Couvrir nos besoins énergétiques : 2050 se prépare aujourd’hui

Couvrir nos besoins énergétiques : 2050 se prépare aujourd’hui

 

Préface

Nous connaissons aujourd’hui une situation énergétique inédite depuis le premier choc pétrolier de 1973. Après des cours des énergies (gaz, pétrole, électricité) au plus bas pendant la crise sanitaire, liés à une contraction très forte et non anticipée de la demande dans des délais très courts, la situation est aujourd’hui inversée, sous les effets successifs de la reprise économique, et d’une nouvelle guerre sur le territoire européen, en Ukraine. Le cours du gaz a été multiplié par vingt pour dépasser les 200 €/MWh, celui de l’électricité également, pour dépasser les 1 000 €/MWh, aussi bien en spot qu’en prix à terme. En France se sont ajoutés des défauts détectés sur le parc nucléaire fin 2021, ce qui a conduit à la fermeture pour contrôles et réparations de plus de dix réacteurs en plus des travaux du « grand carénage » déjà prévus, et ce alors que le planning de maintenance des réacteurs était déjà fortement perturbé par la crise sanitaire, avec encore des conséquences pour plusieurs années. Si cela n’était pas suffisant, la France a connu un été particulièrement sec, conduisant à un état des stocks hydrauliques parmi les plus bas jamais enregistrés… La sécurité d’approvisionnement énergétique de l’hiver 2022-2023 a donc été placée sous vigilance.

Dans le même temps, la lutte contre le changement climatique reste une priorité absolue. Vingt-sept années seulement nous séparent de l’objectif de neutralité carbone en 2050. La réduction des émissions de gaz à effet de serre ne pourra être atteinte que grâce à une production d’énergie décarbonée, et l’électricité jouera donc un rôle essentiel. Sa part devrait ainsi plus que doubler dans le mix énergétique global pour représenter plus de 50 % d’ici le milieu du siècle. À cet horizon 2050, la quasi-totalité du parc de production électrique que nous connaissons aujourd’hui devra avoir été renouvelée : d’ici là, les installations du parc nucléaire auront pour la majorité atteint 60 ans, celles de production renouvelables actuelles dépassé leur durée de vie attendue (25 à 30 ans). Répondre au défi de la neutralité carbone nous demande donc non seulement de remplacer la grande majorité des capacités de production mises en service sur les 60 dernières années par des capacités décarbonées (nucléaires et renouvelables) mais également d’installer des capacités supplémentaires afin de couvrir les nouveaux besoins.

Or, il faut environ 10 à 15 ans pour installer une nouvelle unité de production nucléaire, environ 10 ans pour un nouveau parc éolien en mer avec son raccordement. Le mix électrique de 2050 demande donc de prendre des décisions structurantes aujourd’hui. Le président de la République a donné ses grandes orientations pour le mix de demain : un mix électrique diversifié et décarboné qui repose sur la complémentarité entre les énergies renouvelables et la production d’origine nucléaire. Ces orientations devront être adoptées par le Parlement au cours de l’année 2023 puis déclinées dans la programmation pluriannuelle de l’énergie.

Cette étude conduite par deux ingénieurs élèves du Corps des mines en collaboration avec La Fabrique de l’industrie a modélisé les orientations dessinées par le président de la République à Belfort et cherché à étudier des scénarios alternatifs. Avec des outils de modélisation plus modestes que ceux utilisés par le gestionnaire de réseau (RTE) dans son rapport « Futurs énergétiques 2050 », l’importante analyse technique menée ici illustre la pertinence économique d’un mix électrique qui repose sur un développement ambitieux tant du nucléaire que des énergies renouvelables. Elle confirme qu’une réindustrialisation massive requiert des développements encore plus significatifs des moyens de production décarbonés. L’étude illustre également la nécessité d’accélérer fortement le développement des capacités renouvelables à court terme pour atteindre les objectifs climatiques de 2030. Les besoins en termes de flexibilité, et notamment de stockage à moyen et long terme, sont significatifs.

Cette étude illustre ainsi, scénarios à l’appui, l’ampleur des défis à relever pour être au rendez-vous de la transition énergétique et de la neutralité carbone.

Sophie Mourlon Directrice de l’énergie au ministère de la Transition énergétique

Résumé

Atteindre l’objectif européen de neutralité carbone en 2050 repose en grande partie sur la décarbonation de l’énergie que nous consommons. Nous devons donc sortir de notre dépendance aux combustibles fossiles (pétrole, gaz, charbon), principalement au profit d’une électricité bas carbone.

Dans cette optique, les États signataires de l’accord de Paris doivent anticiper une très forte électrification de leurs usages et transformer leur mix énergétique en conséquence. En France, la consommation annuelle d’électricité, aujourd’hui de 470 TWh, devrait osciller, selon les travaux de RTE, entre 555 et 754 TWh (scénario « hydrogène + ») en 2050. La valeur réellement atteinte dépendra principalement du niveau d’industrialisation de la France, du niveau d’électrification des transports, des efforts de sobriété et de la performance énergétique des bâtiments que nous aurons obtenue à cette date.

Aussi, pour augmenter la production d’électricité décarbonée, Emmanuel Macron a annoncé à Belfort en février 2022 sa volonté de développer massivement les énergies renouvelables (EnR) tout en modernisant le parc nucléaire. Concrètement, l’exécutif entend, d’ici 2050, multiplier par 10 la production actuelle d’énergie solaire (pour atteindre 100 GW), déployer cinquante parcs éoliens en mer (pour atteindre environ 40 GW) et doubler la capacité éolienne terrestre (à 40 GW également). Le nouveau programme nucléaire permettrait, lui, de bénéficier de 10 à 25 GW de nouvelles capacités, selon que 6 ou 14 EPR2 (avec quelques SMR, pour small modular reactors, en complément) sont construits d’ici 2050.

Si ce programme paraît à première vue très ambitieux, nos simulations1 montrent pourtant qu’il serait nécessaire de déployer un supplément d’effort pour couvrir tous nos besoins en électricité. En effet, les nouvelles capacités nucléaires annoncées ne permettront pas de remplacer celles du parc nucléaire historique, qui devrait connaître des fermetures en série à partir de 2030. Les nouvelles capacités renouvelables souhaitées par le président Macron ne suffiront pas non plus à couvrir la totalité des besoins, surtout dans un scénario de réindustrialisation du pays conforme aux ambitions de l’exécutif2. Notre scénario de référence, qui tient compte de cet objectif, table en effet sur une consommation de 779 TWh en 2050 (+65 % par rapport à 2019), supérieure aux projections de RTE sur lesquelles étaient fondées les annonces de Belfort. En d’autres termes, suivre le plan présidentiel à la lettre conduirait la France à devenir importatrice nette d’électricité pour environ 80 TWh/an. A contrario, et même sous l’hypothèse la plus « nucléariste » de développement de 14 EPR2, le parc éolien (terrestre et en mer) devra en réalité être multiplié par 5 et la capacité solaire par 14, d’après nos simulations, pour couvrir les besoins d’électricité. C’est donc bien sur deux plans, nucléaire et EnR, qu’il faudra redoubler d’efforts.

La construction du parc EnR, qui vient compléter le parc électronucléaire, sera en effet un défi de premier ordre, puisqu’il faudra dépasser chaque année les récents records d’installation, aussi bien dans le photovoltaïque que dans l’éolien. En pratique, c’est 1,8 GW d’éolien en mer qui devra être mis en service chaque année pour couvrir nos besoins futurs en électricité, l’optimisation économique du mix électrique conduisant à saturer le gisement identifié par la programmation pluriannuelle de l’énergie (49 GW). Par ailleurs, le rythme de déploiement du solaire doit doubler par rapport à aujourd’hui, dès la décennie 2020, et quadrupler pendant la décennie 2030. Ce rythme extrêmement soutenu pourrait ensuite ralentir grâce à la mise en service de nouveaux réacteurs nucléaires. En cas d’abandon du nouveau programme nucléaire, en revanche, ce rythme devrait être maintenu jusqu’en 2060, tout en recourant à davantage d’éolien terrestre que prévu dans les annonces de Belfort.

Un tel abandon serait néanmoins une erreur, la France ayant un véritable intérêt économique à déployer de nouvelles capacités nucléaires. Cela permettrait en effet de minimiser le coût complet du système électrique3 à l’horizon 2050-2060, pour deux raisons essentielles : la réduction des coûts de réseau et la préservation du solde exportateur de la France (qui ne restera exportatrice d’électricité qu’avec une forte relance du nucléaire, représentant environ 25 GW de nouvelles capacités en 2050). Entre les deux scénarios esquissés par Emmanuel Macron, l’écart de coût, en 2050, est de près de 3 milliards d’euros par an, en faveur du plus nucléarisé. Un scénario encore plus volontariste en matière de prolongement du parc nucléaire existant permettrait même d’économiser jusqu’à 7 milliards d’euros par an, par rapport à un scénario sans nouveau nucléaire. Le développement du nucléaire en France permet en outre de produire de l’hydrogène compétitif en Europe à l’horizon 2050 et de réduire le coût moyen de l’hydrogène produit en Europe de l’Ouest grâce aux effets redistributifs permis par les interconnexions avec la France.

Dans tous les cas de figure, nos travaux montrent également que l’équilibre entre production et consommation passera nécessairement par le développement de moyens de flexibilité complémentaires : les interconnexions avec les pays voisins, la flexibilité de la demande et le recours au stockage de l’électricité.

Les interconnexions permettent de profiter du foisonnement de la production renouvelable en Europe, et réduisent le besoin en capacités de production pilotables (comme le nucléaire) en les mutualisant à l’échelle européenne. En matière de pilotage de la demande, l’électromobilité constituera le principal gisement de flexibilité. Avant même de recourir aux technologies de recharge intelligente (smart charging) et bidirectionnelle (vehicule-to-X), la recharge en journée sur le lieu de travail et dans les lieux publics permettra notamment d’optimiser la consommation des surplus de production solaire.

Les interconnexions et les solutions de flexibilité contribueront donc à assurer l’équilibre offre-demande en temps réel sur le réseau électrique, équilibre rendu plus difficile par le développement des énergies renouvelables dont la production est intermittente. En complément, le recours au stockage sera également indispensable. Dans presque tous les scénarios que nous avons modélisés, le stockage hydraulique est la solution de stockage la plus intéressante d’un point de vue économique : 6 GW de capacités s’ajoutant aux 5 GW existants pourraient être déployés d’ici 2040. Les batteries constitueront une solution complémentaire pour le stockage journalier, bien adaptée au déploiement du solaire, les besoins étant d’autant plus importants que le recours au nucléaire sera faible.

D’ici 2030, l’association des batteries à un déploiement accéléré des énergies renouvelables permettrait quasiment d’éliminer le recours aux énergies fossiles pour produire de l’électricité, tout en optimisant le coût du système électrique. De 5 à 7 GW de batteries d’une capacité de 1 h 30 à 2 heures permettraient d’atteindre cet optimum. Pour déployer de telles capacités de stockage, il faudrait toutefois lancer dès aujourd’hui les premiers appels d’offres sur le stockage prévus par la loi Climat et résilience.

  • 1. Notre analyse s’appuie sur un outil de modélisation développé sous Python que nous désignerons comme le modèle de Belfort. Cet outil nous permet d’étudier à l’horizon 2030-2060 différents scénarios de production et de consommation d’électricité.
  • 2. La réindustrialisation de la France est l’un des objectifs du plan France 2030 présenté fin 2021.
  • 3. Somme des coûts des moyens de production, des moyens de stockage et de flexibilité de la demande, du réseau de transport et de distribution, des interconnexions et du bilan des échanges extérieurs d’électricité (imports et exports).

Remerciements

Nous tenons avant tout à remercier Pierre Couveinhes et Bruno Bensasson, qui nous ont encadrés tout au long de cette année, pour le temps qu’ils nous ont consacré et les nombreux conseils qu’ils nous ont prodigués. Nous remercions également particulièrement Robin Girard, enseignant-chercheur à Mines Paris – PSL, et son étudiant de thèse Quentin Raillard Cazanove pour leur support technique et le partage de leur outil d’optimisation.

Nous remercions chaleureusement Anaïs Aït Mansour, Loïc Loupret, Rim Tekaya, Ibrahima Sory Barry, Cyril Milhaud, Damien Tournemire, Christophe Boillon, Étienne Pasteau, Caroline Vaz, Antoine Descamps, Caroline Pereira, Sarah Guglielmetti, Philémon Perrot, Youssef Karma, David Stidler, Serge Kirhero et Andrea Tanzi-Albi, élèves de l’INSP avec lesquels nous avons conduit une mission très enrichissante de trois semaines en février 2022 dans le cadre d’une commande de la Direction générale de l’énergie et du climat, que nous remercions également. Nous sommes aussi très reconnaissants envers toutes les personnes que nous avons rencontrées ou interrogées dans le cadre de ce travail, pour le temps qu’elles nous ont accordé et pour leurs points de vue toujours très enrichissants.

Nous remercions également tous ceux qui ont participé à l’amélioration de cet ouvrage, en particulier l’équipe éditoriale de La Fabrique de l’industrie, notamment Émilie Binois et Vincent Charlet, les membres du Conseil d’orientation de La Fabrique de l’industrie et Julien Tognola, directeur de cabinet adjoint de la précédente ministre de la Transition écologique. Enfin, nous remercions tous ceux qui ont pris le temps de discuter avec nous de ce sujet passionnant.

