Numérique et industrie : nouveaux métiers, nouvelles compétences

La diffusion du numérique dans l’industrie bouleverse les manières de produire et de travailler. Cette nouvelle révolution fait émerger de nouveaux métiers et modifie les attentes des industriels en termes de compétences.

La révolution numérique, qui transforme nos téléphones et autres équipements quotidiens, n’épargne pas les entreprises industrielles, bien au contraire. Les outils numériques investissent progressivement les usines et modifient en profondeur la manière de produire et de travailler. Dotées de capteurs, les machines sont aujourd’hui capables d’enregistrer les caractéristiques des différentes étapes de la production, de rendre les processus industriels plus flexibles permettant ainsi de proposer des produits plus personnalisés à moindre coût. Les produits eux-mêmes en sont munis, soit pendant leur fabrication soit, plus tard, pendant leur utilisation par le client. Tout ceci génère une quantité importante d’informations (sur la performance industrielle, sur les habitudes de consommation…) que l’entreprise doit ensuite traiter pour améliorer son efficacité et enrichir son offre commerciale, par exemple en proposant des services associés. Ces transformations suscitent de fortes attentes de profils hautement qualifiés et font émerger de nouveaux métiers. Dans le domaine du Big data par exemple, le data scientist est chargé de « faire parler » les données et de les présenter sous un format simple. Le data protection officer est, quant à lui, garant de la protection des données sensibles au sein de l’organisation.

Cependant, selon Eurostat, 42 % des entreprises françaises éprouvent aujourd’hui des difficultés à recruter des spécialistes du numérique. L’offre de formation dans ces domaines est récente et en pleine structuration. Le cabinet de conseil Quantmetry évalue par exemple les besoins des entreprises en data scientists entre 5 000 et 10 000 recrutements par an, alors que l’offre est d’à peine 300 diplômés. De plus, les employeurs recherchent souvent une double compétence IT et métier (statistiques, mathématiques mais aussi développement, marketing…), rendant les recrutements d’autant plus difficiles. Il existe encore très peu de formations pour les licences et Bac+2 ; les formations les plus avancées sont plutôt mises en place dans les grandes écoles.

Au-delà de ces nouveaux profils d’experts, de nombreux métiers comme ceux de la maintenance ou de la logistique sont amenés à évoluer et supposent une mise à jour des compétences. Plus globalement, ce sont tous les salariés, quel que soit leur niveau de qualification, qui seront affectés par la transformation digitale de l’industrie. Chacun devra en effet utiliser des interfaces numériques (ordinateurs, tablettes, machines à commandes numériques, etc.), collaborer via des plateformes ou des réseaux sociaux, etc. Une récente enquête d’Eurostat révèle que 43 % des Français n’ont pas ou peu de compétences numériques, contre un tiers seulement en Allemagne et au Royaume-Uni. Il est donc urgent d’adapter le système de formation initiale et continue.

L’État s’efforce de faire entrer l’école dans l’ère du numérique. Des moyens importants ont été accordés ces dernières années pour équiper les établissements en ordinateurs, tablettes et autres tableaux interactifs. Les programmes ont également été adaptés afin de renforcer les acquisitions dans ce domaine. Parmi les évolutions de la dernière rentrée, on trouve la programmation informatique, désormais intégrée aux enseignements de mathématiques et de technologie dès le collège. Si elle est évidemment la bienvenue, cette réforme laisse entière la question de la formation des enseignants. Ces derniers sont encore peu familiarisés avec l’utilisation des outils numériques à des fins pédagogiques. De plus, l’enseignement de l’informatique à l’école suppose une mise à niveau importante. Les dispositifs de formation sont pour l’instant jugés insuffisants par les syndicats d’enseignants. Ils considèrent notamment que la plateforme M@gistère, un outil interactif fonctionnant sur le principe de l’auto-formation, n’est pas à la hauteur des enjeux et ne saurait totalement se substituer à des modules de formation présentielle plus approfondis.

Parmi les autres initiatives, on peut citer la création en 2015 de la « Grande école du numérique », un soutien public à 200 formations labellisées portées notamment par des associations et des entreprises. L’objectif est de former 10 000 jeunes aux métiers du numérique d’ici 2017. L’intérêt de cette démarche réside dans le fait qu’elle cible les personnes les plus éloignées de l’emploi tout en les dirigeant vers des secteurs où les besoins en recrutement sont particulièrement importants. Certains candidats rencontrent toutefois des difficultés pour retrouver un emploi en raison du caractère non-certifiant de ces formations. Il faudra encore un peu de temps avant que ce label gagne en notoriété auprès des employeurs.

Face à la rapidité des changements technologiques, les entreprises doivent revoir leur approche de la formation continue, qui doit devenir à la fois plus pratique et permanente. Le learning by doing s’impose comme une modalité de formation. Certains industriels ont créé en leur sein des « usines-écoles » permettant aux salariés de se former plus régulièrement, dans situations très proches de leurs conditions de travail. D’autres s’appuient sur le numérique pour favoriser le partage d’expérience et la transmission de savoir-faire entre les salariés. Chez Airbus par exemple, des lunettes connectées sont utilisées par les salariés pour réaliser eux-mêmes des modules de formation en filmant les opérations qu’ils réalisent sur leur poste de travail. D’autres encore misent sur des dispositifs de mentorat inversé. Adoptée notamment par le groupe Danone, cette pratique consiste à affecter aux salariés expérimentés un jeune qui pourra leur transférer son savoir-faire sur les usages numériques.

L’élévation des compétences des jeunes et des salariés en place est un enjeu primordial pour la montée en gamme de nos entreprises. L’examen de la littérature est sans appel : nous perdons trop de temps à ressasser la sempiternelle question du robot ennemi de l’emploi, qui n’est pas fondée en définitive, et trop peu à nous préparer concrètement au travail de demain.

Louisa Toubal

Titulaire d’un DEA d’économie internationale de l’université de Paris I Panthéon-Sorbonne, Louisa Toubal a réalisé de nombreuses études pour des institutions privées et...

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Thibaut Bidet-Mayer

Titulaire d’un master d’économie appliquée, Thibaut Bidet-Mayer fut chef de projet à La Fabrique de l’industrie de janvier 2013 à avril 2017. Il travailla notamment sur la...

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