Renaissance de l’industrie américaine : de quoi parle-t-on ?
Le terme de « renaissance » est abondamment repris aujourd’hui pour caractériser l’industrie américaine. On peut pourtant se demander s’il n’est pas utilisé à tort. Si cette hypothèse n’est pas exclue, il est encore trop tôt pour la distinguer à coup sûr d’un simple rebond conjoncturel ou, troisième hypothèse, d’une transformation profonde.
Un mot, « renaissance », commence à s’imposer dans les publications journalistiques ou scientifiques s’intéressant aux évolutions récentes du secteur manufacturier américain.
Ce terme, un peu vague, évoque une rupture par rapport au déclin tendanciel de l’industrie américaine depuis la fin des années 1970 et à son accélération au début des années 2000. Pour utiliser un vocable plus proche de la théorie économique, on pourrait parler d’amélioration structurelle de la situation de l’industrie. Sous cette hypothèse, la dynamique actuelle devrait permettre de retrouver un niveau d’emploi ou une part de l’industrie dans le PIB supérieurs à la situation d’avant-crise.
La crise financière de 2008 a eu en effet des conséquences particulièrement sévères sur la production et l’emploi manufacturiers aux Etats-Unis. A la fin de la récession, au contraire, la situation s’est clairement améliorée.
Parler de « renaissance », c’est exclure qu’il s’agisse là d’un rebond conjoncturel. A la suite d’une crise, il est en effet normal que les indicateurs macroéconomiques reviennent à la tendance. Toutefois, dans ce cas précis, des éléments permettent de considérer la reprise comme singulière.
D’abord, l’emploi et la production ont rebondi davantage et plus rapidement que lors des précédentes récessions.[1]
Ensuite, les Etats-Unis disposent, grâce à l’exploitation du gaz et du pétrole non-conventionnel, d’une source d’énergie bon marché.
Enfin, ils bénéficient d’une bonne compétitivité-coût dans l’industrie. En effet, les salaires ont été maintenus relativement bas compte tenu de la productivité des travailleurs et le dollar s’est déprécié vis-à-vis des principales devises.
Les Etats-Unis peuvent donc s’appuyer sur quelques fondamentaux solides. Rares sont d’ailleurs les pays qui, comme eux, affichent une progression de la part de l’industrie dans le PIB.
Malgré tout, il est sans doute prématuré de parler de « renaissance ». Pour l’heure, seuls certains secteurs industriels ont dépassé leur niveau de production d’avant-crise (l’informatique et l’électronique, les machines, l’automobile ou l’aérospatial [2]). Dans son ensemble, l’industrie manufacturière est encore en-deçà. L’emploi industriel, lui, est encore loin du niveau atteint début 2008 et progresse moins vite que dans les autres secteurs de l’économie américaine.
C’est pourquoi plusieurs études proposent une analyse nuancée, où la « renaissance » de l’industrie reste conditionnée à l’évolution de certaines variables macroéconomiques et aux politiques mises en place aux Etats-Unis comme à l’étranger.
Enfin, et plus important encore, la crise a touché de manière hétérogène les différents secteurs, les différentes zones géographiques [3] et les différents niveaux de qualification de la main-d’œuvre [4]. Les industriels recrutent une part de plus en plus importante de diplômés du supérieur et les principaux gains en emploi sont concentrés dans cinq Etats (Michigan, Texas, Ohio, Indiana et Wisconsin). On a donc de bonnes raisons de penser que l’on assiste en réalité à une profonde recomposition de l’industrie manufacturière américaine. Cette crise, comme les précédentes, pourrait être le révélateur du basculement d’un régime industriel à un autre.
[1] The U.S. Manufacturing Recovery: Uptick or Renaissance ? IMF Working Paper (2014). WP/14/28.
[2] Federal Reserve statistical release. Industrial production and capacity utilization. May 15, 2014. Table 4 and Table 5.
[3] Manufacturing Since the Great Recession. June 10, 2014. U.S. Department of Commerce. Economics and Statistics Administration.
[4] Job Creation in the Manufacuring Revival. Marc Levinson. June 19, 2013. CRS Report for Congress.