Introduction

D’après le dernier rapport du GIEC d’avril 2022, de 3,3 à 3,6 milliards d’humains vivent dans des conditions de forte vulnérabilité au réchauffement climatique. Il s’élève déjà à 1,1 °C par rapport à l’ère préindustrielle et pourrait atteindre 1,5 °C bien avant 2040. Les actions à moyen terme (d’ici 2050) limitant le réchauffement autour de 1,5 °C réduiraient substantiellement les dommages aux écosystèmes et aux sociétés humaines par rapport à des niveaux de réchauffement plus élevés, sans toutefois les éliminer. Il y a donc urgence à diminuer les émissions de gaz à effet de serre et le recours aux énergies fossiles.

D’autant qu’à l’urgence climatique s’ajoute le besoin d’indépendance énergétique dans un contexte géopolitique instable conduisant à une hausse vertigineuse des prix de l’énergie tant électrique que gazière en Europe. Selon l’Agence internationale de l’énergie (IEA), les économies d’énergie complétées par le développement et l’optimisation des sources renouvelables et bas carbone sont des moyens actionnables à plus ou moins court terme pour sortir durablement de la crise que nous traversons. Les États comme la France sont donc contraints de définir de nouveaux mix énergétiques. Il s’agit de déterminer quelles énergies exploiter et dans quelles proportions les répartir pour satisfaire les besoins des particuliers et des entreprises (chauffage, transport, production de chaleur, production d’électricité, etc.).

Chaque pays dispose d’un mix énergétique différent en fonction de ses ressources mais aussi de ses choix politiques. En France, le bouquet d’énergie primaire (3 002 TWh en 20194) se compose de 40 % de nucléaire, 48 % de ressources fossiles (pétrole, gaz et charbon) et de 12 % d’énergies renouvelables (principalement du bois et de l’hydro-électricité). Dans cette configuration, le mix énergétique français est déjà l’un des moins carbonés parmi les pays développés5, mais la France doit encore accélérer sa décarbonation, notamment en renonçant aux énergies fossiles, pour atteindre la neutralité carbone en 2050. Selon la stratégie nationale bas carbone (SNBC), l’atteinte de cet objectif demandera nécessairement une électrification grandissante des usages. L’électricité devra même atteindre 55 % de la consommation énergétique finale (1 777 TWh en 20196), contre 25 % aujourd’hui. Si la France dispose actuellement d’un mix électrique décarboné à 90 %, essentiellement grâce à l’énergie nucléaire (environ 70 % de l’électricité produite) et aux énergies renouvelables (à hauteur de 20 %)7, l’électricité ne représente en effet, pour le moment, qu’une part minoritaire de la consommation finale largement dominée par les combustibles fossiles (à hauteur de 63 %), pour le transport, le bâtiment et l’industrie8. Le système électrique français est donc soumis au double défi de conserver sa performance climatique tout en répondant à de nouveaux usages aujourd’hui carbonés.

Dans ce contexte, la part relative du nucléaire et des énergies renouvelables fait l’objet de vifs débats. Si le nucléaire permet d’assurer une production pilotable, capable de répondre en temps réel à la plupart des besoins en électricité avec des émissions quasi nulles, il ne permettra probablement pas de couvrir l’intégralité des besoins futurs en raison de la fermeture progressive du parc historique de réacteurs et du défi industriel que représente leur remplacement. Les énergies renouvelables telles que l’éolien ou le solaire pourraient couvrir les besoins complémentaires mais leur production est intermittente, c’est-à-dire variable, aléatoire et non pilotable. Un mix énergétique intégrant une part importante d’énergies renouvelables doit donc faire preuve d’une grande flexibilité pour compenser l’absence de production ou au contraire une production trop importante à certaines périodes.

Afin d’éclairer les choix de mix énergétiques à l’horizon 2050, le gestionnaire du Réseau de transport d’électricité français (RTE) a publié fin 2021 un rapport présentant plusieurs scénarios. En se fondant sur ce rapport, Emmanuel Macron a annoncé en février 2022, à Belfort, vouloir à la fois développer massivement les énergies renouvelables et relancer le nucléaire en France. Quelles conséquences ces nouvelles orientations pourraient-elles avoir pour le futur système électrique ? Telle est la question centrale à laquelle cet ouvrage tente de répondre.

Notre analyse s’appuie sur un outil de modélisation développé sous Python que nous désignerons comme le modèle de Belfort9. Cet outil nous permet d’étudier, à l’horizon 2030-2060, différents scénarios de production et de consommation d’électricité plausibles, compte tenu des annonces de Belfort et des objectifs climatiques français et européens. Ces simulations démontrent que la consommation électrique pourrait fortement augmenter d’ici 2050, et d’autant plus si la France se réindustrialise. Ainsi, l’ambition présidentielle annoncée à Belfort en matière de développement des énergies renouvelables et de nucléaire pourrait ne pas suffire à couvrir les besoins.

Après avoir abordé les objectifs et les enjeux de la politique énergétique au chapitre 1, nous présenterons les principales hypothèses de consommation et de production du modèle de Belfort au chapitre 2. Puis, nous exposerons au chapitre 3 les avantages économiques de la relance du nucléaire en termes de coût pour le consommateur et de souveraineté énergétique, mais aussi pour la compétitivité de l’hydrogène produit en France. Enfin, le chapitre 4 présentera les besoins de flexibilité nécessaires à l’équilibre offre- demande dans les différents scénarios de notre modèle et les enjeux associés.

  • 4. Nous avons pris pour repère le chiffre de 2019, plutôt que celui de 2020, année très perturbée par le Covid-19 et donc peu représentative du niveau moyen de consommation d’énergie en France.
  • 5. En 2018, la France émettait 5 tonnes équivalent CO2 par habitant en moyenne, alors que la moyenne européenne était de 6,9 tonnes. La même année, les États-Unis émettaient 16,1 tonnes par habitant. Voir « Chiffres clés du climat – Édition 2021 » (ministère de la Transition écologique, 2021b).
  • 6. 1 777 TWh correspondent à la consommation à «usage énergétique». Les quelques 1200 TWh d’écart entre le bouquet primaire et la consommation finale tiennent essentiellement aux pertes et usages internes du système énergétique. Par exemple, en 2019, le nucléaire représentait 1 209 TWh de chaleur produite dans le bouquet primaire et 379,5 TWh d’électricité délivrée dans la consommation finale.
  • 7. La production nucléaire a baissé depuis 2020 en raison de la pandémie de Covid-19, puis des travaux de maintenance et de problèmes de corrosion sous contrainte sur une partie du parc de réacteurs. La situation devrait redevenir normale à partir de 2023.
  • 8. Pour tous ces chiffres, voir « Le Bilan énergétique de la France pour 2019 » (ministère de la Transition écologique, 2021a).
  • 9. Le modèle est accessible sur Github (github.com/robingirard/Etude_TP_CapaExpPlaning-Python).
Chapitre 1

Le mix énergétique de la France : des scénarios RTE aux annonces de Belfort

Des six scénarios établis par le Réseau de transport d’électricité, RTE, pour atteindre la neutralité carbone en 2050, deux conclusions majeures se dégagent : la réalisation de cet objectif doit passer par une forte électrification de nos usages et par la transformation de notre mix énergétique en faveur d’une production d’énergie décarbonée. Fort de ces enseignements, le président Emmanuel Macron a annoncé début 2022, à Belfort, sa volonté de développer massivement les énergies renouvelables, et plus particulièrement les capacités photovoltaïques et l’éolien en mer, tout en modernisant le parc nucléaire.

Objectif neutralité carbone en 2050

L’accord de Paris sur le climat de 2015, qui engage les pays signataires à limiter le réchauffement climatique entre 1,5 et 2 °C, a marqué un tournant au sein de l’Union européenne. Une véritable stratégie environnementale, nommée le pacte vert pour l’Europe ou European Green Deal, a vu le jour avec l’ambition d’atteindre la neutralité carbone d’ici 2050. À cette date, la totalité des émissions de gaz à effet de serre – qu’il s’agit d’abord de réduire – devra donc être captée ou absorbée par les puits de carbone naturels (forêts, sols, océans).

Pierre angulaire du pacte vert, la loi européenne sur le climat adoptée en juin 2021 a gravé dans le marbre l’objectif de neutralité carbone, de même qu’une cible intermédiaire de réduction des émissions de l’UE d’au moins 55 % d’ici à 2030 par rapport à 199010. Cette loi s’est accompagnée d’un paquet de douze propositions législatives (baptisé Fit for 55) visant tous les acteurs et les secteurs. Il définit des actions concrètes de réduction des émissions telles que le renforcement et l’extension du marché carbone, le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières, l’accélération de la décarbonation dans le domaine de la mobilité, la protection et l’entretien des puits de carbone, la définition de stratégies pour l’éolien offshore et l’hydrogène, la révision des objectifs de rénovation des bâtiments, la révision du règlement sur les réseaux transeuropéens d’énergie. Enfin, dans le cadre du pacte vert, a été instaurée une taxonomie de l’énergie dont l’objectif est d’orienter les investissements vers les activités « vertes ».

Vers une baisse de 40 % de notre consommation d’énergie

En France, c’est la stratégie nationale bas carbone (SNBC) qui sert de feuille de route pour atteindre la neutralité carbone et respecter les objectifs communautaires. Révisée en mars 2020, la SNBC affiche notamment des objectifs ambitieux en matière de réduction de la consommation d’énergie : de 1 777 TWh en 2019 à 1 060 TWh en 2050 (soit −40 %). Elle prévoit également une augmentation significative du recours à l’électricité, afin de décarboner les secteurs de la mobilité, de l’industrie et de la production d’énergie. En 2050, selon le scénario de référence de la SNBC, la consommation finale d’électricité serait de l’ordre de 580 TWh (contre environ 430 TWh en 2019)11.

La SNBC est étroitement liée à la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE), qui définit quant à elle les orientations de la France en matière de maîtrise de la demande d’énergie, de promotion des énergies renouvelables, de garantie de la sécurité d’approvisionnement, de maîtrise des coûts de l’énergie et de développement équilibré des réseaux. Ce document de pilotage de la transition énergétique décline à différentes échelles (nationales et locales) et dans différents secteurs (consommation, production, approvisionnement) les objectifs pour atteindre à la neutralité carbone en 2050. La PPE permet de définir le développement décarboné de l’énergie sur les dix premières années de la SNBC.

La sobriété énergétique pour levier

Réduire la consommation énergétique passe par des changements comportementaux, et notamment par la sobriété énergétique12. Les projections de la SNBC reposent ainsi sur une sollicitation optimiste des leviers de sobriété, avec des besoins de la population en légère diminution dans l’ensemble des secteurs, associés à un changement important des modes de consommation, sans perte de confort. La SNBC souhaite ainsi que se développe une culture du bas carbone passant par les actions suivantes : partager les espaces et les appareils (hausse du nombre de personnes par ménage, autrement dit la colocation choisie), baisser volontairement la température de consigne du chauffage de 1 °C, réduire de 30 % l’usage de l’eau chaude, télétravailler (de 20 à 50 %), favoriser la sobriété numérique, se déplacer moins et mieux (réduction des vitesses).

Différentes définitions de la sobriété

Selon la SNBC : « Consommer avec modération (moins consommer) les biens et services à forts impacts environnementaux (typiquement réduire sa température de chauffage). »

Selon l’Ademe : « Recherche de “moins”, de modération tout en recherchant un “mieux”, notamment de la qualité de vie. »

Selon négaWatt : « Réduction des consommations superflues s’organisant par une hiérarchisation des besoins, et favorisant les comportements et activités intrinsèquement peu consommateurs d’énergie au niveau individuel et collectif. »

Renforcer l’efficacité énergétique, notamment dans le bâtiment

La sobriété ne peut toutefois s’examiner indépendamment de l’efficacité énergétique13, concourant elle aussi à réduire la consommation énergétique.

La SNBC et la PPE visent ainsi :

  • une réduction de 87 % des émissions de gaz à effet de serre dans les domaines des bâtiments et du tertiaire ;
  • une cible BBC (bâtiment basse consommation, soit un critère de 50 kWh/m2/an en énergie primaire) en moyenne pour le parc immobilier, d’ici 2050 ;
  • dans les secteurs résidentiel et tertiaire, jusqu’à 700 000 rénovations complètes par an en moyenne sur la période 2015-2030 puis plus de 800 000 par an à partir de 2040 ;
  • une diminution de la consommation énergétique des bâtiments résidentiels et tertiaires de 745 TWh en 2017 à 636 TWh en 2028, soit 109 TWh en dix ans.

Le très énergivore secteur du bâtiment

Les chiffres de 2018 du ministère de la Transition écologique sont plutôt éloquents quant au chemin qu’il reste à parcourir pour améliorer l’efficacité énergétique des bâtiments. Seuls 1,9 million de logements (6,6 % du parc) sont peu énergivores et gagnent des étiquettes A ou B à l’issue du diagnostic de performance énergétique (DPE), quand 77 % du parc résidentiel est classé C à D. Les étiquettes D et E sont les plus fréquentes (respectivement 34,2 % et 24,4 % du parc) ; parmi les appartements, on atteint même 36,2 % de classe D. On compte enfin 4,8 millions de passoires thermiques (classes F et G).

Les logements très énergivores sont le plus souvent des maisons individuelles (18,4 %, contre 14,7 % pour des logements situés dans un habitat collectif).

Il est à noter que la Loi de transition énergétique pour la croissance verte (LTECV) prévoit, depuis 2017, une rénovation annuelle de 500 000 logements (article 3) et une éradication des passoires thermiques en 2028. À l’échelle européenne, le Green Deal prône le doublement du taux annuel de rénovation d’ici 2030 (soit 1 % du parc en 2030, ou 35 millions de bâtiments).

