« Pas d’industrie, pas d’avenir ? »
A l’heure où la politique industrielle revient sur le devant de la scène, en France comme en Europe, le Conseil d’analyse économique plaide pour une « nouvelle approche » du rôle de l’Etat, plus impliquée et plus pragmatique. Il faut pour cela revisiter les idées reçues sur l’industrie, à commencer par la distinction entre industrie et services. La politique industrielle doit favoriser les restructurations et le dynamisme technologique, en s’appuyant sur des outils tels que le crédit d’impôt-recherche ou les clusters.
L’industrie française peine à se relever de la crise de 2008-2009. De 2000 à 2007, la part de ce secteur dans la valeur ajouté totale a baissé de 6 % en France, alors qu’elle a augmenté de 4 % aux Etats-Unis et de 6 % en Allemagne. Or l’industrie contribue significativement à l’équilibre de la balance courante et représente une source importante d’externalités positives du fait de son effort de R&D important. C’est pourquoi le débat sur la politique industrielle revient sur le devant de la scène en France et en Europe, à mesure que la situation se dégrade dans ce secteur. Pour Lionel Fontagné, Pierre Mohnen et Guntram Wolff, la conception de mesures pertinentes suppose de savoir de quoi on parle précisément : qu’est-ce que l’industrie aujourd’hui et où la valeur se crée-t-elle ?
La frontière est devenue extrêmement poreuse entre industrie et services. Les produits manufacturiers sont accompagnés de services, qui occupent une part importante de la valeur des transactions. Les auteurs rappellent ainsi que 87 % des entreprises de l’industrie manufacturière vendent aussi des services. Par ailleurs, la parcellisation des tâches à l’échelle internationale permet l’émergence de « producteurs de biens sans usines », qui se spécialisent par exemple dans la conception des produits ou le marketing à l’image d’Apple et de Dyson. Ces évolutions nous invitent à revisiter notre vision de l’entreprise-usine, uniquement productrice de biens. De même, il est plus pertinent de raisonner plus en termes de valeur ajoutée qu’en termes de production.
Deuxièmement, le processus de désindustrialisation est relatif et n’est pas définitif. Si l’emploi a fortement baissé dans l’industrie depuis 1970, la production et la valeur ajoutée ont augmenté en valeur absolue. Certes, la valeur ajoutée a moins augmenté que dans les services, ce qui explique le déclin de la part de l’industrie dans la valeur ajoutée totale. Pour les auteurs de la note, les gains de productivité massifs sont la principale explication de cette désindustrialisation relative. La concurrence internationale a également contribué à la perte de 9 000 emplois par an dans le secteur, mais cela reste huit fois plus réduit que l’impact des gains de productivité.
La politique industrielle a longtemps consisté à conjuguer politiques « verticales », appuyant des secteurs jugés prioritaires, et politiques « horizontales », créant les conditions favorables à l’innovation et à la création d’entreprises. Pour les auteurs de la note, les politiques horizontales sont indispensables mais insuffisantes ; et les politiques verticales, quoique nécessaires, peuvent s’avérer problématiques si l’Etat les utilise pour maintenir artificiellement en vie des secteurs inefficaces. C’est pourquoi les pouvoirs publics doivent adopter une nouvelle approche de la politique industrielle, qui favorise les restructurations et le dynamisme technologique en corrigeant les échecs de coordination du marché : mauvaise coordination de la recherche privée et de la recherche publique, absence de valorisation des externalités positives, analyse erronée par le marché de l’utilité des fusions-acquisitions transfrontalières et accès au financement défaillant pour les petites et moyennes entreprises.
Le rapport émet des recommandations cohérentes avec cette « nouvelle approche » : repenser l’industrie en fonction de la valeur ajoutée notamment dans la création d’études statistiques, favoriser la mobilité des facteurs et investir dans la formation du personnel, favoriser la R&D des entreprises grâce à des mécanismes tels que le crédit d’impôt-recherche ou par des combinaisons de capital-risque privé et de financements publics, s’appuyer sur les clusters qui sont de véritables lieux de coordination des acteurs et, enfin, savoir arrêter une politique qui ne marche pas.