Aménager la ville productive

Aménager la ville productive

 

Préface

Signe du regain d’intérêt contemporain pour le « faire en France », les réflexions consacrées à la « ville productive » montent en puissance depuis quelques années. Ce qui a été longtemps un impensé des politiques urbaines revient par la grande porte dans les travaux de recherche et le débat public. C’est heureux. Ces réflexions permettent de rappeler que de nombreuses agglomérations françaises préservent un fort profil industriel et une base manufacturière qui constitue encore, pour beaucoup d’entre elles, le catalyseur de leur développement économique. Leur identité productive en a très souvent façonné la trame urbanistique, le patrimoine bâtimentaire et architectural, l’histoire politique et sociale.

Cette publication, qui s’inscrit dans le programme Ville productive réunissant le PUCA, la Fabrique de l’industrie et l’Institut pour la recherche de la Caisse des dépôts, radiographie deux cas d’espèces à travers les métropoles de Bordeaux et de Rennes, utilement complétés en fin d’ouvrage par des excursions comparatives à Berlin, Vienne ou Turin. Les conditions du maintien d’usines et d’ateliers artisanaux dans les villes européennes au xxie siècle sont ainsi mises en lumière dans ce travail minutieux, documenté et passionnant. Elles donnent un aperçu de la volonté politique locale opiniâtre dont il faut faire preuve pour préserver les activités de production au cœur ou à proximité des tissus urbains denses, que ce soit dans des métropoles ou dans des villes moyennes. Enjeux de gestion des risques technologiques  (que les drames d’AZF à Toulouse en 2001 ou de Lubrizol à Rouen en 2019 ont illustrés) , conflits d’usage et de voisinage, durcissement des réglementations, inflation des valeurs foncières… sont autant de paramètres qui favorisent tendanciellement la mise à distance des activités de production, voire les paris de délocalisation. Les conflits suscités en 2023 par des projets industriels à Soissons (Rockwool) comme à Liffré (Le Duff), à proximité de Rennes, sont venus rappeler les obstacles rencontrés pour accueillir de nouvelles implantations à proximité de zones habitées. Quant aux concertations animées actuellement par la commission nationale du débat public (CNDP) sur plusieurs projets de « gigafactories », elles témoignent elles aussi du cahier des charges exigeant auquel les investisseurs doivent faire face.

Au-delà des productions artisanales ou d’activités manufacturières très spécifiques (comme la maroquinerie Hermès ouverte l’an passé à Louviers) qu’il est encore possible d’accueillir dans des espaces mixtes, au milieu de quartiers résidentiels, la plupart des activités industrielles ont besoin de vastes emprises spécialisées, équipées en réseaux techniques, connectées aux axes rapides de communication, adaptées à des manipulations de flux volumineux de matière et d’énergie. De récents travaux de l’Insee consacrés aux zones d’activités montrent que deux emplois industriels sur trois sont aujourd’hui implantés dans ces espaces dédiés. Parmi les 13 700 zones recensées, souvent situées aux franges des agglomérations, le long des rocades ou sur des vastes emprises portuaires, 27 % des emplois relèvent à ce jour des activités manufacturières, soit le double de leur poids relatif dans l’économie générale. L’enjeu majeur de l’avenir sera de sanctuariser ces fonciers à vocation industrielle et de les protéger du grignotage progressif par les autres usages du sol.

C’est un fait que l’effort de revitalisation manufacturière de la France se heurte non seulement à des difficultés de recrutement des entreprises mais aussi à l’effet de verrouillage spatial suscité par la raréfaction des terrains disponibles. Très rares sont les parcelles de plus de 50 hectares capables d’accueillir de nouveaux sites d’envergure dans des délais d’attente raisonnables. Deux décennies de vaches maigres en matière de grands projets d’investissement en greenfield ont déshabitué les acteurs locaux à mettre en réserve de vastes emprises d’un seul tenant. Une part substantielle des fonciers économiques aménageables a été consommée par l’urbanisme commercial et ses bases arrière logistiques, ou réallouée aux projets résidentiels et tertiaires.

Cela donne une idée de la soudaineté du changement d’époque que nous vivons. Les appels aux relocalisations industrielles, la montée à l’échelle des industries 4.0 comme les soutiens publics impressionnants alloués aux projets inscrits dans les transitions énergétique et écologique (batteries, énergies renouvelables, pompes à chaleur, hydrogène bas carbone, semi-conducteurs, écomatériaux…), viennent prendre à contrepied les tendances passées. Ils invitent à reconstituer des capacités d’accueil et à repenser les parcs industriels du xxie siècle, mieux insérés dans les territoires, bien desservis en transports collectifs, conçus pour favoriser les synergies inter-entreprises et des logiques d’économie circulaire.

La démarche engagée au niveau national pour identifier des sites clés en main, à même de répondre aux besoins futurs, ne peut qu’être saluée. L’urgence est d’autant plus forte que l’équation s’est compliquée avec les nouvelles perspectives tracées par l’objectif « zéro artificialisation nette » (ZAN) inscrit dans la loi Climat et résilience de 2021. La réduction par deux des consommations foncières au cours de la décennie puis l’application progressive de ce fameux ZAN vont durcir l’application des principes Éviter-Réduire-Compenser en vigueur depuis plusieurs années. Comme le montre très bien cette étude, la logique de compensation exerce d’ores et déjà des effets tangibles sur les coûts complets des opérations d’aménagement et sur les concurrences entre usages. S’il n’y est pris garde, un nouvel effet d’éviction est susceptible de se produire au détriment des activités productives.

Pour conjurer ce risque, il apparaît absolument nécessaire d’amplifier la réappropriation du récit industriel et le changement d’image des usines dans l’opinion. Sauf à se sacrifier eux-mêmes, les décideurs publics locaux les plus volontaristes ont besoin de compter sur la bienveillance de leurs assemblées et l’adhésion des populations, par-delà les contentieux de riverains.

Une fois affermie la volonté politique locale, celle-ci doit trouver sa traduction concrète dans les documents d’urbanisme de nouvelle génération que sont les plans locaux d’urbanisme et leurs différents volets programmatiques (les orientations d’aménagement et de programmation ou OAP). Ce sont ces documents qui pourront sanctuariser dans la longue durée la vocation industrielle de certains espaces. Le caractère de plus en plus intercommunal des plans locaux d’urbanisme permet de repenser à bonne échelle les polarités économiques des bassins de vie, leur dialogue avec la ville tertiaire, en transformant peu à peu l’urbanisme horizontal sans âme des premières générations de zones périphériques en véritables quartiers productifs, inscrits dans une logique de fabrique urbaine.

Parmi les autres avancées notables doit être mentionnée la clarification des compétences intervenue depuis la loi NOTRe : les intercommunalités disposent désormais d’une compétence exclusive en matière d’aménagement économique et d’immobilier d’entreprises. Responsables de la totalité des zones et parcs d’activité de leur territoire, elles portent une vision complète de l’offre foncière disponible dans leur bassin de vie. Elles sont en mesure de mieux anticiper les risques de saturation et d’engager des programmes de requalification des zones industrielles de première génération, aujourd’hui vieillissantes, peu adaptées aux besoins contemporains des entreprises et de leurs salariés. Leur enjeu sera d’avoir un coup d’avance afin de disposer à tout instant de solutions foncières pour des implantations nouvelles, des transferts d’établissements ou extensions de sites. Cette maîtrise complète est également une opportunité pour mieux spécifier les vocations respectives de ces différents sites d’accueil et en recomposer les usages. Les industries se regroupent par grandes affinités, dans des écosystèmes collaboratifs qui apportent de la valeur ajoutée collective.

Cette recomposition des sites existants sera, dans un contexte de ZAN, la meilleure manière d’optimiser les aménagements économiques hérités d’un demi-siècle d’urbanisme « spacivore ». De nombreuses études mettent aujourd’hui en évidence la faible « productivité » spatiale en France de cet aménagement à plat, qui se traduit par de faibles nombres d’emplois (mais aussi de logements) par hectare artificialisé. Se dessine à bas bruit le retour à des formes plus compactes et plus denses d’aménagement, recourant à de l’immobilier vertical en « 3D » (structures en étages, sous-sols…) et plus sobre en matière d’équipements auxiliaires (parkings, dessertes, lieux de stockage…) grâce à des solutions optimisées ou mutualisées. Partout en France, des réflexions sont engagées pour recomposer ce qui a longtemps été une question orpheline. Il faudra néanmoins aller bien au-delà des documents de planification, car si ceux-ci ont été structurants pour ouvrir des terrains à l’urbanisation ou déterminer leurs vocations préférentielles, ils seront impuissants à eux seuls à requalifier les espaces et les optimiser. Un tel chantier va prendre du temps et se heurter aux droits de propriété comme à l’inertie des occupations actuelles.

Maîtriser le foncier, au besoin par préemption voire par expropriation, redevient le mot d’ordre de nombreuses agglomérations, s’inspirant pour beaucoup du modèle rennais. Comme le montre l’étude, la métropole de Rennes se singularise pour sa maîtrise foncière. Aux belles heures de l’aménagement extensif et horizontal, elle s’est interdit de vendre ses terrains quand l’immense majorité des collectivités françaises trouvait dans les plus-values des terrains rendus constructibles une source de recettes pour amortir les opérations d’aménagement. Dans un mouvement assez général de repentir, collectivités et établissements publics fonciers repensent aujourd’hui le logiciel en pratiquant activement la préemption, quitte à racheter à prix haut ce qui avait été vendu naguère à bas prix, ou en activant de nouvelles pratiques de dissociation foncière (baux à construction, baux emphytéotiques…) afin de demeurer maîtres du jeu.

Les études de cas présentées dans cet ouvrage sont illustratives des transformations en cours et des effets d’apprentissage qui caractérisent les politiques publiques locales. Elles invitent à l’optimisme et montrent l’importance d’accompagner les volontés d’agir au niveau local par la mise à disposition d’un outillage réglementaire et technique adapté aux besoins du temps. Des étapes restent encore à franchir pour rendre la fiscalité locale, notamment la part de la taxe foncière assise sur les locaux professionnels, plus cohérente avec les responsabilités de l’aménagement économique. Cela viendra.

Nicolas Portier, enseignant à l’École urbaine de Sciences Po Paris, ancien délégué général d’Intercommunalités de France.

Résumé

Le maintien et l’implantation d’activités de fabrication, de production ou de réparation dans des espaces urbains denses font l’objet de récentes actions d’aménagement de la part de collectivités. Les métropoles de Bordeaux et de Rennes en sont une bonne illustration.

Sur le plan du développement économique et industriel, Bordeaux et Rennes ont connu des trajectoires distinctes. Le développement industriel de Bordeaux est historique grâce à son port alors que celui de Rennes est plus tardif. Les deux métropoles présentent également des spécificités sectorielles, avec une forte présence de l’aérospatial à Bordeaux et des télécommunications à Rennes, par exemple. Ayant obtenu toutes les deux le label French Tech, elles sont inscrites en revanche dans une même stratégie de développement de l’innovation, de l’économie numérique et de soutien aux start-up.

Bien que leurs histoires économiques soient différentes, ces deux villes présentent des dynamiques de localisation des activités productives relativement similaires. Entre 1995 et 2019, ces activités ont en partie été évincées des centres-villes du fait notamment de l’augmentation du prix du foncier. Elles se sont implantées le long des infrastructures routières, et de manière homogène dans l’espace périphérique, c’est-à-dire dans toutes les directions cardinales.

Rennes et Bordeaux s’orientent vers une répartition assez similaire des activités, en termes de distance au centre. Les activités productives n’ont toutefois pas disparu des centres-villes ; elles tendent même à s’y densifier dans certains quartiers comme les bords de la Garonne à Bordeaux. La concentration de ces entreprises est liée à une raréfaction des fonciers économiques dans le centre, qui ne permet plus d’accueillir les nouvelles arrivantes ni d’agrandir les entreprises actuelles.

En outre, ces dynamiques similaires s’observent dans ces deux métropoles dont les modalités d’action publique sont différentes. La maîtrise foncière par la collectivité rennaise est plus forte qu’à Bordeaux par exemple.

Comme d’autres collectivités, Rennes et Bordeaux activent un certain nombre de leviers pour maintenir ou faire revenir les activités productives et aménager la ville. Ces leviers peuvent être classés en six familles selon la méthode et l’objectif visé. À titre d’illustration, pour réserver du foncier aux activités productives, elles peuvent utiliser le zonage du plan local d’urbanisme. Si l’objectif est plutôt de lutter contre l’augmentation des valeurs foncières, peu compatible avec le maintien des activités productives, elles peuvent constituer des réserves foncières à vocation économique, mettre à disposition des entreprises du foncier dans des conditions plus favorables que celles du marché ou encore mobiliser le droit de préemption. Pour optimiser l’espace, les collectivités vont plutôt expérimenter des dispositifs tels que la mutualisation ou la verticalisation des activités. Pour favoriser l’implantation des activités de l’économie sociale et solidaire (ESS) et de l’économie circulaire ainsi que des activités de taille modeste, les villes peuvent recourir aux occupations transitoires et aux pépinières. Quand il s’agit de mobiliser les acteurs privés dans les projets d’aménagement, les collectivités peuvent s’appuyer sur les appels à projets, ce qui est particulièrement développé à Bordeaux.

Ces leviers peuvent aussi être combinés pour servir un projet, comme c’est le cas à la Janais, territoire emblématique de l’industrie rennaise ou à l’Aéroparc de Bordeaux-
Mérignac, à condition qu’ils soient adaptés au projet, à la configuration urbaine et à l’environnement social et économique.

Étudier la « ville productive » revient à interroger la place des activités de fabrication, de production et de réparation dans les politiques urbaines. Dans les villes de Rennes et de Bordeaux, il semble que le portage politique local soit relativement faible en dehors du soutien aux activités de l’ESS, à l’économie circulaire et aux industries de pointe. L’argumentaire politique en faveur du maintien ou de l’accueil de ces activités est peu structuré. Des leviers opérationnels sont donc activés sans que des objectifs, notamment quantitatifs, ne soient annoncés ni partagés, en d’autres termes sans qu’une politique publique ne soit formellement établie. Or, un portage politique fort est nécessaire afin que les actions déployées s’inscrivent dans une même direction, qu’elles soient coordonnées et articulées.

Remerciements

Cet ouvrage est issu d’une recherche s’inscrivant dans le programme « Ville productive » lancé par le Plan urbanisme construction architecture (PUCA) en mai 2020. Nous tenons à remercier les équipes du PUCA, de l’Institut pour la recherche de la Caisse des Dépôts et de La Fabrique de l’industrie pour leur soutien et leur accompagnement tout au long de cette recherche. Nous remercions particulièrement Caroline Granier et Emilie Binois pour leur relecture attentive, leurs remarques et suggestions ainsi que pour l’ensemble du processus éditorial ayant permis d’aboutir à cette publication.

Nous remercions également toutes les personnes rencontrées à Bordeaux, à Rennes, à Berlin, à Vienne et à Turin dans le cadre de ce travail, pour le temps accordé et le partage de leurs réflexions. Un temps d’échange a eu lieu avec une partie d’entre eux en juin 2023. Leurs retours ont été précieux pour l’aboutissement de ce travail. Ils en sont donc remerciés particulièrement.

Ont également contribué à cette recherche : Bruno Yvin et Benjamin Christiaen, respectivement directeur associé et chef de projet chez Alphaville ; Adela Hamcho, étudiante en licence 3 Génie urbain, à l’université Gustave Eiffel ; Valentin Mathiot, étudiant de troisième année à l’École nationale des sciences géographiques ; Brice Leblanc, étudiant en master 2 Développement urbain durable, à l’université Gustave Eiffel ; Alice Flon, étudiante en master 2 Aide à la décision en aménagement urbain et régional à l’université de Franche-Comté ; Solène Tixadou, doctorante au laboratoire ESO de Le Mans université.

Introduction

Bien que le retour de la production en France se soit imposé dans les discours politiques et médiatiques, la ville apparaît rarement comme un lieu à privilégier dans cette optique. Pourtant, la question du maintien ou de l’implantation d’activités de fabrication, de production ou de réparation dans les villes fait l’objet d’un intérêt renouvelé depuis les années 2010. L’usage de l’expression « ville productive » par les acteurs de l’urbanisme est manifeste depuis 2014 et les ateliers menés à Bruxelles dans le cadre du Plan Canal (2011-2014) sous l’influence de l’architecte londonien Mark Brearley (Gilbart, 2023). La labellisation en tant que Territoires d’industrie des métropoles de Bordeaux, de Nantes ou de Clermont-Ferrand est en outre venue récemment matérialiser la volonté politique des villes de retrouver une identité plus productive.

Ce regain est lié à plusieurs facteurs, dont la crise écologique, qui imposent de repenser nos pratiques de consommation et de production. On peut aussi citer le renouveau du « faire » et du « faire soi-même », qui se traduit à la fois par l’émergence de nouveaux lieux et de nouveaux collectifs de fabrication et par des trajectoires d’individus en reconversion faisant le choix de l’artisanat, de l’artisanat d’art, de l’agroalimentaire (brasserie, torréfaction, maraîchage…).

Accueillir des activités productives en centre urbain nécessite néanmoins une véritable réflexion sur l’aménagement de la ville, tant les problématiques sont nombreuses : disponibilité du foncier, mixité entre logements et activités, choix des activités implantées, etc. Les réponses apportées et les modalités d’intervention des acteurs publics locaux sont propres à chaque territoire. Elles dépendent notamment de l’histoire de leur développement économique, social et politique. Néanmoins, les acteurs du territoire peuvent se servir d’instruments d’aménagement pour maintenir ou faire revenir les activités productives. Parmi les leviers identifiés, certains sont anciens et éprouvés, d’autres sont en cours d’expérimentation. Quels sont-ils ? Comment les acteurs publics locaux les mobilisent-ils ? Pour quels résultats ? Voici les questions auxquelles cet ouvrage cherche à répondre.

Dans cet objectif, nous avons interrogé quinze collectivités françaises sur les dispositifs qu’elles utilisent, puis nous avons réalisé une enquête de terrain sur les agglomérations bordelaise et rennaise. Ce choix s’est opéré à partir de nos connaissances préalables de ces deux territoires et des dynamiques différentes dans l’appréhension des activités productives. Après avoir analysé l’évolution de la localisation des activités productives dans ces deux territoires, nous avons interrogé les acteurs concernés par cette question : acteurs de l’aménagement ou du développement économique au sein des collectivités, aménageurs, promoteurs et commercialisateurs, chambres consulaires, agences d’urbanisme, entreprises, etc. Cet ouvrage est structuré en deux parties. La première vise à décrire les dynamiques de localisation des activités productives à Rennes et à Bordeaux et à exposer le contexte historique et politique dans lequel elles s’inscrivent. La seconde partie présente les différents leviers recensés dans les villes étudiées, en les illustrant par des exemples de projets d’aménagement. Ces exemples sont mis en perspective avec trois territoires européens : Berlin, Vienne et Turin.

Partie I – La localisation des activités productives, question spatiale et politique

Les stratégies d’implantation des activités productives s’inscrivent toujours dans un contexte spatial et politique. Elles dépendent notamment de l’histoire et de la géographie des territoires mais aussi de l’action publique locale mise en œuvre pour attirer ou au contraire repousser ces activités de production. À cela s’ajoute la pression foncière dans les milieux urbains denses, qui pousse les activités en périphérie, et le contexte macroéconomique (hier la tertiarisation de l’économie, aujourd’hui la limitation de l’artificialisation des sols). Il résulte de ces facteurs des dynamiques hétérogènes entre les territoires.

Chapitre 1

L’éviction limitée des activités productives

Le retour des activités productives en centre urbain suscite un intérêt renouvelé de la part des collectivités. Mais ont-elles véritablement été évincées des villes au cours des dernières décennies ? Les dynamiques de localisation sur une période de vingt-cinq ans, à Rennes et à Bordeaux, montrent leur éloignement des centres historiques mais pas leur disparition.

Aux origines, des constructions différentes du paysage industriel

Pour appréhender la localisation des activités productives à Bordeaux et à Rennes, il est essentiel de rappeler la façon dont l’industrie s’est développée dans chacune de ces villes.

À Rennes, un développement industriel tardif

Pendant longtemps, le développement industriel de Rennes se restreint aux activités militaires, avec l’Arsenal de Rennes qui produit des munitions. Il s’étend ensuite grâce aux efforts de ce qui a été appelé le « lobby breton », dans le cadre des premières politiques d’aménagement du territoire visant à contrebalancer le centralisme parisien. Le Comité d’étude et de liaison des intérêts bretons (Celib) met ainsi l’accent sur l’importance d’assurer la transition d’une partie des activités agricoles vers l’industrie. Le Celib fait la promotion auprès des industriels des implantations que la Bretagne peut offrir et incite les communes à améliorer leurs conditions d’accueil : infrastructures, formations, incitations fiscales et financières.

C’est dans ce cadre que Citroën implante en 1953 un premier site de production dans la zone industrielle de la route de Lorient, la Barre Thomas. En 1960, l’acquisition de 150 hectares à Chartres-de-Bretagne permet ensuite à Citroën de construire de nouveaux ateliers et bureaux, et d’y installer la totalité de ses moyens de production. Le pôle industriel de la Janais, qui réunit non seulement Citroën mais aussi nombre de sous-traitants, est né. Les usines de la Janais et de la Barre Thomas comptent 14 000 salariés dans les années 1970.

En parallèle, le développement universitaire local entraîne l’essor de l’industrie électronique. La société SGS Fairchild, spécialisée dans la fabrication de transistors et de circuits intégrés, implante sa première usine française au Blosne, la ZUP du sud de Rennes, en 1966. D’autres entreprises évoluant dans le secteur de l’électronique suivent ses traces, notamment après qu’une équipe d’ingénieurs rennais a mis au point le Minitel.

Dans les années 2000, le site de la Janais, occupé par le groupe PSA-Citroën (fusion de Peugeot SA et de Citroën), s’essouffle : la suppression de certaines lignes de production entraîne le départ volontaire de 1 800 salariés. Ils sont 8 600 salariés en 2008 et 4 639 en 2015. Au Blosne, la dynamique est similaire : STMicroelectronics (fusion entre l’entreprise SGS et Thomson) licencie 429 salariés en 2004. En 2016, 120 salariés travaillent sur ce site.

Aujourd’hui, les principales industries rennaises se situent dans les secteurs de l’automobile, de l’imprimerie-reproduction, de l’agroalimentaire, de l’énergie et de la mécanique (CCI Ille-et-Vilaine, 2023). En 2021, au sein de la zone d’emploi de Rennes1, 2,8 % des établissements sont dans les secteurs de l’industrie2 et 10,2 % des entreprises de Rennes Métropole3 sont des entreprises artisanales (7 453 établissements), évoluant majoritairement dans le secteur du bâtiment (CMA, 2022). Les principales activités du secteur de la production sont la fabrication d’articles divers, le textile et l’habillement, ainsi que le bois et l’ameublement.

Bordeaux : ville portuaire, agglomération industrielle

Le développement économique et industriel de Bordeaux repose historiquement sur son port. Le commerce triangulaire puis la colonisation ont profité au développement d’activités portuaires. Cela a conduit à l’aménagement du port de Bordeaux avec la création de quais verticaux en 1926, la construction du chenal et d’un avant-port sur la Garonne puis, plus tard, l’élaboration de hangars modernes et de quais adaptés aux transports transatlantiques. Après la Première Guerre mondiale, les secteurs de la métallurgie, de l’industrie chimique et de l’agroalimentaire profitent de ces installations et dominent alors l’industrie bordelaise. Après la Seconde Guerre mondiale, pendant laquelle le port de Bordeaux devient un port militaire stratégique pour les Allemands, de nouveaux sites voient le jour, à l’instar du terminal conteneurs de Verdon sur les rives de Bassens. À partir des années 1950, certaines activités portuaires comme les chantiers navals sont touchées par une diminution d’activité. Actuellement, seule subsiste une entreprise spécialisée dans la création et la construction de voiliers de plaisance ; et les perspectives du port autonome, même en matière de logistique, ne sont pas optimistes.

Dans le secteur de l’agroalimentaire, les activités relatives à la production viticole (embouteillage, étiquetage, transport…), à la distillerie et à la production de liqueurs sont importantes et encore présentes aujourd’hui, avec l’entreprise Bardinet à Blanquefort ou Lucien Bernard à Ambès, par exemple. Les rives de Bassens sont également marquées par les Grands Moulins, « moulins les plus modernes d’Europe », rachetés par Bouygues en 1989. Ce secteur est aussi caractérisé par une diminution d’activité et des transformations. La raffinerie de sucre Saint-Rémi située à Bacalan, et rachetée par Beghin Say en 1967, a définitivement fermé ses portes en 1984. Parmi la trentaine de sècheries présentes sur le territoire bordelais en 1907, seule l’entreprise Sar’Océan (ex-établissements Boyer), située à Bègles, est encore présente aujourd’hui (Clouet, 2021). Elle emploie une cinquantaine de salariés.

Le secteur de la chimie s’est d’abord développé de manière connexe aux chantiers navals, car la résine de pin était utilisée pour le calfatage des bateaux. L’industrie des résines a ensuite subi un fort déclin en raison du développement de l’industrie pétrochimique, qui a amené des procédés à base de plastique. L’industrie Saint-Gobain, qui produit des engrais, s’implante au début du xxe siècle à Brazza. Plusieurs usines Saint-Gobain sont encore présentes actuellement, principalement à Mérignac.

Enfin, impossible d’évoquer le développement industriel de Bordeaux sans parler de l’industrie aéronautique. Le premier hangar de production d’avions est construit à Bègles en 1924 par la société Blériot-SPAD. Après que l’usine a été nationalisée pour créer un groupement d’usines de production aéronautique, d’autres usines sous-traitantes s’implantent à proximité. C’est le cas de l’Atelier industriel aéronautique (AIA), implanté à Floirac, qui supervise la maintenance des moteurs d’avion. Plus tard, une nouvelle usine destinée à la fabrication de fuselages et de certains modèles d’avion est créée à Talence, à l’instigation de Marcel Bloch (Marcel Dassault). Le développement de l’entreprise Dassault contribue ensuite à l’extension d’un complexe aérospatial, à proximité de l’aéroport de Bordeaux-Mérignac et sur plusieurs communes. L’installation de l’usine Ford à Blanquefort en 1973 ne s’est pas accompagnée d’un développement de l’industrie automobile. Fermée en 2019, puis démantelée, ce site doit accueillir en 2024 une usine de piles à hydrogène de forte puissance.

Aujourd’hui, le paysage industriel de l’agglomération bordelaise se caractérise par la prédominance de trois principaux secteurs : l’aéronautique, l’aérospatial et la défense ; l’agroalimentaire (viticulture-viniculture) ; la filière bois et nouvelles énergies. En 2021, au sein de la zone d’emploi de Bordeaux comprenant 164 communes, dont la ville de Bordeaux, 5,4 % des établissements sont dans le secteur de l’industrie4. L’artisanat (alimentation, bâtiment, fabrication, services) représente 16 321 établissements, parmi lesquels 42 % évoluent dans le domaine du bâtiment (CMA, 2017).