Sortir de la dépendance aux énergies fossiles

Outre la réduction de notre consommation d’énergie, atteindre la neutralité carbone exige également une utilisation de plus en plus réduite des énergies les plus carbonées, les énergies fossiles. La sortie de la dépendance au gaz et au pétrole implique une hausse du recours à l’électricité, pourvu qu’elle soit elle aussi produite de façon décarbonée.

La construction du parc nucléaire historique a permis de décarboner largement le mix énergétique français, tout en répondant aux besoins croissants d’électricité du pays. Aujourd’hui, près de 70 % de l’électricité française provient de l’énergie nucléaire et le mix électrique français est l’un des plus décarbonés d’Europe14.

L’enjeu pour les années à venir est d’améliorer la performance climatique du mix électrique tout en répondant à une forte hausse de la consommation d’électricité. Dans cette perspective le gouvernement a demandé à RTE et à l’Agence internationale de l’énergie de réaliser une étude sur l’évolution du système électrique intitulée « Futurs énergétiques 2050 ». Ce document publié en octobre 2021 présente six scénarios de transformation du mix électrique afin d’atteindre les objectifs communautaires et nationaux15. Ces scénarios sont classés en deux catégories. Dans la première catégorie, les scénarios « M » (M0, M1 et M23) orientent les nouveaux investissements exclusivement sur les énergies renouvelables : le scénario M0 est 100 % renouvelable, M23 maintient uniquement le parc nucléaire historique. Dans la seconde catégorie, les scénarios « N » (N0, N1 et N03) visent un mix électrique plus diversifié technologiquement, en combinant énergies renouvelables et nouveaux réacteurs nucléaires : ces scénarios se différencient par le rythme de développement du nouveau nucléaire.

Tous ces scénarios permettent d’équilibrer l’offre et la demande d’électricité à l’horizon 2050 avec un niveau de consommation proche de celui de la SNBC (645 TWh en 2050)16 et reposent sur des hypothèses communes en matière de développement des capacités de production hydraulique, marine, de bioénergie, d’import et de stations de transfert d’énergie par pompage- turbinage (STEP).

Les annonces de Belfort

Avant même le déclenchement du conflit entre l’Ukraine et la Russie, mettant à mal l’approvisionnement énergétique de l’Europe, Emmanuel Macron a martelé le besoin de souveraineté énergétique de la France lors de ses discours du 9 novembre 2021 et du 10 février 2022. Lors de cette dernière allocution à Belfort, le président de la République a dévoilé les orientations qu’il souhaite donner au système énergétique français en se fondant sur les travaux de RTE. Ces annonces visent un triple objectif : accélérer la réduction des émissions de gaz à effet de serre par l’électrification d’ici à 2030 ; atteindre la neutralité carbone d’ici à 2050 par le maintien et le développement de nouvelles capacités de production nucléaire et renouvelables ; sortir de la dépendance aux énergies fossiles d’ici trente ans.

Figure 1.5 – Annonces du président de la République à Belfort : capacités à installer en 2050

Source : discours du président de la République du 10 février 2022.
(*) Nous avons rebaptisé les scénarios annoncés par le président Macron « Nucléaire + » et « Nucléaire − », tels qu’ils seront nommés dans la suite de ce document.

Le président de la République semble avoir suivi les deux principaux enseignements du rapport de RTE : primo, atteindre la neutralité carbone en 2050 est impossible sans un développement significatif des énergies renouvelables ; secundo, se passer de nouveaux réacteurs nucléaires implique des rythmes de développement des énergies renouvelables plus rapides que ceux des pays européens les plus dynamiques.

La proposition faite à Belfort (avec un développement plus ou moins volontariste du nucléaire) esquisse deux nouveaux scénarios, qui se rapprochent des scénarios N de RTE, modulo une prolongation de la durée de vie de la grande majorité des réacteurs au-delà de 50 ans (après avis de l’Autorité de sûreté nucléaire), une relance du nucléaire pour atteindre le rythme de construction maximal proposé dans les scénarios N2 et N03 (14 EPR2) et le développement d’autres types de réacteurs (notamment les SMR).

Pour être effectives, ces grandes orientations devront être adoptées par les parlementaires dans le cadre de la révision de la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) en 2023. Dans sa mouture actuelle, ce document de pilotage prévoit, pour le moment, une réduction du nucléaire à 50 % de la production d’ici 2035, et un accroissement des énergies renouvelables à 33 % de la consommation finale d’énergie en 2030. À cette date, les énergies renouvelables devraient représenter 40 % de la production d’électricité, 38 % de la consommation finale de chaleur, 15 % de la consommation finale de carburant et 10 % de la consommation de gaz.

Toutefois, dans la future PPE, le président Macron entend revenir sur l’objectif de réduction de la part du nucléaire à 50 %, qui était une promesse de François Hollande ayant conduit à la fermeture prématurée de la centrale nucléaire de Fessenheim. « Je souhaite qu’aucun réacteur nucléaire en état de produire ne soit fermé à l’avenir compte tenu de la hausse très importante de nos besoins électriques ; sauf, évidemment, si des raisons de sûreté s’imposaient », déclarait-il à Belfort. La PPE devrait aussi accélérer le développement des énergies renouvelables compte tenu des ambitions du président de la République et de la nécessité de sortir de la dépendance au gaz russe.

  • 10. La « loi climat » du 4 mars 2020 de l’Union européenne.
  • 11. Ces chiffres ne tiennent pas compte des pertes sur le réseau qui représentent de 40 à 50 TWh.
  • 12. RTE évalue à 90 TWh les économies d’électricité possibles d’ici 2050, avec un fort recours à la sobriété, dans son rapport « Futurs énergétiques 2050 », d’octobre 2021. La sobriété n’empêcherait toutefois pas la hausse de la consommation électrique (de 470 TWh aujourd’hui à 555 TWh en 2050, pertes de réseau comprises).
  • 13. L’efficacité énergétique est définie dans la SNBC comme «l’amélioration des procédés, technologies et produits pour réduire leur consommation énergétique et augmenter leur rendement. Il s’agit d’atteindre au moins le même résultat en consommant moins d’énergie ».
  • 14. L’intensité carbone du mix électrique français s’élevait en 2019 à 43 g éq. CO2/kWh contre 385 g CO2/kWh en Allemagne.
  • 15. Pour élaborer ce rapport, RTE a constitué de nombreux groupes de travail dans lesquels des acteurs majeurs du monde de l’énergie et de la société civile étaient représentés. La large consultation et la grande concertation font de ce rapport un objet de consensus.
  • 16. Il s’agit du scénario de référence de RTE. Des hypothèses de consommation alternatives ont aussi été proposées par RTE (réindustrialisation, sobriété, davantage d’hydrogène). Par ailleurs, les hypothèses de consommation du modèle de Belfort dépassent assez largement les 645 TWh.

Focus – Faire cohabiter nucléaire et énergies renouvelables

L’électricité est devenue indispensable à notre quotidien. Demain, il faudra pouvoir assurer la même continuité de service en intégrant une part importante d’énergies renouvelables dans le mix électrique, ce qui n’est pas sans difficulté.

L’éolien et le solaire : des sources d’énergie intermittentes

La première de ces difficultés tient au caractère fortement variable des productions d’électricité d’origine éolienne et solaire, que ce soit en fonction de facteurs récurrents (alternance de la nuit et du jour, ainsi que des saisons) ou aléatoires (variations météorologiques). On parle d’énergies intermittentes.

Pour l’éolien, la puissance produite en France varie fréquemment, de façon parfois très rapide (de l’ordre de quelques heures), et avec une amplitude large. Par exemple, comme l’indiquent les données RTE (voir figure 1.a), le 2 octobre 2021, la puissance éolienne injectée sur le réseau est passée de 2,3 GW à 3 heures du matin à 12,3 GW à 20 heures. Sur le mois d’octobre 2021 complet, elle a varié entre 570 MW et 13,17 GW, soit plus d’un facteur 20.

Pour le solaire photovoltaïque, les variations sont plus régulières. De façon évidente, la production est nulle la nuit mais elle est significative entre 8 heures et 19 heures et suit une évolution en cloche avec un pic de production aux alentours de 13 heures. L’amplitude de la cloche peut cependant fortement varier d’un jour à l’autre au cours d’une même semaine. Ainsi, au cours de la semaine du 25 octobre 2021, l’amplitude a été de 6,4 GW le 27 octobre mais seulement de 2,6 GW le 30 octobre.

Les productions éolienne et solaire sont en outre soumises à une saisonnalité. Ainsi, l’éolien est plus productif en hiver qu’en été, et inversement pour le solaire. La saisonnalité du solaire est, à nouveau, plus régulière que celle de l’éolien.

L’éolien et le solaire sont aussi des énergies dites fatales, c’est-à-dire que l’on n’a aucun contrôle sur leur niveau de production. Elles s’opposent aux énergies pilotables dont la production peut être contrôlée pour répondre aux besoins avec plus ou moins de flexibilité : c’est le cas des centrales thermiques (turbines à combustible et cycles combinés) fonctionnant au gaz, au fioul ou au charbon, des centrales nucléaires ou des centrales hydrauliques avec barrages de retenue. L’énergie hydraulique au fil de l’eau est également fatale (donc non pilotable), sans pour autant être qualifiée d’intermittente, car sa variabilité est plus faible et avec des constantes de temps plus longues que l’éolien et le solaire.

L’intermittence peut être caractérisée par le facteur de charge, qui est le rapport entre la puissance produite à un instant donné ou sur une plage de temps donnée (par exemple une année) et la puissance nominale (maximale) de l’unité de production.

Figure 1.c – Facteurs de charge des énergies éolienne, solaire (en 2020) et du nucléaire (en 2019)

(*) L’année 2019 a été retenue pour le nucléaire au lieu de l’année 2020 pour ne pas biaiser les résultats avec les résultats conjoncturels de la crise du Covid-19 ayant entraîné des arrêts de tranche prolongés et l’effet de la fermeture de la centrale de Fessenheim.
(**) Comparaison internationale avec 12 pays en Europe de l’Ouest (Autriche, Belgique, Suisse, Allemagne, Danemark, Espagne, France, Royaume-Uni, Irlande, Italie, Pays-Bas, Portugal). Les résultats ont été calculés à partir des données de la plateforme ENTSO-E, de l’Irena et de Terna.

Avec cet indicateur, on sait que les panneaux solaires français ont fourni en moyenne 14 % de leur puissance nominale en 2020, mais leur facteur de charge a naturellement beaucoup fluctué au cours de l’année, de 0 % la nuit jusqu’à presque 80 % en milieu de journée l’été. L’intermittence peut donc être caractérisée plus finement par les monotones de puissance, qui représentent le nombre ou le pourcentage d’heures de l’année pour lequel le facteur de charge a dépassé un certain seuil. Ainsi, la monotone de puissance du nucléaire indique que les centrales nucléaires françaises ont fonctionné tout au long de l’année 2019 à plus de 50 % de leur puissance nominale et au-delà de 70 % pendant 40 % de l’année (voir figure 1.d)17. Au contraire, le facteur de charge de l’éolien ne dépasse les 40 % que pendant 20 % de l’année 2020 et chute au-dessous de 10 % pendant 15 % de l’année.

Une demande volatile

Fournir en continu de l’électricité produite à partir d’énergies fatales est d’autant plus compliqué que la demande est, elle aussi, très variable. En journée, le pic de consommation est atteint à midi et à 19 heures et la consommation passe du simple au double entre l’été et l’hiver, avec des pointes très importantes en période de grand froid (102 GW en février 2012).

La consommation est donc dite également très variable en raison de sa « thermosensibilité » : les consommateurs utilisent plus de chauffage lors de vagues de froid et de climatisation lors de vagues de chaleur. Le besoin de chauffage est un élément particulièrement dimensionnant pour le système électrique, car c’est le principal contributeur à la thermosensibilité de la consommation. Aujourd’hui, la consommation électrique française en hiver augmente de 2,5 GW par degré de moins.

Or, la production des énergies renouvelables ne répond que partiellement à la demande. En effet, le solaire produit plus en été alors que les consommations les plus importantes ont lieu en hiver, et l’éolien produit davantage en hiver mais de façon très aléatoire. Il en résulte une consommation résiduelle à compenser par d’autres moyens de production, même sous l’hypothèse d’économies d’énergie.

Une détérioration de la rentabilité des productions de base

Pour satisfaire la demande, le marché sollicite en priorité les installations de production d’électricité les plus compétitives, indépendamment de leur localisation. Cet ordre de préséance économique, dit merit order, s’accompagne d’une définition du prix de l’électricité en fonction du coût marginal de la dernière unité appelée. Ce mécanisme a théoriquement pour effet de pousser les prix de l’électricité vers le bas.

Le coût marginal est le coût de production d’une unité supplémentaire, autrement dit le coût de production du dernier mégawattheure produit. Ce coût inclut le combustible (s’il y en a), les frais opérationnels et les frais d’entretien mais n’inclut pas les frais fixes (investissements de base, amortissements, coûts fixes d’entretien et d’exploitation…). Le coût du CO2 s’ajoute aux coûts marginaux, rendant encore plus important l’écart de prix entre la production au charbon ou au fioul et celle qui se fait à partir de nucléaire et d’énergies renouvelables.

Avec des coûts marginaux faibles, voire nuls, les énergies renouvelables sont toujours les premières unités de production appelées. Viennent ensuite le nucléaire, les centrales thermiques à gaz, puis à charbon et au fioul (classées selon le coût du combustible, les autres coûts marginaux étant proches). L’achat d’électricité sur les marchés voisins s’intègre dans ce mécanisme dans la limite permise par les interconnexions des réseaux transfrontaliers.

