Transformation digitale : un problème d’organisation ?

Si le numérique appelle des modes de travail collaboratif, horizontaux, en réseau, encore trop peu d’entreprises ont fait évoluer leur organisation pour s’adapter à ces évolutions. Quand c’est le cas, ces transformations soulèvent de nombreuses interrogations sur la façon dont elles sont engagées. Retour sur une spécificité française.

 

On ne compte plus le nombre de rapports, de conférences, d’articles de presse sur « la révolution digitale des entreprises ». Celle-ci bouscule à la fois leur modèle d’affaires et leurs modes d’organisation du travail. Le numérique induit en effet une transversalité accrue entre les hommes, les différents services de l’entreprise (bureau d’études, marketing etc.) et leur écosystème (clients, fournisseurs, etc.). La presse relève de nombreux cas d’entreprises (Michelin, Airbus, Somfy, etc.) qui ont fait évoluer progressivement leur organisation pour tenir compte de ce nouveau contexte. Elles ont réduit les niveaux hiérarchiques et fait émerger de nouvelles méthodes de travail plus collaboratives, plus participatives, en donnant davantage de marges de manœuvre aux opérateurs et aux collaborateurs. Ces modes d’organisation sont protéiformes et sont souvent synonymes de performance (réduction des risques psychosociaux, de l’absentéisme, amélioration des conditions de travail, etc.).[1]

Reste que ce type d’organisation est peu développé en France. La Fondation de Dublin, Eurofound, a publié en 2013 un rapport montrant que notre pays se situe en dessous de la moyenne européenne en ce qui concerne la mise en place d’organisations du travail participatives. La France est plus particulièrement en retard par rapport aux pays nordiques mais aussi aux Pays-Bas, à la Grande-Bretagne[2]. Notre pays reste marqué par une moindre volonté de délégation au sein des entreprises comme le montre ce graphique (ici).

Franchir le pas n’est pas simple. Coté management, ces nouvelles formes d’organisation peuvent provoquer des pertes de repères et une montée des risques psychosociaux. Le manager intermédiaire voit en effet son rôle redéfini : il sert moins à relayer des informations montantes et des décisions descendantes qu’à soutenir les individus et les équipes lors des prises de décisions. Il est notamment désorienté lorsqu’il doit, d’un côté, répondre à des objectifs de performances liés à la production (KPI) et, de l’autre, instaurer une organisation du travail qui garantisse l’autonomie et la bonne collaboration entre les salariés, également source de performance mais moins objectivable. Les outils de mesure de la performance ne peuvent plus reposer seulement sur des indicateurs de compétitivité-coût et doivent davantage tenir compte des nouvelles modalités de travail permettant de gagner en qualité, innovation et créativité. Cela demande de revoir les méthodes de reporting et de s’assurer de la cohérence entre la vision portée par les dirigeants et celle du middle management.

Changer son organisation et ses modes de travail avec le numérique, c’est aussi faire participer les salariés à chaque étape du processus afin de susciter l’adhésion de tous. Par conséquent, cela implique d’associer davantage leurs représentants à la gestion de ces transformations. La diffusion du numérique au sein des organisations soulève en effet un certain nombre d’enjeux relatifs au dialogue social (modifications des conditions de travail, équilibre entre vie professionnelle et vie privée, empowerment). Là encore, ce n’est pas évident. D’un côté, certains industriels jugent que les organisations syndicales n’ont pas toujours anticipé les transformations liées au digital ni pris conscience de leur ampleur : elles ne seraient pas assez impliquées dans le sujet. De l’autre, certains responsables syndicaux déclarent n’avoir été sollicités qu’une fois le projet de l’entreprise complètement ficelé. Ils redoutent notamment que certaines entreprises utilisent le numérique pour s’adresser directement aux salariés et les court-circuiter.

Difficile d’avancer sans dépasser ce stade de la méfiance réciproque. Notre voisin allemand ne s’y trompe pas : il associe les fédérations professionnelles ainsi que les syndicats de salariés à la réflexion prospective et à la définition des projets liés à la transformation notamment digitale de son industrie (industrie 4.0).


[1] Bourdu E., Péretié M-M., Richer M., « La qualité de vie au travail : un levier de compétitivité Refonder les organisations du travail » La Fabrique de l’industrie, l’Anact, Terra Nova, à paraître en octobre 2016.
[2] Elle est définie comme une organisation du travail qui procure aux salariés un espace d’implication, de participation directe, de capacité d’influence et de décision sur leur travail. Pour en savoir plus : rapport 2013 d’Eurofound « Work organization and employee involvement in Europe » ; voir également l’article de Martin Richer « Ce n’est pas l’entreprise qu’il faut libérer ; c’est le travail », Metis, 18  janvier 2016.

Louisa Toubal

Titulaire d’un DEA d’économie internationale de l’université de Paris I Panthéon-Sorbonne, Louisa Toubal a réalisé de nombreuses études pour des institutions privées et...

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