La laborieuse naissance des ETI, entreprises de pointe
Témoignage d’Yvon Gattaz, fondateur et président d’honneur du METI.
1) Pourquoi était-il important de faire reconnaître cette catégorie d’entreprises ?
Il était capital de faire reconnaître en France une catégorie d’entreprises, les vraies moyennes, celles du Mittelstand allemand, isolées dans notre pays entre les PME et les grandes entreprises dans un no man’s land tragique. Il est probable que le sigle PME, trouvé par hasard en 1936 lors du schisme patronal des « petites industries » après les accords de Matignon jugés traitres, ait pu créer pendant des décennies une grande confusion par la présence inopinée de la lettre M, représentant théoriquement les moyennes entreprises alors qu’aucune entreprise de cette taille ne figurait dans cette nouvelle association de petites industries. Le sigle PMI né en 1936 fut remplacé en 1943 par le sigle PME car Jean Bichelonne voulait « rajouter le commerce à l’industrie ».
Je me suis longtemps battu avec Léon Gingembre pour tenter de lui faire admettre que sa CGPME de l’époque représentait uniquement les petites entreprises et j’avais même tenté d’introduire le qualificatif « moyen » en créant le Mouvement des Moyennes entreprises ETHIC » en janvier 1976. Mon combat fut long et infructueux malgré les promesses successives de Barre, de Mitterrand, et de Chirac. J’avais pris l’habitude de déclarer qu’en France les moyennes entreprises non répertoriées n’existaient pas, comme les insectes que nous apportions à notre professeur de sciences naturelles du collège de Bourgoin qui, lorsqu’il n’en trouvait pas le nom précis dans ses gros livres, nous rendait sentencieusement l’insecte en déclarant : « Cet insecte n’existe pas », ce qui nous plongeait déjà dans un abîme de perplexité.
Il fallut attendre le 5 mars 2008 et la déclaration constitutive du Président Sarkozy, pour que l’entreprise de taille intermédiaire (nouveau nom de la moyenne entreprise) sorte du néant avec les paroles de bienvenue suivantes :
« Cher Yvon Gattaz,
En 2002, vous m’aviez envoyé votre livre consacré à La Moyenne Entreprise, championne de la croissance durable. Il commençait par une histoire qui vous est chère et que connaissent tous vos amis, celle de l’insecte qui n’existe pas.. …. Eh bien, quelques années plus tard, vous avez découvert un autre organisme bien vivant et dynamique, mais dont l’inexistence légale et médiatique était avérée. J’ai cité la moyenne entreprise, et vous avez depuis consacré votre action à cet objectif : obtenir la reconnaissance de l’entreprise moyenne, cet insecte qui n’existait pas. Je vous confirme que le gouvernement est favorable à votre proposition et la retiendra comme telle… J’ai demandé à la Commission européenne que soit reconnue une catégorie d’entreprises intermédiaires entre les groupes et les PME ».
Cette naissance tardive fut authentifiée par la Loi de Modernisation Economique du 4 août 2008 qui la gravait dans le marbre républicain.
En fait, il était important de faire reconnaître cette catégorie d’entreprises essentielles à l’économie de notre pays, et déjà admises dans tous les pays du monde sous le nom générique de « Medium Size Companies ».
La définition des ETI dans la loi LME est la suivante :
– Effectifs : de 250 à 4.999 personnes,
– Chiffre d’affaires : inférieur à 1,5 milliards d’euros,
– Total de bilan : inférieur à 2 milliards d’euros.
Elles sont 4.600 en France (et près de 13.000 en Allemagne) dont 1.300 à capitaux étrangers et 80 % ont conservé la structure patrimoniale du capital.
2) Quels sont les atouts des ETI et leurs handicaps ?
Le rôle des ETI dans l’économie française est beaucoup plus important que ne le pensent certains observateurs. En effet, les 4.600 ETI représentent :
– 26 % du chiffre d’affaires de toutes les entreprises,
– 33 % des exportations hors frontières, (car beaucoup de grandes entreprises ont des établissements étrangers, réduisant ainsi les échanges hors frontières).
