A la recherche d’un nouvel équilibre avec la Chine

Négligeables au regard des flux mondiaux jusqu’au milieu des années 2000, les investissements chinois à l’étranger ont progressé de manière spectaculaire sur la période récente, si bien que la Chine se situe aujourd’hui à la troisième place des plus grands investisseurs au monde, derrière le Japon et les Etats-Unis.

Sortant d’un rôle de pur « pays atelier », notamment du fait de la montée des salaires domestiques, la Chine s’est engagée dans une transition dont l’objectif est de dynamiser la demande interne par le soutien au pouvoir d’achat des ménages, exploitant ainsi l’immense réservoir de croissance que représente son marché national. Son avantage-coût s’amenuisant année après année, l’industrie chinoise n’a d’autre choix que de monter en gamme. La pression concurrentielle croissante exercée par l’étranger, liée à l’ouverture commerciale du pays et en particulier à son accession à l’OMC en 2001, a amené le gouvernement chinois à mettre en place une stratégie d’incitation à l’internationalisation des entreprises afin d’assurer leur développement.

Un rapport de l’Asia Society prédisait en 2011 que les investissements directs chinois à l’étranger devraient atteindre, en cumulé, entre 1 000 et 3 000 milliards de dollars d’ici 2020 . On observe en particulier une montée en puissance des investissements chinois à destination des Etats-Unis à partir de 2009, date à laquelle ils ont dépassé le seuil modeste mais symbolique du milliard de dollars. Ils ont depuis enregistré une progression fulgurante, en se concentrant très largement dans l’industrie (76,2 % des investissements réalisés entre 2002 et 2014).

Ces investissements répondent à plusieurs objectifs bien précis, définis par le gouvernement chinois dans le cadre de sa stratégie « Going global ».

Premièrement, il s’agit d’assurer l’approvisionnement énergétique. L’urbanisation galopante et l’expansion industrielle chinoises ont eu raison de l’autonomie énergétique du pays. Compte tenu de ses énormes besoins en énergie, la sécurisation de l’approvisionnement apparaît comme un enjeu hautement stratégique. Il n’est donc pas étonnant de constater que les premiers projets d’investissements directs à l’étranger (IDE) ont été menés par des entreprises publiques chinoises, à destination de zones telles que l’Australie, l’Afrique ou l’Amérique du Sud où les ressources naturelles sont abondantes.

Le décollage des IDE chinois aux Etats-Unis a été plus tardif et coïncide avec la mise en exploitation des gisements de gaz et de pétrole non conventionnels. Entre 2002 et 2014, la Chine a investi plus de 12 milliards de dollars dans le secteur énergétique américain. Le pétrolier chinois CNOOC a par exemple pris le contrôle d’activités d’extraction aux Etats-Unis à travers le rachat du canadien Nexen en 2013. De son côté, Sinopec a investi environ un milliard de dollars dans des gisements situés en Oklahoma.

Deuxièmement, l’objectif est de favoriser l’accès à la technologie. La montée en gamme de l’industrie chinoise se nourrit notamment de transferts technologiques. Ces derniers étaient jusqu’à présent réalisés via l’implantation chinoise de firmes étrangères mais ces dernières se montrent de plus en plus réticentes à dévoiler leurs secrets de fabrication à leurs partenaires. La protection de la propriété intellectuelle est d’ailleurs citée comme une motivation majeure dans les projets de relocalisations. Les investissements chinois à l’étranger peuvent donc aujourd’hui prendre la forme de rachats d’entreprises, afin de mettre la main sur des technologies clés. Si leur part est encore minime par rapport au secteur énergétique, les industries automobile, aéronautique ou des TIC comptent de plus en plus parmi les investissements chinois. Lenovo a, une nouvelle fois, pris le contrôle d’une partie des activités d’IBM en 2014 pour un montant de plus de 2 milliards de dollars, après une première transaction du même ordre en 2005. Le géant chinois de l’informatique a également racheté à Google les activités de Motorola, pour un montant évalué à 2,9 milliards de dollars.

Ces rachats éveillent des craintes chez certains Américains, qui redoutent que des activités ou technologies stratégiques ne soient récupérées par des puissances étrangères. Ces menaces conduisent les Etats-Unis à prendre des mesures de protection de secteurs sensibles ou présentant des enjeux de défense nationale.

Troisièmement, ces investissements permettent de se rapprocher des marchés et des consommateurs. Les barrières tarifaires et non-tarifaires imposées aux produits chinois finissent par constituer des coûts importants pour les entreprises exportatrices. Certaines d’entre elles peuvent alors décider de s’implanter sur le sol américain afin de contourner ces obstacles. Cela peut d’ailleurs présenter d’autres avantages : comme le décrit Michael M. Woody, le raccourcissement géographique des chaînes d’approvisionnement permet aux entreprises de s’adapter aux attentes spécifiques de la demande locale, d’économiser des coûts et de gagner en réactivité.

En résumé, il semble que l’industrie américaine soit arrivée aux limites d’un modèle essentiellement fondé sur des délocalisations d’activités de production vers la Chine. Les investissements chinois commencent à affluer aux Etats-Unis et semblent indiquer qu’un nouvel équilibre dans les relations sino-américaines est en train de se dessiner.

La Fabrique

La Fabrique de l’industrie est une plateforme de réflexion, créé en 2011, consacrée aux perspectives de l’industrie en France et à l’international. Nous travaillons sur les...

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