Le mécanisme de merit order permet de fixer le prix sur les marchés de gros européens en fonction de la demande en électricité. Lors de périodes où la demande est faible, le système n’a besoin que des unités de production à coûts marginaux faibles. Le prix de l’électricité est donc faible. Inversement, durant les périodes de forte demande, le système électrique doit faire appel aux centrales thermiques dont les coûts marginaux sont plus élevés, ce qui renchérit alors le prix de marché pour tous les acheteurs. C’est pourquoi l’explosion des prix de l’électricité depuis la fin de l’année 2021 est liée à celle des prix du gaz.

En présence d’une forte capacité d’énergies renouvelables, cette obligation d’achat selon le merit order finit par affecter la rentabilité des productions de base, pilotables, en réduisant leur temps d’utilisation. Pourtant ces dernières demeurent nécessaires pour compenser l’intermittence de la production des énergies renouvelables.

Plus particulièrement, il existe trois types de productions pilotables : la production de base, constante et assurée principalement par les centrales nucléaires ; la production de semi-base qui suit les variations normales de la demande (on parle de « suivi de charge »), assurée par les centrales thermiques, l’hydraulique à retenue et, dans une moindre mesure, le suivi de charge du nucléaire ; la production de pointe mise en route dans les rares périodes de très forte demande, assurée par les turbines à combustible.

La production de base est réalisée par des productions à forts coûts fixes et faibles coûts variables, contrairement aux productions de semi-base et de pointe, dont la majeure partie des coûts traduit celui des énergies fossiles.

A contrario, la ressource fatale constituée par les énergies renouvelables intermittentes peut être vue comme une demande « négative », réduisant d’autant la demande brute d’électricité. Il en résulte une demande résiduelle, à compenser par les moyens pilotables, par construction plus intermittente que la précédente puisque la variabilité de la demande est décorrélée de celle des productions éolienne et solaire.

Cet effet est peu notable lorsque les énergies renouvelables représentent, comme en France, une part relativement faible du mix énergétique. Dans le cas de l’Allemagne, en revanche, la part de ces énergies dans le mix énergétique est plus importante, ce qui se traduit par une plus forte intermittence de la consommation résiduelle.

Les courbes ci-dessus appellent les commentaires suivants. Sur la partie de gauche de la monotone, la puissance consommée en période de pointe ne baisse que très légèrement après imputation de l’éolien et du solaire, y compris en Allemagne, pour la simple raison que la pointe est atteinte à des périodes de l’année où il n’y a habituellement ni soleil ni vent. Ces énergies ne se substituent donc pas aux capacités pilotables qui doivent être maintenues au même niveau de puissance qu’avant l’installation de capacités renouvelables pour garantir la sécurité d’approvisionnement. Sur la partie droite de la monotone, la puissance est déformée par l’intégration des énergies renouvelables intermittentes. Ainsi, les capacités de production en base qui produisent en permanence pour des raisons techniques ou économiques, comme le nucléaire et dans une moindre mesure le charbon, doivent fortement réduire leur production, de presque 40 GW à 10 GW. Cet écart entre la base et la consommation apparente est assuré la plupart du temps par la production en semi-base, qui peut « suivre la charge », c’est-à-dire s’adapter à la demande (gaz, et dans une moindre mesure charbon et nucléaire). En période de pointe, ce sont surtout les centrales à gaz qui sont utilisées.

Les moyens pilotables doivent donc répondre à une plus forte variabilité, autrement dit en réalisant un suivi de charge plus important. D’un point de vue économique, cette situation n’est pas favorable aux centrales pilotables utilisées en base et en semi-base puisque leur rémunération – et donc l’amortissement du capital investi pour les construire – dépend du volume d’énergie qu’elles produisent. Ainsi, l’augmentation du suivi de charge renchérit le coût moyen de l’énergie des unités pilotables en diminuant la quantité d’énergie qu’elles produisent. La concurrence des énergies intermittentes réduit donc la rentabilité des sources d’énergie pilotables et, partant de là, leur maintien pour assurer la sécurité d’approvisionnement. C’est pourquoi un mécanisme dit de « capacité » a été mis en place pour continuer à rémunérer les centrales pilotables.

Les deux schémas suivants illustrent ce phénomène d’érosion de la production de base, en comparant les monotones de puissance de la France (environ 20 % d’énergie renouvelable dans le mix énergétique) et de l’Allemagne (près de 40 %).

  • 17. En effet, la production des centrales nucléaires n’est pas constante parce que leur puissance de fonctionnement est régulée en fonction des variations de la demande en énergie électrique. C’est ce qu’on appelle le suivi de charge.
Chapitre 2

L’offre d’électricité dessinée à Belfort risque de ne pas suffire à sécuriser la demande

Le futur mix électrique de la France esquissé par le président Emmanuel Macron à Belfort est-il compatible avec l’évolution des besoins en électricité ? C’est ce que nous avons souhaité vérifier en modélisant différentes hypothèses structurantes : la consommation, la production et les moyens de flexibilité du système électrique (notamment le stockage) permettant son optimisation. Il apparaît que dans un contexte de réindustrialisation du pays, conforme aux ambitions de l’exécutif, la construction du parc d’énergies renouvelables complétant les capacités nucléaires sera un défi de premier ordre. Leur déploiement devra même se faire à un rythme record d’ici 2050.

Notre outil : le modèle de Belfort

Nous avons souhaité voir comment les différentes sources de production d’électricité pourraient se déployer dans différents contextes économiques. Nous nous fondons sur les annonces du président de la République à Belfort, puisqu’elles dessinent le futur mix électrique possible, et les confrontons à quelques variantes pour en évaluer les implications.

Nous avons construit pour cela un modèle, que nous avons baptisé modèle de Belfort, à partir d’un outil de planification du système électrique développé par Robin Girard, enseignant-chercheur de l’école des mines et son doctorant Quentin Raillard-Cazanove. Au cours d’une année, pour un scénario donné, ce modèle calcule les capacités de production et de stockage minimisant le coût annualisé du système électrique européen sous contrainte d’équilibre offre-demande18. Le système électrique est modélisé à l’horizon 2030, 2040, 2050 et 2060 pour tenir compte des enjeux de chacun de ces horizons : respecter en 2030 les objectifs climatiques européens Fit for 55 ; atteindre la neutralité carbone en 2050 et, pour finir, stabiliser le système électrique après la fermeture des derniers réacteurs du parc nucléaire historique en 2060.

Nos hypothèses de consommation d’électricité : un scénario de référence assorti de deux variantes

La prévision de la consommation électrique dépend principalement non seulement des niveaux d’électrification de l’industrie et des transports mais aussi de paramètres comportementaux et techniques que sont la sobriété et l’efficacité énergétiques.

Trois scénarios pour l’industrie

L’estimation de la consommation électrique future varie, avant toute autre chose, selon l’hypothèse qu’on se donne sur la demande électrique de l’industrie, dont les besoins seront nécessairement amenés à augmenter pour décarboner les activités les plus consommatrices d’énergies fossiles (chimie, acier…).

Nous n’avons pas évalué nous-mêmes les consommations électriques de l’industrie mais nous avons repris les résultats d’autres études permettant d’en obtenir un encadrement large. Compte tenu du retour d’une ambition industrielle en France et en Europe, après deux crises successives liées au Covid-19 et à l’invasion russe en Ukraine, nous avons pris comme référence l’hypothèse de « réindustrialisation profonde » de RTE. Celle-ci conduit à développer des activités identifiées comme stratégiques par le plan de relance de 2020 ou concernées par la transition énergétique19, ainsi que des activités aujourd’hui très émettrices de gaz à effet de serre et particulièrement exposées à la concurrence internationale20. Le solde commercial de l’industrie manufacturière deviendrait, en 2050, excédentaire de plus de 200 milliards d’euros dans ce scénario, alors qu’il était durablement déficitaire depuis 2004, et s’était creusé fortement depuis la crise Covid pour atteindre −65,7 milliards d’euros en 2021. Un tel scénario porterait la consommation électrique de l’industrie à 239 TWh (contre 115 TWh en 2019) et celle d’hydrogène21 à 54 TWh en 2050.

Outre cette trajectoire de référence, que nous nommons « Réindustrialisation », nous envisageons deux autres scénarios possibles. Celui que nous appelons « Maintien de l’industrie » part de l’hypothèse que la part de l’industrie dans le PIB restera constante ; cela correspond au scénario de référence de RTE, qui évalue alors les besoins de l’industrie à 180 TWh d’électricité et à 29 TWh d’hydrogène en 2050. Enfin, le scénario proposé par l’Uniden (2021), que nous nommons « scénario Uniden », correspond à une réindustrialisation équilibrant la balance commerciale dans la plupart des secteurs (avec un solde global positif de 69 milliards d’euros en 2050), sans augmentation de la part de l’industrie dans le PIB mais avec une électrification très forte des procédés. Ce scénario conduit à une consommation industrielle de 271 TWh d’électricité et de 77 TWh d’hydrogène en 2050.

Bâtiment : un scénario proche de ceux de RTE et de la SNBC

Pour le bâtiment, notre scénario de référence est assez proche de ceux de RTE et de la SNBC bien qu’un peu plus prudent en matière d’efficacité énergétique (voir détails dans le Focus de ce chapitre). Concernant l’isolation par rénovation d’enveloppe, nous avons supposé que le rythme retenu par RTE et la SNBC était réaliste et nous l’avons donc repris comme hypothèse de référence. Le rythme des rénovations progresserait donc de 400 000 à 680 000 logements par an en 2030, et à 830 000 logements par an à partir de 2040. Le secteur tertiaire connaîtrait une évolution similaire.

Nous postulons cependant que ces rénovations n’atteindront pas le niveau de performance attendu par la SNBC. La rénovation d’enveloppe complète d’un logement permet de gagner 30 % sur le besoin de chauffage aujourd’hui. Pour atteindre les objectifs de la SNBC, cette performance devrait progresser jusqu’à 55 % en 2035 (RTE & Ademe, 2020). Par prudence, nous postulons que l’efficacité des rénovations ne progressera pas et que seul le rythme des rénovations va s’accélérer (mais nous avons simulé une variante avec cette hypothèse ambitieuse pour comparer les résultats).

Transport : un scénario en ligne avec les objectifs européens de décarbonation

Pour le transport, notre scénario de référence (« Réindustrialisation ») postule une forte électrification du parc automobile, en lien avec les ambitions européennes (voir détails dans le Focus). Nous avons fait l’hypothèse supplémentaire que tous les véhicules lourds vendus neufs (poids lourds et autobus) seraient bas carbone à partir de 2040 (fonctionnant à base d’électricité, d’hydrogène ou de bioGNV).

Ainsi, l’électricité en viendrait progressivement à dominer le parc de véhicules en circulation. En 2030, il y aurait 7,2 millions de véhicules légers 100 % électriques sur les routes et 41,5 millions en 2050. Pour les véhicules lourds, le mix serait plus équilibré entre électricité, hydrogène et bioGNV en fonction de l’autonomie nécessaire à l’usage de ces véhicules22. L’impact sur la consommation électrique aurait déjà des effets dès 2030, qui deviendraient considérables en 2050 (103,6 TWh d’électricité et 15,3 TWh d’hydrogène).

Une consommation globale d’électricité en hausse de 65 %

Dans nos trois scénarios, la consommation électrique augmente fortement à l’horizon 2050 et 2060. En 2050, elle s’établit entre 671 TWh au plus bas (scénario « Maintien de l’industrie » avec amélioration de l’efficacité de la rénovation des bâtiments telle qu’imaginée par la SNBC) et 846 TWh au plus haut (scénario « Uniden » avec maintien du niveau actuel d’efficacité des rénovations). À l’intérieur de cette fourchette, notre scénario de référence table sur une consommation de 779 TWh en 2050, ce qui représente une hausse de 65 % par rapport à 2019. Nos hypothèses se situent donc dans le panier haut des estimations déjà publiées, et s’approchent des estimations de l’Académie des sciences, de l’Académie des technologies et d’EDF (voir figure 2.1).

Nos scénarios de production

Les scénarios de production se distinguent par la place du nucléaire dans le mix électrique. Dans tous les cas, les énergies renouvelables complètent le nucléaire dans la couverture des besoins, selon les orientations données par le président de la République, privilégiant le solaire et l’éolien en mer plutôt que l’éolien terrestre.

Ils permettent de déduire les conséquences des choix faits à Belfort. Deux scénarios alternatifs extrêmes sont aussi présentés afin d’étudier les conséquences de choix politiques et de paris technologiques différents sur le nucléaire et les énergies renouvelables.

Quatre scénarios plus ou moins nucléarisés

Comme rappelé plus haut, Emmanuel Macron a esquissé à Belfort deux mix électriques possibles à l’horizon 2050, plus ou moins volontaristes pour ce qui concerne la construction de nouvelles capacités nucléaires, que nous avons baptisés « Nucléaire + » et « Nucléaire − ». À cela, il faut ajouter ce qu’il restera du parc nucléaire historique. Alors que nous disposons aujourd’hui de 61 GW de nucléaire historique, principalement construit entre les années 1970 et 1990, il ne resterait plus que 13,7 GW de capacités en 2050 d’après RTE. C’est donc un « effet falaise » qui caractérisera la décrue future de nos capacités actuelles.