Ces dernières années, des tendances similaires

Pour observer et qualifier l’évolution de la localisation des activités productives à Rennes et à Bordeaux, nous la décomposons en jalons de cinq ans entre 1995 et 2019. Pour notre analyse, nous nous sommes appuyés sur une définition des activités productives élaborée par Alphaville et Le Sens de la Ville à partir des codes NAF (voir figure 1.1). Le premier niveau d’activités productives désigne strictement les activités manufacturières. Les codes NAF 10 à 32 retenus désignent la transformation de l’ensemble des produits manufacturés mais excluent le secteur primaire d’extraction des ressources brutes, qui fait souvent l’objet d’infrastructures très spécifiques et se situe rarement en milieu métropolitain. Nous avons fait le choix d’y ajouter la réparation d’équipements professionnels et de biens personnels, considérant que ces services contribuent au cycle de vie des produits manufacturés, même si certains ont parfois un positionnement sur des commerces.

Figure 1.1 – Les activités productives retenues pour effectuer notre analyse quantitative

 

Le deuxième niveau implique aussi les activités nécessaires au fonctionnement de la production. Elles incluent l’ensemble du transport de fret, d’entreposage et du commerce de gros, qui constituent différentes étapes de déplacement et de stockage des produits manufacturés une fois fabriqués5.

Deux situations initiales très différentes

Les entreprises sont représentées sur l’ensemble de l’aire d’attraction 2020 de chaque ville6. Celle-ci n’a donc aucune existence statistique sur la période 1995-1999 mais elle sert à circonscrire les entreprises étudiées dans un périmètre de communes constant. La comparaison des deux agglomérations entre 1995 et 1999 montre que l’activité productive est loin d’occuper l’ensemble de l’aire d’attraction 2020. On observe deux situations initiales très différentes, liées au passé industriel de chaque ville. À Bordeaux, les emplois sont répartis entre trois polarités : les rives de la Garonne, qui abritent de nombreuses petites activités, l’aéroport de Mérignac et ses alentours, et la rive droite historiquement industrielle de Bordeaux. Ces deux dernières polarités accueillent des acteurs de poids représentant plusieurs milliers d’emplois tels que Thalès, Sanofi et Dassault. À Rennes, on constate une concentration de l’emploi productif à la Janais, au sud-ouest, du fait de l’implantation d’un acteur dominant, PSA, et de ses sous-traitants, et de la présence plus dispersée de l’industrie agroalimentaire.

Comment lire les cartes ?

Les entreprises productives sont géolocalisées et forment un « semis » de points. La taille des points est proportionnelle à l’effectif, plus précisément, à la valeur moyenne de la tranche d’effectif indiquée dans le fichier Sirene. Par exemple, des entreprises dont la tranche d’effectif est de 1 000 à 2 000 salariés se voient attribuer un poids de 1 500. Pour analyser ces semis de points, nous avons utilisé la centrographie, une méthode d’analyse spatiale qui permet de visualiser par un indicateur d’étalement les changements survenant
dans le temps et dans l’espace de la population d’entreprise (Dablanc et Andriankaja, 2010). Nous avons retenu une méthode dans laquelle il y a 64 % de chances qu’une entreprise de la distribution se situe à l’intérieur de l’ellipse (voir annexe II).

Figure 1.2 – Dynamiques de localisation des activités productives dans l’aire d’attraction de Bordeaux sur la période 1995-1999

Source : données Sirene (Insee), traitement par A. Blein.

Figure 1.3 – Dynamiques de localisation des activités productives dans l’aire d’attraction de Rennes sur la période 1995-1999

Source : données Sirene (Insee), traitement par A. Blein.

La densification commune autour des grands axes

De 1995 à 2019, dans l’ensemble, la localisation des entreprises à Rennes comme à Bordeaux suit la même dynamique. Certaines activités consommatrices d’espaces situées en cœur de métropole y demeurent, mais des établissements importants s’implantent également à 20 ou 30 kilomètres du centre au gré des opportunités foncières.

À Rennes (figures 1.3 et 1.5), certaines entreprises initialement présentes dans le centre et le sud-ouest se positionnent le long des routes nationales radiales s’éloignant de la ville. Le développement se fait par grappes, notamment dans les zones d’activités économiques (ZAE) communales hors métropole, et traduit l’existence d’une ceinture verte rennaise (voir encadré) de la ville archipel, organisation urbaine caractérisée par une métropole et des noyaux périphériques, par opposition au continuum de développement urbain bordelais. Le poids de la Janais s’allège, et des polarités mineures se créent autour de la transformation agroalimentaire ou de ses sous-traitants dans des villes éloignées comme Melesse, Liffré, et entre Noyal-sur-Vilaine et Châteaubourg à l’est (à équidistance du pôle de Vitré).

À Bordeaux (figures 1.2 et 1.4), on observe un poids décroissant de Mérignac au bénéfice d’une densification de l’occupation sur la grande couronne sud-ouest de la métropole, qui correspond notamment à la présence de grandes zones d’activités. L’activité productive se diffuse aussi vers des polarités secondaires dans l’aire d’attraction, comme Landiras (Grand Chais de France) ou le bassin d’Arcachon. D’autres se maintiennent cependant au centre, à proximité de la Garonne, comme le groupe Beneteau, constructeur de bateaux de plaisance ; le fabricant de batteries électriques Saft ; l’huilier Lesieur ; des fabricants de matières premières pour le BTP, Lafarge et Unibéton, et de caoutchouc, Simorep ; des groupes de spiritueux, Pernod Ricard et Marie Brizard, et aussi des établissements publics de transport et logistique comme SNCF Réseau ou Grand Port maritime de Bordeaux.

Figure 1.4 – Dynamiques de localisation des activités productives dans l’aire d’attraction de Bordeaux sur la période 2015-2019

Source : données Sirene (Insee), traitement par A. Blein.

Figure 1.5 – Dynamiques de localisation des activités productives dans l’aire d’attraction de Rennes sur la période 2015-2019

Source : données Sirene (Insee), traitement par A. Blein.

Figure 1.6 – Dynamiques de localisation des activités productives à Bordeaux Métropole sur la période 2015-2019

Source : données Sirene (Insee), traitement par A. Blein.

Figure 1.7 – Dynamiques de localisation des activités productives à Rennes Métropole sur la période 2015-2019

Source : données Sirene (Insee), traitement par A. Blein.

À Rennes, une forte maîtrise de l’urbanisation par les collectivités locales

Le « modèle rennais » est une formule utilisée par nombre d’auteurs pour définir ce qui se met en place dès les années 1960, à savoir la capacité de Rennes à « orienter l’urbanisation au plan local, en particulier sur le plan social » et parfois même à anticiper, à devancer les décisions nationales (Pasquier et Tellier, 2020). Rennes, qui bénéficie particulièrement de la politique nationale d’aménagement du territoire (décentralisation des activités industrielles par exemple), connaît depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale un fort développement économique, universitaire, et une croissance de sa population. Quand le district urbain est créé en 1970, la place qu’occupe Rennes est forte et centrale. La structure intercommunale est mise en œuvre pour coordonner l’urbanisation rennaise, alors que des zones pavillonnaires se développent.

Après deux décennies de croissance, les socialistes à la tête de la mairie depuis 1977 veulent équilibrer le développement de la ville et de l’agglomération. La stratégie urbaine de l’intercommunalité rennaise, dont les compétences se renforcent (économie, habitat, environnement) est alors caractérisée par une forte intervention foncière, par le caractère social des constructions et par la création d’une ceinture verte pour maîtriser l’urbanisation en dehors de la ville-centre et autonomiser les communes aux alentours. Les décennies suivantes s’inscrivent dans la continuité de cette forte maîtrise publique du développement urbain, avec toujours un engagement structurant en matière d’habitat et de logement – social notamment –, et un soutien conséquent aux actions culturelles. Les compétences de la structure intercommunale se renforcent dans les années 1990 (organisation des transports publics, avec le projet d’une ligne de métro), puis de nouveau dans les années 2000 (équipements culturels et sportifs et collecte des déchets ménagers, par exemple). Le concept de « ville archipel », qui s’est d’abord traduit par la mise en place de la ceinture verte, est formalisé dans le schéma de cohérence territoriale (SCoT) au début des années 2000 (Chapuis, 2013).

Une dispersion des activités productives

Sur les cartes précédentes sont tracées des ellipses contenant à chaque fois 64 % des emplois productifs, et dont la forme synthétise la distribution spatiale des entreprises7. Plus l’ellipse est déformée, plus elle témoigne de lignes de force (radiales, notamment) qui pèsent sur la localisation des entreprises.

Dans les deux villes, en superposant les cartes des périodes 1995-1999 et 2015-2019, on observe un agrandissement important de la taille de l’ellipse. Cela confirme la dispersion des activités productives des centres-villes, les emplois se situant en moyenne de plus en plus loin du centre historique de l’aire d’attractivité (l’hôtel de ville de la ville-centre est généralement assez proche du centre de gravité de l’aire d’attraction).

Cet effet est plus marqué à Rennes qu’à Bordeaux, du fait du poids initial de PSA qui employait 10 000 salariés à la Janais. Le déclin ultérieur de ce site, très proche du centre historique, a induit une forte dispersion des activités productives à l’échelle de l’aire d’attraction. Cet éloignement est amplifié par l’emplacement de la ceinture verte à Rennes, qui crée un vide de quelques kilomètres, alors que l’urbanisation et l’implantation de l’activité économique se font de façon plus continue à Bordeaux.

L’éloignement des emplois productifs du centre – en pratique, la dimension de l’ellipse – est aujourd’hui assez similaire entre Bordeaux et Rennes, avec une légère déformation sur un axe nord-est/sud-ouest à Bordeaux et nord-ouest/sud-est à Rennes. Néanmoins, la densité en établissements par unité de surface est environ quatre fois plus élevée à Bordeaux.

Initialement, le centre de gravité des emplois était plutôt situé à l’ouest du centre-ville (au sud-ouest pour Rennes). L’évolution dans le temps montre une dispersion mais aussi un « recentrage » de l’activité au sens où celle-ci se diffuse de façon relativement homogène dans toutes les directions.

Figure 1.8 – Comparaison des dynamiques de localisation des activités productives à Bordeaux Métropole entre les périodes 1995-1999 et
2015-2019

Source : données Sirene (Insee), traitement par A. Blein.

Figure 1.9 – Comparaison des dynamiques de localisation des activités productives à Rennes Métropole entre les périodes 1995-1999 et
2015-2019

Source : données Sirene (Insee), traitement par A. Blein.

Il ressort ainsi de cette analyse sur vingt-cinq ans que, malgré des situations initiales très différentes, malgré aussi une taille et une population métropolitaine différentes, Rennes et Bordeaux présentent aujourd’hui une répartition assez similaire des activités par rapport au centre. Cela peut être lié à l’existence de distances critiques en termes de temps de trajet et à la présence ou non d’infrastructures routières, qui limitent dans les faits la capacité à éloigner les activités des centres historiques. Les entretiens avec les commercialisateurs soulignent en effet le rôle essentiel des temps de trajet domicile-travail des salariés pour le choix de localisation des entreprises.

Figure 1.10 – Données clés sur les métropoles et les villes de Bordeaux et de Rennes

Source : RP2020, Insee.

Par ailleurs, les activités productives n’ont pas disparu des centres-villes ; elles tendent même à s’y densifier dans certains quartiers comme les bords de la Garonne. Toutefois, la croissance importante du nombre d’entreprises productives, elle-même liée à la croissance économique des villes, se traduit par un mouvement de desserrement relatif, du fait d’une raréfaction des fonciers économiques dans le centre, lesquels ne peuvent plus accueillir les nouvelles arrivantes ni soutenir l’agrandissement des entreprises. L’analyse de quelques parcours d’entreprise a ainsi confirmé que certaines d’entre elles gardent une antenne dans des quartiers ou des communes du centre, tandis que l’essentiel de l’activité est déployé ailleurs dans l’aire urbaine (voire dans une autre région).

Bordeaux, le choix de la métropolisation

Lorsque Alain Juppé prend la tête de la Communauté urbaine de Bordeaux (CUB) en
2014, celle-ci devient Bordeaux Métropole. Elle étend la palette de ses compétences, par le biais de la mutualisation entre communes, et accroît sa capacité financière. L’objectif d’un million d’habitants pour 2030 est scandé par A. Juppé en 2017 ; et le domaine du développement économique ne cesse d’être investi. En témoignent les opérations d’intérêt métropolitain (OIM, territoires prioritaires de développement économique) ou l’objectif ambitieux énoncé en 2017 de création de 100 000 emplois d’ici 2030. Le secteur tertiaire est particulièrement soutenu, notamment les entreprises du numérique et les industries créatives ciblées par le label French Tech, obtenu par la métropole.

Depuis l’élection en 2020 de Pierre Hurmic (Europe Écologie Les Verts) à la mairie de Bordeaux, la course au développement économique est moins privilégiée. Reste qu’aujourd’hui, Bordeaux connaît un processus de métropolisation sans précédent (Pinson et Luce, 2023) : explosion démographique, diversification des mobilités, interdépendance avec des territoires de plus en plus éloignés du centre, part grandissante des emplois liés aux « fonctions métropolitaines » (conception-recherche, prestations intellectuelles, commerce interentreprises, gestion, culture et loisirs), au détriment des emplois manufacturiers et de la construction, donc d’une partie des activités productives.

  • 1. La zone d’emploi de Rennes comprend Rennes et 159 communes environnantes. Elle reflète la zone géographique dans laquelle les actifs résident et travaillent.
  • 2. Derrière les catégories « construction » (4,5 %), « administration publique, enseignement, santé, action sociale » (12,7 %) et « commerce, transports, services divers » (79,9 %), selon l’Insee.
  • 3. Rennes Métropole est constituée, à sa création en 2014, de 43 communes réunies jusqu’alors dans la communauté d’agglomération. Des compétences déjà exercées par Rennes Métropole se trouvent renforcées (zones d’activités par exemple) et de nouvelles compétences sont acquises, notamment dans le domaine du développement économique, à l’instar du copilotage avec la région des pôles de compétitivité.
  • 4. Derrière les catégories « administration publique, enseignement, santé, action sociale » (11,1 %), « construction » (11,9 %) et « commerce, transport, services divers » (69,5 %), selon l’Insee.
  • 5. Un troisième niveau élargit encore le spectre, en y ajoutant des activités qui se placent en amont et en aval de la production, comme ce qui relève de la R&D par exemple, mais il n’a pas été inclus dans la définition utilisée pour l’analyse spatiale des activités productives. Il est souvent difficile à distinguer statistiquement (intégration dans les activités de l’établissement principal par exemple) et constitue moins, en première approche, une activité à risque en milieu urbain.
  • 6. L’aire d’attraction est le nouveau zonage créé en 2020 par l’Insee et est constituée d’un pôle d’emploi entouré par une couronne (anciennement aire urbaine). Il est retenu que les mobilités domicile-travail de 15 % des actifs déterminent cette polarisation. Si cette représentation est parfois critiquée comme sur-représentant l’aire d’influence de certaines métropoles, elle permet de représenter de façon suffisamment large les dynamiques d’installation des entreprises, tout en s’arrêtant aux limites des aires d’influence des villes moyennes voisines (par exemple Vitré à Rennes ou Libourne à Bordeaux), qui ont leur propre dynamique.
  • 7. La forme de l’ellipse donne un bon aperçu de la répartition des établissements par sa déformation anisotrope (qui varie selon la direction dans l’espace) par rapport à un cercle qui témoigne d’axes de concentration des entreprises, et par sa largeur et sa longueur qui soulignent l’éloignement relatif des entreprises par rapport au centre de gravité de la distribution.

Focus – Quels sont les critères d’implantation des activités productives ?

À Rennes et à Bordeaux, vingt-deux entretiens ont été menés auprès de responsables d’entreprises et d’associations évoluant dans les secteurs du réemploi et de la réparation, de la petite industrie, de l’artisanat du BTP, de l’artisanat d’art et de services8. Ces entretiens ont permis de mieux appréhender les critères d’implantation de ces entreprises, dont les besoins et les trajectoires diffèrent. Dix d’entre eux ont déménagé depuis moins d’un an à la date de l’entretien9, tandis que cinq autres sont en recherche active de locaux et quatre entreprises s’implanteront bientôt dans leurs nouveaux locaux. Enfin, trois entreprises interrogées ne souhaitent pas déménager.

Parmi ces trois dernières, l’entreprise Établissements Chadeau, spécialisée dans la découpe de bois et la vente de bûches10 aux particuliers et aux professionnels, possède des locaux à Bordeaux en parfaite adéquation avec son activité, tant dans leur agencement que dans leur localisation. Ils occupent une surface d’environ 400 m², principalement consacrée au stockage du bois et aux bureaux. La surface extérieure, plus importante, accueille les machines de découpe et de traitement du bois. Située à proximité du centre de Bordeaux et des axes routiers, l’entreprise peut facilement recevoir le bois et livrer ses clients, en ville et dans un périmètre de 40 à 50 km.

Pour les entreprises en recherche de nouveaux locaux, que ce soit à l’achat ou à la location, l’un des objectifs est de trouver une surface plus importante en raison du développement de l’activité, d’une fusion ou d’un rachat. Ce besoin concerne non seulement la surface bâtie des locaux mais aussi la taille de la parcelle, pour des places de stationnement ou des quais de déchargement. Après son rachat en 2020 de Tessa Industrie, fabricant de murs en bois, le groupe Réalités (promoteur, exploitant et constructeur) a cherché un local adapté au changement d’échelle de la structure. Il souhaitait notamment trouver un bâtiment assez long et suffisamment haut pour installer une chaîne de production industrialisée et un espace de stockage. Réalités BuildTech s’est ainsi implantée, en location, au sein de la zone industrielle de la Janais en 2021.

À l’inverse, la recherche de nouveaux locaux peut parfois être motivée par le besoin d’une surface plus petite. C’est notamment le cas du carrossier industriel Euro-Shelter à Rennes, qui occupait seulement la moitié de la surface bâtie de ses anciens locaux avant de déménager à la Janais.

C’est aussi le cas d’Elise Atlantique à Bordeaux, spécialisée dans le recyclage des déchets de bureau, qui a fait le choix de construire ses propres locaux d’une surface bien inférieure à celle des précédents, en misant sur une productivité intensifiée : « Il faut trier et sortir, trier et sortir, trier et sortir ; on ne peut plus stocker », résume Frédéric Petit, dirigeant d’Elise Atlantique.

Pour la majorité des responsables interrogés, leurs locaux sont anciens et peu adaptés à leurs activités : enrobé au sol, couloirs trop étroits, demi-cloisons, poutres et poteaux mal positionnés, etc. Pour l’entreprise Cycloboost, qui transforme des vélos classiques en vélos électriques avec ses propres batteries, l’agencement de ses locaux actuels à Lormont est problématique. D’une surface de 2 000 m2, ils sont tout en longueur, avec des espaces séparés par des demi-cloisons, générant une perte importante de surface selon le gérant. En outre, la hauteur actuelle du local, limitée à 3 ou 4 mètres, est insuffisante ; le double serait nécessaire pour maximiser le stockage. Néanmoins, les locaux neufs ne sont pas exempts de critiques : le manque de système de ventilation adapté, de lumière ou de clarté est cité à plusieurs reprises.

Les entretiens mettent également en avant l’importance des axes routiers et des transports en commun, pour faciliter à la fois le circuit logistique de l’activité et l’accès des équipes et des partenaires économiques. Là encore, le gérant de Cycloboost, dont l’accès au local est difficile, insiste sur la nécessité de trouver des locaux desservis par les transports en commun, car une partie de ses clients sont en situation de handicap (Cycloboost répare aussi les fauteuils roulants électriques). Il ne souhaite pas être implanté en centre-ville parce que les locaux n’y seraient pas adaptés et ne disposeraient pas du stationnement nécessaire à son activité : la transformation de vélos classiques en vélos électriques implique un flux régulier de camions transportant les pièces détachées. Bordeaux Métropole lui a proposé un local sur les quais de Brazza mais il a refusé car il n’y avait pas de stationnement prévu correspondant à ses besoins. La majorité des structures rencontrées prennent en compte la mobilité et le lieu d’habitation des salariés dans leur recherche de locaux. Le responsable d’Euro-Shelter s’était ainsi engagé à ne pas déménager à plus de 30 kilomètres de la localisation initiale. La prise en considération des salariés et de leurs besoins amène également les responsables de structures à faire leur choix d’implantation en fonction de la présence de commerces et de services.

Les stratégies des entreprises entrent également en ligne de compte. Celles-ci privilégient parfois un quartier ou une zone d’activités pour cibler une clientèle particulière ou être situées à proximité d’un fournisseur ou d’une seconde antenne, etc. Par exemple, l’association Espace Textile11, dont l’une des missions est de favoriser l’insertion professionnelle par la couture et la création, est localisée à Lormont, près de Bordeaux. Elle souhaite rester dans un quartier prioritaire : « Nous chercherons toujours à être en quartier prioritaire, si possible en pied d’immeuble, au plus proche des habitants, pas loin d’un tram. L’idée n’est pas d’aller installer une usine textile, ce n’est pas notre objet », explique la directrice d’Espace Textile Rive droite. Les entreprises choisissent aussi leur localisation en fonction de celle de leurs concurrents. L’entreprise Soc Hydro, spécialisée dans le domaine de la connectique et des métiers de l’hydraulique, a ainsi fait le choix de s’implanter au nord de la métropole rennaise car la concurrence était plutôt située en couronne sud. Enfin, la spécialisation de certaines zones d’activités constitue parfois un facteur d’attractivité. À Rennes, la spécialisation de la zone de la Janais sur les mobilités et les matériaux innovants a conduit Euro-Shelter et Réalités BuildTech, rebaptisé Mayers en mai 2023, à s’y implanter.

Il faut noter que le coût du foncier n’apparaît pas comme un facteur plus déterminant que les autres dans la recherche de nouveaux locaux ou le choix d’une implantation (ce qui confirme le résultat de Duarte et al., 2024), sauf pour les structures dont le modèle économique est fragile comme les artisans d’art et les structures de l’ESS. Pour ces dernières, les dispositifs permettant d’accéder à des locaux à prix modérés, au besoin par le biais de conventions d’occupation précaire, constituent un facteur décisif.

Certains acteurs interrogés, dont ceux de l’économie circulaire par exemple, sont entrés en relation avec les services des collectivités au cours de leur réflexion. D’autres s’implantent dans des locaux proposés par des promoteurs ayant bénéficié de l’aide des acteurs publics (comme Soc Hydro à Pacé ou Baselec à Eysines). D’autres encore, à l’instar des artisans rennais du Mur habité, occupent des cellules dont la gestion revient à un acteur semi-public, l’aménageur Territoires (voir encadré, focus chapitre 7). En somme, tous ont eu affaire, de près ou de loin, avec une action publique cherchant à favoriser leur maintien ou leur implantation dans le tissu urbain. C’est l’objet de la partie suivante.

  • 8. Les entreprises interrogées comprennent 3 auto-entreprises, 3 micro-entreprises ou très petites entreprises, 10 PME de moins de 20 salariés, 3 PME de plus de 20 salariés et 3 associations.
  • 9. Les entretiens ont été réalisés entre octobre 2021 et juillet 2022.
  • 10. L’entreprise vend également des poêles à bois, des bûches en bois compressé et granulés, et propose un service de ramonage.
  • 11. Espace Textile est une association de l’ESS composée de 7 salariées et de 4 auto-entrepreneuses. Elle a plusieurs missions : sortir des couturières auto-entrepreneuses de leur isolement en leur proposant un local commun pour travailler, dispenser des cours de couture gratuitement, proposer une mercerie solidaire et une mercerie mobile, favoriser l’insertion professionnelle. Vingt personnes participent en permanence au volet « insertion » de l’association à travers l’action « En découdre avec l’emploi », qui permet à des personnes de travailler à la production textile tout en bénéficiant d’un accompagnement social « pour aller plus loin vers l’emploi ».
Chapitre 2

Une action publique en faveur de la ville productive sans véritable feuille de route

À Rennes comme à Bordeaux, la localisation des activités productives s’est invitée dans les débats au cours des années 2010. Des actions en faveur des activités productives sont mises en œuvre dans les deux territoires, de façon plus marquée à Rennes. Aujourd’hui pourtant, il n’existe pas de politique publique formalisée en faveur des activités productives, sauf pour celles qui relèvent de l’économie circulaire.

Une problématique récente

À Bordeaux, la prise de conscience des problèmes liés à la localisation de certaines activités fait suite à la mise en évidence d’un décalage entre, d’un côté, le discours des commercialisateurs ne trouvant pas preneurs et, de l’autre, celui des artisans ne trouvant pas de locaux correspondant à leurs besoins. Cette prise de conscience a déclenché différentes actions, fondées sur une appréhension variable des « activités productives »12 (voir figure 2.1).

Figure 2.1 – Évolution de la définition des activités dites productives à Bordeaux

En 2014 d’abord, la délibération cadre intitulée « Stratégie d’accueil des PMI PME industrielles et artisanales – Volet foncier » entérine un principe de décote foncière à destination d’activités artisanales, industrielles ou de logistique urbaine. À partir de 2016 ensuite, des études sont lancées par une diversité d’acteurs : les chambres de métiers et de l’artisanat de Gironde et de Bretagne, l’agence d’urbanisme a’urba à travers son atlas des ZAE, le Cerema13… Ces différentes études visent à faire un état des lieux de l’existant et à comprendre les problématiques de localisation des entreprises, notamment des artisans. Puis, en 2018, la session 15 du concours d’idées d’architecture et d’urbanisme Europan amène à questionner l’avenir du site de Floirac (Plaine Sud-Garonne) au prisme de sa contribution à la ville productive. Des groupes de travail et de réflexion sont alors créés, ainsi qu’un réseau d’acteurs sensibilisés et impliqués (appel à manifestation d’intérêt ou AMI, immobilier d’entreprise…), raconte Anne Lambourg-Camelato, alors chargée de mission développement économique territorial à Bordeaux Métropole.

Mais ces actions restent avant tout portées par les techniciens des services de Bordeaux Métropole. Le portage politique reste faible, ou réduit à la part restreinte des activités ne relevant ni du commerce ni du tertiaire et fragilisées par la pression foncière : ESS, économie de proximité ou activités industrielles de pointe à forte valeur ajoutée. Cela s’illustre par la faible formalisation des actions portées par les techniciens, de leurs objectifs ou des activités ciblées dans des documents stratégiques. Le schéma métropolitain d’accueil économique (SMAE) de 2021, qui devait permettre de travailler à la programmation à court, moyen et long terme de l’immobilier productif, n’a pas été voté. La nouvelle feuille de route économique, datant de 2023, ne contient aucune fiche ciblant les activités productives, industrielles ou artisanales ne relevant pas de l’économie circulaire ou de l’économie de proximité, secteurs sur lesquels les enjeux politiques se concentrent exclusivement.

À Rennes, l’appréhension de la localisation des activités ne relevant ni du commerce ni du tertiaire est légèrement plus tardive. Elle trouve son origine dans le constat, entre 2015 et 2016, d’une mutation spontanée du tissu de certaines zones d’activités14 et d’une moindre qualité de certaines autres, peu à peu délaissées. Cette prise de conscience s’est directement opérée au niveau des élus, avec des prises de position tranchées sur certains projets d’aménagement. Par exemple, Emmanuel Couet, alors président de Rennes Métropole, a décidé d’enterrer un projet de construction de logements route de Lorient, pour y maintenir les activités industrielles, et de ne pas enclencher la mutation de cette zone pourtant idéalement située à proximité de la Vilaine et du centre-ville.

