La Chine : opportunité ou menace ?
Plus de 200 personnes sont venues débattre le 13 février des opportunités et risques que représente le marché chinois pour l’industrie européenne.
Surtout ne pas se mettre à l’écart du marché le plus grand et le plus dynamique du monde
Tous les intervenants sont tombés d’accord : « il faut absolument être présent sur le marché chinois ». Parce que c’est le plus grand et le plus dynamique du monde et que, de ce simple fait, l’économie française bénéficie des investissements qui y sont réalisés par ses entreprises.
Philippe Varin explique ainsi : « Dans dix ans, la marché chinois pour les berlines haut de gamme, comme la 508 ou la DS 5, sera trois fois plus important que le marché européen ». PSA est donc en train d’installer une troisième usine sur son site de Wuhan et va également produire des Citroën DS 5 dans une quatrième usine, à Shenzhen cette fois (accès direct à la vidéo). Le groupe fabriquera ainsi quelque 750 000 voitures sur le territoire chinois. Et Philippe Varin de souligner : « Cette production locale nous permet d’amortir notre R&D sur un volume plus important et d’accompagner ainsi notre montée en gamme » (vidéo).
Même constat pour Philippe Crouzet : « La Chine représente la moitié du marché mondial dans beaucoup de secteurs : nous sommes obligés d’y aller. Et les retombées positives sont réelles ». Car si les deux tiers de ce que Vallourec vend en Chine sont produits localement, le haut de gamme et les petites séries – sur lesquelles les producteurs chinois sont rarement compétitifs – viennent de France ou d’Allemagne. (vidéo).
Louis Gallois, président exécutif d’EADS et président de La Fabrique, indiquera un peu plus tard dans la soirée que la ligne d’assemblage d’Airbus en Chine a joué un rôle essentiel dans le doublement de la part de l’avionneur dans le marché chinois (vidéo).
L’accès au marché chinois se durcit considérablement
Les vents, jusque là favorables, sont en train de tourner, à mesure que la Chine se ferme aux investisseurs étrangers. Les joint ventures paritaires font place à des JV où le partenaire chinois est majoritaire (voir à ce sujet les témoignages de Philippe Varin et de Philippe Crouzet).
Ce nouveau palier dans l’ambition industrielle chinoise, parfois ressenti comme une arrogance inédite, ne s’explique pas simplement parce que « la Chine voudrait sa part du gâteau ». Comme le souligne Jean-François di Meglio (vidéo), ce mouvement fait suite au retour en force des entreprises d’Etat, que tous les experts jugeaient moribondes jusqu’en 2008. Ce regain s’explique à son tour par le succès du plan de relance chinois de 2008 et, surtout, par la peur des autorités de voir leurs partenaires commerciaux occidentaux, toujours menacés de récession, leur faire défaut alors que c’est sur leur solvabilité que reposait in fine le succès du modèle mercantiliste de développement.
Et tous, y compris Louis Gallois, constatent que les industriels chinois entendent maintenant jouer dans la cour des grands. Ils ne se contentent plus d’acquérir les savoir faire des firmes occidentales : ils lient explicitement l’accès à leur marché au transfert effectif de technologies (vidéo).
Conclusion : d’ici à la fin de la décennie, les fabricants occidentaux se trouveront confrontés sur le marché chinois à des produits locaux (voitures, hélicoptères, avions…) réalisés à partir de leur technologie. Fini l’immense marché détenu à 70 % par des JV sino-étrangères. En 2016 volera le premier avion 100 % chinois, le Comac 919, concurrent annoncé de l’A320. Avant même qu’il n’existe, diverses entreprises d’Etat en ont déjà commandé 150 !
Quelle peut être la parade pour les Occidentaux ? « Garder un coup d’avance technologique et se distinguer par le service associé au produit », disent unanimement les intervenants. Philippe Varin ajoute : « Dans certains secteurs, comme l’automobile, la marque est un autre atout puissant. Construire une voiture chinoise est une chose ; convaincre les consommateurs chinois de l’acheter en est une autre. Ils privilégient en effet la marque et la qualité » (vidéo).
De même, dit Philippe Crouzet : « Les produits fabriqués par Vallourec sous la marque Mannesmann font référence. Ils ont fait la preuve de leur efficacité et de leur fiabilité dans des applications critiques depuis plusieurs décennies. Il sera difficile de les concurrencer du jour au lendemain. » (vidéo)
A la recherche d’une réciprocité commerciale
Puisque les industriels chinois sont devenus des compétiteurs « accomplis », la question de la réciprocité des pratiques commerciales prend toute son ampleur. Ceci se décline sous plusieurs angles. Le premier volet est celui du libre accès aux marchés publics, où l’égalité de traitement n’est pas encore à l’ordre du jour. Commentaire de Philippe Varin : « Nous devons réfléchir sur la réciprocité de façon robuste ». (vidéo)
Le second aspect, relevé par Philippe Crouzet (vidéo), concerne l’appétit chinois pour l’acquisition de technologies via le rachat d’entreprises occidentales. Là encore, les règles du jeu sont asymétriques.
Troisièmement, l’inévitable question de la sous-évaluation du yuan a naturellement été abordée. Mais la réponse n’était pas nécessairement celle que l’on attendait (vidéo). « C’est loin d’être le problème le plus important », insistent ensemble Philippe Crouzet et Jean-François Di Meglio. Le financement plus que généreux des entreprises d’État par diverses institutions étatiques est bien plus grave : non seulement parce qu’il fausse le jeu de la concurrence mais aussi parce qu’il entretient la construction de surcapacités industrielles qui mettent en danger la dynamique de développement du pays. Or, Pascal Lamy, directeur général de l’OMC, indique que ce n’est pas de la compétence de son organisme, rapporte Crouzet. De qui donc alors ?
Vers une normalisation ?
Reste, pour finir, une dernière carte dans la manche des Occidentaux : la patience. Avec l’augmentation des salaires chinois, la concurrence sera moins féroce. « A Shenzhen, les salaires croissent déjà de 20 à 30 % par an », constate Philippe Varin. Des augmentations de salaires qui n’ont rien pour déplaire aux patrons français…
Frank Barnu