Afin de lisser cet effet falaise, nous avons repris la trajectoire des scénarios de RTE qui consiste à fermer les réacteurs entre 50 et 60 ans (à 60 ans pour la plupart)23. Cela est conforme aux orientations données par le président de la République à Belfort, puisqu’il s’était engagé à demander à EDF « d’étudier les conditions de prolongation [des réacteurs] au-delà de 50 ans, en lien avec l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) ». L’ASN a alerté sur la possibilité très incertaine de prolonger les réacteurs au-delà de 50 ans, sans toutefois invalider cette hypothèse aujourd’hui. En revanche, la prolongation du parc nucléaire historique au-delà de 60 ans est vivement remise en cause par le président de l’ASN, Bernard Doroszczuk, dans un article du journal Les Echos (Wajsbrot, 2022). C’est pourquoi, sans pour autant supposer la fermeture complète du parc historique à l’horizon 2050, nous avons opté pour une trajectoire médiane semblable à celle de RTE dans les deux scénarios « Nucléaire + » et « Nucléaire − ».

Nous avons ajouté deux autres scénarios, à des fins de comparaison. L’un est un scénario « Sans EPR », qui table lui aussi sur un rythme médian de fermeture du parc nucléaire historique d’ici 2060 sans construction de nouveau réacteur, en dehors de l’EPR de Flamanville-3 dont la mise en service est prévue pour 2023. L’autre est volontairement plus optimiste : dans ce quatrième scénario appelé « Nucléaire ++ », nous supposons que tous les réacteurs actuels sont prolongés de dix ans par rapport à la trajectoire de référence, ce qui permet de les fermer entre 60 et 70 ans. Eu égard aux déclarations de l’ASN, un tel scénario semble peu réaliste aujourd’hui. Il a simplement été simulé pour illustrer l’intérêt d’une prolongation du parc nucléaire historique dans le cas où elle serait possible, compte tenu du fait que certaines centrales américaines ont été autorisées à fonctionner jusqu’à 80 ans.

Résumons. Nous prenons pour référence les deux scénarios principaux conformes aux annonces de Belfort.

1) Le scénario « Nucléaire + » postule une forte relance du nucléaire au maximum de l’ambition présidentielle, permettant de maintenir 40 GW de capacités nucléaires en 2050, dont 25 GW de nouvelles capacités24 (14 EPR2 de 1 670 MW et 5 petits réacteurs modulaires, dits SMR, de technologie Nuward d’une puissance de 340 MW). Le premier EPR2 est mis en service en 2035, puis le rythme de mise en service croît progressivement pour atteindre une paire tous les deux ans vers la fin de la décennie 2040. Pendant la décennie 2050, 6 EPR2 et 8 SMR additionnels sont construits pour stabiliser la capacité du parc nucléaire autour de 39,5 GW en compensant le déclassement des derniers réacteurs historiques.

2) Le scénario « Nucléaire − » postule une relance modérée du nucléaire, au minimum des annonces présidentielles, avec 6 EPR2 en 2050 (10 GW). La première paire de réacteurs est livrée en 2037-2038, et une paire est livrée tous les cinq ans ensuite, pour atteindre 10 EPR2 en 2060 (16,7 GW). Ce scénario est marqué à la fois par l’échec de la filière à conduire un programme ambitieux et la confiance limitée des pouvoirs publics sur ses capacités à tenir ses engagements.

Deux autres scénarios sont étudiés à titre de comparaison, bien qu’ils ne soient pas envisagés par le président de la République.

3) Le scénario « Sans EPR » (100 % EnR en 2060) postule une sortie lente du nucléaire sans construction de nouvelles capacités, avec fermeture progressive de l’ensemble du parc historique et de l’EPR de Flamanville-3 avant 2060.

4) Le scénario « Nucléaire ++ » est analogue au scénario « Nucléaire + » mais avec une prolongation du parc nucléaire historique de dix années supplémentaires. Toutes les tranches ferment donc au-delà de 60 ans et à 70 ans au plus tard ; cette hypothèse s’avère très optimiste compte tenu des exigences de sûreté en vigueur en France. Au cours de la décennie 2050, le rythme de construction de nouvelles capacités suit celui de la décennie 2040, ce qui permet de disposer de 26 EPR2 et de 9 SMR en 2060, dépassant l’objectif du scénario « Nucléaire + ».

Des EnR pour compenser un nucléaire très insuffisant à la couverture des besoins à l’horizon 2050

La place des EnR dans les différents scénarios correspond aux besoins en électricité non couverts par le nucléaire. Dans notre scénario de consommation de référence (« Réindustrialisation »), le parc nucléaire le plus ambitieux annoncé par Emmanuel Macron (scénario « Nucléaire + ») pourrait au mieux couvrir 35,5 % des besoins en 2050. Dans l’hypothèse « Nucléaire ++ » extrêmement optimiste, ils seraient couverts à 58 % par l’énergie nucléaire. Un fort déploiement des énergies renouvelables est donc indispensable pour répondre au double défi de la hausse de la consommation d’électricité et du déclassement du parc de réacteurs historiques.

Sur ce sujet des énergies renouvelables, l’une des principales orientations du président de la République à Belfort a été de ralentir le rythme de déploiement de l’éolien terrestre en raison de sa difficile acceptabilité locale. L’objectif de doublement du parc d’ici la fin de la décennie, inscrit dans la PPE, a ainsi été reporté à 2050. Cela nous conduit à limiter le déploiement de l’éolien terrestre à 37 GW.

A contrario, l’ambition de la programmation pluriannuelle de l’énergie est maintenue en matière d’éolien en mer, puisque cinquante parcs devront être construits, pour atteindre 40 GW installés en 2050. C’est sur le solaire que les orientations présidentielles sont les plus ambitieuses, puisque le parc installé doit être décuplé pour dépasser les 100 GW en 2050.

Malheureusement, ces ambitions seraient insuffisantes pour couvrir les besoins en électricité français à l’horizon 2050. Un développement capacitaire au maximum de ce qu’envisage le président en termes de nucléaire (14 EPR2) comme de renouvelables permettrait de produire 707 TWh/an, créant un déficit de production de 80 TWh/an qui conduirait la France, habituellement exportatrice, à importer massivement de l’électricité des pays voisins. Les besoins seraient certes couverts dans le scénario de consommation le plus faible, « Maintien de l’industrie », mais celui-ci ne correspond pas à l’ambition industrielle du président Macron exprimée à Belfort et lors des annonces précédentes (à l’occasion du plan de relance post-Covid et du programme France 2030)25.

Pour couvrir les besoins, nous avons donc choisi de ne pas limiter la capacité solaire déployable à 100 GW et de dépasser légèrement la cible sur l’éolien en mer, de manière à saturer le gisement identifié par la PPE (49 GW). La limite sur l’éolien terrestre n’a été franchie dans aucun scénario, pour raison d’acceptabilité locale, à l’exception du scénario « Sans EPR ». Ce dernier relève en effet de choix politiques radicalement différents, nous autorisant à en déployer au rythme maximal de la précédente décennie (2 GW/an) pour atteindre 75,2 GW en 2050.

Source d’énergies complémentaires : une relative stabilité

La capacité hydraulique installée est relativement stable à l’horizon 2050, en raison de la saturation des sites propices. Elle augmente cependant légèrement (de 1,2 GW), conformément aux objectifs de la PPE 2028. Certes, des incertitudes pèsent sur la production hydraulique en raison des effets du changement climatique, mais elles n’ont pas été modélisées dans cette étude, qui reprend simplement le productible de 2019, conjoncturellement faible, donc prudent.

De même, la capacité de bioénergies est portée de 2 à 3 GW pour répondre aux objectifs de la PPE. L’augmentation des capacités de production et l’hypothèse de maintien de la biomasse (principalement déchets et bois-énergie) à un coût compétitif de l’ordre de 35 à 40 €/MWh conduit à doubler la production d’électricité à partir de cette ressource, sauf dans le scénario « Nucléaire ++ » où il ne s’avère pas nécessaire de l’exploiter.

Résultat de notre modélisation : il faudra accélérer encore le déploiement des énergies renouvelables

La figure 2.8 synthétise les différents mix électriques issus de notre modélisation à l’horizon 2050, autrement dit les quatre manières possibles de répondre aux besoins du scénario de consommation de référence (« Réindustrialisation ») selon les choix opérés en matière de renouvellement du parc nucléaire. On y lit toute l’ampleur du développement nécessaire des énergies renouvelables pour répondre à la future demande d’électricité. Ces énergies, qui devaient servir initialement de complément à l’énergie nucléaire, devront en fait acquérir une part tout à fait significative du mix. On peut retenir que le parc éolien (terrestre et en mer) doit être multiplié par 5 et que la capacité solaire doit être multipliée par 14, dans l’hypothèse de la construction future de 14 EPR2.

Priorité au photovoltaïque

L’outil d’optimisation du modèle de Belfort conduit à saturer le potentiel éolien dans tous les scénarios et à couvrir le reste des besoins par le solaire. Cela mènerait à l’installation de capacités très importantes, surtout dans les scénarios les moins nucléarisés : au-delà de 200 GW de solaire dans les scénarios « Nucléaire – » et « Sans EPR ». Notons que, même dans le scénario « Nucléaire + », il faudrait 160 GW de solaire, soit 60 GW de plus que la cible présidentielle.

Étant donné que l’énergie solaire joue le rôle de « capacité d’ajustement », son déploiement varie non seulement entre les scénarios de production mais aussi entre les scénarios de consommation. Ainsi, de 33 à 35 GW de capacités solaires supplémentaires sont nécessaires dans le scénario « Uniden » par rapport au scénario de consommation de référence (« Réindustrialisation »). Si, au contraire, on réduit le besoin en électricité en se projetant dans le scénario « Maintien de l’industrie », la capacité solaire nécessaire diminue de 39 à 44 GW par rapport au scénario de référence. Le scénario de production « Nucléaire ++ » fait exception à ces raisonnements dans la mesure où le parc nucléaire historique sature les besoins dans tous les scénarios de consommation.

En outre, les besoins en capacités solaires augmentent encore en 2060 dans tous les scénarios, moyennant des écarts croissants entre les scénarios. Ainsi, par exemple, le scénario « Sans EPR » se distingue du scénario « Nucléaire − » par la fermeture des derniers réacteurs. En pareil cas, les besoins en solaire atteignent 322 GW en 2060 pour répondre à la demande la plus forte (scénario « Uniden »), soit plus de 23 fois la capacité installée aujourd’hui.

Avec de tels besoins identifiés, le rythme de déploiement du solaire devrait s’accroître dès maintenant pour atteindre 4,2 GW/an en moyenne au cours de la décennie 2020 dans tous les scénarios. Un tel rythme dépasse amplement le record d’installation atteint en 2021 (2,7 GW). L’ajout de capacités solaires devrait ensuite s’accélérer considérablement au cours de la décennie 2030 dans presque tous les scénarios pour être porté de 8 à 9 GW/an, ce qui équivaut au record de l’Allemagne en 2012.

Ce rythme d’installation extrême devrait être poursuivi jusqu’en 2060 dans le scénario « Sans EPR » et jusqu’en 2050 dans le scénario « Nucléaire − », alors qu’il ralentirait à partir de 2040 dans le scénario « Nucléaire + ».

Un tel rythme de déploiement du solaire, y compris en comptant sur un fort développement du nucléaire, ne doit pas pour autant nous amener à sous-estimer les défis du déploiement de l’éolien. Dans le scénario « Sans EPR », l’éolien terrestre doit être installé à son rythme historique maximal de 2 GW/an atteint en 2017, et ce jusqu’en 2050. Cela semble difficile à réaliser compte tenu des oppositions locales croissantes au déploiement des éoliennes.

Dans les autres scénarios où l’éolien terrestre n’est pas privilégié, le rythme d’installation est ralenti à 700 MW/an jusqu’en 2050, cependant celui de l’éolien en mer est très ambitieux et atteint 1,7 GW/an en moyenne dès la décennie 2020. Si le déploiement du solaire n’appelle pas de modification de la PPE 2023-2028, c’est en revanche le cas pour l’éolien, puisque l’ambition sera largement renforcée en mer et atténuée à terre.

En somme, quel que soit le scénario retenu, le déploiement des énergies renouvelables doit être fortement accéléré pour espérer couvrir les besoins d’électricité en 2050. Aujourd’hui, l’installation de nouvelles capacités est ralentie par les procédures d’instruction, le cadre réglementaire contraignant et complexe, les oppositions locales qui donnent lieu à des recours contentieux quasiment systématiques pouvant retarder les projets de plusieurs années et les difficultés de raccordement au réseau électrique. Comme le soulignait le président de la République à Belfort : « Il faut cinq ans en moyenne de procédures pour construire un parc solaire nécessitant quelques mois de travaux, sept ans pour un parc éolien et dix ans pour un parc éolien en mer. Nos partenaires européens vont souvent deux fois plus vite que nous. » Un projet de loi visant à l’accélération de la production des énergies renouvelables a d’ailleurs été déposé le 26 septembre 2022 au Parlement afin de raccourcir ces délais.

Projet de loi d’accélération des énergies renouvelables et du nucléaire

Le gouvernement a déposé au Parlement, le 26 septembre 2022, un projet de loi pour accélérer le déploiement des énergies renouvelables afin de répondre à moyen terme à la pénurie énergétique causée par le conflit russo-ukrainien, et de concrétiser les annonces de Belfort pour l’horizon 2050. Ce projet de loi comporte trois volets.

1) Un train de mesures temporaires (valables quatre ans) permettra d’accélérer les projets à court terme. Il s’agit principalement de simplifier les procédures, notamment de consultation du public (en généralisant leur tenue en ligne) et de raccordement au réseau électrique, et de pouvoir déroger aux lois de protection des espèces en reconnaissant certains projets d’énergies renouvelables comme d’intérêt public majeur.