En parallèle, des études ont été lancées par l’agence d’urbanisme Audiar afin de réaliser un diagnostic des zones d’activités et des possibilités de densification d’une vingtaine d’entre elles. Les objectifs de zéro artificialisation nette (ZAN)15 ont accéléré les réflexions sur les moyens de préserver le foncier industriel, alors que les possibilités d’extension et d’aménagement se restreignent.

Par ailleurs, un autre événement, local cette fois, a replacé le sujet des implantations industrielles au premier plan : la libération de foncier par Stellantis, ex-PSA16, sur la zone d’activités de la Janais. La collectivité a décidé d’intervenir et de cibler, pour ce foncier, des domaines d’activité privilégiés (industrie 4.0 et mobilités durables). Les enjeux politiques que sont la mixité fonctionnelle et l’emploi dans les quartiers prioritaires (projet de cité artisanale au Blosne, actions mises en œuvre à Maurepas) ont aussi émergé des entretiens comme des éléments importants de ces réflexions sur la localisation des activités.

Enfin, comme à Bordeaux, c’est le secteur de l’économie circulaire qui bénéficie le plus de la formalisation d’objectifs. L’ambition de la métropole rennaise est de disposer d’une stratégie ciblant explicitement les activités de ce secteur. Au-delà de ces activités, la réflexion sur la localisation des activités productives se formalise notamment dans l’actualisation en cours du schéma d’aménagement économique (SAE), qui fixe les modalités d’intervention en matière de développement des activités, par exemple le maintien de la vocation industrielle des parcelles concernées.

Une action publique ancienne en faveur de l’ESS et de l’économie circulaire

Sur les deux territoires, rennais et bordelais, les acteurs de l’ESS et de l’économie circulaire (qui se recoupent pour partie17) bénéficient de politiques publiques formalisées. L’existence de ces politiques publiques, parfois anciennes, s’explique par la place que prennent l’ESS et l’économie circulaire dans l’action publique locale et nationale.

Tout d’abord, dans les deux territoires, l’action publique en faveur de l’ESS s’est développée en lien avec la politique pour l’emploi. Par exemple, à Rennes, il existe une implantation ancienne (datant des années 1990) des acteurs de l’ESS et du réemploi, comme le réseau Envie ou Emmaüs, qui ont été aidés par les pouvoirs publics au titre du soutien à l’insertion par l’emploi.

Ensuite, les évolutions réglementaires apportées par la loi Hamon de 2014 et la loi portant sur la nouvelle organisation territoriale de la République (NOTRe) de 2015 ont donné à l’économie sociale et solidaire une place plus importante dans le développement régional, imposant notamment la définition d’une stratégie de l’ESS à l’échelle régionale. La loi Hamon de 2014 met également en place les chambres régionales de l’ESS qui en soutiennent le développement. Ainsi, la présence de l’ESS sur les deux territoires étudiés est particulièrement marquée et s’observe à différents niveaux : élus et vice-présidents dédiés à l’ESS, formalisation de feuilles de route, appels à projets ciblés, dispositifs d’aide et d’appui orientés, création d’une foncière publique ESS à Bordeaux, etc.

Identifier les activités productives, objet de l’action publique

Les entretiens que nous avons menés ainsi que les documents encadrant les actions
mises en œuvre par les acteurs publics mettent en avant un ensemble de « filtres » pour identifier les activités sur lesquelles faire porter leurs actions. Un premier critère est le type d’activités : à Rennes, il s’agit plutôt des activités de production industrielle et une partie de la logistique (reconditionnement et préparation de commandes, en plus du stockage et du transport). Mais ce critère peut être utilisé de manière différente selon les acteurs au sein d’un même territoire. Par exemple, à Bordeaux, la société publique locale (SPL) La Fab* cible plusieurs types d’activités destinataires de l’AMI « AIRE » (voir chapitre 8) tandis que l’établissement public d’aménagement Bordeaux Euratlantique est plus restrictif dans son AMI « Ville productive ».
Un deuxième critère porte sur les locaux utilisés : locaux d’artisans, locaux d’activités ou entrepôts. Un troisième critère tient à la capacité des activités à supporter la pression foncière. Un quatrième est l’incompatibilité des activités avec d’autres fonctions urbaines, comme les activités dont les nuisances sont avérées (stockage, commerce de gros, métallurgie, réparation automobile, cimenterie…). À Rennes, elles font d’ailleurs l’objet d’un zonage spécifique (voir chapitre 3). À l’inverse, la compatibilité avec d’autres fonctions urbaines est également un critère. Il peut s’agir là des activités à faibles nuisances, liées à un marché de proximité (électricité, plomberie, etc.). Enfin, un sixième critère est celui des codes NAF ou des destinations du PLU, mais les codes NAF sont trop éloignés des activités réelles et les destinations du PLU trop rigides.

Ces critères sont utilisés de façon variable selon les actions qui sont menées, leur phasage, les modes d’action et les acteurs impliqués. Pour des études, les codes NAF ou les locaux d’activités peuvent être privilégiés. Dans le cas de Bordeaux, l’agence d’urbanisme Bordeaux Aquitaine met à jour son atlas des ZAE à partir des informations transmises par les commercialisateurs sur le bâti. Nous supposons que ces critères sont utilisés d’autant plus précisément que l’effort financier public est important. En revanche, pour rendre une consultation attractive pour les promoteurs, la définition peut être élargie. Le critère déterminant peut aussi évoluer en fonction de la phase du projet d’aménagement : plus on arrive dans le processus opérationnel et plus l’entrée immobilière est privilégiée.

* La Fabrique de Bordeaux Métropole (La Fab), société publique locale, a été créée en 2012 à l’initiative de Bordeaux Métropole. Cette dernière lui a notamment confié un marché de prestations et d’études pour la mise en œuvre opérationnelle du programme « Entreprendre, travailler dans la métropole », qui vise à produire une offre foncière et immobilière à vocation économique, diversifiée et bien répartie sur le territoire.

De son côté, l’économie circulaire, avec les différents champs d’action qui la composent, est aujourd’hui au cœur des politiques environnementales portées par les métropoles, notamment les métropoles de Bordeaux et de Rennes qui ont vu les écologistes arriver à leur tête. Les évolutions réglementaires récentes, comme la loi AGEC (loi anti-gaspillage pour une économie circulaire), favorisent le développement d’activités de réemploi, de réparation, de lutte contre le gaspillage, notamment alimentaire, et de fabrication alimentaire locale. Les territoires se sont saisis de ces injonctions, d’abord en matière de déchets dont la gestion relève de leurs compétences. À ce titre, ils portent des politiques en faveur de la prévention des déchets, du développement du réemploi, du recyclage.

Ces actions s’inscrivent dans des documents de planification réglementaire, comme le Programme local de prévention et de gestion des déchets ménagers et assimilés (PLPDMA), dans des réponses à un appel à projets comme « Territoires zéro déchet, zéro gaspillage », dont Rennes Métropole et Bordeaux Métropole ont été lauréats, ou encore dans la définition de stratégie (Plan stratégique déchets adopté par Rennes Métropole en avril 2022 par exemple). Ces documents accompagnent le développement de filières de réemploi, l’ouverture de ressourceries, etc. Le Plan stratégique déchets de Rennes Métropole envisage ainsi un soutien aux entreprises de la réparation ou la mise en place d’une plateforme logistique permettant de connecter les déchetteries à des acteurs territoriaux du réemploi, de la réutilisation ou du recyclage. Plus globalement, les territoires de Rennes Métropole et de Bordeaux Métropole travaillent actuellement à l’élaboration de leur stratégie « Économie circulaire », avec l’objectif de dépasser le seul secteur du déchet.

Cette attention portée par les pouvoirs publics se traduit notamment par le déploiement d’une diversité d’aides favorisant l’implantation de ces activités : loyer modéré à travers des locations sous occupation temporaire, subvention au titre d’une politique publique déchets ou insertion au titre du bénévolat, appel à projets, foncière (voir partie II). « En les mettant bout à bout, [ces aides] peuvent représenter plusieurs équivalents temps plein. […] Mais ça se travaille, c’est de la dentelle », souligne la chargée de mission économie circulaire à Rennes Métropole. Partie II Les leviers d’action publique Les leviers opérationnels mobilisables par les collectivités pour maintenir les activités dites productives en ville peuvent être catégorisés, selon leur méthode et leur objectif, en six familles : l’action réglementaire, l’action foncière, l’optimisation spatiale, l’occupation temporaire, l’offre de parc public ou semi-public et enfin la mobilisation d’acteurs privés. En interrogeant une quinzaine de collectivités françaises sur cette catégorisation, nous avons pu non seulement en valider la pertinence mais aussi identifier les leviers qui étaient principalement activés dans les faits. L’optimisation spatiale, l’utilisation des documents réglementaires et la disposition d’un parc public ou semi-public se distinguent comme les trois leviers activés par la majorité des collectivités.

  • 12. Il n’existe pas de définition stabilisée et partagée des activités dites productives. Ainsi les résultats du questionnaire que nous avons envoyé à 15 collectivités font état de définitions hétérogènes. Six d’entre elles, dont Bordeaux, ont formalisé la définition des activités productives dans des documents, comme l’illustre la figure 2.1.
  • 13. Voir les études du Cerema (2018) et des chambres des métiers et de l’artisanat de Gironde (2017) et de Bretagne (2021).
  • 14. Par exemple, dans la ZA Nord et sur un linéaire de 300 mètres, une dizaine d’opérations de logements ont été lancées sur d’anciennes emprises occupées par des activités.
  • 15. La loi Climat et résilience impose la réduction de 50 % du rythme de consommation de l’espace en 2031 et l’absence de toute artificialisation nette des sols en 2050. L’artificialisation nette désigne un solde entre les sols artificialisés et les sols renaturés sur un périmètre et une période donnés.
  • 16. Stellantis est un groupe automobile multinational franco-italo-américain fondé le 16 janvier 2021 résultant de la fusion des groupes PSA Peugeot-Citroën et Fiat Chrysler Automobiles.
  • 17. On reconnaît souvent une certaine imbrication entre les activités de l’ESS et de l’économie circulaire. Ainsi, durant notre enquête, nous avons observé que les activités d’économie circulaire récemment ou anciennement implantées dans les centres urbains sont souvent portées par des structures de l’ESS. Defalvard et Deniard (2016) montrent que l’économie circulaire nécessite de revoir les relations entre acteurs, les manières d’échanger, d’interagir, de s’inscrire dans le territoire. Or, les organisations de l’ESS, fortement implantées dans les territoires et caractérisées par une gouvernance spécifique, sont souvent des lieux propices au développement d’activités de réemploi, de réparation… Cette imbrication est, par exemple, confortée par la loi AGEC qui énonce dans son article 57 que les collectivités locales ont « l’obligation de permettre aux personnes morales relevant de l’ESS qui en font la demande d’utiliser les déchetteries comme lieux de récupération ponctuelle et de retraitement d’objets en bon état ou réparables ».

PARTIE II – LES LEVIERS D’ACTION PUBLIQUE

Les leviers opérationnels mobilisables par les collectivités pour maintenir les activités dites productives en ville peuvent être catégorisés, selon leur méthode et leur objectif, en six familles : l’action réglementaire, l’action foncière, l’optimisation spatiale, l’occupation temporaire, l’offre de parc public ou semi-public et enfin la mobilisation d’acteurs privés. En interrogeant une quinzaine de collectivités françaises sur cette catégorisation, nous avons pu non seulement en valider la pertinence mais aussi identifier les leviers qui étaient principalement activés dans les faits. L’optimisation spatiale, l’utilisation des documents réglementaires et la disposition d’un parc public ou semi-public se distinguent comme les trois leviers activés par la majorité des collectivités.

Chapitre 3

Les instruments réglementaires pour gérer la concurrence entre les différentes activités

Les activités productives sont soumises à la concurrence des autres activités en matière de foncier : une opération de logements, de commerces ou de bureaux est en effet plus rentable pour un propriétaire qu’une opération d’immobilier productif. Autrement formulé, la valeur des terrains est fonction de la programmation qui y est autorisée. À Rennes, la concurrence est avérée avec le commerce dans la zone industrielle (ZI) de la route de Lorient, ou avec des programmes de logements aux abords de la zone d’activités (ZA) Nord, qui prennent la place d’anciennes activités productives. Cette concurrence peut cependant être limitée à l’aide des documents réglementaires de l’urbanisme, et en particulier le zonage ou les orientations d’aménagement et de programmation (OAP) des plans locaux d’urbanisme (PLU).

Le zonage

À Bordeaux comme à Rennes, des zonages spécifiques ont été introduits dans les PLU et les PLU intercommunaux (PLUi) pour limiter, voire interdire les destinations concurrentes aux activités industrielles ou artisanales.

La comparaison entre Rennes et Bordeaux fait ressortir des modalités différentes d’écriture des règlements. Les zonages apparaissent plus diversifiés et plus fins à Rennes qu’à Bordeaux, où aucun zonage ne limite vraiment la possibilité de faire des bureaux. La possibilité de jouer sur les zonages est renforcée depuis la réforme des destinations de construction de 201618, qui permet désormais de différencier cinq destinations et vingt sous-destinations, contre neuf destinations auparavant. Le PLUi de Rennes, établi après la réforme, en tient compte, alors que le PLU de Bordeaux ne l’a pas encore intégré. Dans le PLUi de Rennes, il existe ainsi depuis 2019 un zonage spécifique aux activités industrielles et artisanales (UI1), avec une multitude de sous-zonages (UI1a jusqu’à UI1j), plus ou moins restrictifs quant à la possibilité d’implanter d’autres types de locaux. Les règles de ces sous-zonages résultent de discussions et de négociations entre Rennes Métropole et les maires des communes lors de l’élaboration du PLUi. Cette multiplicité permet in fine la création d’un zonage quasiment à la carte pour chaque zone d’activités, mais elle ne simplifie pas toujours l’instruction ni l’appropriation par les porteurs de projets.

À Bordeaux, les zonages concernant les activités productives font partie de la catégorie des zones US (urbaines spécifiques) : US3 (industries et plateformes logistiques), US4 (artisanat et industries légères), US5 (zone économique généraliste), US8 (artisanat et industrie légère sans commerces), US9 (zone économique généraliste sans commerces). Ils sont a priori moins restrictifs qu’à Rennes, et sont favorables à une mixité de fonctions économiques. Certains zonages limitent le commerce mais aucun n’exclut totalement le tertiaire, plafonné dans le meilleur des cas à 50 %. Résultat : les parcelles évoluent spontanément vers les destinations les plus lucratives, notamment le tertiaire et le commerce, comme à Mérignac. En zones US9, où le bureau n’est pas plafonné, les activités industrielles et artisanales disparaissent lentement mais sûrement. Certaines zones ont en conséquence été passées de US9 à US8 pour limiter la part de tertiaire dans les opérations neuves.

Autoriser d’autres destinations dans un zonage peut toutefois permettre, paradoxalement, de maintenir des activités productives. C’est ce qui est théoriquement attendu du zonage US8 à Bordeaux, avec la possibilité de construire des bureaux en étage pour conserver un socle d’activités en rez-de-chaussée, et donc de développer des programmes mixtes où s’opère une péréquation financière qui en assure la rentabilité. En pratique, des opérations de ce type sont rares.

Figure 3.1 – Analyse comparée des zones US8 et US9 du PLU de
Bordeaux Métropole

Source : Alphaville et Le Sens de la Ville (2021).

Plus généralement, si le zonage et les règlements associés constituent effectivement des outils coercitifs, ils présentent néanmoins des limites (voir encadré page suivante). Par exemple, des orientations quantitatives, avec quotas chiffrés de surfaces attendues par destination, ont été mises en place à Bordeaux dans certaines zones, à travers des OAP. Au sein du PLU, les OAP présentent les ambitions et la stratégie d’une collectivité territoriales en termes d’aménagement, sur des thèmes particuliers ou sur des secteurs spécifiques19. Mais les quotas inscrits au sein des OAP ne fonctionnent pas bien dans la pratique. Le suivi global de ces quotas lors de l’instruction des permis de construire s’avère trop complexe. Ils ont donc été abandonnés par Bordeaux Métropole. Le service chargé de l’urbanisme réglementaire met notamment en avant les difficultés au moment de l’instruction des permis de construire. Dans la mesure où les pourcentages s’appliquent à des périmètres plus vastes que la seule opération faisant l’objet du permis, il faudrait agréger l’ensemble des permis de construire du secteur pour mesurer le pourcentage global et déduire le pourcentage de surface de plancher dédié à l’artisanat qui est imputable au permis de construire en question. Brazza (voir encadré, chapitre 5), dont le périmètre est sur un zonage UP (portuaire), en donne un exemple. Le règlement de ce zonage oblige par exemple à maintenir le pourcentage de surface de plancher destiné à l’activité artisanale entre 3 et 20 % (cette part variant selon les secteurs de développement économique de la zone). Mais ces règles, trop précises et peu souples, s’avèrent particulièrement difficiles à appliquer alors que le projet Brazza ne cesse de son côté d’évoluer. La métropole de Bordeaux envisage donc de supprimer ces pourcentages du règlement pour les inscrire plutôt dans l’orientation d’aménagement et de programmation Brazza. Moins coercitive, l’OAP constitue, selon le service chargé de l’urbanisme réglementaire, un outil de négociation avec les promoteurs.

Le règlement de zonage : une contrainte pour les élus et des difficultés de mise en œuvre lors de l’instruction des permis de construire

Le PLU est d’abord présenté par les élus communaux comme une contrainte trop forte pesant sur le développement de leur ville, selon une analyse comparée des zones US8 et US9 de Bordeaux Métropole par Alphaville et Le Sens de la Ville en 2021. Ils sont réticents aux zonages trop restrictifs, de crainte de passer à côté d’opportunités d’implantation intéressantes.

La réforme de 2016 permet en principe de dépasser cette crainte, en ciblant spécifiquement les sous-destinations souhaitées ou évitées pour chaque secteur de développement économique. Mais cela induit alors une autre crainte, celle des recours : les services ont en effet toujours peur que les changements de zonage soient attaqués par des propriétaires de terrains.

On observe ensuite des marges d’interprétation des documents, au moment de l’instruction des permis de construire, quant aux activités acceptables ou non. Un certain flou demeure par exemple en ce qui concerne les locaux dits accessoires. Un local accessoire renvoie à des surfaces indispensables au fonctionnement des activités occupant la construction principale : il est alors réputé avoir la même destination et sous-destination que celle-ci. Ainsi une part mineure de bureaux peut être considérée comme local accessoire d’un entrepôt pour assurer sa bonne gestion et donc avoir la sous-destination d’entrepôt. Mais le code de l’urbanisme reste silencieux sur les seuils jusqu’auxquels un local peut être considéré comme accessoire d’un bâtiment principal.

Il est théoriquement possible de définir des règles de surfaces de plancher spécifiques, à partir desquelles un local est considéré comme accessoire (exemple du zonage US8 à Bordeaux), mais cela complique le processus d’instruction. À Rennes, les personnes interrogées témoignent d’une difficulté à contrôler les activités accessoires qui n’apparaissent pas explicitement dans les destinations du PLU ; cela crée des incertitudes pour les services instructeurs quant à leur décision de délivrer ou non un permis de construire. Une jurisprudence croissante existe et permet de guider le travail des services instructeurs, mais d’autres facteurs entrent en ligne de compte, par exemple l’émergence de nouvelles activités au sein de l’économie circulaire, qui rendent ce travail complexe : on y observe fréquemment une hybridité accrue des fonctions, mêlant surfaces de vente accueillant du public (type showroom), surfaces de tri et de production, surfaces d’entreposage, ainsi que des bureaux pour la gestion de l’activité, sans qu’une seule de ces activités ne soit clairement dominante.

Les OAP, un levier stratégique mais peu contraignant

En ce qui concerne les activités productives, les OAP peuvent parfois contribuer à freiner les velléités des opérateurs de déposer des permis de construire sur des programmes immobiliers plus lucratifs que les activités productives. Les collectivités peuvent s’appuyer sur les OAP dans les négociations avec les opérateurs, ce qui renforce leur positionnement stratégique.

L’efficacité des OAP de ce point de vue doit cependant être nuancée. À Rennes, les acteurs considèrent que l’OAP de la Janais apporte peu par rapport au règlement de zonage. Les services techniques s’accordent en effet à dire que les OAP sont peu utilisables dans l’instruction ou en cas de litige, car les autorisations d’urbanisme ne sont en réalité soumises qu’à un rapport de compatibilité avec les OAP. Elles permettent cependant d’annoncer une stratégie et un projet sur ce territoire, hautement symbolique pour l’agglomération en matière économique, alors même que toutes les variables de sa transformation ne sont pas complètement définies.

Le même dilemme s’exprime à Bordeaux. Concernant la zone de Brazza, l’OAP sert de base aux négociations, ne serait-ce que pour donner un cap et une légitimité aux techniciens de Bordeaux Métropole, ce qui facilite le pilotage du projet. La collectivité se sert ainsi de l’OAP comme un outil stratégique et opérationnel. On observe cependant, de manière générale, un arrêt de la production des OAP sur la métropole, parce qu’elles sont considérées comme insuffisamment efficaces par rapport au règlement.

Le diffus, angle mort réglementaire

À Rennes comme à Bordeaux, des activités productives sont aussi présentes dans le « diffus », c’est-à-dire en dehors des zones d’activités économiques dédiées, et mêlées à d’autres types de bâtiments (logements, commerces, etc.). Elles sont alors situées au sein d’autres types de zonages des PLU (zones urbaines mixtes, pavillonnaires, commerciales, etc.). Les outils réglementaires sont alors insuffisants pour les protéger de la concurrence des autres usages. Il existe bien la possibilité dans le règlement des PLU de protéger des « linéaires commerciaux et artisanaux », mais cela ne concerne que les rez-de-chaussée des immeubles situés en zone urbaine mixte : cet outil ne permet donc pas de protéger l’ensemble des activités économiques présentes en diffus, notamment dans les secteurs pavillonnaires. Il n’est pas non plus possible de définir des plans de zonage parcelle par parcelle pour préserver des activités productives qui sont souvent éparpillées de manière très aléatoire dans ces tissus urbains : cela pourrait être considéré comme une inégalité de traitement entre les propriétaires d’une même zone. Ces limites sont mises en avant par la chambre de métiers et de l’artisanat (CMA) de Gironde, qui alerte sur la disparition des garages automobiles, autrefois nombreux parmi les échoppes bordelaises des zones mixtes, et remplacés aujourd’hui par des logements neufs.

À Bordeaux, les activités productives présentes dans les tissus urbains diffus sont bien identifiées par les services techniques. Une boîte à outils réglementaires est ainsi en cours d’élaboration par la métropole pour tenter de les protéger et trouver des solutions à l’impossibilité de définir des zonages à la parcelle. La CMA porte également un discours sur la nécessité d’instaurer des servitudes de mixité fonctionnelle dans certains secteurs. À Rennes en revanche, on trouve moins d’entreprises productives dans le diffus qu’à Bordeaux. Cela est probablement lié à l’urbanisation historiquement très planifiée de la ville, en extension sur du foncier complètement maîtrisé par la collectivité, dans une perspective de séparation stricte des fonctions dans l’espace urbain : dans les nouveaux quartiers produits depuis l’après-guerre, les activités économiques ont été systématiquement exclues des secteurs d’habitat et regroupées dans les zones d’activités dédiées. Quelques PME sont néanmoins présentes en diffus : plus organisées, elles reçoivent davantage l’attention des services de la collectivité que les petits artisans indépendants.

  • 18. Avant le décret n° 2015-1783 du 28 décembre 2015 et l’arrêté du 10 novembre 2016, les types de destinations indiqués dans les PLU étaient limités à 9 (habitation, hébergement hôtelier, bureaux, commerce, artisanat, industrie, exploitation agricole ou forestière, entrepôt, constructions et installations nécessaires aux services publics et d’intérêt collectif). La réforme permet désormais des règles différenciées entre 5 destinations et 20 sous-destinations.
  • 19. La réforme de 2016 offre la possibilité d’instaurer des OAP spécifiques à des secteurs d’aménagement (des zones délimitées sur un territoire donné) qui peuvent alors se substituer, dans certaines conditions, au règlement.
Chapitre 4

L’action foncière : maîtriser les terrains pour en contrôler l’usage

La pression foncière que connaissent les métropoles de Rennes et de Bordeaux se traduit par une hausse de la valeur des terrains et des locaux d’activités, peu compatible avec le maintien et la réimplantation d’activités productives en ville. Cette pression a été constatée dès 2014 par la Communauté urbaine de Bordeaux : « Les terrains en zonage UE (zonage à vocation économique) du PLU situés sur les franges de la rocade se monnaient entre 80 et 150 € HT/m2 de terrain, alors que les entreprises industrielles ou artisanales ne peuvent dans la grande majorité des cas supporter une charge foncière supérieure à 40 ou 50 € HT/m2 de terrain »20.

Afin de corriger cet effet du marché, les métropoles de Rennes et de Bordeaux déploient une politique foncière visant l’activité économique. Sans que cette politique foncière ne soit similaire d’une collectivité à l’autre, trois principaux leviers sont identifiés. Le premier est la constitution de réserves foncières à vocation économique ; le deuxième tient aux conditions (et notamment aux conditions de prix) de mise à disposition de ce foncier ; le troisième, de nature différente, concerne la politique de préemption de la collectivité pour limiter la hausse des valeurs.

Constituer des réserves foncières pour l’activité économique : le modèle de la ZAE

La constitution de réserves foncières (c’est-à-dire des tènements maîtrisés par les collectivités) destinées aux activités économiques correspond aux modèles des zones d’activités économiques (ZAE), des zones artisanales (ZA) et des zones industrielles (ZI). Nées dès les années 1970, ces zones se déploient en périphérie des centres urbains, la plupart du temps sur des fonciers agricoles ou naturels. Pour constituer des réserves foncières destinées à accueillir des activités économiques, les métropoles de Rennes et de Bordeaux déploient des stratégies distinctes : très centralisée à Rennes, elle paraît à la fois diffuse et ciblée dans le cas de Bordeaux.

La métropole de Rennes hérite, dès sa création en 2014, de réserves foncières d’envergure, constituées par les maires de Rennes dès les années 1950. Si l’objectif premier poursuivi par les édiles de l’époque est bien la construction de logements, cette spécificité rennaise se traduit jusqu’à aujourd’hui par un important patrimoine foncier communautaire, associé à une forte culture interne de la maîtrise foncière. Le schéma d’aménagement économique de la métropole rennaise, adopté en 2018, prévoit ainsi le développement (par extension ou création) de neuf ZAE à court terme. La mise en œuvre de cette politique d’accueil des activités économiques suppose l’acquisition ou le portage foncier de plus de 200 hectares.

La métropole de Bordeaux, qui n’hérite pas d’importantes réserves foncières, met en œuvre deux stratégies d’action foncière en faveur de l’activité économique. Elles sont prises en charge par deux entités distinctes : les services fonciers métropolitains, historiquement structurés à Bordeaux et, plus récemment, l’établissement public foncier (EPF) de Nouvelle-Aquitaine, lequel intervient selon une feuille de route plus explicite. Cette situation résulte de l’absence jusqu’en 2016 d’un EPF en Gironde21, ce qui a obligé les services fonciers de la métropole à se doter d’outils spécifiques.

