Où est créée la valeur en France ?
L’idée semble s’être installée que la production de biens et de services dégage trop peu de valeur et n’a plus d’intérêt économique, pour les entreprises comme pour les territoires, que ce soit au nom de l’économie de la connaissance ou symétriquement de l’économie de la fonctionnalité. Nous avons tous en tête cette smiling curve mythique expliquant aux milieux d’affaires où se situent les « vrais » gisements de valeur. En revenant sur cette courbe du sourire, sur ce qu’elle dit et ne dit pas, nous rappelons dans cette synthèse le poids déterminant qu’occupe en réalité l’étape de production dans la création de valeur, aussi bien en France que dans les autres pays développés.
Les entreprises remettent régulièrement en question leurs modèles d’affaires, pour se positionner sur les segments à forte « création de valeur ». Pour beaucoup, cette expression désigne les activités situées en amont de la production, comme par exemple la recherche et développement, ou en aval, comme la vente de services personnalisés. De là s’est généralisée l’idée qu’il serait bénéfique pour un pays développé de spécialiser son économie dans ces deux domaines situés aux antipodes des chaînes de valeur, autrement dit de réduire ses activités purement productives, réputées trop concurrentielles et donc à marges trop faibles.
Ainsi dans les années 1990 et 2000, différentes études portant notamment sur des produits électroniques ont « montré » que la création de valeur se situait en amont et en aval de la chaîne de valeur. La courbe dite « du sourire », évoquée pour la première fois en 1992 par Stan Shih, fondateur d’Acer, a gravé cette idée dans le marbre. Cette courbe s’appuyait pourtant sur des études de cas très spécifiques ; et c’est sans argument scientifique sérieux qu’elle a été rapidement généralisée, appliquée à toutes sortes d’entreprises voire à des pays entiers.
Nous déterminons, sur la base des dernières données disponibles, où est créée la valeur en France et en Europe. Il en ressort la distinction importante suivante. La valeur créée par travailleur est en effet plus forte en amont et en aval de la production. Mais les effectifs concernés sont tellement différents que, sur l’ensemble du territoire national, l’activité de fabrication est de loin la première source de valeur totale. Cela est vrai aussi bien en France que dans les pays européens comparables et vaut tant pour les chaînes de valeur manufacturières que pour les industries de services. Toutes fonctions confondues, la valeur créée par travailleur est légèrement supérieure en France qu’en Allemagne. Un travailleur allemand crée plus de valeur que son homologue français au sein des étapes situées en amont : la conception et la R&D. La travailleur français crée davantage de valeur dans les étapes situées en aval : le marketing et la distribution.