2) La mobilisation du foncier sera facilitée, notamment pour le solaire, par exemple sur les bords d’autoroute et les parkings (qui auront même l’obligation d’installer des ombrières photovoltaïques sur la moitié de leur surface au-delà de 2 500 m2). Sur l’éolien en mer, la fusion des processus de concertation du public à l’échelle d’une façade maritime permettra d’identifier plus facilement des espaces disponibles.

3) Les riverains seront mieux associés aux bénéfices de l’implantation d’énergies renouvelables sur leur territoire (qui ouvriront droit à des réductions sur leurs factures d’électricité).

Un projet de loi similaire devrait voir le jour pour accélérer les procédures préalables à la construction de nouveaux réacteurs nucléaires, l’objectif étant de commencer à construire le premier EPR2 en 2027. Le texte prévoit d’exempter les projets nucléaires d’autorisation d’urbanisme, de sécuriser les dérogations aux règles sur les espèces protégées et de commencer certains travaux avant la clôture des enquêtes publiques.

Quid du nucléaire en période de forte production renouvelable ?

Nous l’avons vu, le nucléaire est d’autant mieux utilisé d’un point de vue technique et économique que sa production est constante. Pourtant, aujourd’hui, le nucléaire réalise déjà un suivi de charge pour s’adapter aux périodes de forte production renouvelable. Que va-t-il donc se passer au milieu de la journée en été lorsque d’importantes capacités solaires seront déployées à l’horizon 2050 ?

En s’appuyant sur l’exemple de la Californie, dont les habitants se sont massivement équipés de panneaux photovoltaïques qui produisent énormément la journée et beaucoup moins le matin et le soir, on peut s’attendre à ce que les autres sources de production d’électricité, comme le nucléaire, soient peu sollicitées en journée.

En France en 2050, malgré la planification annuelle des arrêts de tranche26 majoritairement en été, il faudra donc moduler la charge du nucléaire en milieu de journée, comme l’illustre la figure 2.12 Toutefois, cette modulation pourrait être potentiellement moins importante qu’aujourd’hui grâce à la pleine exploitation des leviers de flexibilité qui seront développés (exports, power-to-hydrogen, stockage, recharge intelligente des véhicules électriques). Ainsi, en 2050, la modulation de la production représenterait en moyenne 1,6 % de la puissance installée contre 3,4 % en 201927.

  • 18. La définition de la fonction de coût et des hypothèses économiques sont présentées en annexe III.
  • 19. Informatique et électronique, chimie, pharmacie, agroalimentaire, machines et équipements, équipements électriques, matériel médical, automobile et autres matériels de transport, matières premières et métallurgie.
  • 20. Les activités bénéficiant de quotas carbone ETS gratuits attribués par l’Union européenne.
  • 21. Il s’agit ici de l’hydrogène « net ». Pour l’électricité nécessaire à l’électrolyse, il faut diviser par le rendement des électrolyseurs (0,7).
  • 22. Voir également à ce sujet le numéro des Annales des mines de novembre 2022, consacré à l’hydrogène.
  • 23. Hypothèse conforme aux scénarios M23, N1 et N2 de RTE.
  • 24. Sans compter l’EPR de Flamanville-3, d’une capacité de 1 650 MW.
  • 25. Le président Macron se réfère presque explicitement au scénario de réindustrialisation de RTE lors du discours de Belfort en affirmant que « nous devrons être en mesure de produire jusqu’à 60 % d’électricité en plus qu’aujourd’hui ». Pour rappel, notre scénario de référence prévoit une hausse de la consommation d’électricité de 65 % par rapport à 2019.
  • 26. L’arrêt de tranche est un arrêt de la production d’un réacteur dans une centrale nucléaire, généralement pour renouveler le combustible nucléaire et procéder à des opérations de maintenance.
  • 27. Notons que cette modélisation ne tient pas compte de l’optimisation du combustible nucléaire responsable en grande partie de la modulation d’aujourd’hui, puisque nous postulons que la production n’est limitée que par la disponibilité du parc.

Focus – Nos hypothèses pour évaluer les futurs besoins en électricité

Dans notre scénario de référence, la consommation électrique s’établit à 779 TWh en 2050, ce qui représente une hausse de 65 % par rapport à 2019. La part de l’électricité dans la consommation énergétique passerait ainsi à environ 67 %28 contre 25 % aujourd’hui. Nous fondons ces hypothèses sur plusieurs éléments : une biomasse moins abondante que prévu, une électrification plus forte des usages que ne le prévoit la SNBC, des hypothèses prudentes sur l’efficacité énergétique des bâtiments et une ambition industrielle affirmée (correspondant au scénario de réindustrialisation de RTE).

En 2050, moins de biomasse et plus d’électricité que prévu

Pour rappel, la décarbonation complète du mix énergétique français en 2050 impose de ne recourir qu’à l’électricité bas-carbone, à la chaleur renouvelable (captée par les pompes à chaleur) et à la biomasse (bois, déchets et productions agricoles). La stratégie nationale bas carbone (SNBC) est particulièrement ambitieuse en matière de mobilisation de la biomasse. Les besoins identifiés seraient de 460 TWh en 2050, alors que seulement 430 TWh de ressources sont recensées (selon une estimation très optimiste), soit environ 2,5 fois la production actuelle. Plusieurs acteurs, notamment RTE et France Stratégie, alertent sur l’irréalisme d’un tel recours à la biomasse.

Si la hausse de la production de bois-énergie prévue par la SNBC (150 TWh en 2050, contre 113 TWh en 202029) est possible sans surexploitation des forêts d’après une étude conjointe de l’INRA (renommée Inrae) et de l’IGN (Martel et al., 2017), la biomasse agricole30nécessaire à la production de biogaz par méthanisation pourrait toutefois manquer. Selon France Stratégie (Mourjane & Fosse, 2021), le gisement de biomasse agricole méthanisable serait légèrement inférieur à 90 TWh, qui pourraient être complétés par 15 TWh de déchets industriels et ménagers (Bastide, 2013). La SNBC prévoit quant-à-elle une consommation de 190 TWh de biogaz en 2050.

Par prudence, nous avons postulé pour nos scénarios qu’un peu plus de 100 TWh de biogaz pourraient être produits en 2050. Dans nos scénarios, la majeure partie de ce gisement (55 TWh) est consacrée à l’industrie dans les activités où le gaz est difficilement substituable, le reste est affecté aux bâtiments (32 TWh, dont 23 TWh pour le chauffage) et aux transports (19 TWh). Cette moindre disponibilité du biogaz implique une électrification accrue du mix énergétique, notamment dans le secteur du bâtiment et des transports. À gisement de biogaz constant, les besoins supplémentaires de l’industrie dans les scénarios de réindustrialisation devront par ailleurs être couverts entièrement par l’électricité (ou l’hydrogène qui en dérive).

Consommation liée au chauffage

Afin d’atteindre la neutralité carbone en 2050, l’électrification du chauffage va devoir se poursuivre pour remplacer les vecteurs les plus carbonés (fioul et gaz). Cela pourrait augmenter la thermosensibilité ainsi que la consommation liée au chauffage. Certains effets jouent cependant en sens inverse : la rénovation énergétique des bâtiments, la généralisation des pompes à chaleur, dont l’efficacité énergétique pourrait être trois fois supérieure à celle des radiateurs classiques à effet joule, et le réchauffement climatique.

L’ampleur de ces effets ne fait toutefois pas consensus. En particulier, la rénovation énergétique des logements à mener pour atteindre les objectifs de la SNBC est très ambitieuse : l’ensemble du parc de bâtiments devrait avoir le niveau de performance énergétique BBC31 en moyenne en 2050. Eu égard aux gains de performance énergétique des logements au cours de la dernière décennie (5 % d’économies réalisées entre 2012 et 2019), on peut s’interroger sur la faisabilité d’une rénovation d’une telle ampleur.

En outre, les pompes à chaleur permettent certes un gain énergétique très substantiel (d’un facteur 2,5 à 3 en moyenne), mais le gain énergétique est d’autant plus faible que la température extérieure diminue. Il se pourrait donc que la thermosensibilité des pompes à chaleur soit non seulement plus importante, mais aussi non linéaire à basse température.

Nous avons ici modélisé la rénovation des bâtiments pour estimer le besoin de chauffage à l’horizon 2050 à partir de données sur les diagnostics de performance énergétique fournies par Yassine Abdelouadoud (2021) et Robin Girard et d’une étude du Commissariat général au développement durable (CGDD) sur les bâtiments tertiaires (Vermont & Domergue, 2020).

Comme indiqué plus tôt, nous avons repris les hypothèses de RTE et de la SNBC concernant le rythme des rénovations : on atteindrait 680 000 logements rénovés par an en 2030 puis 830 000 par an à partir de 2040. Le secteur tertiaire connaîtrait une évolution similaire.

Figure 2.b – Évolution du rythme de rénovation d’enveloppe des logements

Source : « Futurs énergétiques 2050 » (RTE, octobre 2021).

En revanche, escompter – comme le fait la SNBC – que chaque isolation permettra de réduire le besoin de chauffage non plus de 30 %, comme aujourd’hui, mais de 55 % en 2035 nous paraît trop optimiste (RTE & Ademe, 2020).

Concernant les bâtiments tertiaires, les performances des rénovations dépendront des secteurs d’activité. Nous avons fait le choix de reprendre les hypothèses de performance du CGDD (Vermont & Domergue, 2020), calculées sur la base des exigences de la réglementation thermique élément par élément. Cela permet d’atteindre des gains énergétiques allant de 25 % en hôtellerie-restauration à 63 % dans les bureaux. Ces hypothèses sont plus fortes que pour le logement, compte tenu des exigences importantes du décret tertiaire : celui-ci vise en effet 60 % d’économies d’énergie par rapport à 2010 à l’horizon 2050. Ce décret s’applique aux surfaces de plus de 1 000 m2, ce qui représente 49 % des surfaces tertiaires existantes.

Sous ces hypothèses, le besoin de chauffage du secteur tertiaire baisserait de 36 % en 2050 (79 TWh contre 123 TWh aujourd’hui), et de 22 % dans le secteur résidentiel (228 TWh contre 291 TWh). Au total, le besoin de chauffage serait réduit de 26 % en 2050 (307 TWh contre 414 TWh). Dans le secteur résidentiel, 84 % de ces gains énergétiques seraient réalisés sur les logements individuels. En effet, notre modèle cible d’abord les logements les moins performants, ce qui conduit à rénover en priorité les maisons, qui concentrent aujourd’hui 63 % des passoires thermiques (classes F et G). Par ailleurs, la rénovation est plus facile en logement individuel qu’en logement collectif en raison des contraintes de copropriété32.

À cette baisse – modérée – du besoin de chauffage, il faut ajouter l’efficacité énergétique importante des pompes à chaleur (voir figures ci-après). De ce fait, la consommation finale d’énergie liée au chauffage devrait baisser de 54 % à l’horizon 2050.

Dans notre modèle de Belfort, la rénovation énergétique s’accompagne d’une électrification très importante des usages. Ainsi, la part du chauffage électrique et des pompes à chaleur passe de 26 % à 74 % entre 2020 et 2050. Cette électrification est complétée par un recours accru à la biomasse (+9 %), sous forme de bois-énergie, surtout dans les maisons individuelles et les réseaux de chaleur urbains. La consommation de gaz est presque divisée par 10 (23 TWh en 2050), afin de respecter la limite de gisement de biogaz à l’horizon 2050. Les réseaux de chaleur urbains se développent également (+40 %), mais dans des proportions nettement moindres que celles de RTE et de la SNBC, compte tenu des infrastructures complexes à mettre en œuvre pour les développer et des efforts nécessaires pour les décarboner (substitution du gaz fossile par d’autres moyens de production).

L’ampleur des transitions des modes de chauffage dans le parc existant ne doit pas être sous-estimée. Dans le secteur résidentiel, 550 000 systèmes de chauffage devront être remplacés chaque année à partir de 2030, dont 460 000 par des pompes à chaleur. À titre de comparaison, 40 000 pompes à chaleur par an étaient installées dans les logements au cours de la décennie 2010 (RTE, 2021).

La rénovation des logements existants se déroule en parallèle du renouvellement du parc de logements, en partie motivé par l’évolution des standards d’efficacité énergétique et des contraintes sur le mode de chauffage (interdiction progressive du fioul et du gaz). Ainsi, en 2050, 11 millions de logements neufs seront construits par rapport à 2020, dont 6 millions au titre du renouvellement du parc actuel.

En résumé, les modes de chauffage fonctionnant à l’électricité vont gagner concomitamment en efficacité énergétique et en importance dans les parcs résidentiel et tertiaire. Sous ces deux effets combinés, la consommation électrique liée au chauffage devrait augmenter sensiblement jusqu’en 2030 (87,3 TWh) puis décroître à nouveau, retrouvant en 2050 son niveau de 2019 (63 TWh), et atteignant ensuite 56,2 TWh en 2060.

Rappelons que RTE et la SNBC tablent sur une efficacité supérieure de l’isolation des bâtiments. Si nous intégrons cette hypothèse optimiste, la consommation descendrait à 47 TWh en 2060, soit une réduction de 17 TWh par rapport à 2019. Le besoin de chauffage serait quant à lui réduit de 32 TWh supplémentaires. Dans tous les cas de figure, les principaux gains énergétiques ne proviennent pas de la rénovation d’enveloppe mais du développement des pompes à chaleur.

