Nucléaire américain : le temps des start-up

Ce sont aujourd’hui essentiellement des start-up travaillant sur des centrales de petite ou moyenne puissance qui relancent le nucléaire aux Etats-Unis. Une menace pour la « quatrième génération » développée au CEA ?

L’institut américain Brookings a publié à la fin de l’année dernière un article passionnant de Josh Freed, vice-président du cabinet Third Way voué aux énergies propres. Intitulé « Back to the future – Advanced Nuclear Energy and the Battle Against Climate Change », il milite pour le redéveloppement du nucléaire américain et surtout, c’est sa préoccupation majeure, incite les pouvoirs publics à soutenir activement les recherches en la matière.

Le lecteur français, lui, y découvre une bouillonnante industrie du nucléaire en train de renaître, principalement – mais pas seulement – par le biais de start-up. Parmi elles, Terra Power, Transatomic, Terrestrial Energy (canadien), Flibe Energy, ou encore U Power et, dans le domaine de la fusion nucléaire, General Fusion ou encore LPP Fusion. Toutes sont financées par le capital-risque. Bill Gates et Nathan Myhrvold, ancien responsable de la recherche de Microsoft, soutiennent par exemple Terra Power. Transatomic a été initialement financée par Ray Rothrock, un capital risqueur de la silicon Valley. General Fusion a reçu 32 millions de dollars de financement, dont 20 de Jeff Bezos, patron d’Amazon. Quant à LPP Fusion elle vient même de lever 180 000 dollars via le… crowd-funding.

A ces startups s’ajoutent quelques « anciens » du nucléaire, comme General Atomics, Fluor (qui a racheté récemment une start-up du domaine, Nuscale) et Babcock & Wilcox.

Des « start-up du nucléaire ». Cela peut prêter au scepticisme, comme l’avait fait en son temps Space X, la start-up dédiée à la fabrication de fusées. Cette dernière a largement prouvé depuis que les sceptiques avaient tort. Son succès a même conduit la filière spatiale européenne à reconsidérer son programme Ariane 6 et à confier la responsabilité de son développement à Airbus Defence&Space. Pas moins…

Le même scénario peut-il se produire dans le nucléaire ? La question peut légitiment être posée. Du fait de la multiplicité des initiatives, c’est une vaste palette de technologies différentes qui sont explorées par ces nouveaux venus. De quoi augmenter les chances de voir surgir quelque divine surprise alors que la France, elle, a tout misé sur une seule technologie pour la fission : le réacteur à neutrons rapides de quatrième génération Astrid développé par le CEA (à quoi s’ajoute le programme ITER pour la fusion).

Interrogé juste avant de quitter son poste d’administrateur du CEA, Bernard Bigot ne se montre pas très inquiet. D’abord, parce que les travaux américains portent sur des centrales de petite et moyenne puissance, entre 50 et 300 MWe. Elles conviennent bien au contexte américain mais pas aux réseaux européens très centralisés. U Power s’intéresse même à des « batteries » nucléaires de 2 MWe ! Rien à voir donc avec les grosses utilisées en France par EDF, d’une puissance de plus de 1 000 MWe. Ensuite, parce que la plupart des technologies mises en œuvre par les start-up sont connues. Transatomic, par exemple, a remis au goût du jour une vieille technologie des années 60, les centrales à sel fondu. Enfin, Bernard Bigot souligne qu’il y a loin de la coupe aux lèvres, et qu’il se passera du temps avant que ces travaux exploratoires ne débouchent éventuellement sur des produits industriels.

Pas inquiet, donc… mais vigilant tout de même. Il existe ainsi un projet de centrale de moyenne puissance à eau pressurisée, associant EDF, Areva et le CEA. Avec les start-up, on ne sait jamais de quoi l’avenir sera fait.

Quoi qu’il en soit, la lecture du document de Brookings est à recommander, ne serait-ce que pour le récapitulatif très instructif qu’offre Josh Freed sur le développement de l’industrie nucléaire américaine.

Franck Barnu

Après des études de physique, Franck Barnu s’est dirigée vers la presse industrielle et technologique. Comme journaliste, il a en particulier suivi le domaine des technologies...

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