Les services fonciers de la métropole de Bordeaux disposent d’un budget dédié à l’acquisition opportuniste de fonciers économiques identifiés comme stratégiques. Ce type d’acquisition intervient lorsqu’une déclaration d’intention d’aliéner (DIA) est déposée par un propriétaire désirant vendre un bâti localisé dans une zone de préemption et que la collectivité utilise son droit de préemption. Ce budget, doté initialement de 20 millions d’euros selon le plan pluriannuel d’investissement de la métropole pour la période 2015-2020, a été porté à 40 millions d’euros dans le PPI 2021-2026. Malgré ce doublement, ce budget paraît encore très modeste à la plupart des acteurs rencontrés face à l’ensemble des besoins d’intervention sur le territoire métropolitain.

L’EPF de Nouvelle-Aquitaine intervient sur la métropole de Bordeaux via une convention stratégique « chapeau » et des conventions opérationnelles qui traduisent des politiques foncières proactives sur des périmètres resserrés, comme celui de l’opération d’intérêt métropolitain (OIM) Aéroparc. Ces conventions portent leurs fruits : en 2018, environ 75 hectares ont été acquis par l’EPF et environ 50 hectares supplémentaires font encore l’objet d’échanges avec divers propriétaires. À terme, entre 350 et 400 hectares de terrain devraient être sous maitrise foncière publique (la collectivité étant par ailleurs déjà propriétaire de 250 hectares).

Les logiques d’évitement et de compensation menacent le modèle de la ZAE

La politique d’accueil des activités économiques dans des zones d’activités nouvellement créées ou étendues, sur des terrains en périphérie acquis par les collectivités, s’essouffle aujourd’hui.

L’artificialisation des terres agricoles, naturelles ou forestières, au bénéfice de l’activité productive se heurte à la nouvelle stratégie publique « éviter, réduire, compenser » (ERC). En pratique, cette nouvelle « doctrine » conduit soit à la non-obtention, voire au retrait des permis de construire ou d’aménager, soit à une compensation environnementale qui fragilise l’équation économique de l’aménagement. À titre d’exemple, à Bordeaux, l’opération des Cinq Chemins dans l’OIM Aéroparc, qui se déploie sur 14,5 ha, nécessite l’acquisition de 10,5 ha au titre de la compensation. Aux coûts d’acquisition doit être ajouté le coût de la gestion de ces sites de compensation, qui se fait sur trente ans.

L’artificialisation au profit d’une ZAE est également contestée par les riverains et les élus locaux. À Rennes, la ZAE de Cesson-Sévigné, projet de 35 ha identifié dans le schéma d’aménagement économique de 2018, fait l’objet d’un avis défavorable du commissaire enquêteur après enquête publique, du fait de l’opposition de la part de la commune concernée ainsi que d’un collectif d’habitants hostiles au projet.

Face à cet enjeu, l’OIM Aéroparc, via l’EPF de Nouvelle-Aquitaine et la SPL d’aménagement bordelaise La Fab, constitue désormais des réserves foncières dites dormantes, destinées à de la compensation. Il ne s’agit donc plus d’acheter pour urbaniser mais d’acheter pour compenser.

Vendre le foncier communautaire à prix décoté

Dès 2014, la Communauté urbaine de Bordeaux met en avant le décalage entre le prix observé des fonciers et les moyens limités des publics cibles. En réponse à ce hiatus, une délibération cadre est votée en 2014. Intitulée « Stratégie d’accueil des PMI PME industrielles et artisanales – Volet foncier », elle entérine un principe de décote foncière qui consiste à céder le foncier communautaire à vocation économique en stock à un prix inférieur à la valeur domaniale, « dès lors qu’il s’agit d’une part d’activités artisanales, industrielles ou de messagerie porteuses de création d’emplois et que d’autre part, l’évaluation domaniale est manifestement inaccessible pour ce type d’activité ».

Ce dispositif est appliqué dès 2014, dans le cadre d’une consultation « opérateurs » pour le développement de 20 000 m2 de locaux d’activité, sur deux lots de la zone d’aménagement concerté (ZAC) des Quais à Floirac (voir figure 4.1). Les opérateurs désignés, Redman et Financière Duval, s’engagent alors sur une maîtrise de la valeur vénale et locative des locaux bâtis (800 €/m² à la vente pour Duval, 65 €/m² à 80 €/m² à la location de locaux d’activités pour Redman). Pour permettre ces prix de sortie, la métropole accepte de céder les terrains entre 25 et 27,17 €/m2, alors qu’ils sont estimés à 80 €/m2 par les Domaines22.

Nous ne disposons pas d’autre exemple de décote foncière au titre de la délibération cadre de 2014. En revanche, les acteurs bordelais, notamment la SPL d’aménagement La Fab, emploient une méthode de fixation du prix de vente du terrain par compte à rebours, en partant d’un prix cible affiché par la CMA de Gironde, pour les projets nés de l’AMI AIRE (aménager, innover, redessiner, entreprendre) (voir chapitre 8). Cette méthode se traduit bel et bien par une offre immobilière se rapprochant davantage des moyens des activités productives. En témoignent les activités hébergées dans les projets Ecchobloc et Espace Garonne, au sein de la ZAC des Quais. Toutefois, concernant ces deux projets, Bordeaux Métropole n’a désormais aucun droit de regard ni de contrôle sur les entreprises hébergées. La plus-value à la revente des locaux sera intégralement captée par les primo-acquéreurs.

Face à ce problème, la métropole de Bordeaux et La Fab mettent en œuvre différents leviers de contrôle des activités.

Figure 4.1 – Tableau comparatif des projets Ecchobloc et Espace Garonne développés dans le cadre de la ZAC des Quais à Floirac

Note : Ces prix de vente et de location ont été fixés par les délibérations n° 2014/0424 et n° 2014/0427 du conseil métropolitain ad hoc en juillet 2014, qui entérinent la vente du terrain appartenant à la métropole. Au total, les projets Espace Garonne et Ecchobloc représentent environ 20 000 m2 de locaux d’activité.

Source : Le Sens de la Ville (2021).

Ceux-ci prennent la forme, d’une part, de clauses anti-spéculatives et de clauses d’affectation, dans le cas des terrains cédés par La Fab (parc d’activités des Cinq Chemins, AMI AIRE). Ces clauses, issues des politiques de logements abordables déployées par Bordeaux Métropole, permettent de garder un contrôle sur l’activité hébergée et le prix de revente. Elles présentent néanmoins quelques limites : une durée maximale de dix ans, plusieurs dérogations possibles, et la nécessité d’un contrôle et d’un suivi importants sur la durée. D’autre part, la métropole peut intervenir à travers une structure de portage. Elle est en effet actionnaire de la foncière parapublique inCité, investisseur dans le projet de parc d’activités des Cinq Chemins au Haillan, mené par le promoteur Essor et sous pilotage de La Fab. C’est donc via cette structure de portage immobilier que la métropole, en tant qu’actionnaire, peut conserver le contrôle des activités.

Utiliser la dissociation foncière

La dissociation foncière est un montage qui permet de distinguer le foncier et le bâti. En pratique, la collectivité, ou un office foncier solidaire, reste propriétaire du foncier et le met à disposition sur une longue durée contre redevance. Ce montage peut se traduire dans différents types de baux, dont les baux emphytéotiques, les baux à construction et les baux réels solidaires d’activité. Il permet une maîtrise de l’usage via des clauses du bail qui lie le propriétaire du foncier au bénéficiaire du bail, et il est par nature anti-spéculatif puisque c’est la collectivité qui reste propriétaire du foncier. Il permet également de diminuer de façon significative le poids du foncier dans le prix final du local mis à disposition, et s’avère être alors un outil de maîtrise du prix de sortie aussi – voire plus – efficace que la décote foncière.

Les métropoles de Rennes et de Bordeaux testent aujourd’hui ce montage à travers des opérations pilotes. À Bordeaux, c’est au sein de l’OIM Aéroparc, à Saint-Médard-en-Jalles, que la dissociation est testée sur un foncier d’une superficie de 9 500 m2. Le type de bail envisagé est un bail à construction23 d’une durée maximale de cinquante ans. Une consultation en deux phases a été organisée et témoigne de la pertinence du modèle puisque la métropole a reçu, dès la première phase, neuf candidatures. Ce bail à construction s’accompagnerait d’une convention de suivi de commercialisation à long terme.

À Rennes, une étude est en cours pour évaluer les conditions de mise en œuvre d’une dissociation sur trois sites. Un prospect est en outre intéressé par ce montage dans une ZAE proche de Rennes, sous réserve que la durée du bail soit assez longue (autour de 40 ans pour que les banques acceptent de financer le projet porté par le bénéficiaire du bail).

Les deux métropoles sont donc en train de se constituer une expertise interne, juridique et économique, sur le montage en dissociation foncière.

La dissociation foncière en dehors de l’action publique

À Berlin, en Allemagne, l’exemple du site de l’entreprise Rotaprint montre qu’une dissociation foncière est possible en dehors de l’action publique. Cette entreprise d’imprimerie, qui n’a malheureusement pas pris le tournant du numérique, a fermé ses portes en 1989 en laissant le site vacant. Le Land de Berlin l’a racheté et en a loué une partie à des artistes, avant de le céder plus tard en raison d’une grave crise économique. Une association d’artistes et d’artisans militant contre la spéculation foncière (le site a failli être acheté par un investisseur) a alors mis en place un montage économique spécifique. Deux fondations ont acheté le foncier et l’entreprise ExRotaprint créée par l’association a acheté le bâti. Le terrain est maintenant loué à ExRotaprint dans le cadre d’un bail emphytéotique de 99 ans, qui peut être rompu par les fondations si les actions menées s’écartent du projet initial. Les occupants doivent être des structures artisanales (entreprises de menuiserie, d’électricité…), artistiques ou sociales. L’entreprise ExRotaprint assure la gestion, l’entretien du bâtiment et porte le projet du lieu sans bénéficier de soutien public pour son fonctionnement. Les loyers se placent en dessous du prix du marché mais financent les travaux de rénovation du bâtiment, qui sont réalisés progressivement et pour lesquels l’entreprise bénéficie de subventions.

(Voir chapitre 9 pour en savoir plus sur la ville productive à Berlin.)

Intervenir pour contenir la hausse des valeurs

L’action foncière des métropoles consiste également à intervenir pour contenir la hausse des valeurs, via la négociation amiable et, si besoin, en préemptant avec révision de prix pour contenir les prix de référence. C’est d’ailleurs l’un des objectifs de la convention cadre qui lie depuis 2019 la métropole de Bordeaux et l’EPF de Nouvelle-Aquitaine : intervenir là où « la spéculation pourrait fragiliser l’économie d’un projet ou alimenter l’inflation des prix ». La métropole de Bordeaux utilise alors l’expression de « régulation foncière ».

L’outil privilégié est la préemption, présentée comme un levier de négociation avec les propriétaires qui auraient tendance à pousser les valeurs de cession à la hausse, voire comme une menace ou un moyen de « casser les ventes ». En cas d’échec de la négociation, et si le prix reste trop élevé par rapport aux valeurs de référence visées par la métropole, les acteurs publics (l’OIM Aéroparc par le biais de l’EPF, la SPL La Fab) utilisent la préemption avec révision de prix. Côté OIM, une véritable stratégie a été engagée depuis 2018 pour limiter l’inflation des valeurs. L’EPF intervient la plupart du temps en révision de prix et les Domaines arbitrent de plus en plus souvent sur des valeurs proches de la contre-proposition de l’OIM, alors que l’arbitrage se faisait plutôt à mi-chemin en 2018. La Fab, de son côté, indique que la révision de prix est souvent systématique lors de DIA.

Ces démarches permettent de contenir les valeurs mais ne sont envisageables que lorsqu’il n’y a pas d’urgence à engager la maîtrise foncière.

  • 20. Délibération cadre n° 21576 intitulée « Stratégie d’accueil des PMI PME industrielles et artisanales – Volet foncier », votée lors de la séance du 26 septembre 2014 par la Communauté urbaine de Bordeaux (CUB).
  • 21. L’intervention d’un EPF sur la métropole bordelaise est tardive. Elle correspond à l’élargissement du périmètre d’intervention de l’EPF autrefois de Poitou-Charentes à celui de toute la région Nouvelle-Aquitaine. Ce changement de périmètre d’intervention de l’EPF date donc de la réforme des régions en 2016.
  • 22. Les Domaines, ou plus formellement les pôles d’évaluation domaniale, sont rattachés aux directions régionales (et parfois départementales) des finances publiques et sont notamment consultés sur les conditions financières des opérations immobilières envisagées par les collectivités locales, leurs groupements, les établissements publics et les autres personnes publiques ou privées pour lesquelles la législation ou la réglementation le prévoit.
  • 23. Le bail à construction est un contrat par lequel le preneur s’engage à construire un bâtiment sur un terrain appartenant au bailleur. À l’échéance de ce bail, la construction revient contractuellement au bailleur propriétaire du terrain.
Chapitre 5

L’optimisation spatiale : de la densification à la diversification

Dans un contexte de raréfaction du foncier, accélérée par l’objectif ZAN, les collectivités ont compris qu’elles n’auront bientôt plus d’autre choix que d’optimiser les surfaces existantes pour trouver de nouvelles surfaces dédiées à l’activité économique. Cette optimisation spatiale passe par le renouvellement et la densification des ZAE et par la verticalisation immobilière (laissant ici de côté le sujet des rez-de-chaussée dits actifs, c’est-à-dire dédiés à une activité et non au logement, car ce sujet sera traité plus loin).

Les tentatives sont encore peu nombreuses et balbutiantes mais les contraintes du ZAN vont très probablement conduire à une diversification des formes de mutualisation, pour permettre des densifications à la fois horizontales (moins d’espace sous-utilisé au sol) et verticales (des activités productives s’élevant en hauteur). Cette perspective bouscule assez largement les modes opératoires maîtrisés jusque-là dans des projets urbains à dominante résidentielle. Le chemin opérationnel est moins séquentiel et davantage négocié avec l’ensemble des parties prenantes, à commencer par les entreprises implantées et les propriétaires fonciers.

L’incontournable densification des ZAE

Dans les métropoles françaises, les zones d’activités économiques ont été, durant les dernières décennies, les principaux réservoirs où puisaient les collectivités pour fabriquer de nouveaux quartiers à dominante résidentielle. Cette évidence semble relever du passé : les ZAE commencent à être perçues comme des gisements précieux pour l’activité économique elle-même.

Trois ingrédients cumulatifs sont à l’origine de ce changement de paradigme. Le premier est la prise de conscience d’un potentiel de densification important dans les ZAE. Le deuxième est la démarche séquentielle ERC – éviter, réduire, compenser – issue de la loi Climat et résilience adoptée en août 2021, qui induit qu’il faut parfois acquérir plus du double du foncier nécessaire aux nouvelles ZAE stricto sensu. Le troisième est l’objectif de zéro artificialisation nette (ZAN).

À Rennes comme à Bordeaux, la densification des ZAE devient ainsi un sujet important inscrit à l’agenda politique des collectivités. Cela se traduit notamment par une posture beaucoup plus respectueuse de l’existant et une approche par interventions ponctuelles plutôt que par transformation programmatique (transformation d’un secteur à dominante économique vers un quartier à dominante résidentielle).

L’article 68 de la loi Climat et résilience oblige les collectivités à réaliser un « diagnostic partagé » du potentiel de densification de leurs zones d’activités économiques existantes, dans un délai de trois ans à compter de la promulgation de la loi24. Ce travail d’inventaire n’a rien d’évident : aucune base de données existante, ni la base Sirene fondée sur les adresses de sièges sociaux ni la base DGFiP très partiellement renseignée, ne permet de le réaliser sans un travail minutieux de terrain, d’autant que la loi demande de qualifier et de quantifier la vacance. À Bordeaux par exemple, aucune structure, pas même l’agence d’urbanisme pourtant à l’origine d’un atlas des zones d’activités, n’avait encore été désignée pour réaliser cet inventaire au moment de nos entretiens entre septembre 2021 et juillet 2022.

Ainsi, à Rennes, lorsque l’on compare le schéma d’accueil des entreprises de 2017 avec celui en cours d’élaboration en 2022, plusieurs projets d’extension de ZAE ne sont plus d’actualité. Ce recul est en train d’accélérer une pénurie foncière pour les activités économiques. En 2022, la collectivité n’avait plus que dix-huit mois de foncier disponible pour répondre aux demandes des entreprises en ZAE (en dehors de la zone d’activités de la Janais). Dans ce contexte, la densification des ZAE est ciblée dans le nouveau SAE comme une action incontournable.

À Bordeaux, le décompte en cours des terres encore artificialisables d’ici 2030, dans le respect du ZAN, aboutirait a priori à 400 hectares seulement, cette surface comptabilisant tous types de projets (infrastructurels, résidentiels, d’activités économiques). Là encore, la densification des ZAE pour satisfaire les besoins de développement économique n’est plus une option.

L’identification de gisements fonciers optimisables

Les agences d’urbanisme rennaise et bordelaise se sont attelées à des diagnostics de leurs ZAE. En 2012, l’a’urba (à Bordeaux) publiait, comme mentionné préalablement, un Atlas des zones économiques de la Cub (Communauté urbaine de Bordeaux), dont l’actualisation a été lancée en 2020. Les onze ZAE bordelaises sont passées au crible des entrées suivantes : occupation au sol des éléments bâtis, état de l’immobilier d’entreprise, emploi, transports en commun structurants, typologie de la vocation des zones, zonages du PLUi de Bordeaux Métropole. En page d’accueil de l’atlas (qui se présente comme une visionneuse SIG), il est précisé : « La seconde entrée, intitulée “analyse foncière”, offre une lecture de l’occupation bâtie à l’échelle des unités foncières. Elle permet ainsi de mesurer les emprises non construites. En précisant la domanialité et les contraintes ayant une incidence sur la constructibilité, il s’agit de premières indications sur le potentiel de densification des espaces monofonctionnels de la métropole. »25

À Rennes, des diagnostics ont également été réalisés par l’Audiar (2021a, 2021b) : vingt ZAE ont ainsi été étudiées, d’abord pour établir un diagnostic précis (vocation économique des unités foncières, occupation du sol, surface des unités foncières, emprises au sol, type de propriétaire, statut d’occupation, dynamiques du marché foncier, évolution du bâti), puis pour évaluer les enjeux et les potentiels théoriques d’optimisation. Cette connaissance a sans doute participé au changement de paradigme mentionné, même si ces études restent à ce stade peu opérationnelles.

À Bordeaux, des études plus opérationnelles des ZAE sont actuellement réalisées mais elles sont pilotées par des services différents (le GIP GPV Rive droite, les services du développement économique ou de l’aménagement de Bordeaux Métropole, ou encore l’OIM Aéroparc), sans coordination ni concertation. Certains membres de ces services en sont conscients et ont commencé à imaginer la constitution d’un « groupe de travail ZAE ».

Peu d’approches opérationnelles coordonnées

Globalement, le chantier de la densification des activités économiques reste encore assez embryonnaire. Qu’il s’agisse de densifier les ZAE ou de verticaliser ponctuellement l’activité, les expériences restent à ce stade plutôt marginales, même au-delà de nos cas de Rennes et de Bordeaux. On entend régulièrement mentionner les mêmes exemples (la Fondation pour les terrains industriels de Genève, ou FTI, notamment), illustrant le peu de profondeur du réservoir de références.

À Bordeaux, l’AMI AIRE (voir chapitre 8) fait figure d’expérimentation novatrice mais les résultats ne sont pas encore exploitables26. Les projets proposant une verticalisation de l’activité productive (Nexity et Engie avec Hoerner Ordonneau Architectures sur le site Côte de la Garonne) ou une mutualisation des espaces logistiques (Nexity avec Hoerner Ordonneau Architectures sur le site Dangeard Est) sont en suspens.

De rares tentatives d’optimisation par mutualisation

L’optimisation spatiale de l’activité économique passe concrètement par deux actions principales : réduire les surfaces au sol peu utilisées et exploiter davantage les volumes en hauteur (autrement dit « verticaliser »).

Figure 5.1 – Méthode dite de pondération mobilisée par l’Audiar pour identifier les gisements d’activités

La réduction de surfaces au sol trop peu utilisées est essentiellement le résultat d’efforts de mutualisation d’espaces alternativement vides, notamment les espaces de stationnement. Il existe quelques tentatives de mutualisation à Bordeaux et à Rennes, mais le niveau de partage n’a jamais pu aller bien au-delà de quelques voiries communes. On peut citer l’exemple partagé par La Fab du projet de construction d’un village artisanal regroupant cinq structures (brasserie, chocolatier, atelier de sérigraphie, etc.) pour une surface de près de 4 000 m2 sur la commune du Bouscat. À l’origine du projet, plusieurs espaces de partage avaient été envisagés : des showrooms, des serres, des vestiaires, une cafétéria, du stationnement. Lorsque le permis de construire a été déposé, les stationnements et les voiries étaient les seuls éléments partagés que l’équipe était parvenue à conserver. Les nécessités de gestion de chacun, la crainte des conflits d’usage ont été les principales explications à ce « rétropédalage ».

Figure 5.2 – Projet de village artisanal Godard, au Bouscat, par l’agence Compagnie architecture

Crédit : Air Studio / dessins : Magda Meziane

Crédit : Air Studio – dessins : Magda Meziane.

La verticalisation, un affichage plus qu’une solution aboutie

Verticaliser sur des socles actifs : une réponse fréquente et opportuniste

À Bordeaux, comme probablement ailleurs, les grands projets urbains prennent place sur des secteurs historiquement productifs. Et, pour attirer des activités économiques comme pour afficher un maintien des surfaces d’activités, les nouveaux bâtiments intègrent souvent un socle dit actif où sont imaginées des activités productives. Ainsi, le projet urbain ne figure pas comme un quartier résidentiel mais comme un quartier mixte d’où les emplois d’hier n’ont pas tous disparu.

C’est le cas du quartier Brazza, qui prévoit de 40 000 à 50 000 m2 dédiés à l’artisanat et aux activités productives (voir encadré ci-après). Ces surfaces sont essentiellement situées en socle de bâtiment et seront très probablement revues à la baisse. En parallèle, la CMA de Gironde souligne que nombre de demandes de locaux reste insatisfaite. En effet, le socle actif n’est pas une réponse systématiquement adaptée aux besoins des activités productives : une majorité d’entre elles ont besoin de surfaces plus horizontales, à l’abri de conflits d’usage avec les programmes résidentiels ou tertiaires.

Verticaliser l’activité productive sur elle-même, une réponse beaucoup plus rare

L’autre levier de l’optimisation spatiale est la verticalisation de l’activité productive sur elle-même. Des usines verticales ont existé à travers l’histoire, comme les usines viennoises du fabricant de chocolat et de biscuits Manner, mais elles font désormais figure d’exception.

Un cas intéressant de verticalisation est en cours de montage dans l’OIM Aéroparc de Bordeaux : il s’agit d’une opération d’activités, soumise à concours, dont le montage est celui de la dissociation foncière. Dans le cadre de ce projet monté sous forme de bail à construction (et détaillé dans le focus consacré à l’OIM Aéroparc ci-après), l’aménageur La Fab formule un certain nombre d’exigences, comme le niveau de loyer qui devra être pratiqué par l’investisseur. Cela implique un suivi rigoureux de la part de l’aménageur puis de la collectivité. Ce bail à construction (d’une durée de 50 ans) s’accompagnera ainsi d’une convention de suivi de commercialisation, ce qui permettra un contrôle par la collectivité des profils de preneurs et des loyers pratiqués. La nécessité d’une ingénierie spécifique de suivi de ces opérations se dessine, dans la mesure où elles nécessitent un montage spécifique, notamment pour faciliter l’accès aux fonciers. Notons que cet exemple exceptionnel (et encore à un stade très amont) visait plutôt un public de dirigeants de start-up, prompts à innover, ouverts à des formats de bâti alternatifs et peut-être moins contraints techniquement et économiquement que des entreprises plus traditionnelles.

Brazza : un projet laboratoire de la ville productive

Le projet de Brazza voit le jour en 2014 sous l’impulsion d’Alain Juppé, qui souhaite proposer une offre diversifiée de logements pour répondre à l’objectif de construction de 3 000 logements par an. Le maire de Bordeaux souhaite également que ce projet soit le démonstrateur de l’intégration de l’artisanat « sous toutes ses formes ». Cette volonté se traduit, dans le plan-programme de l’équipe de maîtrise d’œuvre urbaine, par 4 950 logements, dont certains, conçus en « volume capable », c’est-à-dire à terminer et à personnaliser soi-même, sont moins chers et destinés aux primo-accédants.

Les architectes-urbanistes appliquent ce même principe à l’activité économique. Ainsi, plus de 30 000 m2 de volumes capables destinés aux « activités » sont programmés : des rez-de-chaussée « à finir » avec une hauteur sous plafond de 7 mètres dédiés à l’artisanat. L’activité principale visée est la production ou la transformation, à laquelle peuvent s’ajouter des activités comme la vente ou l’exposition.

Près de dix ans plus tard, le service de développement économique de la métropole de Bordeaux estime que 21 000 m2 destinés aux artisans seront livrés dans une première phase (à l’horizon 2025), dont 18 000 m2 en rez-de-chaussée. Les locaux font en moyenne de 150 à 200 m2. Aujourd’hui, la plupart des locaux disponibles à la commercialisation trouvent rapidement preneurs, auprès d’acteurs tels que des artisans d’art, des artisans-commerçants, une entreprise de sprinklage. Il convient de noter que ces rez-de-chaussée s’adressent à des activités davantage tertiaires que ne l’étaient les activités historiques de la zone (construction, principalement navale, et commerce de gros notamment). La mixité fonctionnelle, si elle permet effectivement une péréquation économique à l’échelle immobilière, laisse certains interlocuteurs dubitatifs sur la cohabitation entre des activités productives, sources de nuisances, et les autres fonctions urbaines que sont le logement et le bureau.

Surtout, si ce projet urbain prévoit effectivement la construction de 40 000 m2 à 50 000 m2 dédiés à l’artisanat, on peut également faire le constat qu’il transforme des fonciers autrefois dédiés à l’industrie et à l’activité productive en morceaux de ville à forte dominante résidentielle. On peut ainsi faire l’hypothèse que le renouvellement urbain de ce secteur, qui accueillait en 2012 plus de 2 000 emplois, majoritairement ouvriers, s’accompagne d’une éviction des activités et des emplois productifs.

Un besoin en outils spécifiques

Même si les exemples sont rares, une prise de conscience émerge parmi les décideurs territoriaux d’un besoin en outils de projets urbains spécifiques à la transformation des zones d’activités. En effet, les enjeux financiers des interventions dans ces secteurs sont importants – du fait du poids du foncier certes, mais surtout de la valeur économique des entreprises qu’il s’agit de dédommager par le paiement d’une indemnité d’éviction ou de transfert. Ils sont tels que le mode opératoire habituel d’acquisition-transformation foncière est inenvisageable. Même à Rennes, métropole caractérisée par une forte tradition d’intervention publique, les services ont conscience que les ZAE ne peuvent pas être transformées selon les méthodes habituelles.

Rénover et densifier des espaces d’activités économiques ne peut a priori pas se faire sans argent public. Il existe deux possibilités aujourd’hui : soit la collectivité décide de prioriser l’activité économique et accepte que cela lui coûte de l’argent, soit la collectivité accepte de réduire la part d’activités économiques et de faire financer le coût de la transformation par des programmes plus lucratifs (logements, bureaux et commerces pour l’essentiel). Cette deuxième option est alors réservée aux secteurs les plus attractifs, notamment les secteurs desservis par des transports en commun structurants au sein desquels des programmes de bureaux ou de logements sont susceptibles de pouvoir être commercialisés.