Leurs atouts sont majeurs car ces ETI sont assez grandes pour être fortes et structurées (en particulier pour l’international) et assez petites pour rester souples, rapides, réactives et surtout indépendantes. En effet leur unité permet des décisions rapides et cette réactivité est essentielle à une époque où ce n’est plus les plus gros qui absorbent les plus petits, mais les plus rapides qui mangent les plus lents.
Par ailleurs, l’association ASMEP que j’ai créée en 1995, devenue ASMEP-ETI et aujourd’hui METI, a mis en évidence d’autres atouts spécifiques des ETI qui sont en fait les meilleures PME qui ont réussi et grandi et qui connaissent souvent un taux de croissance fort honorable, une innovation importante et un climat humain convivial avec dialogue social personnalisé à la base dans les entreprises elles-mêmes.
On peut ajouter une spécificité majeure, le souci permanent du long terme. Effectivement dans les entreprises patrimoniales qui deviennent souvent familiales dès la deuxième génération, les chefs d’entreprise ont la naïveté de croire qu’ils pourront transmettre l’entreprise à leurs enfants et même à leurs petits-enfants, espoir qui se réaliserait sans doute beaucoup mieux sans la voracité du fisc qui a interdit toute transmission familiale de 1983 à 2001 par le doublement des droits de succession qu’ASMEP a pu faire alléger avec l’aide de Didier Migaud puis de Renaud Dutreil. Peu à peu écouté, le METI se réjouit de voir éclore la notion d’investisseur du long terme, qui se différencie clairement des investissements boursiers à court terme.
Parmi les atouts des ETI on peut inclure la proportion la plus importante de toutes les catégories pour l’industrie, cette branche de l’économie que la Fabrique de l’Industrie défend et promeut avec un dynamisme et une ténacité exemplaires qui porteront leurs fruits. Là encore, une réhabilitation est en marche.
Bien sûr, on ne peut montrer les atouts des ETI sans signaler ses handicaps qui, par bonheur, sont beaucoup moins nombreux que les atouts eux-mêmes.
Longtemps ignorées, les ETI ont un peu de peine à gagner des places de premier rang parmi les entreprises répertoriées par les Pouvoirs publics. Ceux-ci connaissent surtout les entreprises qui leur demandent de l’argent (ce que refusent les ETI) et qui manifestent bruyamment leurs mécontentements, or les ETI ne souhaitent pas faire partie des « partenaires sociaux officiels » puisqu’elles sont représentées efficacement par le MEDEF dans le dialogue social au sommet, discrétion qui les éloigne encore des instances gouvernementales.
Par ailleurs, leurs structures financières, souvent familiales, présentent, certes, des avantages pour l’indépendance et la continuité, mais parfois un plafonnement pour des opérations financières importantes. Or les ETI, qui pratiquent généralement l’autofinancement royal, se méfient de l’endettement abusif avec les risques qu’il comporte et ne souhaitent pas non plus voir diluer leur capital avec les dangers bien connus de perte subreptice de la majorité, puis expulsion des familles propriétaires. Par bonheur, ces cas extrêmes ne sont pas très fréquents et sont aujourd’hui bien maîtrisés.
3) Qu’est-ce qui selon vous reste à faire pour porter ces entreprises dans le contexte actuel de crise ?
Reconnaissons tout d’abord que les ETI semblent avoir été un peu moins touchées par la crise que les autres catégories d’entreprises. En 2009, ce sont celles qui ont le moins licencié du personnel et le moins fermé d’établissements. Elles ont même en général conservé leur personnel auquel elles sont très attachées, dans l’espoir d’une reprise prochaine qui s’est révélée tardive. C’est en période de crise que le climat social des ETI s’est montré efficace pour l’emploi.
Comme elles sont fortement exportatrices, les ETI minimisent de ce fait certains risques de fluctuation des marchés.
Comme elles sont innovatrices, elles trouvent souvent, pendant les crises, des produits et des services nouveaux, et des marchés nouveaux pour en atténuer les conséquences.
Puisque des journalistes ont bien voulu m’appeler « Le Père des ETI françaises », je suggérerai simplement à nos gouvernants de ne pas oublier dans toutes leurs mesures l’importance nationale de ces ETI, pépites découvertes au fond des mers en 2008, après un interminable et inexcusable oubli. Elles sont en réalité les champions cachés de notre économie.