Après la crise sanitaire, la crise de la compétence ?

Le Covid a été révélateur d’une « crise de la santé ». Cette vague, qu’on espère être passée, risque de laisser place à une autre, tout aussi désastreuse, qui pourrait être celle d’une « crise de la compétence ».

La difficulté des entreprises à recruter des compétences va grandissante. La presse se fait écho des préoccupations des employeurs de nombreux secteurs – dans lesquels plusieurs milliers d’emplois ne trouvent pas de candidat, du très faible engouement de la jeunesse pour l’entreprise et d’une certaine volatilité de l’engagement dans le travail, comme en témoigne le phénomène américain de la Great Résignation[1] qui pourrait être précurseur d’un phénomène identique en France. On pourra arguer de la faiblesse des salaires mais cette bonne raison cache peut-être une réalité plus complexe : le travail devient-il un terreau stérile ?

Le système de formation a en effet vécu une première crise autour des années 2010, qui a conduit à redéfinir la place de la formation dans le système de production. La Loi de 2014 sur la formation et la proposition judicieuse de développer la FEST[2] ont constitué des réponses théoriquement adaptées à cette crise des compétences. Mais, sans doute trop en avance sur son temps, cette mesure n’a pas reçu l’écho qu’elle méritait et la formation continue reste engluée dans un modèle qui n’était déjà plus adapté dans la dernière partie du XXe siècle.

 

L’entreprise, lieu de production de compétences

Dans un précédent texte[3] je proposais l’idée qu’il ne peut pas y avoir d’adaptabilité des entreprises à un monde en mutation continue si ces dernières ne comprennent pas que, au-delà de leur fonction de production de biens, elles ont pour mission de produire des compétences. En ce sens la loi de 2014 propose un cadre législatif opportun. Mais, prises dans les urgences de la gestion des crises successives, les entreprises des secteurs comme celui de la santé ou du BTP se contentent de colmater leurs « brèches de compétences », assistant avec impuissance au désengagement des individus face au travail.

Face à la baisse de l’activité, et pour préserver leur rentabilité face à la concurrence, les entreprises sont amenées à économiser sur les coûts périphériques, comme le développement des compétences, en attendant des jours meilleurs pour recruter à nouveau. Mais la compétence n’est pas un bien qui s’achète comme une machine. C’est un construit aux composantes multiples : psychologique, motivationnelle, expérientielle.

La formation, dans sa forme traditionnelle, est un processus d’initiation ; elle ne permet pas d’apprendre, de développer des compétences. C’est le travail qui va être le lieu de l’apprentissage par l’expérience[4]. Les chercheurs nous démontrent[5] que la compétence n’existe qu’en situation. Le développement des compétences suppose donc une activité qui serve de terreau à la « graine de compétence » que donne la formation initiale.

Chaque entrepreneur peut se demander si le terreau du travail dans son entreprise est durable et favorable au développement des compétences. En effet, en situation de forte évolution, la demande sociale attend du salarié d’être en état de produire des compétences nouvelles, pour lui comme pour son organisation. Ce qui suppose d’une part d’avoir appris à apprendre et d’autre part que l’organisation ait mis en œuvre les moyens de faire germer, capturer et distribuer ces nouvelles compétences. On peut se demander si les efforts d’investissement consentis par l’État dans la relance ne risquent pas d’être freinés par un terreau du travail asséché, ayant perdu sa capacité à développer des compétences, ce qui nous conduirait immanquablement à une crise dans ce domaine.

 

 


Denis Bismuth

Denis Bismuth

Superviseur de coach et de manager coach corporate certifié EMCC / Responsable de l’innovation pédagogique de la société Isokan / Créateur de la modalité de...

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