Cette vision opérationnelle explique pourquoi les ZAE ont été un réservoir important de projets urbains à dominante résidentielle, puisqu’elles ne pouvaient être transformées sans gros effort financier public.

Les perspectives opérationnelles

Lors des entretiens réalisés à Rennes et à Bordeaux, nos interlocuteurs ont identifié les mêmes leviers opérationnels d’intervention susceptibles de rendre possibles les opérations de densification. Le premier, et le plus évident, est la requalification27 des ZAE et des espaces publics plus largement. Le deuxième consiste à acquérir certains fonciers stratégiques uniquement, par opposition à la maîtrise foncière totale d’un secteur, de façon à amorcer la transformation souhaitée. C’est le cas dans la ZA Nord à Rennes, avec quelques acquisitions au coup par coup sur des terrains importants. Lorsqu’il y a une acquisition, un montage en dissociation foncière peut également être imaginé. Le dernier levier consiste en un accompagnement des propriétaires fonciers pour les convaincre de transformer et de densifier leurs parcelles, ce qui est généralement réalisable quand ils y ont intérêt : quand une valorisation est possible, en cas de besoin d’extension de l’entreprise, entre autres.

Une piste mériterait d’être ajoutée à ces perspectives opérationnelles : s’adresser bien davantage à des propriétaires occupants. En effet, il apparaît de plus en plus comme une nécessité économique de dépasser le modèle classique de l’aménagement séquentiel. Produire de l’activité économique via les séquences et les acteurs habituels de la chaîne de l’immobilier (aménageur, promoteur, investisseur, occupant) ne peut se faire sans argent public, comme on vient de l’illustrer. Même avec un foncier quasi gratuit, la fabrication d’un bâtiment neuf aboutit, à l’issue de la séquence habituelle des acteurs de l’immobilier, à des valeurs locatives trop élevées par rapport aux capacités des activités productives. Cela tient au cumul des marges réalisées par l’aménageur, le promoteur et l’investisseur, ainsi qu’à l’attente par l’investisseur d’un rendement annuel dans une perspective temporelle restreinte.

A contrario, il est possible de produire de l’activité économique « pour soi-même » sans mobiliser trop d’argent public. Cela présente plusieurs avantages économiques majeurs : il n’y a ni nécessité de marge ni attente de rendement financier, et une perspective de long terme redevient possible.

C’est ce que l’on trouve majoritairement dans les grandes périphéries, via l’acquisition de lots à bâtir par des industriels pour leur compte propre. L’enjeu pour la collectivité est d’importer ce type de montage dans des secteurs plus urbains, en cherchant à l’encadrer a minima avec un cahier des charges adapté (en termes de densité, d’implantation, de nuisances générées, etc.). Rappelons ici que le facteur prix n’est que d’une importance relative dans le choix de localisation des acteurs économiques. De nombreux autres facteurs pèsent et se combinent : l’accès à un bassin d’emploi, la proximité d’un écosystème économique, la desserte en transport en commun, l’adéquation des locaux avec les besoins, etc. Dans le cas d’une acquisition, ce facteur prix est encore minoré.

Un consensus émergent en faveur d’une ingénierie d’accompagnement spécifique

Dans la perspective que nous venons de tracer, le rôle de la collectivité est d’inciter – puis d’accompagner – les propriétaires fonciers à faire muter et densifier leur patrimoine. Ces propriétaires peuvent être les entreprises occupantes ou des foncières – locales ou nationales – incarnées sous forme de SCI ad hoc. La négociation avec eux suppose d’employer plusieurs outils, les deux principaux étant, d’une part, le levier réglementaire, en étant à la fois clair sur l’évolution attendue du secteur (par exemple via une OAP) pour décourager des postures attentistes et assez prescriptif sur les programmations possibles et les règles d’implantation, et, d’autre part, l’accompagnement en ingénierie.

Pour bien comprendre ce rôle essentiel de l’accompagnement, il faut revenir aux origines du modèle de la ZAE, dont les singularités supposent des modalités d’intervention spécifiques.

Figure 5.3 – Les spécificités des projets en ZAE et des modalités d’intervention

Source : Le Sens de la Ville.

Un projet urbain en ZAE présente à la fois des coûts fonciers élevés et des recettes faibles (voir figure 5.3). Plus précisément, si les valeurs foncières à l’achat peuvent être élevées, les coûts d’une intervention foncière sont démultipliés par les frais de transfert et d’éviction des activités économiques concernées. Les valeurs foncières (ventes de terrains ou de charges foncières) sont, quant à elles, peu élevées : les activités concernées ne sont pas toujours à forte valeur ajoutée financière, ce à quoi s’ajoute le fait que la densité modérée de la ZAE dilue sa rentabilité foncière. Ces deux considérants initiaux rendent l’intervention d’un aménageur peu réaliste selon des modalités classiques d’acquisition foncière, le bilan de l’opération étant déficitaire. La collectivité doit donc chercher d’autres moyens d’intervention pour transformer ces zones d’activités.

La première étape est de bien connaître le terrain : qui possède quelle parcelle ? Qui l’occupe ? Quels sont les besoins de chacun ? Qui a investi récemment et qui a des projets d’extension ou de transformation ? Cette connaissance est un prérequis : impossible de « faire avec » les acteurs si l’on ne connaît rien d’eux. Même si la connaissance de la zone d’activités n’est souvent que partielle, c’est de là qu’il faut partir pour identifier les intérêts à agir de chacun ainsi que les possibilités de mutualisation (voies d’accès, stationnement, espaces de stockage, lieux de réunion, gestion des déchets…). La connaissance de la zone n’est cependant pas évidente, du fait, entre autres, d’une multiplicité d’acteurs économiques (propriétaires occupants pour certains, investisseurs locaux, nationaux, voire internationaux, etc.), caractérisés par des lieux de prise de décision parfois très éloignés du terrain.

La deuxième étape est la requalification. La collectivité garde ainsi la main sur les espaces publics et notamment les voiries, ce qui peut aussi créer une force d’entraînement sur les acteurs privés. Ce travail de requalification peut être fait en plusieurs temps avec, par exemple, des phases d’aménagement transitoire, pour tester la pertinence de certains trajets cyclables, l’implantation de micro-polarités autour de food trucks et de mobiliers légers…

Une fois que les intérêts à agir de chacun ont été identifiés (besoins d’extension, ventes de foncier possibles après remembrement ou après mutualisation de stationnements, etc.), la collectivité doit accompagner les parties prenantes pour que le passage à l’acte opérationnel se réalise. Demandes d’autorisation administrative, actions de remembrement foncier, portage d’un projet commun via une association foncière urbaine de projet… : autant de démarches qui ne font pas partie du cœur de métier des entreprises et des propriétaires concernés. C’est donc à la collectivité de s’outiller pour proposer un accompagnement adapté aux acteurs privés.

Enfin, du seul point de vue des acteurs privés occupants ou propriétaires, l’intérêt à agir n’est parfois pas assez fort pour susciter un passage à l’acte. La collectivité peut alors mobiliser des leviers incitatifs pour le faciliter : bonus de constructibilité à certaines conditions (végétalisation, gestion des stationnements…), intervention sur l’espace public mitoyen, etc.

À Bordeaux, cette ingénierie d’accompagnement et d’incitation est de plus en plus perçue comme nécessaire mais ses modalités n’ont pas encore été proposées. D’ailleurs, bien que plusieurs études de requalification de ZAE aient été lancées (Jean Zay, La Gardette, Bordeaux Nord, Plaine Sud-Garonne…), aucun cahier des charges n’a encore intégré spécifiquement cette ingénierie d’accompagnement ; seuls des bons de commande pour faisabilités architecturales sont pour l’instant pratiqués. Cette ingénierie pourrait se traduire par le recrutement d’un assistant à maîtrise d’ouvrage (AMO), d’une personne dédiée au sein des services ou encore par la création d’une structure externe existante comme la SPL Technowest, qui gère une pépinière et met en place des procédés d’écologie industrielle.

À Rennes, la métropole envisage la création d’un nouveau métier : le « manager de zone d’activités », qui pourrait étudier avec les propriétaires les possibilités de densifier leurs parcelles. Rennes Métropole prévoit aussi de conditionner la cession des terrains publics, lorsque le preneur est déjà propriétaire ailleurs, à un effort de densification de ses autres parcelles. Une expérimentation de ce type a déjà eu lieu avec la société Les routiers bretons lorsqu’ils se sont implantés à la Janais.

  • 24. Cette obligation ne s’applique pas à toutes les collectivités. Seules celles qui disposent de « zones d’activités économiques significatives » sont concernées ; et la loi ne prévoit pas de sanction en cas de non-respect de cette obligation.
  • 25. Cet atlas ne va pas dans le degré de précision attendu par les inventaires bientôt exigibles dans le cadre de la loi Climat et résilience et mentionnés un peu plus haut. Ceux-ci devront notamment qualifier et quantifier la vacance, donnée qui n’est pas disponible par exemple dans l’atlas des ZAE.
  • 26. Au moment de la rédaction de cet ouvrage, et à l’échelle des deux éditions de l’AMI qui portaient sur un total de 19 sites, on recense 2 projets livrés et 5 projets en cours (permis de construire délivrés, chantier en cours ou programmé). On compte 7 sites retirés de l’AMI avant la désignation du lauréat ou pour lesquels le projet proposé est finalement abandonné, et 4 projets en suspens (négociations en cours avec le propriétaire foncier).
  • 27. Les ZAE connaissent une obsolescence assez rapide du fait notamment d’un vieillissement précoce des bâtiments (de peu de qualité) mais aussi des espaces extérieurs qui, souvent, n’ont pas fait l’objet d’un traitement très qualitatif. La requalification des ZAE désigne pas seulement la mise à niveau qualitative de ces espaces. Dans certains cas, cette requalification désigne aussi le fait d’offrir des lieux et des services plus amènes pour les travailleurs de ces espaces.
Chapitre 6

Aux interstices spatiotemporels, les occupations temporaires

L’occupation temporaire ou transitoire28 est une modalité principalement activée à destination des activités productives de l’économie sociale et solidaire (ESS)29 et du petit artisanat. Les acteurs « plus classiques » du secteur productif en sont majoritairement absents.

À Rennes, l’occupation temporaire est un levier régulièrement mobilisé. La ville est en effet propriétaire d’un patrimoine immobilier important, qu’elle mobilise à destination d’associations, d’artisans et d’entrepreneurs de l’ESS. À Bordeaux, le recours à ce dispositif ne se traduit pas encore par une politique publique assumée, même si les projets se développent.

Une diversité de modes d’occupation temporaire

Les occupations temporaires sont de taille, de durée et de dimension variables : elles peuvent concerner des lieux emblématiques comme Darwin à Bordeaux ou l’Hôtel Pasteur à Rennes, des occupations temporaires de bâtiments dans l’attente de leur démolition ou de la livraison des cellules définitives, ou encore des cellules commerciales en rez-de-chaussée.

On peut citer l’exemple de l’atelier partagé d’artisans Comme un établi, installé dans la ZA Nord de Rennes. Cette coopérative d’artisans occupe, depuis 2021, une cellule commerciale appartenant à la ville de Rennes dans le cadre d’une convention d’occupation précaire signée pour une période de sept ans. Le tarif de location est celui d’une entreprise de l’ESS30 : 2 500 € HT, hors charges, par mois pour 1 110 m2 au sol soit 2,50 €/m² environ.

Le projet des Halles en commun, à Rennes (voir focus), qui prend place sur le site d’une usine de fabrication de matériel pour l’armée ayant déménagé début 2022, fait aussi l’objet depuis quelques mois d’une occupation transitoire. Ce projet accueille des activités productives de l’ESS, et notamment des activités relevant de l’économie circulaire.

Autre exemple, à Bordeaux, l’école d’Artigues-près-Bordeaux, rachetée par la métropole pour une opération de logements, fait l’objet d’une occupation temporaire pour une période de deux ans. Après un appel à manifestation d’intérêt, une dizaine de projets portés par des acteurs de l’ESS ont été retenus pour la phase temporaire.

Si, dans les cas présentés ici, les locaux appartiennent à la collectivité, ce n’est pas toujours le cas. Ainsi, à Bordeaux, la foncière parapublique inCité met en location temporaire des rez-de-chaussée pour des activités. La durée des baux varie généralement de six à vingt-quatre mois. L’identification des entrepreneurs susceptibles d’être intéressés se fait à travers le réseau de partenaires, notamment via la métropole, qui joue un rôle important dans cette mise en relation.

 

Une solution à double tranchant

 

Ce mode d’hébergement permet à des entreprises et à des structures financièrement fragiles d’accéder à des locaux, quand elles ne trouvent pas de solution pérenne sur le marché immobilier classique. Cela rend ainsi possible le lancement d’activités et la stabilisation de modèles économiques, constituant d’ailleurs souvent la première étape en sortie de structures d’incubation. Enfin, dans le cadre des occupations transitoires, il permet à des entrepreneurs de participer à la définition d’usages futurs d’un espace, de s’intégrer à un écosystème économique.

En revanche, une fois la période temporaire terminée, la relocalisation peut être particulièrement difficile à opérer, non seulement en raison de ses coûts mais également des nuisances potentielles de l’activité. Il existe bien quelques pépinières et hôtels d’entreprises, mais en nombre très restreint, et l’écart de prix entre l’occupation temporaire et les valeurs de marché est élevé. Aussi existe-t-il des entreprises qui ont des difficultés à sortir de l’occupation temporaire, et sont contraintes d’aller d’un site à l’autre.

Cet accès incertain aux locaux n’est pas sans conséquence sur la capacité des entrepreneurs à se projeter dans leur développement. Certains mettent donc en place, dès le début de l’occupation, des stratégies pour rendre possible leur pérennisation sur site. Par exemple, le responsable de l’atelier Comme un établi explique que, en plus des actions d’animation à destination des habitants du territoire, le collectif a fait le choix d’aménager le local « en dur », au prix d’investissements importants, ce qui rend à leurs yeux leur déménagement plus difficile. La ville peut toutefois leur demander de partir avant l’expiration du bail de sept ans, avec un préavis de six mois.

Bien que temporaire, l’installation dans des locaux nécessite en outre des travaux d’aménagement entraînant des coûts qui peuvent s’avérer difficiles à assumer pour une activité.

  • 28. L’occupation transitoire est un mode particulier d’occupation temporaire qui vise à établir un lien entre les usages passés, présents et futurs du lieu concerné. Dans cet ouvrage, nous parlons d’occupation temporaire, même si cela recouvre également des démarches d’urbanisme transitoire.
  • 29. Les activités productives de l’ESS relèvent en majorité du champ très large de l’économie circulaire : réemploi, recyclage, réparation, approvisionnement durable, etc. Par exemple, au sein de l’incubateur ATIS à Bordeaux, la quasi-totalité des projets incubés identifiés comme productifs relèvent de l’économie circulaire.
  • 30. La ville de Rennes a trois niveaux de tarif avant le tarif commercial classique : la gratuité, le tarif associatif et le tarif pour entreprises de l’ESS.

Focus – Les Halles en commun : un projet d’urbanisme transitoire favorisant l’implantation de l’économie circulaire

Au sud-ouest de Rennes, sur les communes de Rennes et de Saint-Jacques-de-la-Lande, se déroule depuis plus de vingt ans l’opération d’aménagement de La Courrouze. Premier projet d’aménagement porté par Rennes Métropole, lancé en 2003 et pensé par l’équipe de Paola Vigano et Bernardo Secchi, ce projet en est aujourd’hui à la moitié de sa réalisation. L’un des secteurs encore à aménager se situe sur l’emprise de l’entreprise industrielle Euro-Shelter, dont les activités ont déménagé en 2022 vers le site de la Janais, au sud de Rennes. Le départ d’Euro-Shelter laisse sur place de grandes halles en structure métallique avec des murs en briques, datant de 1916, que l’aménageur souhaite conserver. Ils constituent de rares témoins de ce type d’architecture à Rennes. Le projet qui s’y implantera, nommé « Les Halles en commun », prévoit la reconversion des trois halles industrielles après travaux de restructuration à l’intérieur, avec une programmation de 190 logements, 10 000 m2 dévolus à l’activité, dont un pôle dédié à l’entrepreneuriat collaboratif.

Une volonté de construire le lieu et ses usages futurs à travers une occupation transitoire

Pour les 10 000 m2 d’activité, une programmation tournée vers l’ESS est envisagée dès 2019. Un appel à manifestation d’intérêt (AMI) est lancé par l’aménageur Territoires en 2019, auquel répondent plusieurs acteurs. Territoires a ensuite engagé avec eux une démarche prospective, afin d’imaginer leur implantation dans des bâtiments réhabilités. Mais, à la suite du départ anticipé de l’entreprise Euro-Shelter début 2022, l’aménageur change de méthode : l’opération d’aménagement initialement prévue n’étant pas prête à démarrer, un processus d’occupation transitoire est alors initié.

Cette occupation transitoire concerne une partie du site : une halle, un entrepôt et des bâtiments préfabriqués. Elle doit permettre de tester les usages – la majeure partie des occupants pouvant à terme investir durablement le site –, de nourrir la programmation des futurs bâtiments et de participer au développement du quartier.

Pour l’aménageur, l’enjeu est de favoriser l’émergence d’un projet intégrant les besoins et les problématiques des acteurs. Pour cela, une « permanence urbaine » est mise en place, inspirée de la permanence architecturale créée par Patrick Bouchain à l’hôtel Pasteur à Rennes. Elle est fondée sur l’idée que c’est en travaillant sur place que l’on comprend mieux les problématiques et les enjeux du projet. Une ingénierie est également déployée, à travers trois groupements de prestataires en mesure d’accompagner l’aménageur sur trois études à moyen terme (de deux à quatre années), afin que le processus transitoire soit documenté, animé et ouvert sur le quartier et ses habitants.

Une orientation favorable à l’économie circulaire

La moitié des acteurs participant à la phase transitoire relèvent de l’économie circulaire, la plupart des activités étant par ailleurs considérées comme productives. Certaines d’entre elles, dont les ressourceries La Belle Déchette et l’Équipière, devraient trouver leur place dans le projet final. Parmi les structures présentes uniquement pendant la phase transitoire figure une plateforme de réemploi, Bâti Récup’, qui doit accueillir des matériaux issus de la déconstruction, destinés à être réemployés en priorité sur les constructions de La Courrouze.

Les activités de la plateforme de réemploi et de la ressourcerie La Belle Déchette nécessitent des échanges logistiques importants, car il s’agit de cohabiter avec les autres activités prévues sur le site et avec le public fréquentant les ressourceries ou venant assister aux événements programmés. Cette mixité permet à l’aménageur de tester les « frottements d’usage » dans des espaces de programmation mixte, et ainsi de réfléchir à la gestion des flux, des nuisances sonores et de la sécurité.

Un équilibre financier qui reste à trouver

La temporalité du projet est délicate à gérer, tant du point de vue de l’aménageur que des acteurs occupant le site. Les travaux seront réalisés successivement. La phase transitoire, qui ne concerne qu’une partie du site, permet le lancement des travaux ailleurs. Ce décalage permet également d’affiner la programmation finale, toujours en cours de définition au moment de l’enquête.

L’un des enjeux pour l’aménageur est d’équilibrer le bilan financier de l’opération : en plus des activités peu rentables comme celles de l’économie circulaire, il s’agit d’accueillir des activités qui auront les moyens de payer des loyers plus élevés, comme des activités tertiaires. L’équilibre de l’opération n’est pas simple. Son coût total, important, est en partie amorti car le projet est lauréat de l’AMI « Démonstrateurs de la ville durable », et va bénéficier à ce titre de 500 000 euros pour la phase de l’occupation transitoire, puis d’un montant pouvant aller jusqu’à 10 millions d’euros pour la phase de réalisation.

Les travaux nécessaires à l’occupation temporaire des espaces entraînent des coûts qui pèsent sur ces structures de l’ESS, dont les modèles économiques sont encore fragiles. Les acteurs doivent prendre à leur charge la remise aux normes électriques et l’installation onéreuse de cloisonnements coupe-feu pour répondre aux normes des établissements recevant du public (ERP). La Belle Déchette doit par exemple réaliser un emprunt bancaire de 200 000 euros sur quatre ans. Cela donne lieu à des tensions entre les acteurs et l’aménageur, qui aboutissent cependant à des formes de négociations. Par exemple, pour que le prêt bancaire soit accepté, la durée de la convention d’occupation précaire de l’association a été allongée.

Chapitre 7

Un parc public et semi-public en évolution

Quel est le besoin immobilier d’une petite entreprise du BTP, d’un petit fabricant ou d’un réparateur qui n’a que peu d’ancienneté ? Il ne peut pas encore se permettre un achat immobilier et cherche donc à louer ; et il n’a ni besoin ni les moyens d’une grande surface de travail. L’offre de petites surfaces à louer, à prix accessible avec une partie destinée à l’atelier ou au stockage, est cependant très réduite. Le marché privé s’intéresse peu à ces petites surfaces : aux yeux des investisseurs classiques, elles concernent des acteurs économiquement fragiles, subissent une rotation importante et nécessitent des frais de gestion élevés. Ainsi, les investisseurs préfèrent mettre sur le marché des locaux par blocs de 500 ou de 1 000 m2 plutôt que dix locaux de 50 m2. L’immobilier de seconde main constitue un petit réservoir pour de telles surfaces, qui se révèlent trop peu nombreuses et ne correspondent pas toujours au « standing » attendu.

C’est en grande partie pour répondre à ce décalage entre offre et demande de petites surfaces accessibles que certaines collectivités se sont dotées d’un immobilier d’entreprise semi-public, ciblant ces types de demande.

Une offre historique : pépinières et hôtels d’entreprises

De « vieux » outils de portage existent, parmi lesquels des incubateurs (intégrant plus ou moins de contributions publiques), des pépinières et des hôtels d’entreprises.

Parmi les gestionnaires-animateurs de ces immobiliers, on trouve à Bordeaux non seulement la chambre de métiers et de l’artisanat, l’agence de développement économique de la rive droite de Bordeaux Hauts de Garonne Développement, un bailleur social (Domofrance), mais aussi une structure singulière, la technopole Bordeaux Technowest31. Il n’y a pas de présentation facilement accessible de l’ensemble de cet « immobilier aidé » au sein de la métropole mais les collectivités auraient permis la création de trois pépinières et deux hôtels d’entreprises, le G2 aux Bassins à flot et l’hôtel d’entreprises Brazza. À cela s’ajoutent les immobiliers portés par d’autres acteurs partenaires, notamment par le bailleur social Domofrance, qui gère 53 000 m2 de locaux commerciaux et professionnels en Nouvelle-Aquitaine : bureaux, commerces, locaux d’activités, ateliers ou hôtels d’entreprises. La collectivité a une forme de droit de regard sur les publics hébergés par les hôtels d’entreprises du bailleur, puisque les candidats sont normalement soumis à un comité d’agrément. Dans les faits, les délais de réponse sont courts et la personne référente côté collectivité a parfois changé de poste : ces deux facteurs font que la collectivité n’exerce pas véritablement ce droit.

Rennes Métropole dispose d’un réseau de pépinières d’entreprises, à Rennes et dans l’agglomération, et de « centres d’affaires des quartiers » à destination des quartiers prioritaires. La gestion et l’animation de ce réseau ont été déléguées à Citédia, opérateur de services urbains pour Rennes et Rennes Métropole, dans le cadre de la concession de service public dédiée à l’exploitation du patrimoine immobilier métropolitain à vocation économique. Certaines pépinières sont spécialisées par exemple dans les services aux entreprises, la cybersécurité, l’économie numérique ou les biotechnologies. En 202032, ces pépinières réunissaient quatre-vingts entreprises et totalisaient une surface locative de 7 500 m2. En parallèle, quinze incubateurs gérés par des acteurs privés (association, écoles, entreprises) et des acteurs publics (université, région Bretagne, chambre régionale de l’économie sociale et solidaire) sont recensés à Rennes.

Ces immobiliers parapublics historiques présentent des écueils récurrents : la rotation des occupants n’est pas toujours assurée et ils mobilisent des fonds importants non seulement en investissement mais parfois aussi en fonctionnement.

De récents outils de portage spécifiques

À Bordeaux, d’autres outils de portage plus spécifiques et maîtrisés ont été créés récemment : l’activité de portage d’inCité et la Foncière solidaire. Bailleur social et aménageur historique de Bordeaux, spécialisé en opérations de renouvellement urbain et en centres anciens, inCité a décidé de créer il y a quelques années une activité de foncière d’activités économiques. Quant à la Foncière solidaire Nouvelle-Aquitaine, elle est encore une association de préfiguration33, créée en vue de constituer une foncière de portage d’immobilier ESS en Nouvelle-Aquitaine. Il s’agit donc d’un outil hybride, conçu à la fois pour les collectivités et des acteurs de l’ESS. L’association de préfiguration a été créée par ATIS, France Active Nouvelle-Aquitaine, la plateforme J’adopte un projet (Adefip), avec une implication financière des collectivités territoriales puisque Bordeaux Métropole et la région Nouvelle-Aquitaine assurent le financement d’une partie de l’amorçage. Trois missions ont été définies pour cette foncière : l’accompagnement et le conseil sur la mise en place d’une stratégie patrimoniale ; le portage immobilier avec des activités d’acquisition pour le compte d’acteurs de l’ESS, puis de mise en location ou de coacquisition avec eux ; et un rôle d’agence immobilière solidaire. Pour l’instant, l’objectif est de travailler avec des collectifs d’acteurs de l’ESS.

À Rennes, plusieurs actions sont mises en œuvre pour nourrir l’offre immobilière à destination de l’industrie et de l’artisanat. À la Janais, Rennes Métropole est au moment de l’enquête en cours d’acquisition d’un bâtiment pour développer un incubateur, une pépinière et un hôtel d’entreprises. Un atelier mutualisé y sera intégré. Dans le quartier prioritaire du Blosne, une cité artisanale est en cours de chantier34 pour la production de douze cellules de 100 m2 ou de six cellules de 200 m2. De la même façon, six à huit box d’environ 300 m2 sont produits pour des artisans dans le quartier prioritaire de Maurepas. Enfin, huit cellules artisanales, appelées le « Mur habité » parce qu’elles sont accolées à un mur antibruit (voir focus), ont été livrées à Cleunay. Elles sont occupées par des artisans d’art sous convention d’occupation précaire. La structure d’aménagement Territoires joue un rôle essentiel dans ces opérations, selon des modalités de montage différentes ; Territoires n’assure pas systématiquement le portage.