Notons que les résultats de consommation électrique de nos deux scénarios (référence et SNBC) sont sensiblement supérieurs à ceux qui ont été obtenus par RTE (47,5 TWh en 2050), en raison d’une plus forte électrification du parc de logements.

Figure 2.e – Consommation électrique (TWh/an) liée au chauffage dans notre scénario référence et dans celui de la SNBC (avec efficacité énergétique supérieure)

Source : auteurs.

Si la différence de consommation totale n’est pas considérable entre notre scénario de référence et sa variante, intégrant les prévisions optimistes de la SNBC en matière d’efficacité, il faut tout de même s’attarder un instant sur ce qu’il advient à la pointe, ce qui détermine les capacités pilotables et de flexibilité à installer. Ainsi, la pointe hivernale atteinte fin janvier 2050 serait de 166,4 GW33 dans notre scénario de référence, soit 2 GW de plus que dans le scénario SNBC. En 2060, l’écart en pointe serait de 4,5 GW.

Figure 2.f – Évolution de la pointe (en GW) dans le scénario de rénovation énergétique de référence et le scénario conforme à la SNBC

Source : auteurs.

Pour rappel, la thermosensibilité est la variation de la consommation électrique par degré de moins en hiver et de plus en été, en raison des usages saisonniers de l’électricité (chauffage et climatisation). La thermosensibilité hivernale devrait légèrement décroître en moyenne, de 2,5 à 2,1 GW/°C entre 2019 et 2050, avec de forts contrastes pendant les heures de la journée. Ainsi, la thermosensibilité en milieu de journée en 2050 devrait chuter fortement (descendant jusqu’à 600 MW/°C à 16 heures), alors qu’elle était relativement constante en 2019. Cela est lié au fort report de la consommation sur cette partie de la journée, afin d’absorber les surplus de production solaire (par la recharge des véhicules électriques et l’activation des chauffe-eaux notamment). De son côté, la thermosensibilité estivale va croître très fortement, de 900 MW à 2 GW/°C entre 2019 et 2050, en raison de la généralisation de la climatisation et du réchauffement climatique.

Mobilité électrique

L’électrification de la mobilité est à ce jour le principal levier connu de décarbonation du secteur des transports. Le véhicule électrique à batterie va progressivement s’imposer dans le parc de véhicules légers et l’hydrogène pourrait prendre une part importante dans le parc de véhicules lourds (poids lourds, bus et cars) pour des raisons d’autonomie. En effet, les autres moyens décarbonés alternatifs (biocarburants et bioGNV) resteront minoritaires à l’horizon 2050 en raison de la disponibilité limitée de la biomasse (voir supra). L’hydrogène, plus cher et moins efficace énergétiquement (en raison de l’électricité nécessaire pour le produire), ne devrait concerner que la mobilité lourde.

Nous avons modélisé la pénétration des motorisations alternatives dans le parc de véhicules à l’horizon 2050-2060. Les hypothèses de notre modèle découlent des nouvelles réglementations européennes du paquet énergie-climat, à savoir l’interdiction de la commercialisation de véhicules légers thermiques en 2035, les normes d’émissions de CO2 des véhicules neufs réduites de 55 % en 2030 sur les véhicules particuliers, de 50 % sur les véhicules utilitaires légers et de 30 % sur les poids lourds.

En outre, nous tablons sur le fait que tous les véhicules lourds vendus neufs (poids lourds et autobus) seraient bas carbone à partir de 2040 (ce qui comprend l’électricité, l’hydrogène et le bioGNV).

Figure 2.i – Consommation d’énergie (en TWh) du parc de véhicules à l’horizon 2030 et 2050

Source : modélisation des auteurs.

 

Industrie

Voici, dans le détail, l’évolution attendue des consommations industrielles, dans les trois scénarios que nous envisageons.

Le scénario de « Maintien de l’industrie » de RTE évalue les besoins de l’industrie à 180 TWh d’électricité et 29 TWh d’hydrogène en 2050. Le scénario « Réin-dustrialisation », qui est notre scénario de référence, porte la consommation électrique de l’industrie à 239 TWh et celle d’hydrogène à 54 TWh en 2050. Le scénario proposé par l’Uniden prévoit une électrification très forte des procédés et conduit à une consommation de 271 TWh d’électricité et de 77 TWh d’hydrogène en 2050.

Hydrogène

Outre l’industrie et les transports routiers, l’hydrogène pourra aussi servir à la fabrication de carburants de synthèse (7 TWh) pour le transport maritime et aérien ainsi que pour la décarbonation des lignes ferroviaires non électrifiables. Nos hypothèses sur ces secteurs suivent celles du scénario de référence de RTE. Ainsi, la consommation d’hydrogène pourrait atteindre de 53 à 100 TWh par an en 2050, dont 10 TWh seraient couverts par des coproductions industrielles et le reste par électrolyse de l’eau.

Un scénario plus ambitieux sur l’hydrogène a été proposé par RTE. Il estime que la consommation d’hydrogène pourrait atteindre 130 TWh en 2050. Ce scénario s’appuie sur une plus forte pénétration de l’hydrogène dans tous les secteurs, en particulier les transports routiers et la production de chaleur industrielle. En outre, 50 TWh serviraient à produire des carburants de synthèse, principalement destinés au transport aérien (et dans une moindre mesure au transport maritime et à la méthanisation). Nous n’avons pas retenu ce scénario dans nos hypothèses pour deux raisons. D’une part, l’hydrogène est un vecteur énergétique plus coûteux en raison des infrastructures nécessaires pour le produire, le stocker et le transporter et du moins bon rendement lié à son utilisation en comparaison de l’électricité. En effet, de l’électrolyseur à la roue, un véhicule léger roulant à l’hydrogène consomme 3,5 fois plus d’électricité qu’un véhicule équipé de batteries (Amant et al., 2020). Pour cette raison, l’hydrogène est réservé aux secteurs les plus difficiles à décarboner par des moyens alternatifs. D’autre part, il existe des moyens alternatifs pour décarboner le transport aérien et maritime international (qui ont représenté 90 TWh en 2019, dont 80 % pour le seul transport aérien34), au premier rang desquels la réduction du trafic (moins de trajets en avion longue distance professionnels ou de loisirs, report modal vers le train…) et l’utilisation des biocarburants liquides (qui ont représenté 37 TWh en 2019).

  • 28. Dépassant ainsi les 55 % prévus par la SNBC.
  • 29. Voir « Chiffres clés des énergies renouvelables – Édition 2021 », du Commissariat général au développement durable.
  • 30. Cette biomasse peut provenir de déchets agricoles (résidus végétaux, effluents d’élevage) ou de cultures non alimentaires dédiées.
  • 31. Bâtiment basse consommation, soit une consommation d’énergie primaire de moins de 50 kWh/m2/an (classe énergétique A).
  • 32. Notre modèle ne distingue pas la rénovation d’enveloppe des logements collectifs et individuels mais ce constat est rassurant sur nos résultats.
  • 33. Cette valeur pourrait surprendre en comparaison de celle de RTE (130 GW). Cela est lié au fort développement du solaire dans les scénarios de Belfort, qui imposent un report d’un maximum de consommation en journée pour suivre la pointe solaire qui peut être très importante (y compris en hiver).
  • 34. Selon le « Bilan énergétique de la France pour 2019 », publié par le ministère de la Transition écologique (2021a).
Chapitre 3

Le nucléaire, clé d’un mix énergétique économiquement supportable

Quel mix énergétique coûtera le moins cher à l’horizon 2050 et 2060 ? Selon l’analyse économique de nos différents scénarios, les mix les plus nucléarisés ont un avantage économique sur les autres car ils permettent à la France d’exporter de l’électricité, de réduire le coût des réseaux électriques et de produire un hydrogène à coût compétitif.

Coût complet du système électrique : avantage au nucléaire

Pour rappel, le modèle que nous avons mis en œuvre détermine les capacités à installer (en matière de production, de stockage et de flexibilité) pour minimiser le coût global du système électrique, sous réserve de respecter diverses contraintes (équilibre offre- demande, capacités maximales et minimales installées, engagements internationaux).

Le coût complet du système électrique est calculé ici selon les recommandations de la Cour des comptes
35
, « comme la somme des coûts des moyens de production, des moyens de stockage et de flexibilité de la demande, du réseau de transport et de distribution, des interconnexions et du bilan des échanges extérieurs d’électricité (imports et exports) »36. Dans notre modèle, ce coût est annualisé et amorti.

Hors coûts de réseau, peu de différences entre les scénarios

À quantité d’énergie produite équivalente, les moyens de production renouvelables sont moins chers que le nouveau nucléaire, mais nécessitent davantage de moyens de flexibilité pour compenser leur intermittence, lesquels renchérissent le coût du système électrique. Le bilan global « production + moyens de flexibilité », fait donc ressortir assez peu de différence de coût annualisé37 entre les scénarios « Nucléaire + », « Nucléaire − » et « Sans EPR » à l’horizon 2050 et 2060. Le scénario « Nucléaire ++ » est sensiblement plus cher sur le périmètre considéré.

En termes de coûts de production, les scénarios « Nucléaire + » et « Nucléaire ++ » se distinguent par un coût inférieur de 2 à 3 €/MWh aux deux autres scénarios. En effet, ce sont les investissements qui sont légèrement plus élevés lorsqu’un programme nucléaire ambitieux est mis en œuvre, tout en étant compensés par une production d’électricité supérieure.

Un programme nucléaire ambitieux donne un avantage exportateur à la France

L’optimisation économique de notre modèle de Belfort arbitre entre l’installation de capacités de production renouvelable en France et à l’étranger, de façon à minimiser le coût annualisé du système électrique européen. Le modèle installe donc les capacités dans les pays où se trouvent les meilleurs gisements de production renouvelable. Dans les scénarios « Sans EPR » et « Nucléaire − », cela conduit la France à produire moins d’énergie qu’elle n’en consomme. À l’inverse, dans les scénarios « Nucléaire + » et « Nucléaire ++ », la France exporte massivement ses surplus de production nucléaire et renouvelable, et contribue ainsi à l’autonomie énergétique de l’Union européenne, dans un contexte géopolitique où ce paramètre demeure important. Le solde exportateur dépasse même 100 TWh/an en 2050 dans le scénario « Nucléaire ++ », alors qu’il se situe autour de 20 TWh/an dans le scénario « Nucléaire + ».

Dans tous les scénarios, la France est exportatrice nette vers la plupart de ses voisins à l’exception de l’Espagne, qui bénéficie d’une importante ressource solaire avec un bon facteur de charge, et dans une moindre mesure de la Grande-Bretagne, qui pourra compter sur un nouveau parc nucléaire comparable à celui de la France (27,5 GW). Si le solde importateur depuis l’Espagne est si important (de −56 à −71 TWh en 2060), c’est parce que la France sert aussi de pays de transit de ses surplus solaires vers les pays d’Europe du Nord.

Étant donné l’avantage conféré par le nucléaire historique, tous les scénarios sont largement exportateurs en 2030 et en 2040, puis le solde commercial diminue. Les scénarios « Nucléaire − » et « Sans EPR » deviennent déficitaires à partir de 2050, au contraire des scénarios « Nucléaire + » et « Nucléaire ++ » qui restent exportateurs. Un programme nucléaire ambitieux donne un avantage exportateur durable à la France, qui est d’autant plus important lorsque le parc historique est prolongé.

Le développement des énergies renouvelables implique une adaptation des réseaux onéreuse

Si le bilan économique des moyens de production et de flexibilité distingue assez peu les quatre scénarios, l’écart est très significatif lorsque l’on tient compte du solde des échanges extérieurs et du coût des réseaux. Comme l’a souligné RTE, le développement des énergies renouvelables s’accompagne d’une adaptation importante des réseaux de transport et de distribution car la production d’énergie devient plus diffuse.

Aujourd’hui, les productions d’électricité sont localisées autour des centrales nucléaires et des barrages. Demain, l’intégration d’une part importante d’énergie renouvelable implantée sur tout le territoire français étendra la localisation de la production d’électricité. Les réseaux de transport et de distribution d’électricité devront être adaptés pour tenir compte de cette décentralisation de la production et de son caractère variable et saisonnier.

Actuellement les parcs éoliens et les fermes photovoltaïques sont connectés sur le réseau de distribution. Le raccordement de nouvelles installations nécessitera donc, premièrement, l’adaptation de ce réseau voire de nouvelles connexions aux réseaux de transport. Le raccordement de l’éolien en mer sera également à prendre en compte, notamment d’un point de vue économique.

Deuxièmement, pour réduire les pertes en ligne, notamment lors de la circulation de courant (effet Joule), il faudra privilégier le transport d’électricité sur les lignes haute tension et emprunter le chemin le plus court entre le point de production et le point de consommation. Or, la difficulté repose sur la localisation aujourd’hui non connue des nouveaux projets éoliens.

Troisièmement, l’intégration de la production d’énergie renouvelable sur le réseau doit s’appréhender à l’échelle européenne, par le développement des interconnexions favorisant le foisonnement des énergies. Ces interconnexions permettent une flexibilité du système électrique national et européen38.

Par ailleurs, le nombre de producteurs d’électricité d’origine renouvelable va augmenter, ce qui nécessitera une orchestration différente de l’offre d’électricité.

Enfin, le retour d’expérience montre que huit années sont nécessaires entre le début du projet de nouvelle ligne et la construction du premier pylône. Ces projets sont également confrontés à des oppositions locales qui ne facilitent pas leur développement. Ainsi, au-delà des aspects techniques, les enjeux sociétaux constituent également une problématique pour l’intégration des EnR dans le mix énergétique (le Gouvernement a présenté sur ce sujet un projet de loi en septembre 2022 visant à lever ces obstacles, voir chapitre 2).

