer le modèle de la formation.

Certaines de nos entreprises sont construites sur une conception du travail datant de l’ère industrielle qui semble ne pas correspondre aux exigences d’un monde en mutation permanente. Ce qui peut en partie expliquer leur difficulté à durer. Je vous propose ici une réflexion en 4 étapes sur cette question de l’évolution du travail :

  1. Le travail change de forme,
  2. Comment reconfigurer la notion de travail ?
  3. Comment intégrer le développement de compétences à l’activité professionnelle ?
  4. Comment changer le modèle de la formation ?

 

4. Changer le modèle de la formation

Repenser le travail c’est aussi et surtout repenser la formation1. L’idéologie rentabiliste qui consiste à faire pression sur les opérationnels pour qu’ils soient toujours plus productifs produit de la souffrance et du désengagement de leur part. Mais au-delà de ce désengagement et de cette souffrance, c’est la surchauffe du moteur du travail qui met en danger la capacité de renouvellement des individus et des organisations. Il s’agit d’une fuite en avant économique réellement dangereuse. Enfermer le travail dans une conception productiviste pure c’est prendre le risque à moyen terme de voir les individus et les organisations ne plus pouvoir se perpétuer, se survivre.

La loi de 2014 sur la formation en situation de travail nous incite à repositionner l’apprenance comme une part non-négligeable de l’activité professionnelle. On ne peut plus clairement distinguer ce qui est le travail et ce qui est l’apprenance dans une société en mutation. J’apprends quand je travaille et je travaille quand j’apprends et j’apprends aussi quand je forme les autres. Le choc de compétitivité rêvé par François Fillon2 et repris par d’autres, se heurte actuellement au même obstacle que le rêve des 35 H : on ne peut créer un choc de compétitivité que si on crée un choc d’adaptabilité. Mais aucun choc d’adaptabilité ne peut s’envisager sans le développement des capacités d’apprentissage des salariés d’une organisation.

Vers l’entreprise apprenante

L’appétence actuelle pour l’entreprise apprenante est en soi un signal fort de cette nouvelle demande sociale d’intégrer le développement des compétences au travail3. La proposition de l’entreprise apprenante ne répond pas à un simple projet de développer ponctuellement des méthodes nouvelles d’apprentissage moins chères, il s’agit bien aussi de rendre toute l’organisation apprenante.4

De nombreuses expériences ont montré depuis des années que ce soit dans le secteur de la santé ou dans l’industrie5 qu’une démarche d’organisation apprenante répond pour une bonne part aux difficultés que rencontrent les entreprises : désengagement des salariés, obsolescence des compétences, perte de compétitivité. Les démarches d’entreprise apprenante, outre le fait de créer de la coopération et de l’adaptabilité des salariés, représentent une modalité de production et de transfert de compétences dont la rentabilité est sans commune mesure par rapport aux processus de formation traditionnels du type face à face pédagogique.

Le choc d’adaptabilité ne pourra se faire que si l’on institue l’apprenance dans le travail, si apprendre devient une part de l’activité professionnelle. On ne pourra se situer dans un changement durable que si le travail est organisé pour produire de la compétence, que si le contrat de travail porte aussi sur la production de compétence. On peut pour cela s’inspirer de modèles tombés en désuétude mais qui ont rempli cette même fonction dans des temps passés de grandes mutations technologiques. Le compagnonnage n’était-il pas une réponse adaptée et pragmatique à un besoin d’accompagner les mutations technologiques de l’ère préindustrielle ?

Il ne s’agit pas seulement d’un échange financier, mais de développer des solidarités et du partage. Au bout du compte, les compagnons n’ont-ils pas inventé le donnant-donnant production/formation qui rendait possible l’engagement des entreprises et celui des individus dans un processus de don/contre-don formation/travail ? Un tel processus que la financiarisation de la formation au travers des différentes lois sur la formation de l’ère industrielle n’a pas su pérenniser.

 

 

(1) voir le texte « Formation : une révolution copernicienne est-elle en marche ? »
(2) François Fillon Premier ministre de 2007 à 2012
(3) Bismuth D. : « A quoi servent les modes managériales ? »
(4) Bismuth D. : « Faire de son entreprise une organisation apprenante »
(5) Bismuth D. (2020) : « Audit d’une démarche apprenante »

Denis Bismuth

Denis Bismuth

Superviseur de coach et de manager coach corporate certifié EMCC / Responsable de l’innovation pédagogique de la société Isokan / Créateur de la modalité de...

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