À Rennes comme à Bordeaux, il n’y a pas d’objectif chiffré de création de surface d’activité économique par la collectivité ou ses partenaires, comme c’est le cas en matière de logement social par exemple. Les deux métropoles se distinguent toutefois sur le caractère centralisé de ces outils de portage. À Rennes, c’est la structure Territoires (aménageur historique) qui en est le bras armé, tandis qu’à Bordeaux il existe une diversité d’outils de portage. Cette diversification semble répondre à la fois à des demandes sectorielles, avec le secteur de l’ESS pour la Foncière solidaire Nouvelle-Aquitaine et les start-up pour Technowest, et à une évolution de la vision de la métropole sur la constitution de son propre patrimoine. En revanche, elle induit un manque de lisibilité, voire de coordination, pointé dans le schéma de développement économique métropolitain adopté en séance publique le 25 novembre 2021 : « Les incubateurs, couveuses, accélérateurs et pépinières sur le territoire assurent le rôle de terreau pour la naissance et le développement des nouvelles entreprises sur le territoire. Tirées par Bordeaux Technowest, Unitec, les pépinières communales et privées, elles jouent un rôle stratégique et essentiel dans l’économie de demain, même si la coordination d’ensemble reste à parfaire. »

  • 31. Cette structure a été créée en 1989. Ses sites accueillent des porteurs de projets plutôt orientés vers les nouvelles technologies.
  • 32. Une nouvelle pépinière, spécialisée dans l’ESS, a intégré le réseau en 2021.
  • 33. Statut transitoire d’une entreprise qui a pour vocation de se transformer en société coopérative d’intérêt collectif (SCIC).
  • 34. Ses modalités de gestion étaient en cours d’arbitrage au moment de notre enquête.

Focus – Le Mur habité : des ateliers artisanaux gérés par l’aménageur

À l’ouest de Rennes, à la nouvelle station de métro Mabilais, se dresse une ancienne usine de moutarde, désaffectée depuis les années 1990 et mise à disposition d’un collectif artistique, Les Ateliers du vent, par la ville de Rennes depuis 2006. Le site est limité par la voie ferrée et protégé du bruit des trains par un mur antibruit dont la particularité est aussi d’être « habité » par des artisans. Le projet du Mur habité, lequel est occupé depuis le printemps 2020, s’est inscrit dans le cadre de la ZAC Claude Bernard – Alexandre Duval, qui comprend plusieurs opérations d’aménagement visant à remodeler ce quartier résidentiel composé de faubourgs et de friches industrielles. La programmation de la ZAC s’articule autour de logements, d’activités de services et tertiaires. La rénovation des locaux des Ateliers du vent et la construction du Mur habité constituent autant d’éléments qui confortent la dimension artistique et culturelle de ce secteur.

Réaliser les opérations « que les privés ne veulent ou ne peuvent pas faire »

Avec le Mur habité, l’ambition de Rennes Métropole et de l’aménageur Territoires est de lutter contre les nuisances sonores et de proposer à la location des cellules à destination d’artisans créateurs. Sur le plan architectural, le projet se compose d’une structure principale en bois accueillant huit cellules de 20 m2, d’un module réservé aux sanitaires et d’une structure secondaire métallique qui supporte l’écran acoustique composé de panneaux en fibrociment et de panneaux vitrés. Les ateliers sont accessibles en rez-de-chaussée par un cheminement piéton. Le Mur habité constitue aussi un espace de promenade grâce à un cheminement sur le toit-terrasse.

L’opérateur qui a remporté la consultation du lot (construction de logements et Mur habité) a refusé de réaliser le Mur habité. Il n’a donc pas acheté le foncier correspondant au projet du Mur mais a acheté plus cher le foncier du reste du lot, ce qui a permis à l’aménageur d’équilibrer le bilan de l’opération. Aucun acteur privé n’étant intéressé par ce programme, complexe sur le plan technique comme sur le plan économique35, le projet a été financé par l’opération d’aménagement tout en bénéficiant d’une subvention de 300 000 euros du programme d’investissements d’avenir (PIA) « Ville de demain » ainsi que d’une participation de la ville de Rennes. Le coût global de l’opération est de 1,2 million d’euros.

En plus d’être maître d’ouvrage, Territoires est aussi gestionnaire du Mur habité jusqu’à la clôture de la ZAC. Le chargé d’opérations déplore toutefois un manque d’outillage pour opérer cette gestion locative.

Favoriser l’implantation d’artisans créateurs au démarrage de leur activité

Déterminé en fonction du prix annuel au mètre carré en pépinière d’entreprises, le loyer s’élève à 110 euros par mois hors charges et hors taxes pour chaque cellule. Le bail est d’un an, reconductible. Les artisans ciblés par ce projet sont des créateurs ou issus du « petits artisanat » dont l’activité est en démarrage, comme l’explique le chargé d’opérations de Territoires : « Les locaux de 20 m2, cela semblait être une surface adéquate pour des artisans qui n’avaient pas forcément besoin de grosses machines. » Pour choisir les locataires, un premier appel à projets a été lancé en 2016, soit quatre ans avant la livraison, le projet ayant pris du retard. Un second appel a été lancé en 2021 après le départ de certains artisans. L’objectif de Territoires était d’attirer des artisans aux activités complémentaires ou différenciées, afin d’éviter les situations de concurrence. Les locataires devaient également être en création d’activité et générer un revenu suffisant pour payer le loyer. Le choix des artisans sélectionnés s’est fait en association avec le collectif artistique des Ateliers du vent et les artisans locataires, l’ensemble faisant l’objet d’une gouvernance qualifiée « d’informelle » par l’aménageur.

En octobre 2021, lors de notre enquête, les artisans occupant ces locaux ont des activités diverses : création d’abat-jour, de décorations en plumes, création de bijoux, graphisme, design de sacs, accessoires et petits mobiliers fabriqués à la main, couture, création de vêtements, sérigraphie et linogravure. Certains locaux sont occupés par deux artisans. Les entretiens menés avec certains d’entre eux permettent d’identifier les avantages de cette implantation tels que le loyer modéré, la proximité avec d’autres artisans créateurs ou encore la proximité avec Les Ateliers du vent, et aussi ses limites. Ainsi les artisans pointent la précarité de leur bail, le fait que ce quartier résidentiel soit peu animé en dehors de l’ouverture et des événements organisés par Les Ateliers du vent, ainsi que des inadéquations entre l’aménagement des cellules et leur activité. Ils regrettent notamment l’absence de prises triphasées, d’accès au gaz ou d’extraction d’air adéquate et un manque de lumière. Les artisans composent avec les règles d’occupation du site, en stationnant ponctuellement devant les ateliers ou en développant une activité de vente alors que cela ne leur est en principe pas autorisé.

À l’avenir, une péréquation possible

À proximité immédiate du Mur habité, un bâtiment industriel à réhabiliter, qui sera libéré en 2025, donne l’opportunité d’un prolongement. Un concours a été lancé en 2022 pour la réalisation d’ateliers d’une surface plus importante (26 m2), d’un local dédié à une résidence d’artistes et d’espaces à occupation mutualisée : restauration, salle de réunion, terrasse végétalisée, etc. Cette fois-ci, le projet sera réalisé par le promoteur Bati-Armor, la construction de logements libres sur le foncier permettant d’équilibrer l’opération.

  • 35. Sur la parcelle, les logements à construire relevaient du parc social, ce qui empêchait toute péréquation financière.
Chapitre 8

Mobiliser les acteurs privés

À Bordeaux, les appels à projets et les appels à manifestation d’intérêt appliqués à l’immobilier d’entreprise se multiplient depuis 2014.

Ces appels présentent plusieurs particularités. D’abord, ils font l’objet d’une communication rayonnante qui va jusqu’à une forme de « labellisation ». Ensuite, ils s’adressent à plusieurs acteurs privés de la chaîne de l’immobilier – promoteurs, investisseurs, maîtres d’œuvre, utilisateurs – et incitent à la constitution de groupements. En outre, ils déterminent souvent des critères de sélection ou des formats de réponse ad hoc : l’innovation programmatique et architecturale constitue souvent un critère de sélection, par exemple. Enfin, ils permettent de regrouper différents sites sous une même bannière, recherchant un effet d’entraînement.

Néanmoins, cet outil seul n’est pas suffisant : la mise en œuvre de ces AMI par la collectivité et ses partenaires suppose qu’ils maîtrisent le foncier pour fixer les règles.

Figure 8.1 – Schéma des appels à projets ou à manifestation d’intérêt déployés au sein de la métropole de Bordeaux depuis dix ans

Note : Ces appels à projets sont lancés par la métropole (et notamment les OIM Bordeaux Inno Campus et Aéroparc), par des aménageurs (La Fab, l’EPA Euratlantique) et aujourd’hui par le Port de Bordeaux. On constate une multiplication de ce levier d’action, notamment autour de 2017-2018, peu de temps après « Réinventer Paris » qui constitue l’appel à projets le plus emblématique.
Crédit : Le Sens de la Ville.

L’AMI AIRE (aménager, innover, redessiner, entreprendre)

Parmi les nombreux appels à manifestation d’intérêt lancés par la métropole de Bordeaux au sujet des activités productives, l’AMI AIRE (aménager, innover, redessiner, entreprendre) est le plus emblématique. Cet AMI, lancé en juin 2017, s’inscrit dans la lignée des appels à projets urbains innovants (APUI), en ce qu’il consiste à céder des fonciers détenus par les collectivités et autres acteurs publics à l’opérateur qui propose le projet immobilier le plus en phase avec l’objectif de la collectivité, plutôt qu’au plus offrant.Piloté par La Fab pour le compte de la métropole, cet AMI porte au départ sur huit sites, pour un total de 25 hectares de foncier économique, propriétés de Bordeaux Métropole, de communes ou de propriétaires privés (en particulier la SNCF). Il a pour objectif de produire des locaux destinés aux PME, aux PMI et aux artisans innovants à des prix abordables. En juillet 2019, la métropole lance une deuxième édition qui porte sur neuf sites.

L’AMI se structure en deux phases : la candidature puis l’offre. Concernant les critères de sélection, la métropole a modifié son approche d’une édition à l’autre. En effet, si le prix d’acquisition des emprises et les modalités de paiement constituent un critère de sélection lors de la première édition, la deuxième édition précise des valeurs « cibles » par site, calculées par La Fab par compte à rebours à partir d’hypothèses de programmation. Cette évolution permet, selon La Fab, de diminuer le poids du critère « prix » par rapport aux autres critères dans la mise en concurrence entre les candidats et leurs projets. Le règlement des AMI précise que les projets doivent être portés par des équipes qui rassemblent des acteurs « classiques » de l’immobilier (promoteurs, investisseurs, maîtrise d’œuvre, bureaux d’études, consultants) et de « nouveaux entrants » : start-up, entrepreneurs, commercialisateurs, associations. Afin de faciliter la composition de ces équipes, La Fab organise, lors de la première édition, un événement appelé « Aire Novation », au cours duquel se rencontrent les promoteurs retenus pour la deuxième phase et une cinquantaine de start-up du territoire intéressées par l’immobilier.

Les résultats de l’AMI AIRE

Les volumes d’immobilier d’entreprise produits

Au total, les projets AIRE des éditions 1 et 2, livrés ou pour lesquels le permis de construire est délivré et le chantier est en cours ou programmé, prévoient plus de 25 000 m2 de bureaux et plus de 23 000 m2 de locaux d’activités (voir figure 8.3). Les programmes « commerces/services » restent minoritaires. On constate toutefois que les volumes de locaux en suspens sont plus importants pour les activités productives qu’en ce qui concerne les programmes de bureaux, ce type de programme étant plus difficile à équilibrer que le tertiaire. Plus précisément, sur dix-neuf sites, on en recense sept qui ont été retirés de l’AMI avant la désignation du lauréat ou pour lesquels le projet proposé a finalement été abandonné, et quatre en suspens (négociations en cours avec le propriétaire foncier).

Figure 8.2 – Carte des projets lauréats des deux éditions de l’AMI AIRE

Note : Cette carte est produite à partir des informations récoltées auprès de La Fab en juin 2023 sur les deux éditions de l’AMI AIRE. Les sites se déploient principalement dans le nord de la métropole bordelaise, aussi bien sur la rive gauche que sur la rive droite. Elle complète les zones d’OIM et d’OIN de l’époque, situées plutôt au sud de l’agglomération (OIN Euratlantique, OIM Bordeaux Inno Campus [BIC], OIM Bordeaux Aéroparc).
Crédit : Le Sens de la Ville.

Figure 8.3 – Graphique des volumes en m2 par type de programme et niveau d’avancement/p>

Source : Le Sens de la Ville.

Des innovations difficiles à concrétiser

Plusieurs projets d’immobilier productif se distinguent par le caractère innovant dans leur forme architecturale, comme le projet en architecture biomimétique Silva, porté par Réalités BuildTech à Eysines. Certains intègrent une mixité fonctionnelle verticale, entre un commerce et de l’activité productive en étage (par exemple le projet Lormont Côte de la Garonne, porté par Nexity et Engie, avec des locaux d’activités en R+1). D’autres mutualisent certains espaces (on peut citer ici le projet porté par Nexity sur le site Dangeard Est, qui conçoit la mutualisation du stockage). Parmi ces trois projets, seul Silva à Eysines est réalisé pour le moment ; les deux autres sont en suspens du fait de plusieurs difficultés.

À Lormont, le terrain appartient à un propriétaire qui en attend une charge foncière supérieure à celle que peut supporter le projet proposé. Cette situation illustre combien il est parfois difficile de répercuter le coût de l’innovation architecturale sur le prix de sortie des locaux, compte tenu des moyens limités que les artisans peuvent mettre dans leur immobilier. Par exemple, le projet Silva proposait différentes pistes d’écoconception (construction en bois, matériaux de réemploi) qui ont finalement été abandonnées pour des raisons de coûts de construction.

À Dangeard, Nexity se heurte au fait que les artisans ciblés par le projet sont souvent peu enclins à mutualiser des espaces, même de stockage. Cet enseignement est également tiré par le promoteur Réalités BuildTech, dans le cas du projet Silva, qui relève que les fonctionnements propres à chaque activité sont assez peu compatibles avec la mutualisation d’espaces. En outre, les promoteurs sont souvent peu disposés à baisser les pourcentages de précommercialisation avant de lancer les travaux, alors que les artisans, les TPE et les TPI ne sont pas en mesure de se projeter à trois ans.

La recomposition de l’écosystème

Le résultat le plus concret de l’AMI AIRE à ce jour tient donc plutôt à une recomposition de l’écosystème de l’immobilier d’entreprise. Il contribue, d’une part, à faire émerger de nouveaux acteurs dans ce domaine. Par exemple, l’entreprise U’rself, initialement gestionnaire de coworking, est amenée à se positionner comme investisseur dans le cadre de son projet d’usine industrielle sur le site Dangeard Ouest. L’AMI permet, d’autre part, de former les promoteurs nationaux aux enjeux propres aux locaux d’activités. Réalités et Nexity, lauréats sur plusieurs sites des éditions 1 ou 2, témoignent de l’intérêt qu’ils ont à s’ouvrir à cet immobilier d’entreprise, auparavant réservé à certains constructeurs-lotisseurs. Ils ont d’ailleurs porté d’autres projets en immobilier productif depuis.

L’événement Aire Novation préfigure enfin des associations entre promoteurs et start-up, qui dépasseront le cadre de l’AMI AIRE, puisque certains promoteurs non lauréats répondent en équipe avec les start-up à d’autres consultations.

En conclusion, l’outil qu’est l’appel à projets ou l’appel à manifestation d’intérêt permet d’encourager de nouvelles façons de faire et de s’organiser parmi les acteurs de l’immobilier. Il se diffuse d’ailleurs à d’autres maîtres d’ouvrage, tels que le Grand Port maritime de Bordeaux.

Focus – À la Janais et à l’OIM Aéroparc, une combinaison d’outils

À Rennes comme à Bordeaux, certains projets illustrent comment les collectivités combinent plusieurs leviers à leur disposition pour conserver ou encourager l’implantation d’activités productives.

La Janais : une mobilisation pour maintenir l’emploi productif en cœur de ville

La transformation de la Janais, fleuron industriel rennais qui constitue un foncier important en cœur de métropole, a été appréhendée par les élus et par les opérationnels comme un point essentiel de la stratégie métropolitaine, mobilisant de nombreux services.

Un site hautement politique, justifiant l’intervention publique

À la suite de la fermeture de lignes de production de PSA en 2012 et de la libération de 150 hectares de foncier à la Janais, Rennes Métropole devait trouver les moyens de conserver «l’emploi industriel », selon les mots de Stéphanie Desloges, chargée de mission accompagnement des entreprises à Rennes Métropole et de « consolider la ville productive », d’après Claudia Henneberger, responsable d’opérations pour l’aménageur Territoires.

Après une baisse constante du nombre d’emplois sur le site depuis trente ans et la diminution des activités du site, Rennes Métropole a cherché un équilibre entre enjeux urbains et enjeux économiques. L’« accompagnement de l’optimisation de Stellantis [ex-PSA] » est cité parmi les objectifs de l’OAP de la Janais approuvée dans la modification n° 1 du PLUi rennais. La collectivité a en effet intérêt à faciliter l’organisation de ce donneur d’ordre industriel historique et pourvoyeur d’emplois. Comme de nombreux industriels et grands propriétaires fonciers publics, PSA puis Stellantis convertit son capital industriel en capital immobilier, désormais valorisable du fait du rattrapage de la périphérie par la ville. Plusieurs interventions publiques ont été menées pour maîtriser le devenir du site, avec la volonté de le réindustrialiser, de le densifier et de le rendre « pluri-utilisateurs ». Rennes Métropole souhaite aujourd’hui donner la priorité à deux filières : l’industrie 4.0 et la mobilité durable.

Le choix politique de ne pas accepter l’implantation d’activités logistiques sur le site est assez mal compris par les commercialisateurs (tel Cushman, spécialisé dans l’immobilier d’entreprise), dans la mesure où le site est connecté au rail et permettrait une desserte multimodale. Par ailleurs, les deux filières choisies par la collectivité sont considérées comme floues et ayant des besoins fonciers limités, alors que la demande en foncier est forte et que ces emprises pourraient aisément trouver preneurs.

Une fragmentation de la Janais entre des propriétaires fonciers privés et publics

Dans un souci d’optimisation de ses processus et de diminution de ses stocks, PSA avait, avant la réduction de ses activités, imposé à ses sous-traitants de s’implanter à proximité de l’usine, dans une zone dédiée. Cependant, en raison de sa restructuration, l’entreprise a ensuite contraint certains d’entre eux à intégrer le site de la Janais, pour optimiser et rentabiliser le foncier dont elle disposait. Aujourd’hui, le seul sous-traitant restant à l’extérieur du site est Talendi (ex-Bretagne Ateliers), tandis que Tenneco, TI et SAS Cockpit avaient été rassemblés sur le foncier PSA de la Janais.

À partir de 2015, le foncier a été cédé en plusieurs séquences. En 2015, la région Bretagne fait l’acquisition d’un foncier de 54 hectares qui a ensuite été revendu à Rennes Métropole, pour devenir en 2018 la ZAC de la Janais (en vert clair sur la figure 8.a). En 2020, Eiffage acquiert 21 hectares supplémentaires auprès de Stellantis, dont plusieurs bâtiments inutilisés qui étaient déjà loués à la SNCF et à B3 Ecodesign (du groupe Eiffage). Le groupe de BTP garde le foncier nu mais revend les bâtiments à la foncière Magellan. En 2021, Rennes Métropole fait l’acquisition du bâtiment 78 au centre du site et de ses abords (8 ha). La même année, l’EPF Bretagne intervient pour réaliser le portage foncier de 7 hectares de parking et de 13 hectares du site Ferrage (en vert foncé sur la figure 8.a).

L’EPF de Bretagne est intervenu pour le compte de Rennes Métropole, afin de porter le foncier dans le cadre d’une convention de dix ans et d’y réaliser des travaux de proto-aménagement (démolition, dépollution), ainsi que la démolition du bâtiment de 100 000 m² sur le site Ferrage. L’aménagement a été concédé à Territoires par Rennes Métropole36. La relation de Territoires avec Eiffage est qualifiée de « gentlemen’s agreement » par l’aménageur Territoires et par le service économique de Rennes Métropole, c’est-à-dire une volonté commune d’avancer sur la programmation et l’aménagement afin de faire émerger un parc multi-utilisateurs doté d’un pôle de services (restauration, crèche…). La relation avec Magellan est aujourd’hui moins clairement définie et plus risquée, du fait d’un historique de moindres collaborations.

Figure 8.a – Propriétés foncières du site de la Janais, issues de la modification n° 1 du PLUi

Source : Rennes Métropole.

L’enjeu principal de la transformation de cette zone est celui de la programmation : le zonage du PLUi permettant aussi bien une activité industrielle que logistique, la réussite spontanée du projet politique n’est absolument pas acquise. Territoires cherche donc à influer sur la commercialisation des terrains lors d’un point mensuel et à échanger au sujet des prospects plus ou moins conformes au projet de Rennes Métropole, sans disposer d’un quelconque moyen juridique d’agir. Il leur faut donc travailler en bonne entente avec les autres parties prenantes, dans l’espoir que les entreprises retenues relèvent bien des deux filières sélectionnées par les autorités publiques.

Un projet associant action réglementaire et constitution d’un parc public

Société d’économie mixte principalement détenue par Rennes Métropole, Territoires a été à l’initiative du processus de requalification des zones d’activités. En parallèle, Rennes Métropole a pris en charge le volet réglementaire, avec une modification du PLUi et la mise en œuvre d’une OAP (première modification du PLUi en vigueur depuis fin 2022). Ainsi, Rennes Métropole et Territoires ont pu empêcher un premier projet qui envisageait de dédier un secteur de la Janais à l’activité logistique : seuls les Routiers Bretons ont survécu au changement de zonage, leur implantation ayant été validée lors du précédent mandat, selon Stéphanie Desloges.

De façon originale, l’OAP intervient avant le plan guide, fixant des invariants qui avaient été portés par la ZAC : permettre la traversée du site par des mobilités douces, faciliter le découpage du site à la demande avec des macro-lots de 1 à 8 hectares afin d’accueillir des industriels, penser les qualités architecturale et paysagère de cette future emprise réintégrée à la ville…

L’objectif de Rennes Métropole est d’accompagner les libérations foncières progressives avec un souci de pérennité, en anticipant les questions de trame urbaine, de desserte réseau et voirie, d’accessibilité pour les entreprises. Le levier opérationnel de l’OAP permet de fixer des principes sur un foncier privé, et devra être mis à jour après la réalisation du plan guide.

L’OIM Aéroparc, territoire d’entrée de ville pilote

L’opération d’intérêt métropolitain (OIM) Bordeaux Aéroparc37 est un territoire prioritaire de développement économique qui couvre partiellement trois communes autour de l’aéroport de Bordeaux-Mérignac : Le Haillan, Saint-Médard-en-Jalles et Mérignac.

Ce territoire se caractérise par un fort ancrage industriel et de grandes ambitions d’aménagement, principalement économiques, avec trente-cinq opérations d’aménagement envisagées à terme dont plusieurs sont déjà enclenchées, à la fois en extension et en renouvellement ; le tout bénéficiant d’une nouvelle desserte en transports en commun via le prolongement du tramway A. Le plan guide d’aménagement de l’OIM a été réalisé courant 2017 et une convention opérationnelle a été signée avec l’EPF de Nouvelle-Aquitaine courant 2018. Ce territoire constitue un observatoire saisissant des enjeux du maintien en ville des activités productives. Les tentatives déployées par la petite équipe de l’OIM38 pour un renouvellement urbain économique qui soit juste et durable sont, chacune, des expériences en soi.

Une politique foncière proactive

Sur l’OIM Aéroparc, comme nous l’avons vu au chapitre 4, la collectivité est déjà propriétaire de 250 hectares, l’EPF a acquis 75 hectares et 50 hectares supplémentaires font l’objet d’échanges avec divers propriétaires. À terme, entre 350 et 400 hectares de terrain devraient ainsi être sous maitrise foncière publique. La convention foncière EPF porte sur un montant total de 30 millions d’euros – le budget prévisionnel pour acquisition foncière sur l’ensemble de l’OIM étant de 50 millions d’euros. L’EPF et l’OIM ont cherché à limiter la hausse des valeurs foncières. L’exercice récurrent du droit de préemption a même fini par les faire baisser. En effet, en 2018, les préemptions se faisaient autour de 90 euros par mètre carré de terrain ; elles sont passées aujourd’hui à 35 euros/m2. L’EPF peut motiver ses interventions sur la base de son objectif de réguler les prix du foncier : on parle alors de « préemption en révision de prix ». Dans ce cas, soit le propriétaire annule la vente, soit celle-ci est arbitrée par les Domaines. Comme nous l’avons relevé plus haut, au fur et à mesure que l’EPF intervient en révision de prix, les Domaines arbitrent de plus en plus souvent sur des valeurs proches de la contre-proposition de l’OIM. Dans certains cas, toujours selon l’OIM Aéroparc, la révision de prix aboutit à une division par trois du prix initial du foncier ou de l’immobilier.

Cet exemple de politique foncière menée par l’EPF et l’OIM sur le secteur Aéroparc montre qu’une baisse des valeurs foncières est un objectif accessible. Les enjeux environnementaux contribuent à cette baisse tendancielle, les avis des écologues incitant à une vraie décote des fonciers pour tenir compte des mesures d’évitement et de compensation qui s’imposeront. La politique foncière s’est aussi traduite par un certain nombre d’actions de « rétrozonage », notamment pour assurer les mesures de compensation environnementale.

« Critériser » les entreprises bénéficiaires de ces immobiliers abordables

L’OIM a également changé de stratégie de commercialisation début 2021, en mettant en place un nouveau mode opératoire de sélection des entreprises. Dans un contexte de pression foncière croissante, et afin de favoriser l’implantation d’entreprises en lien direct avec la filière Aéronautique, spatial, défense (ASD), très importante pour le territoire, Bordeaux Métropole travaille depuis 2016 à la création de deux opérations d’aménagement à vocation économique : l’opération Cinq Chemins, au Haillan, et l’opération Galaxie 4, à Saint-Médard-en-Jalles, dont la mise en œuvre a été confiée à la SPL La Fab (en 2017 et 2018).

La prise en considération des exigences ERC et ZAN

La démarche ERC oblige à éviter, réduire puis compenser tout impact majeur d’un projet sur l’environnement ; elle vise à ce que chaque projet industriel se traduise par un maintien, voire une amélioration de sa qualité. Dépassant la seule biodiversité, elle englobe l’ensemble des thématiques de l’environnement : air, bruit, eau, sol, santé des populations, etc. Aussi s’avère-t-elle lourde d’impact pour les activités économiques, souvent situées en entrée de ville et donc sur des axes assez sensibles sur le plan environnemental.

L’opération Cinq Chemins, sur la commune du Haillan se déploie sur un site sensible du point de vue écologique, ce qui a conduit à prendre un certain nombre de mesures d’évitement et de compensation, à la fois sur site et hors site. En matière d’évitement, des marges d’inconstructibilité importantes ont été fixées, en plus des 35 % de pleine terre exigés. En matière de compensation, l’opération d’aménagement a généré des besoins à hauteur de 6 hectares pour les zones humides et d’environ 4,5 hectares pour les espèces protégées, comme les amphibiens et les lotiers notamment.

L’opération, qui se développe sur 14,6 hectares, a donc nécessité 10,5 hectares de plus. Pour développer environ 50 000 m2 de superficie plancher, sa consommation foncière totale est donc de 25 hectares.

Conformément à la demande des services de l’État, la gestion des sites de compensation se fait sur trente ans. Or, pour cette opération, les coûts d’acquisition de ces sites et les frais de gestion des zones écologiques n’avaient pas été intégrés dans le bilan d’aménagement sur trente ans. Pour les prochaines opérations, il est convenu d’intégrer l’ensemble de ces coûts, ce qui va encore renchérir la réalisation de ces secteurs d’activité.

