Gouvernance des pratiques de développement durable des industries
L’article d’Héloïse Berkowitz Comment une idée abstraite peut devenir un dispositif de gestion : le cas du développement durable s’appuie sur des entretiens dans le secteur pétrolier et a été publié dans la revue Gérer & Comprendre des Annales des Mines. Retrouvez ici le résumé de son travail.
Les effets du changement climatique ne cessent de s’aggraver en partie car les pratiques des firmes ne sont pas transformées en profondeur. C’est l’enjeu de ce que l’on nomme la « transition ». Or le phénomène croissant de l’action collective entre firmes en matière de développement durable a été relativement négligé. Pourtant ces coopérations volontaires transforment bel et bien les firmes individuelles, par exemple par l’adoption de standards. Pourtant, les firmes sont considérées soit comme des cibles d’une régulation de plus en plus contraignante, soit comme des acteurs opportunistes qui utilisent le développement durable, on pense bien sûr au greenwashing. Cette double vision affaiblit le rôle collectif des firmes d’agent de la transition.
Ce travail de recherche étudie les formes de gouvernance coopérative sectorielle pour la transition et leurs effets sur les pratiques des firmes individuelles. En analysant une firme du secteur pétrolier, l’article montre comment le développement durable, en tant qu’idée abstraite et globale, peut engendrer, par un enchaînement de mécanismes, des dispositifs concrets locaux.
L’idée de développement durable telle que promue par les institutions internationales (comme l’ONU) est construite collectivement via des méta-organisations, organisations dont les membres sont eux-mêmes des organisations. La firme étudiée est impliquée dans ces méta-organisations en y déléguant des collaborateurs issus de différentes directions orientées vers le développement durable. Ces collaborateurs retransmettent ensuite l’information à des comités internes à la firme. Puis les comités pilotent et coordonnent l’application des principes de développement durable ou mettent en place des dispositifs locaux et opérationnels (par exemple, le community liaison officer, interface entre la filiale et les communautés locales). Afin de surveiller les progrès en matière de développement durable (notamment le respect des peuples indigènes), la firme procède ensuite au reporting et communique sur ses activités de RSE (responsabilité sociétale des entreprises).
Intérêt pour l’industrie
Le développement durable est une doctrine imprécise qui suit une chaîne de mécanismes pour devenir « performative » c’est-à-dire s’incarner dans les pratiques des firmes. Cette chaîne de mécanismes de gestion va du chaînon le plus global (les instances internationales) au chaînon le plus local et opérationnel (le dispositif de community liaison officer dans les filiales). C’est ainsi que l’idée de développement durable est rendue actionnable : elle est opérationnalisée dans divers dispositifs à plusieurs niveaux.
Cette chaîne a pour conséquence d’augmenter la complexité organisationnelle pour les acteurs, par une multiplication des méta-organisations, des comités internes aux firmes, des standards et des obligations de reporting, des indicateurs de performance extra-financière, et des injonctions des diverses parties prenantes. Le cas de la firme pétrolière étudiée montre une situation où l’effort d’organisation semble produire de la désorganisation à la fois interne et externe, qui est susceptible de renforcer les situations d’hypocrisie organisationnelle ou de découplage entre discours et actions.
Les enjeux du développement durable appellent des solutions collectives de la part des industries. Pourtant, en cherchant à y répondre en s’organisant collectivement, les firmes se retrouvent confrontées à des effets non-anticipés de complexité, où il devient difficile de distinguer ce qui relève de la sur-organisation ou de la désorganisation. Mais ce chaos est sans doute le préalable à la transition des industries vers plus de développement durable.