A quoi servent les filières ?
Pour les décideurs publics et privés ainsi que pour certains économistes, la filière est devenue un cadre de référence servant à décrire des enchainements d’activités de production et l’élaboration de politique publique. Pour autant, la filière est un objet complexe car il n’en existe pas de définition universellement acceptée (ce terme ne trouve d’ailleurs pas d’équivalent anglo-saxon). Parler d’une filière suppose donc des partis-pris méthodologiques, souvent ad hoc qu’il est nécessaire d’interroger si ce concept devient une composante essentielle de la politique industrielle.
L’appellation filière est largement utilisée alors même qu’il n’y a pas de définition précise, universellement acceptée de ce concept. L’analyse de la filière transport conduit par exemple à constater qu’elle contient plusieurs filières bien distinctes (aéronautique, ferroviaire et automobile, maritime, fluvial…) qui ne fonctionnent pas du tout de la même manière et n’ont que peu d’acteurs communs. D’autres analyses regrouperont la filière aéronautique avec celle du spatial, ou les fabricants d’automobiles avec les producteurs de motos et leurs sous-traitants. Les auteurs peuvent également choisir d’inclure, ou non, les opérateurs dans les analyses : Air France et les voyagistes dans la filière aéronautique, la SNCF et la RATP dans la filière ferroviaire…
Une telle diversité témoigne de la difficulté à appréhender cette notion. Dans tous ces cas, les problèmes de bornage de la filière (identification de ses contours, de sa structure, de son fonctionnement) peuvent conduire à des représentations et in fine des analyses différentes en fonction des décisions que l’on souhaite promouvoir.
La notion de filière a ainsi régulièrement été remise au goût du jour avec le retour d’une politique industrielle volontariste. En effet, l’engagement de l’Etat se traduit souvent par l’élaboration de grands concepts ordonnateurs, auxquels sont raccrochés des outils pour promouvoir telle ou telle ambition. Cela a par exemple été le cas pour les « écosystèmes de croissance » avec les pôles de compétitivité ; les filières en sont un autre exemple. Ce mode de formulation de l’action publique est un moyen pour rassembler et fédérer l’ensemble des acteurs autour d’une même politique.
C’est d’ailleurs dans cette optique qu’a été créé le Conseil national de l’industrie (CNI) en février 2013. Cette structure a un rôle central dans la mise en mouvement des entreprises et des grands groupes composant les filières. Elle permet de promouvoir de meilleures relations et un dialogue stratégique entre donneurs d’ordres et fournisseurs. La création de cet organe de concertation, qui associe les pouvoirs publics et les acteurs de l’industrie, s’est accompagnée du lancement par le gouvernement d’une nouvelle stratégie de filières industrielles destinée à « construire la carte de la France productive des années 2020 ». Cette stratégie repose sur la sélection de treize « filières stratégiques ». A travers ces mesures, le gouvernement souhaite « sauver l’existant », « faire émerger les filières de demain » et « préparer l’industrie d’après-demain ».
Une telle approche peut susciter plusieurs questions :
La stratégie des pouvoirs publics repose, en effet, sur une définition variable – et d’ailleurs très globale – des filières. Elle regroupe diverses mesures de soutien à la compétitivité visant à enrayer la désindustrialisation de la France. Cet objectif ambitieux peut-il uniquement reposer sur une politique de filières ? Par ailleurs, un « affichage » en termes de filières peut conduire à un fléchage un peu trop rigide des aides publiques, certaines entreprises multi-filières en étant de facto exclues. D’autres au contraire, en sachant se mobiliser astucieusement, bénéficieront d’effets d’aubaine.
Ceci interroge sur la nécessité d’articuler cette politique de filière avec des approches complémentaires. Il importe de ne pas omettre les collaborations, également essentielles pour renforcer notre économie, qui peuvent se nouer sur un mode plus transversal et inter-filières, tant au niveau géographique (pôles de compétitivité, SPL, etc.) que sectoriel (technologies diffusantes). Le cas allemand est riche d’enseignements pour montrer que l’on peut cultiver la solidarité inter-entreprises tout en menant une politique industrielle horizontale de soutien à la compétitivité. Il n’existe pas de politique de filières en Allemagne.
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