À travers ces deux opérations, la collectivité souhaite préserver des possibilités d’accueil d’entreprises de la filière ASD à moyen terme, tout en répondant à court terme à un certain nombre de demandes endogènes d’extension ou d’implantation d’entreprises hors filière. La commercialisation de ces deux opérations publiques repose sur une répartition programmatique en trois tiers : un tiers d’entreprises artisanales endogènes, un tiers d’entreprises liées à l’ASD, un tiers d’entreprises à haute valeur ajoutée. D’autres critères ont été aussi formulés, parmi lesquels les typologies et le nombre d’emplois concernés, les flux générés, la volonté de rejoindre une démarche territoriale, etc. Mais ces critères n’ont visiblement pas été utilisés pour le moment, car il n’y a pas encore eu de concurrence entre entreprises sur un même foncier.

Par ailleurs, sur la ZA des Cinq Chemins, une consultation d’opérateurs a été lancée par la SPL. À l’automne 2022, le projet était en phase de commercialisation avec des cessions majoritairement de gré à gré auprès de comptes propres. L’introduction d’une procédure de consultation a permis d’introduire des exigences de la part de l’aménageur et de la collectivité en termes de cibles, de prix, de qualité constructive et environnementale. C’est un groupement composé autour de la foncière inCité qui a finalement remporté cette consultation.

La dissociation foncière pour verticaliser à Saint-Médard-en-Jalles

Parmi les opérations phares réalisées pour maintenir des activités productives dans l’OIM, figure un montage en dissociation foncière pour un projet de verticalisation.

Une consultation a été lancée en 2022 pour sélectionner des projets d’opérateurs sur deux fonciers économiques de l’OIM Bordeaux Aéroparc, sur la commune de Saint-Médard-en-Jalles, propriété de la métropole de Bordeaux. Les baux des projets retenus seront conclus entre Bordeaux Métropole et le bailleur pour une durée comprise entre 18 et 99 ans. Les opérateurs choisis doivent être « en mesure de proposer un projet innovant selon plusieurs axes : permettre l’implantation de jeunes entreprises et de start-up en leur offrant des conditions financières d’occupation soutenables au regard de leur niveau de maturité et de leur capacité […] ; promouvoir la qualité architecturale et l’insertion urbaine et paysagère des bâtiments afin de créer des paysages de qualité au sein de l’OIM ; assurer la qualité environnementale et réduire l’impact écologique des bâtiments d’entreprise construits dans le secteur de l’OIM par une conception et des modes constructifs innovants ; favoriser l’émergence de projets immobiliers innovants et démonstrateurs en matière de locaux d’activités de demain, travailler sur des thèmes de mutabilité, l’évolutivité, l’architecture modulaire »39.

La consultation a été organisée en deux phases. Lors de la première phase, la métropole a reçu neuf candidatures répondant aux critères. Parmi elles, trois groupements ont été sélectionnés en septembre 2022. La désignation du lauréat est intervenue au printemps 2023 : les deux terrains ont été remportés par le groupement Redman avec sa foncière Essentiel, accompagnés de l’agence d’architecture Syvil et de Lina Singer Landscapes (LS2). Ce groupement a proposé une offre baptisée Up. Elle vise de jeunes entreprises innovantes en appliquant des loyers a priori soutenables pour cette cible. Les cibles potentielles sont notamment des start-up, dont l’activité s’envole avec de grosses levées de fonds, mais qui ne disposent pas forcément de moyens financiers à consacrer à l’immobilier. Un certain nombre d’entre elles cherchent un lieu de production et de R&D, des formes de mutualisation avec d’autres entreprises, et un écosystème dynamique. L’ambition environnementale est également forte avec un paysage préservé (66 % d’espaces de pleine terre) et un mode constructif hors site40.

« Le projet fait preuve d’une qualité architecturale, urbaine et paysagère en proposant une densification verticale », indique le texte issu du bilan officiel de la consultation. L’opération devrait faire la démonstration d’une verticalisation possible de l’activité productive avec les start-up, rompues à l’innovation.

Bordeaux Métropole a conclu avec le groupement un contrat avec un bail à construction d’une durée de cinquante ans. Le groupement qui loue le foncier s’engage à construire un bâtiment sur les terrains appartenant à la métropole. À l’échéance du bail, cette dernière deviendra propriétaire du bâtiment. Ce bail à construction s’accompagnerait en outre d’une convention de suivi de commercialisation sur le long terme, ce qui permettrait une forme de contrôle par la collectivité.

  • 36. Plus précisément, le site de la Janais fait l’objet de plusieurs études et périmètres d’intervention de la part de Territoires : une ZAC multisites qui fait l’objet de la concession d’aménagement de la ZAC depuis 2018 ; un mandat d’étude pour réaliser un plan guide sur un périmètre plus général de la Janais, et sur lequel d’autres fonciers pourraient devenir opérationnels avec des mutations futures des propriétés Stellantis, en vue de créer une nouvelle ZAC ou de changer le périmètre ; un mandat d’étude et de travaux pour le bâtiment 78, racheté par Territoires, qui constitue un pôle d’excellence industrielle ciblé sur la mobilité et l’habitat.
  • 37. La métropole compte quatre OIM, dont celle d’Aéroparc.
  • 38. L’équipe de l’OIM est une gouvernance ad hoc réunissant en équipe projet des salariés issus de services variés de Bordeaux Métropole.
  • 39. Extrait du texte de la « Consultation d’opérateurs pour la mise à bail longue durée de deux terrains à vocation économique sur le territoire de l’opération d’intérêt métropolitain Bordeaux Aéroparc ».
  • 40. La construction hors site, ou le hors-site, désigne la préfabrication d’éléments dans un lieu différent du site de construction où ils seront assemblés et implantés.
Chapitre 9

Et ailleurs en Europe ?

Le concept de ville productive s’est diffusé en Europe, notamment sous l’effet d’événements de réflexion urbaine tels que le concours Europan 2017 organisé autour de la thématique « Ville productive » (Gilbart, 2023). Aussi nous avons souhaité mettre en perspective notre analyse avec des villes européennes, Berlin en Allemagne, Turin en Italie et Vienne en Autriche. Comment la ville productive y est appréhendée, et par qui ? Quels sont les leviers déployés par les acteurs de la fabrique urbaine ?

Selon le rapport de recherche ESPON-MISTA (2020)41, la concurrence avec la production de logements est forte à Berlin et à Vienne. Néanmoins, les problématiques de localisation des activités productives sont prises en compte par les acteurs publics. Elles le sont au prisme d’une définition des activités productives, resserrée à Berlin (industrie 4.0, activités créatives) mais extensive à Vienne. Des stratégies sont élaborées et des dispositifs mis en œuvre dans les deux cas, avec l’affichage d’une ambition forte côté viennois. Le cas de Turin se distingue, notamment en raison de l’histoire de son développement urbain, étroitement lié à son industrialisation, puis à la désindustrialisation qui a laissé vacantes de nombreuses friches en plein cœur de l’agglomération. L’enjeu de la réindustrialisation de la ville est affiché et donne lieu à l’activation de leviers d’action, mais de manière plus ponctuelle.

Vienne

Une stratégie en faveur des activités productives

À la fois ville capitale et l’un des neuf Länder de l’Autriche, Vienne comptait 1,9 million d’habitants en 2019. L’artisanat et l’industrie sont au cœur du développement de la ville aux xixe et xxe siècles, avec notamment l’industrie de la soie dans les faubourgs de la ville et le développement d’activités ferroviaires. Aujourd’hui en revanche, la part du secteur tertiaire domine largement l’économie viennoise. Faire de la place aux activités de production est néanmoins un enjeu affiché politiquement, et sa prise en compte a donné lieu à l’élaboration d’une stratégie.

Après une première étude dès 2008, un inventaire et une évaluation du foncier productif ont été réalisés pour le compte de la direction du développement urbain de la ville de Vienne en 2015. Une étude sur l’avenir du travail a également été réalisée par un centre de recherche et de conseil sur le monde du travail, cette fois-ci pour le compte de la direction économique. Un groupe de travail a ensuite été mis en place afin de prendre connaissance de ces données et d’élaborer une stratégie d’action en faveur de la ville productive (Produktive Stadt). Ce groupe a abouti en 2017 à la rédaction d’un document cadre stratégique (Fachkonzept Produktive Stadt) qui affiche l’objectif de consacrer au moins 5 % du territoire à des fins de production. Trois axes prioritaires sont présentés dans ce document. Le premier concerne la mise à disposition de sites attractifs, abordables et revalorisés pour l’usage des entreprises et pour des infrastructures complémentaires telles que les établissements de formation et de recherche ou les institutions dédiées à la politique industrielle et d’innovation. Le deuxième porte sur le déploiement d’une stratégie appropriée de développement du foncier. Le troisième est la mise en place de structures de coopération solides et une réflexion à l’échelle régionale.

Du « secteur productif » aux activités de la « ville productive »

Le document cadre viennois sur la ville productive montre une évolution dans l’appréhension des activités productives. Dans les années 2000, le secteur productif comprenait toutes les activités économiques liées à la production de biens matériels. Ces activités engendrent des besoins spécifiques en foncier, notamment pour la livraison et la manutention des marchandises. L’appropriation de la notion de ville productive élargit le panel des activités prises en compte par l’action publique viennoise. Outre la production de marchandises, elle englobe désormais l’approvisionnement en énergie, l’approvisionnement et l’élimination des déchets, le recyclage, les techniques environnementales, la construction, le commerce de gros, le commerce et la réparation de véhicules, le transport de personnes et de marchandises, les services postaux et de messagerie, l’entreposage, la location de machines et de véhicules, le gardiennage, le nettoyage, la réparation, les activités de service et d’entretien. Avec cette définition extensive, le secteur de la production est évalué à un tiers de la valeur ajoutée de Vienne.

Environ 150 hectares de réserve foncière au sein de zones d’activités existantes

Les études réalisées en 2015 sur les perspectives de développement économique et démographique de Vienne ont amené les directions du développement urbain et du développement économique à évaluer à 300 hectares le besoin en surfaces de production.

Le document cadre Fachkonzept Produktive Stadt distingue 100 hectares pour compenser la reconversion de sites de production évincés, 100 hectares pour l’extension et la modernisation d’entreprises existantes et 100 hectares correspondant à l’augmentation prévue du taux d’emploi (pour 100 000 emplois supplémentaires, 15 % relèveraient du secteur de la production).

Face à ces constats, il est prévu de mobiliser environ 150 hectares de réserve foncière à l’intérieur des zones d’activités existantes, de mobiliser environ 50 hectares qui ne sont pas encore affectés, de créer au moins 100 hectares de nouvelles surfaces de production dans les projets d’extension urbaine et de récupérer 50 hectares en optimisant l’existant (valorisation de surfaces inutilisées, densifications, etc.).

Dans les « sites uniques intégrés » et les « zones économiques mixtes » (voir figure 9.1) se joue un jeu de contrepartie entre propriétaires et collectivités. En s’engageant à densifier leur parcelle, les propriétaires fonciers obtiennent les autorisations nécessaires aux constructions ainsi qu’un accompagnement de la collectivité pour faciliter l’accès à l’énergie, aux transports, etc.

Quelle est la portée du Fachkonzept Produktive Stadt ?

La publication du Fachkonzept Produktive Stadt a eu un retentissement au niveau du marché de l’immobilier. Dans un premier temps, la spéculation a ralenti, puis les zones mixtes ont été perçues par les acteurs de l’immobilier comme une possibilité nouvelle de produire du logement. Les fonciers ont été acquis au prix du logement, soit à un prix trop élevé pour développer des constructions destinées aux activités productives… Pour une entreprise, la classification d’une zone industrielle en zone mixte peut néanmoins constituer un enjeu de valorisation de son patrimoine foncier. D’après l’un de nos interlocuteurs, la brasserie Ottakringer a d’ailleurs négocié en haut lieu la classification de son site en zone mixte et l’entreprise prévoit de densifier son site en intégrant des logements.

Lorsqu’un permis de construire est déposé et qu’il se situe dans l’une de ces trois zones, le document cadre stratégique ciblant les activités productives doit être pris en compte, mais il n’est pas prescriptif. D’après M. Rosenberger, l’un des rédacteurs du document cadre et agent au sein de la direction du développement urbain, s’ouvre alors un temps d’interprétation et de négociation. La figure de M. Rosenberger apparaît centrale, au point que la prise en compte du Fachkonzept semble reposer sur ses seules épaules, ce qui questionne sur la portée structurante de ce document à l’avenir.

À Seestadt, la verticalisation de l’activité productive

Situé au nord-est de la ville, Seestadt est un nouveau quartier de Vienne mais il a des allures de ville nouvelle. En 2028, au terme de son développement, il comprendra plus de 10 000 logements. Une partie du quartier est classée en zone industrielle et en zone mixte. On y trouve notamment Gewerbehof Seestadt, un immeuble proposant des ateliers à destination de petites et moyennes entreprises du secteur productif (artisanat), et des espaces de logistique et de stockage. Au sein d’une surface locative de 5 300 m2, la taille des cellules modulables varie entre 66 et 500 m2. Les espaces de stockage représentent quant à eux 1 300 m2. Deux monte-charges d’une capacité de 2,5 tonnes équipent le bâtiment. Une fois le bâtiment livré, les preneurs ont été sélectionnés par Vienna Business Agency, propriétaire du bâtiment, pour une durée minimale de cinq années. La construction de ce bâtiment constitue une expérimentation : si ce n’est pas assez rentable, Vienna Business Agency ne renouvellera pas l’expérience. L’objectif pour Vienna Business Agency est que les acteurs privés fassent le constat de la rentabilité d’une telle construction et développent ce type de produit immobilier.

Figure 9.1 – Les types de zonage définis par la stratégie en faveur de la ville productive à Vienne

Sources : plan d’aménagement urbain (STEP 2025), Fachkonzept Productktive Stadt 2017.

Développement du management de quartier à Vienne

Le développement du « management de quartier » est appliqué à Vienne pour les zones industrielles et les zones économiques mixtes existantes. Il consiste, à la fois, en l’identification de potentiels de coopération entre les entreprises, en l’initiation d’actions afin de favoriser ou de renforcer ces coopérations et en la mise en évidence des surfaces disponibles ou à optimiser. Le manager de quartier sert d’interlocuteur central entre les entreprises, la direction de l’urbanisme, la direction du développement économique et l’agence économique de Vienne. Sur ce point, le dispositif viennois se rapproche des réflexions rennaises puisque l’enjeu est d’envisager des scénarios de développement et de densification sur les fonciers identifiés en amont et de les évoquer avec les propriétaires fonciers.

Berlin

La construction de logements, un objectif prioritaire

Située au nord-est de l’Allemagne, Berlin est à la fois la ville capitale et l’un des seize Länder du pays. Elle comptait environ 3,8 millions d’habitants en 2018.

La chute du mur de Berlin en 1989 puis la réunification une année plus tard ont provoqué nombre de bouleversements. Sur le plan du foncier, les principaux changements concernent : la privatisation du foncier situé à l’est du mur ; la libération de foncier en raison de la disparition du mur, puis, plus tard, de la faillite d’entreprises industrielles ; la coexistence de deux systèmes de planification différents (Berlin-Ouest et Berlin-Est). Dans les années 1990, la situation économique de la ville-État de Berlin est critique. Les coûts de fonctionnement sont de plus en plus importants alors que les aides financières de l’Union européenne et du gouvernement fédéral s’amenuisent en 1995. Les infrastructures industrielles ne bénéficient pas d’investissements et deviennent obsolètes. La dette augmente donc de manière exponentielle. Pour se maintenir à flot, les acteurs publics berlinois décident, dans les années 2000, de la vente du foncier libéré après la chute du mur de Berlin. Ce foncier est vendu à des investisseurs. Des projets urbains majeurs s’esquissent alors, à la manière du projet de Mediaspree. Un mouvement de contestation s’élève et c’est dans ce contexte que le projet ExRotaprint se forme (voir encadré chapitre 4). En plus de la vente de foncier public, une partie du parc public de logements est également vendue. Par conséquent, Berlin fait face à une crise du logement sans précédent, marquée par une hausse continue des prix des loyers et une gronde sociale. Alors que 85 % des logements sont loués, 60 % de ces logements sont détenus par des entreprises privées tenues pour responsables de l’augmentation des loyers. La construction de logements est désormais l’objectif premier des acteurs publics actuels, qui regrettent amèrement la vente des « bijoux de famille ». Dans ce contexte, le développement d’activités productives au sein de l’espace urbanisé de Berlin est complexe : le foncier est rare, difficilement mobilisable (car privé), et la concurrence avec le logement est féroce. La place accordée aux activités industrielles n’est pourtant pas négligeable dans les documents stratégiques existants.

Les zones industrielles au cœur du développement urbain et économique

Dans le document de cadrage relatif au développement urbain et économique, le Stadtentwicklungsplan Wirtschaft 2030, les objectifs d’aménagement comme « préserver les sites industriels » ou « changer d’affectation » sont cartographiés. Ils sont ensuite déclinés en pistes d’action du type zones « à aménager », « à densifier » ou « à réhabiliter », notamment pour les « zones à vocation productive » (zones EpB).

En 1992, le Sénat de Berlin avait déjà adopté un premier plan de sauvegarde des surfaces industrielles menacées par la forte hausse des prix du foncier industriel et économique, due à des changements d’affectation et à une demande croissante de foncier destiné à d’autres usages que des activités productives. En 2000, le plan de sauvegarde a été complété par une stratégie de développement de nouvelles zones de production. Mise à jour en 2004, cette stratégie dédiée aux zones industrielles a été intégrée en 2011 dans le document de cadrage stratégique global de la ville-Land.

Au total dans le document actuel, quarante zones EpB sont recensées, soit environ 2 920 hectares. Les entreprises susceptibles d’être accueillies dans les zones identifiées sont celles qui contribuent au développement, à la fabrication et à l’entretien de biens matériels42. Plus précisément, ce sont des entreprises de l’industrie manufacturière et de la construction, du commerce de gros et des intermédiaires du commerce, du transport, de la logistique et de l’entreposage, ainsi que certaines entreprises de services. Le commerce de détail, les bâtiments commerciaux, administratifs et de bureaux, les installations sportives, religieuses, culturelles, sociales et sanitaires ainsi que les lieux de divertissement ne doivent pas être autorisés dans les espaces productifs figurant dans la stratégie de développement.

La portée de ce document dépend notamment des arrondissements. En effet, les documents de cadrage thématiques élaborés à l’échelle du Land doivent être déclinés par les arrondissements pour être pris en compte. Lors de nos entretiens, en décembre 2021 et en juillet 2022, seuls deux des douze arrondissements avaient effectué ce travail. À cette limite s’ajoute un système de planification, particulièrement complexe, qui ralentit les processus de décision et freine la mise en œuvre de cette stratégie en faveur des espaces productifs.

Une stratégie de développement des espaces de production difficile à mettre en œuvre

À Berlin, le système de planification repose sur trois piliers : un document de cadrage général (Flächennutzungsplan) qui fixe l’affectation des sols sur l’ensemble du territoire du Land, des documents de cadrage thématiques (Stadtentwicklungsplan) qui sont élaborés par le Sénat et qui peuvent être adaptés localement par les arrondissements et enfin des documents à une échelle plus fine, dits Bebauungsplan ou B-Plan, qui sont élaborés à l’échelle d’îlots, par le Land ou des arrondissements pour limiter les droits à construire, rendre un secteur inconstructible ou au contraire élaborer un projet d’aménagement nouveau. Ces plans attribuent des droits à construire aux propriétaires en tenant compte des différents documents de cadrage. Lors de l’élaboration des B-Plans se met alors en place une négociation avec les acteurs privés. Ces négociations peuvent porter sur le programme, le financement de services publics ou d’infrastructures, l’aménagement des espaces avoisinants, le choix des architectes ou encore des aspects techniques. Par exemple, dans une zone d’activités de l’arrondissement de Tempelhof, la réactivation d’une voie de chemin de fer est négociée dans le cadre d’un B-Plan pour organiser de manière plus optimale la desserte d’un site industriel. Dans une autre zone d’activités, la négociation porte sur la possibilité d’implanter un hôtel et un restaurant attenant à une brasserie. Ces négociations prennent du temps et retardent considérablement la mise en œuvre des projets d’aménagement.

Le maintien ou le développement des espaces de production est également au cœur de conflits au sein même du Sénat, divisé en dix départements. Politiquement indépendants, ces départements ne partagent pas tous les mêmes objectifs. L’élaboration des documents de cadrage thématiques fait l’objet d’intenses négociations entre les départements – à l’heure actuelle, c’est en défaveur du département en charge du développement économique, en raison de la priorité accordée à la construction de logements. Un de nos interlocuteurs à la direction économique du Sénat évoque ainsi un conflit avec la direction du logement concernant le zonage du secteur historiquement industriel (petite industrie) de Gartenfeld, dans l’arrondissement de Spandau. D’abord classé comme secteur industriel dans la stratégie de développement des espaces de production, et devant donc être préservé de toute construction de logements, il a été reclassé en secteur mixte à la demande de la direction du logement. Même si une partie du secteur reste classée comme industrielle, la mutation est d’ores et déjà engagée et devrait à terme conduire à la disparition des industries. En effet, à d’importants problèmes de cohabitation déjà recensés, comme la circulation des camions à côté d’une école par exemple, s’ajoute une hausse prévisible du coût du foncier. Cet exemple n’est pas unique. Sous l’effet de la pression politique pour produire massivement des logements depuis 2010, d’autres secteurs industriels changent de zonage. L’équivalent berlinois d’un conseil de développement a alerté en vain le Sénat sur les difficultés des artisans et des entreprises industrielles, et sur la tendance de ces activités à s’implanter dans le Brandebourg.

Une réserve foncière limitée et réservée à l’industrie de pointe
Le schéma de développement économique indique des besoins en foncier économique compris entre 360 et 480 hectares d’ici 2030. Or, moins de 40 % du potentiel foncier activable est la propriété du Land. Parmi les fonciers activables se trouve l’ancien aéroport Berlin-Tegel, où un important projet d’aménagement (Urban Tech Republic – Berlin TXL) est en cours. Celui-ci comprend deux zones à vocation industrielle, mais elles prévoient surtout l’accueil d’entreprises innovantes à forte valeur ajoutée (secteur des urban tech notamment). Figure néanmoins l’idée de mettre en place une filière de construction bois pour édifier le projet d’aménagement de Tegel. Cette filière aurait vocation à être pérennisée ensuite à l’échelle régionale.

Parmi les emprises foncières issues de la réunification se trouvent celles d’Adlershof, zone située au sud-est de Berlin. Le foncier a été donné gratuitement à Wista, un aménageur. Une vaste opération d’aménagement y est déployée depuis plus de vingt ans afin de favoriser la recherche et le développement d’industries de pointe dans des secteurs clés : énergie, biotechnologies, optique, environnement et télécommunications. Plus d’une centaine d’entreprises de taille équivalente à celle des PME produisent sur place. L’animation des filières et des interfilières est également assurée par Wista.

La foncière publique BIM gère 50 bâtiments à destination d’activités productives

Le foncier public étant rare et donc précieux, le contrôle de son usage fait désormais l’unanimité auprès des acteurs rencontrés. La foncière publique Berliner Immobilienmanagement (BIM), fondée en 2003, gère plus de 5 000 bâtiments appartenant au Land de Berlin Plus de 75 % de ces bâtiments sont destinés à l’administration publique et, depuis 2017, 25 % d’entre eux peuvent être loués à des acteurs privés pour des activités économiques ou sociales. Les activités relevant de l’artisanat ou de la petite industrie (réparation, maintenance, petite production) peuvent être accueillies dans une cinquantaine de bâtiments (5 à 10 % de 25 % d’entre ces bâtiments pouvant être loués à des acteurs privés). Quand un bâtiment est à louer, les différentes directions du Sénat se réunissent pour décider collectivement de son affectation. La direction de l’économie peut demander que la location soit fléchée vers de l’activité économique ou industrielle. Les bâtiments ne sont pas loués en dessous du prix du marché mais l’entreprise ne fait pas de profit pour autant. Si le loyer est trop élevé pour les entreprises dont l’implantation est souhaitée, celles-ci peuvent bénéficier d’aides financières octroyées par le Sénat.

Même si la BIM dispose d’une marge de manœuvre limitée, des projets de rénovation de bâtiments à des fins économiques et industrielles sont en cours. C’est par exemple le cas de Beeskowdamm (50 000 m2 de bâtiments et de surfaces de stationnement), situé au sein d’une zone d’activités. Le bâtiment a été construit dans les années 1980 et a été occupé jusqu’en 1996 avant que le Land de Berlin le rachète et le loue à une entreprise industrielle. Le projet de rénovation et de densification a démarré en 2015. Il prévoit la création de locaux d’activités de 2 000 à 3 000 m2, modulables. La construction est composée de plusieurs étages, avec les ateliers de production en rez-de-chaussée et des bureaux aux étages.

En 2022, la BIM a développé également deux projets d’aménagement sur du foncier public. Le projet de Dragoner-Areal, en plein cœur de l’arrondissement de Kreuzberg, en est un exemple. Il s’agit d’une zone dont une partie est occupée par des entreprises (garage, carrosserie…) et une partie est en friche. Un plan d’aménagement est élaboré depuis 2019 : le projet vise l’accueil de 500 logements, des équipements sociaux et culturels et 25 000 m2 de surface dédiée à l’activité économique (artisanat et petite industrie). La volonté de la BIM est de maintenir l’implantation des activités économiques. Néanmoins, après être restés stables pendant des années, les loyers s’aligneront désormais sur ceux du marché immobilier, ce qui risque de provoquer le départ de certaines entreprises. De plus, selon nos interlocuteurs de la BIM, le risque de nuisances liées à des activités productives menace la cohabitation réelle de ces activités avec les logements.

Turin

La ville de Turin est bien connue comme une ville « mono-entreprise » (MISTA, 2020) qui s’est développée dans les années 1950 et 1960 avec le constructeur automobile Fiat, présent y compris au cœur de la ville. La crise économique des années 1970 a cependant engendré des changements économiques et socio-démographiques, et une croissance des communes autour de Turin. La désindustrialisation a entraîné l’apparition de nombreuses friches à Turin et ses alentours ; il subsiste près de 3,5 km² de foncier inoccupés sur la commune de Turin.

La production industrielle subit à la fois les cycles économiques sur la période 2000-2020 et le contexte économique mondial. Si le nombre d’établissements et les emplois productifs sont en baisse depuis une dizaine d’années, ils jouent encore un rôle important, et ce malgré la diversification de l’économie vers une économie de la connaissance et la volonté politique de certains acteurs d’effacer l’image de Turin comme ville industrielle.

Une planification économique à l’échelle métropolitaine

La Cittá metropolitana di Torino (CMT) est l’échelon administratif sur lequel la plupart des politiques économiques et industrielles sont aujourd’hui établies à Turin, depuis la réforme des provinces en 2015 (loi Delrio 56/14). La CMT constitue un échelon intercommunal entre la région du Piémont et les communes (dont la ville de Turin), mais sa taille de 6 830 km² est de l’ordre de dix fois supérieure à celle des métropoles rennaise et bordelaise. Avec 2,3 millions d’habitants, elle est caractérisée par une forte hétérogénéité des territoires, allant du cœur métropolitain de Turin jusqu’à des villages montagneux à la frontière française.

Si les communes détiennent encore la compétence en matière d’urbanisme, avec la planification des zones industrielles définies dans leurs documents communaux (le piano regolare generale, PRG, équivalent du PLU français), la stratégie économique se déploie logiquement à une échelle supracommunale, avec une compatibilité nécessaire des PRG avec le piano territoriale generale metropolitano (PTGM). Si une ville veut changer le zonage de ses quartiers industriels ou en créer un nouveau, cela nécessite une négociation avec la CMT et la région du Piémont, assurant ainsi une cohérence d’ensemble. Véritable document cadre de la stratégie métropolitaine de la ville, analogue au SCoT français, le PTGM inclut dans la version en vigueur de nombreuses prescriptions sur le volet économique, et une territorialisation qui se fait à l’échelle des quartiers des communes pour localiser les implantations possibles des industries et les filières visées, via des aree produttive43. Un des enjeux du document porte sur la consommation foncière des activités économiques, avec une volonté, d’une part, de circonscrire l’étalement des activités consommatrices de foncier, comme l’industrie, en les maintenant au sein ou à proximité de la ville-centre, et, d’autre part, de favoriser leur implantation sur des pôles d’intermodalité logistique (routier, ferroviaire, aéroportuaire).

L’action publique en faveur de la ville productive : des négociations avec les acteurs industriels privés

En termes de dynamiques spatiales, les besoins en fonciers d’activité économique se sont reportés vers les communes de la première couronne en particulier (JLL, 2019).

La raréfaction des fonciers disponibles a amené très tôt la ville de Turin à réfléchir à la quantité importante de friches industrielles présentes dans le péricentre et la banlieue de Turin, dans une optique environnementale. En effet, l’urbanisation des terrains agricoles et naturels a été bloquée par des lois de la région du Piémont. Cependant, les coûts importants de mutation des fonciers ont entravé la réalisation de ces opérations. Il est aujourd’hui très difficile pour les entreprises industrielles de trouver du foncier disponible, qu’il soit de moyenne ou de grande taille. Certaines s’éloignent vers d’autres villes de la région, et vont même dans d’autres régions, comme la Lombardie où se situe Milan. Il existe également de nombreuses zones d’activités ou logistiques sur les axes autoroutiers du nord de l’Italie, sur un modèle proche des ZAE en sortie des centres-bourgs, comme on peut l’observer sur les première et deuxième couronnes rennaises.

Les politiques publiques n’ont, par ailleurs, pas toujours été structurées aux bonnes échelles pour négocier avec les industriels, lesquels échangent plutôt avec les communes alors que la CMT est censée détenir la compétence. À titre d’exemple, la CMT a été impliquée avec la ville de Turin pour l’implantation de l’usine Lavazza, mais pas pour les négociations avec Pirelli. Cela peut être lié dans certains cas au rôle historique de la ville-centre, et d’une volonté de s’approprier les sujets les plus stratégiques, et, dans d’autres cas, au fait que l’intercommunalité est encore jeune, politiquement plus faible et en manque de ressources humaines pour intervenir sur tous les dossiers.

L’appel à projets Trentametro pour la reconversion de fonciers industriels

La CMT a mené une étude foncière d’identification de fonciers industriels privés ou publics à reconvertir. Un des objectifs est d’y relocaliser des activités productives, plutôt que d’utiliser des sites vierges, de façon à limiter l’artificialisation des sols naturels et agricoles pour des usages économiques. Cela a permis d’identifier 130 secteurs ou bâtiments. Parmi eux, les trente les plus attractifs en termes de positionnement ont été choisis pour faire l’objet d’un appel à manifestation d’intérêt (AMI) auprès des municipalités et auprès d’investisseurs privés. La métropole fait surtout la mise en relation sur des sites d’au moins 5 000 m², dont la nature peut permettre une variété de programmations.

Cependant, elle ne fait aucun suivi dans le temps de l’avancée des projets car elle n’en a pas les moyens humains ni financiers. Il s’agit donc davantage d’une plateforme de mise en relation via un site Internet et d’un dispositif mettant en lumière les caractéristiques clés des fonciers, avec un effet de communication fort au moment du lancement.

La ville de Turin a également décidé de lancer son propre appel à projets sur des terrains communaux, de façon indépendante de la démarche Trentametro.

Figure 9.2 – Définition des activités productives à Turin dans le PRG, l’équivalent du PLU

Note : À Turin, les activités productives sont définies dans le PRG. Elles sont distinguées par catégorie et englobent de nombreuses activités. Elles comprennent non seulement les activités industrielles et artisanales de production mais aussi les activités de recherche si elles sont liées à l’activité de production, et la logistique (dont le e-commerce).
Sources : Piano Regolatore Generale Di Torino, Proposta Tecnica Del Progetto Preliminare Di Revisione Del Prg, Volume I.

Un système de subventions pour favoriser l’optimisation des zones d’activités

La ville de Settimo Torinese, dans l’agglomération de Turin, propose un système de subventions aux promoteurs immobiliers en fonction du niveau de dépollution de terrains industriels. Il s’agit d’une décote de la taxe d’aménagement44 sur les projets proposés, proportionnelle à l’argent investi par les entreprises dans la dépollution. S’il est impossible d’étayer davantage ce levier ici en raison du manque d’éléments, il nous semble intéressant de l’indiquer, tant l’optimisation des zones d’activités est un sujet central pour favoriser le maintien des activités productives au sein des espaces urbains.

  • 41. Le projet de recherche MISTA (Metropolitan Industrial Spatial Strategies and Economic Sprawl) a été mené dans le cadre du programme de recherche ESPON 2020, financé par le FEDER (Fonds européen de développement régional), les États membres de l’Union européenne et les États partenaires. L’objectif de ce programme est d’accompagner les politiques publiques à l’aide d’études et d’analyses des « tendances territoriales ». Cette recherche portant sur sept villes en Europe (Vienne, Oslo, Berlin, Varsovie, Riga, Turin et Stuttgart) s’intéressait à la fois au type d’activités productives (artisanat, logistique, activités de services, réparation et recyclage) qui s’insèrent ou qui peuvent s’insérer au sein des espaces urbains, aux aménagements nécessaires à leur implantation et à l’adéquation de leur localisation. Un autre volet de la réflexion recouvre des questions de gouvernance et de ses échelles, ainsi que des modes d’actions possibles dans le champ de l’aménagement. Afin d’approfondir ces premiers éléments issus du rapport MISTA et d’entretiens exploratoires, nous avons mené de courtes enquêtes (entretiens et visites) in situ.
  • 42. L’artisanat ne figure pas dans le même plan stratégique que les zones de production, qui sont dédiées à l’industrie.
  • 43. Le PTGM est consultable sur le site internet de la ville métropolitaine de Turin.
  • 44. La taxe d’aménagement est un impôt qui sert à financer les équipements (les voiries par exemple) inhérents aux projets de construction.

Conclusion

En raison des transformations de l’industrie, de la création de zones d’activités en périphérie, de la raréfaction du foncier économique et des forces centrifuges exercées par la pression foncière sur les activités productives, Rennes et Bordeaux ont connu dans les vingt dernières années une dispersion de ces activités du centre-ville vers la périphérie. Dans les deux villes, ce mouvement s’est caractérisé par une répartition spatiale des activités à l’intérieur d’une distance admissible pour les trajets domicile-travail, guidée par les infrastructures routières.

Parmi les leviers opérationnels mobilisés par les collectivités pour maintenir en ville les activités dites productives, certains sont activés depuis longtemps, comme la réglementation ou l’action foncière. D’autres sont encore en cours de réflexion ou d’expérimentation ; c’est le cas de l’optimisation spatiale, de l’occupation temporaire qui pourrait également s’appliquer à la dissociation foncière.

L’action réglementaire permet de nombreux accomplissements mais semble encore sous-utilisée au regard de son potentiel. En effet, sanctuariser du foncier pour certaines activités au détriment d’autres comporte le risque de rendre le territoire moins attractif et de se fermer à de nouvelles opportunités.

Cette ambivalence se traduit dans les relations entre les collectivités et les entreprises : c’est un jeu d’équilibriste qui s’opère, entre la volonté de préserver les implantations économiques, de rester attractif et d’optimiser l’usage des parcelles ou l’occupation des locaux. Sanctuariser le foncier économique apparaît comme une piste récente qu’explorent aujourd’hui largement les métropoles : à Vienne, à Berlin, à Turin, comme à Rennes ou à Bordeaux, le foncier est désormais considéré comme un bien rare et précieux.

Ensuite, puisque l’objectif de ZAN implique des transformations massives dans la gestion du foncier, il semble nécessaire de poursuivre l’exploration et l’analyse d’actions permettant la dissociation foncière, la verticalisation de bâtiments d’activités et la mutualisation d’espaces. L’occupation temporaire ou transitoire en direction des activités économiques est également un levier dont les acteurs pourraient se saisir, mais avec précaution tant il peut conforter des activités déjà fragiles dans une forme de précarité.

L’utilisation d’un levier n’exclut pas les autres. Les acteurs combinent en réalité les différents outils, en les adaptant à chaque projet et à chaque configuration, comme le montrent les exemples de la Janais à Rennes ou de l’OIM Aéroparc à Bordeaux.

La mise en place de ces leviers est également conditionnée aux pratiques historiques et culturelles des villes en matière de politique urbaine et d’aménagement. Ainsi, la culture de l’urbanisme négocié, qui, à Bordeaux, semble avoir facilité le dialogue avec les acteurs privés (AMI AIRE, par exemple), paraît encore peu présente à Rennes. Inversement, l’absence d’une culture de maîtrise foncière à Bordeaux – historique à Rennes – a peut-être amené la collectivité girondine à plus d’inventivité au moment de déployer ses outils.

Néanmoins, la multiplicité des leviers activés, plus manifeste à Bordeaux qu’à Rennes, n’induit pas nécessairement une meilleure présence des activités productives. Plus généralement, on observe une déconnexion entre les politiques de développement économique et les politiques en matière d’aménagement (Crague, 2009 ; 2017). À Rennes comme à Bordeaux, des formes de rapprochement existent mais il reste difficile de coordonner ces deux champs des politiques publiques et leur mise en œuvre par des techniciens aux cultures professionnelles parfois éloignées.

Enfin, le contour assez imprécis des activités productives est plutôt arrangeant politiquement : la localisation des activités de fabrication, de production ou de réparation n’est pas nécessairement payante sur le plan électoral, puisque les acteurs économiques concernés ne votent pas toujours là où ils sont implantés et que l’enjeu des nuisances est par ailleurs un sujet sensible pour les riverains. Surtout, c’est principalement à l’échelle des politiques économiques et industrielles nationales ou régionales que se structurent les débats.

De fait, le portage politique local en faveur du maintien des activités productives est faible, en dehors du soutien aux activités de l’ESS et de l’économie circulaire et aux industries de pointe robotisées, dans certains cas aussi peu pourvoyeuses d’emplois que la logistique, dont personne ne veut. La démonstration de l’intérêt de la présence des activités productives au sein des espaces urbains n’est pas un enjeu politique dans les métropoles étudiées.

Finalement, des leviers d’actions sont ainsi activés sans que les activités ciblées ne soient précisément décrites, et sans portage politique fort. On pourrait parler d’action publique sans politique publique ! Un portage politique fort semblerait pourtant nécessaire pour que ces actions déployées s’inscrivent dans une même direction, qu’elles soient coordonnées et articulées. Reste que la quantification des besoins des entreprises en matière de foncier, tout comme l’objectivation des dynamiques de localisation, est difficile à faire : comment répondre politiquement à des besoins et un phénomène d’éviction insaisissables ?

D’autres transformations sont en cours, en matière de répartition spatiale des activités et de gestion du foncier, et accélérées par l’urgence écologique et l’objectif de ZAN. Certaines d’entre elles échappent aux politiques publiques. C’est le cas de la division de locaux d’activités par des investisseurs en zones d’activités ou la mutation de locaux d’activités dans le diffus.

Surtout, les problématiques de localisation des entreprises se traitent à une échelle plus large que les intercommunalités et leur ville-centre. Les leviers identifiés dans cet ouvrage se concentrent sur le territoire des intercommunalités des villes-centres. Or, tout porte à croire que les enjeux se situent aussi largement ailleurs, dans la mesure où les entreprises se jouent des frontières territoriales dans leurs dynamiques de localisation. Comment peuvent s’articuler les politiques intercommunales sur ces sujets, entre métropoles, villes moyennes et petites où l’industrie et l’artisanat sont accueillis différemment ? (Gros-Balthazard et Talandier, 2023) À Rennes comme à Bordeaux, les tentatives d’organisation de l’action à des échelles plus larges restent pour l’heure largement embryonnaires.

Se décentrer des cas français a permis à la fois de « regarder » autrement ce qui est à l’œuvre en France et de nourrir notre analyse des cas rennais et bordelais au regard de contextes, de problématiques et de leviers différents. À la lumière de cette mise en perspective en Europe, les cadres historiques, économiques et sociopolitiques apparaissent déterminants dans la prise en compte des problématiques de localisation des activités productives au sein de l’espace urbain. Si l’ensemble des acteurs rencontrés reconnaissent l’importance du maintien de ces activités au sein de leur territoire, tous ne sont pas prêts à y placer la même énergie, les mêmes moyens et les mêmes ressources. D’autres enjeux, comme celui de la production de logements à Berlin, par exemple, apparaissent bien plus prioritaires. La portée de leviers qui semblent très ambitieux, comme le Fachkonzept Produktive Stadt à Vienne, n’est pas encore démontrée. Le champ de l’action publique ciblant les activités productives en Europe est pour l’heure en phase de structuration, se caractérisant avant tout par des expérimentations diverses plus que par un cadre homogène et stabilisé.

Point de vue – Et si la transformation du travail était à l’origine de la transformation urbaine

Par Éléonore Gendry, doctorante au laboratoire Environnement Ville Société (EVS, UMR CNRS 5 600)1.

Outre l’identification des stratégies des acteurs publics, la question du maintien des activités productives dans les villes peut aussi être mise en lumière via les mutations du travail.

Industrie, ville et travail

Le lien entre activités et urbanisation est aussi ancien que les villes. Dès le xviiie siècle, l’industrialisation des activités transforme les villes dont les territoires se polarisent entre production, échange et habitat ; polarisation qui accroît les infrastructures de transport pour acheminer les gens et les biens, la main-d’œuvre accrue et les marchandises pour alimenter la production et la consommation.

L’industrialisation généralisée s’amorce avec la Seconde Guerre mondiale. L’ouverture des frontières et la progression des technologies numériques mondialisent l’industrie.

Cette dernière se développe autour de centres industriels connectés entre eux par des infrastructures (grands ports, plateformes aéroportuaires, entrepôts) ou par des espaces de commandement qui, se faisant, dessinent des villes globales2 constituant un archipel métropolitain mondial débordant les territoires nationaux3.

Ces transformations de l’industrie sont autant de mutations du travail. En facilitant le regroupement de machines-outils plus performantes au sein d’un unique lieu de production, les avancées techniques de la fin du xixe et début xxe siècle poussent les industries vers une division forte du travail. Le taylorisme et le fordisme organisent le travail autour d’une succession de gestes simples et reproductibles pour une main-d’œuvre peu qualifiée. Après-guerre, la gouvernance et la structuration de l’appareil productif se complexifient. L’organisation du travail industriel mute vers des modèles moins figés et mécanistes visant une production sans « gaspillage » capitalistique favorisée par l’accélération de la numérisation des activités.

Appréhender le changement du travail industriel par l’observation des produits

Étudié différemment par les sociologues, les géographes, les ergonomes ou les économistes, le travail est une notion difficile à définir. À travers l’évolution de la production d’un objet typique de l’industrie, un moteur, il est possible d’examiner les transformations du travail.

Les « ensembles techniques » se forment à partir de liens de solidarité entre des objets et entre ceux qui les fabriquent. Chaque objet s’inscrit dans un « milieu associé »4, dans un environnement où des objets et des individus interagissent5. Observer par exemple l’évolution de la production des moteurs, c’est aussi et surtout observer une organisation faite d’humains et de non-humains solidaires. C’est donc observer les modes d’action organisés6 et par conséquent, observer le travail. L’évolution de l’usine de production de camions Berliet implantée sur la commune de Vénissieux et de Saint-Priest depuis 1917, est exemplaire des mutations industrielles. Aujourd’hui intégrée au groupe Volvo, elle reste un site industriel lyonnais important tout en étant mondialisée.

Nous avons donc travaillé sur les évolutions du moteur Berliet, des années 1950 aux années 2020, à partir des traces laissées par ces évolutions : photos des ateliers en activité, plans, rapports spécialisés sur les procédés techniques et les forces productives, statistiques, journaux de l’entreprise. Ces traces rendant observable l’évolution du travail, la méthode consistait en une approche aussi factuelle que possible. Si des entretiens ont été conduits auprès d’actuels ou d’anciens salariés de l’entreprise, ils ont uniquement été mobilisés pour expliciter des traces soit incomplètes soit énigmatiques.

Des dynamiques spatiales significatives

Dans les années 1950, la production est intégrée : le site Berliet tient ensemble la conception et les procédés de fabrication. L’emprise spatiale est importante. La situation s’inverse dans les années 1970. Les investissements se concentrent sur les études et recherches. Les bâtiments tertiaires s’étendent. Les activités de forge, de fonderie, d’usinage sont de plus en plus sous-traitées à des fournisseurs, d’abord français puis internationaux. Progressivement, l’atelier moteur se spécialise dans les activités de logistique d’assemblage et de gestion de pièces de rechange et l’aménagement s’adapte aux nouveaux besoins de production en flux tendu.

Cette évolution du travail reconfigure l’habitat et la ville. Autrefois impliqué dans le logement de ses salariés, Berliet a prévu sur ses réserves foncières des lotissements pour loger son personnel. L’arrivée d’investisseurs internationaux dans le capital de l’entreprise met fin à cette stratégie et au couplage espace productif, habitat ; découplage que renforce la croissance du travail intérimaire. Une redistribution des lieux de résidences s’opère en même temps que change le travail devenu plus qualifié et mieux rémunéré au profit des ingénieurs et des techniciens, bénéficiant aux centres urbains et à leurs aménités.

Ces transformations spatiales et sociales autour du travail retentissent sur les infrastructures de transport. Si l’acheminement des matières premières s’effectuait par voies ferroviaires, l’essor de la sous-traitance et de la production en flux tendu requiert des infrastructures routières, portuaires et aéroportuaires adaptées, transformant la métropole lyonnaise en l’intégrant dans l’archipel urbain mondial, comme lieu d’assemblage d’un moteur dont les pièces viennent du monde entier.

  • 1. Partant de l’hypothèse que l’évolution des liens entre l’industrie et la ville peuvent être appréhendées par les changements du travail, Éléonore Gendry mène ses réflexions en collaboration avec Sophie Vareilles, maîtresse de conférences à l’INSA-Lyon et membre du laboratoire EVS, Gilles Gesquière, professeur à l’université Lyon 2 et chercheur au LIRIS UMR 5205 et Jean-Yves Toussaint, professeur à l’INSA-Lyon et membre du laboratoire EVS. Ces derniers sont également directeurs du PEPR Ville durable et bâtiment innovant. Les sociétés contemporaines se caractériseraient par un continuum entre production, administration, organisation, culture que génère le développement du numérique et de ses applications à l’ensemble des sphères d’activités, formant ainsi des sociétés hyperindustrielles. La thèse conduite au sein du LabEx IMU dans le cadre d’un programme TIGA coordonné par la métropole de Lyon, s’intéresse à ces transformations et à leurs effets sur l’urbanisation en interrogeant leurs liens avec les transformations du travail.
  • 2. S. Sassen, La ville globale. New York, Londres, Tokyo, Descartes et Cie, Paris, 1996
  • 3. O. Dollfus, L’espace monde, Economica, Paris, 1994
  • 4. G. Simondon, 1989, Du mode d’existence des objets techniques, Aubier, Paris
  • 5. N. Dodier, Les hommes et les machines, Paris, 1995
  • 6. N. Greenan, D. Guillemot, Y. Kocoglu, « Présentation », Réseaux, vol. 162, 2010

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Audiar (2021b). Les zones d’activités de Rennes Métropole. L’optimisation du foncier économique et l’identification des gisements « théoriques » – Enseignements sur les 20 zones d’activités étudiées. Note n° 2, septembre 2021. https://www.audiar.org/sites/default/files/documents/etudes/note-02-za-foncier-d-activites_web.pdf

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Annexe I – Méthodologie

Temporalité de la recherche

• Démarrage début 2021.
• Printemps 2021 : questionnaire auprès de 15 collectivités en France (3 en Île-de-France : Est Ensemble, Plaine Commune, Grand-Orly Seine Bièvre et 12 hors Île-de-France : Angers, Bordeaux, Brest, Champigny, Grenoble, Lille, Lyon, Montpellier, Nantes, Nice, Rennes, Strasbourg).
• D’octobre 2021 à juillet 2022 a démarré l’enquête sur Bordeaux et Rennes.
• Mise en perspective avec Vienne (enquête sur site en juin 2022), Berlin (enquête sur site en décembre 2021 et en juillet 2022) et Turin (enquête sur site en juin 2022).
• Analyse et rédaction jusqu’en septembre 2023.
• Atelier acteurs-chercheurs le 1er juin 2023.

Entretiens

L’entretien semi-directif a constitué notre mode d’enquête privilégié. Au total, 73 entretiens ont été réalisés à Rennes, à Bordeaux, à Berlin, à Turin et à Vienne avec des acteurs de l’aménagement ou du développement économique au sein des collectivités, des aménageurs, des promoteurs ou des commercialisateurs, mais aussi les chambres consulaires et les agences d’urbanisme. Au cours de ces échanges d’une heure et demie environ, nous avons abordé la définition des activités dites productives, les actions menées pour favoriser l’implantation de ces activités, les limites identifiées, les contraintes, les relations entre acteurs, etc. Avec certains interlocuteurs, nous avons également exploré un projet ou un site en particulier, parfois sur le terrain.

À cela s’ajoutent 22 entretiens menés en majorité sur site avec des entrepreneurs pour comprendre les logiques de leur choix d’implantations.

Annexe II – Analyse géomatique des données Sirene

Les données couvrent l’ensemble des établissements répertoriés dans la base Sirene (fichiers « établissement » et « établissement historique ») de 1950 au 1er mars 2022. Une entreprise est comptabilisée quand l’établissement correspondant à l’adresse indiquée est ouvert au moins un jour sur une période de cinq ans. La plupart des établissements restent ouverts pendant la période entière (entreprises stables) ; certains peuvent fermer définitivement au cours de la période (entreprises défuntes) mais ils seront comptabilisés de la même manière. De façon plus rare, certains établissements peuvent être signalés à l’Insee comme étant fermés puis rouverts. Cela peut, par exemple, être dû à des travaux, ou à un transfert temporaire de l’activité dans un autre établissement.

Il est à noter que la tranche d’effectif est souvent mal renseignée et n’est pas toujours mise à jour au fur et à mesure de la croissance ou de la décroissance des effectifs de l’établissement. Néanmoins, l’analyse de quelques fichiers type a montré que la majorité des tranches d’effectif non renseignées correspond à des établissements individuels. L’absence de tranche d’effectif est donc comptabilisée comme étant le signe d’une absence de salariés. Il est néanmoins possible que certaines PME soient insuffisamment comptabilisées alors qu’elles ont 10 ou 20 salariés par exemple.

Classification des établissements par tranche d’effectifs

NN : établissement non employeur (pas de salarié au cours de l’année de référence et pas d’effectif au 31/12)
00 : 0 salarié (n’ayant pas d’effectif au 31/12 mais ayant employé des salariés au cours de l’année de référence)
01 : 1 ou 2 salariés
02 : 3 à 5 salariés
03 : 6 à 9 salariés
11 : 10 à 19 salariés
12 : 20 à 49 salariés
21 : 50 à 99 salariés
22 : 100 à 199 salariés
31 : 200 à 249 salariés
32 : 250 à 499 salariés
41 : 500 à 999 salariés
42 : 1 000 à 1 999 salariés
51 : 2 000 à 4 999 salariés
52 : 5 000 à 9 999 salariés
53 : 10 000 salariés et plus
Source : Insee

Méthode de centrographie

L’ellipse représentée est théoriquement déterminée par trois mesures :

1.calcul du point « moyen » du nuage des points (soit le centre géométrique ou un barycentre pondéré) ;

2. calcul de l’angle de rotation de l’ellipse (orientation) ;

3. calcul de la dispersion par les écarts types des coordonnées x et y à partir du point « moyen ». Ceux-ci vont définir les axes de l’ellipse et leur longueur.

Nous utilisons ici la Standard Deviational Ellipse de Yuill (1971) avec deux corrections (racine carrée et degré de liberté) sur la base de l’ouvrage de géomatique de Ned Levine45. Ces corrections permettent d’apporter une interprétation spatiale relativement simple de l’ellipse, analogue à celle d’un histogramme de dispersion pour une distribution univariée. La courbe limite de l’ellipse correspond à un contour de probabilité 64 % qu’un point de la distribution se situe à l’intérieur.

Le centre de gravité de la distribution est représenté par une étoile, avec une pondération appliquée à chaque point correspondant à la moyenne de la tranche d’effectif de l’établissement (14,5 salariés pour la catégorie 11 par exemple). On parlera de la répartition spatiale des établissements productifs pour désigner la répartition spatiale des salariés, étant donné la pondération utilisée.

  • 45. Implémentation des travaux de Ned Levine (2010) dans le logiciel CrimeStat.

Annexe III – Liste des sigles et acronymes

AGEC : (loi) anti-gaspillage pour une économie circulaire
AMI : appel à manifestation d’intérêt
AMO : assistance à maîtrise d’ouvrage
APUI : appel à projets urbains innovants
ASD (filière) : Aéronautique, spatial, défense
Audiar : Agence d’urbanisme et de développement intercommunal de l’agglomération rennaise
a’urba : agence d’urbanisme Bordeaux Aquitaine
BTP : bâtiment et travaux publics
CCI : chambre de commerce et d’industrie
Celib : Comité d’étude et de liaison des intérêts bretons
Cerema : Centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement
CMA : chambre de métiers et de l’artisanat
CUB : Communauté urbaine de Bordeaux
DGFiP : Direction générale des Finances publiques
DIA : déclaration d’intention d’aliéner
EC : économie circulaire
EPA : établissement public d’aménagement
EPF : établissement public foncier
ERC : éviter, réduire, compenser
ESS : économie sociale et solidaire
GIP GPV : Groupement d’intérêt public Grand Projet des Villes Rive droite NAF : nomenclature d’activités française
OAP : orientation d’aménagement et de programmation
OIM : opération d’intérêt métropolitain
OIN : opération d’intérêt national
PLU : plan local d’urbanisme
PLUi : plan local d’urbanisme intercommunal
PME : petites et moyennes entreprises
PMI : petites et moyennes industries
Sirene : Système national d’identification et du répertoire des entreprises et de leurs établissements SAE : schéma d’aménagement économique
SMAE : schéma métropolitain d’aménagement économique
ZA : zone d’activités
ZAE : zone d’activités économiques
ZAC : zone d’aménagement concerté
ZAD : zone d’aménagement différé
ZI : zone industrielle
ZUP : zone à urbaniser en priorité

Flavie Ferchaud, Alexandre Blein, Joël Idt, Daphné Lecointre, Flore Trautmann, Hélène Beraud, Aménager la ville productive, Les Notes de La Fabrique, Paris, Presses des Mines, 2024.
ISBN : 978-2-38542-529-6
ISSN : 2495-1706

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