Sur la base des estimations de RTE, nous avons calculé le coût des réseaux dans les différents scénarios (voir figure 3.5). À chaque fois, il pèse pour, au moins, un tiers du coût complet et peut créer des écarts importants entre les différents scénarios selon la part qu’y représentent les énergies renouvelables (voir figure 3.6).

Ainsi, un écart significatif de coût complet apparaît, même entre les scénarios intermédiaires envisagés à Belfort : le scénario « Nucléaire + » est moins cher de 4,3 milliards d’euros par an en 2060 que le scénario « Nucléaire − ». Cela confirme l’intérêt économique d’une forte relance du nucléaire, déjà souligné par RTE, avec si possible une prolongation du parc nucléaire historique.

Outre l’intérêt purement économique de réduire le coût pour le consommateur, rappelons que les scénarios les plus nucléarisés améliorent la souveraineté et la sécurité d’approvisionnement du pays en conservant son solde exportateur. Ils permettent aussi, comme nous allons le voir, de développer une économie de l’hydrogène compétitive.

Il faut également noter que notre modélisation ne prend pas en compte les externalités positives pour l’industrie du parc nucléaire en termes de stabilité des prix, dans l’hypothèse où le couplage avec les prix du gaz en période de crise serait plafonné. En effet, une moindre intermittence limite les besoins en hydrocarbures d’appoint, et donc les pics tarifaires. A son tour, une meilleure prévisibilité des prix permet des investissements dans de meilleures conditions. En d’autres termes, les mix les plus nucléarisés (« Nucléaire +/++ ») seraient plus compatibles avec une réindustrialisation de la France que les autres (« Nucléaire – » et « Sans EPR »).

Hydrogène : un avantage compétitif pour la France

L’hydrogène produit en France à partir d’électricité devrait coûter entre 104 et 126 €/MWh à l’horizon 2060, l’électricité représentant entre 65 et 75 % de ce coût de production selon les scénarios (l’amortissement et l’entretien des électrolyseurs représentant la quasi-totalité du reste). Le stockage géologique de l’hydrogène devrait au contraire en représenter une part très mineure (entre 0,90 et 2,26 €/MWh) d’après les estimations de la littérature (Sadler & Solgaard Anderson, 2018 ; IEA, 2019).

Le coût de l’hydrogène est d’autant plus faible que la part du nucléaire est importante, non seulement parce que le coût de l’électricité est inférieur, mais également parce que l’optimisation économique conduit à augmenter le facteur de charge des électrolyseurs dans les scénarios les plus nucléarisés. En 2050, les électrolyseurs fonctionnent ainsi en moyenne 5 400 heures/an dans le scénario « Nucléaire + », contre 4 300 heures/an dans le scénario « Nucléaire − » et 4 000 heures/an dans le scénario « Sans EPR ». En 2060, l’écart de coût se creuse (de 13 €/MWh à 22 €/MWh), corrélativement à l’écart de facteur de charge des électrolyseurs (de 3 300 à 5 400 heures/an) lié à la fermeture des derniers réacteurs du parc nucléaire historique dans la plupart des scénarios.

Un scénario nucléaire ambitieux a aussi pour avantage d’améliorer la compétitivité de l’hydrogène produit en France vis-à-vis des pays voisins. Comme le montre la figure 3.9, l’écart entre le coût de l’hydrogène produit en France et le coût moyen en Europe de l’Ouest est d’autant plus important que la part du nucléaire est importante. En 2050 et en 2060, dans les scénarios « Nucléaire + » et « Nucléaire ++ », l’hydrogène français est l’un des moins chers d’Europe de l’Ouest, avec la Suisse, qui bénéficie d’un bon facteur de charge de ses électrolyseurs (8 000 heures/an en 2050) grâce à son électricité hydraulique abondante39, et l’Espagne, qui bénéficie d’une importante ressource solaire. L’hydrogène produit en France est toutefois devancé par ces pays dans les scénarios « Nucléaire − » et « Sans EPR ».

En plus de doter la France d’un avantage compétitif, une relance ambitieuse du nucléaire réduit le coût moyen de l’hydrogène produit en Europe de l’Ouest grâce aux effets redistributifs permis par les interconnexions avec la France. Ainsi, en 2060, le scénario « Nucléaire + » réduit ce coût de 4,40 €/MWh par rapport au scénario « Nucléaire − » et de 5,50 €/MWh par rapport au scénario « Sans EPR ».

L’hydrogène produit en France par électrolyse serait compétitif vis-à-vis de nos pays voisins dès 2030. S’il perd cet avantage en 2040 face à la Suisse, en raison d’une dégradation du facteur de charge des électrolyseurs, cet avantage est rétabli durablement à partir de 2050. En revanche, aucun pays européen ne produit par électrolyse de l’hydrogène compétitif avec l’hydrogène gris (produit par reformage du gaz naturel et très émetteur de CO2, comme 95 % de l’hydrogène produit aujourd’hui) avant 2050, malgré un prix du carbone élevé et croissant (passant de 96,93 euros par tonne de CO2 en 2022 à 200 euros par tonne de CO2 en 2050 dans nos hypothèses). Seuls la France, l’Espagne et la Suisse parviennent à l’équilibre économique à partir de 2050.

Cela semble indiquer que le prix du carbone ne peut à lui seul suffire à se passer d’hydrogène gris et qu’un cadre incitatif supplémentaire pourrait être nécessaire pour produire de l’hydrogène décarboné. Cette conclusion doit toutefois être prise avec précaution en raison des limites de notre étude : l’évaluation du coût de l’hydrogène que nous avons menée tient compte du coût moyen et non du coût marginal de l’électricité consommée par électrolyse ; notre étude se limite à l’hydrogène produit à partir du réseau de transport et n’examine pas de modèle en autoconsommation40 ; enfin, le coût de l’hydrogène importé depuis des pays bénéficiant d’abondantes ressources solaires (en Afrique ou au Moyen-Orient) n’est pas évalué.

  • 35. RTE a retenu une approche similaire pour paramétrer ses six scénarios pour 2050.
  • 36. Dans son rapport d’analyse des coûts du système électrique français du 13 décembre 2021, la Cour des comptes dit également regretter l’insuffisance de la prise en compte des coûts du mix dans les décisions de planification énergétique (programmation pluriannuelle de l’énergie [PPE] et stratégie nationale bas-carbone [SNBC]).
  • 37. Nos hypothèses ayant servi au calcul du coût complet sont présentées en annexe III.
  • 38. La France est au cœur des échanges entre le Royaume-Uni, l’Espagne et l’Italie.
  • 39. Notons toutefois que la Suisse est un petit marché, dont la taille est limitée par celle du pays et de ses ressources renouvelables (hydraulique et solaire).
  • 40. On parle d’autoconsommation lorsque l’hydrogène est produit à partir d’énergies renouvelables locales raccordées directement aux électrolyseurs.

Quelles solutions de flexibilité pour ajuster offre et demande d’électricité ?

Quel que soit le niveau de développement des capacités nucléaires, le système électrique reposera en grande partie sur des énergies renouvelables intermittentes, dont les cycles de production peuvent fluctuer dans le temps. Pour faire fonctionner un tel système, le développement de flexibilités est indispensable. Derrière ce terme se cachent trois solutions majeures : le pilotage de la demande, un renforcement des interconnexions entre la France et les pays voisins ou encore le stockage d’électricité dont le déploiement est d’ores et déjà nécessaire pour accélérer la décarbonation de notre économie.

Le pilotage de la demande comme premier levier

Le 4 avril 2022, RTE a appelé les Français à faire des économies d’énergie. Ce jour-là, on annonçait de faibles températures et peu de vent, la disponibilité du parc nucléaire était réduite41 et le recours au gaz était prévu en dernière instance en raison du conflit en Ukraine. S’il ne leur est demandé aujourd’hui que des gestes porteurs d’économies, à l’avenir, du fait d’une plus grande électrification, les consommateurs devront aussi faire preuve de plus de flexibilité, c’est-à-dire participer plus fortement à la sécurité d’approvisionnement en réduisant leur consommation ou en contribuant à l’équilibre de l’offre et de la demande.

Quels sont les gisements de flexibilité de la demande ?

Actuellement, certains industriels électro-intensifs acceptent contre rémunération d’interrompre leur consommation d’électricité dans un délai très court (5 secondes) à la demande de RTE. C’est ce que l’on appelle l’interruptibilité prévue dans le code de l’énergie42 et qui permet d’éviter une coupure du système électrique français et européen. En outre, des opérateurs d’effacement, indépendants du fournisseur d’électricité, proposent des solutions de valorisation de l’effacement industriel. Le fournisseur d’électricité n’est donc pas le seul acteur vers qui se tourner pour moduler sa consommation. Enfin, d’un point de vue économique et financier, depuis fin 2013, l’effacement peut être valorisé sur les marchés de l’énergie et de la capacité, et bénéficie d’un mécanisme de soutien dédié par appels d’offres.

À l’échelle des particuliers, l’effacement se pratique notamment dans le cadre des tarifs réglementés EJP (effacement des jours de pointe), mis en extinction, et de leur successeur, le tarif Tempo, proposés par EDF. Durant une vingtaine de jours fixés la veille pour le lendemain, du 1er novembre au 31 mars, en fonction du prix du kWh, les consommateurs ayant souscrit ces contrats doivent réduire l’utilisation de l’électricité. Compte tenu de la hausse des prix de l’énergie, EDF promeut désormais plus activement ces dispositifs auprès des consommateurs.

D’autres formes de pilotage de la demande émergeront dans les années à venir, comme celles qui sont liées à la production d’hydrogène par électrolyse ou encore à la recharge des véhicules électriques. D’une part, la recharge intelligente (smart charging) permet de moduler et/ou de décaler la recharge des véhicules pour optimiser la consommation d’électricité. D’autre part, la recharge bidirectionnelle (V2X, ou vehicle-to-everything) permet de charger ou de décharger les batteries des véhicules électriques selon les besoins. La voiture équipée de cette technologie peut ainsi stocker de l’électricité et la restituer pour répondre aux besoins de la maison (vehicle-to-home, ou V2H), d’un bâtiment (vehicle-to-building, ou V2B) ou d’un réseau (vehicle-to-grid, ou V2G).

Toutefois, ce gisement est incertain car son accessibilité dépend de plusieurs facteurs : le mode de recharge des véhicules tout d’abord (naturel ou piloté), les signaux de pilotage et les modes de valorisation ensuite (asservissement tarifaire sur le modèle des ballons d’eau chaude, pilotage dynamique en fonction du prix horaire de l’électricité et des besoins de mobilité, asservissement aux besoins d’équilibrage du système, couplage avec une installation photovoltaïque pour autoconsommation…) et enfin des formes de pilotage (utilisation pour couvrir la consommation du foyer sans injection sur le réseau, participation au marché de l’énergie ou au réglage de fréquence).

Ainsi, de grandes incertitudes pèsent sur le gisement de flexibilités exploitable à l’horizon 2050. Selon RTE, de 9 à 44 GW seraient disponibles en 2050 (contre 5 GW actuellement), la mobilisation du vehicle-to-grid étant à la fois un contributeur potentiellement très important et le principal facteur d’incertitude. L’hypothèse retenue par RTE dans son scénario de référence (la configuration « flexibilité basse » dans la figure 4.1) est prudente : elle table sur 1,7 GW de vehicle-to-grid et sur 17 GW de flexibilité en tout. La recharge intelligente compterait pour presque autant (environ 2 GW). À ce type de flexibilité viendront s’ajouter des flexibilités industrielles qui existent déjà et qui pourraient être renforcées et, très importante également, la modulation des électrolyseurs pour la production d’hydrogène.

Le pilotage de la demande évolue et se veut de plus en plus intelligent pour satisfaire les besoins des consommateurs, alléger leur facture d’électricité et participer à la sécurité d’approvisionnement. Outre les considérations techniques et d’optimisation économique, l’effacement de la consommation d’électricité, quelle qu’en soit la forme, doit néanmoins être accepté par les consommateurs et ne pas être perçu comme subi. Ce sujet nécessite donc des ajustements de politique publique, afin de ne pas créer et creuser les inégalités d’accès à l’énergie.

Les usages flexibles dans le modèle de Belfort

Notre modélisation des flexibilités de la demande s’appuie sur les trois leviers principaux identifiés par RTE : le véhicule électrique, l’industrie et la production d’hydrogène. En complément, n’oublions pas que le pilotage des chauffe-eaux a été le premier levier de flexibilité exploité en France. Il est aujourd’hui programmé en « heures creuses » pour exploiter au mieux le parc nucléaire la nuit. Dans le modèle de Belfort, l’allumage des chauffe-eaux sera décalé en milieu de journée dès 2030 pour exploiter au mieux le pic de production solaire.

Le véhicule électrique : des bornes accessibles pour recharger en journée

Pour une raison principalement technique, notre modèle n’inclut pas la technologie vehicle-to-X, dont la portée à l’horizon 2050 est très incertaine. En revanche, la recharge intelligente est un des principaux leviers de flexibilité exploités. À l’horizon 2050, nous supposons que la recharge est presque entièrement flexible sur une période d’une journée en dehors des périodes de forte circulation le matin et le soir (afin que cette flexibilité ne contraigne pas le besoin de mobilité). Une telle flexibilité suppose un report des recharges en journée lors de la pointe de production solaire (sur un modèle comparable à celui des chauffe-eaux) et dans une moindre mesure la nuit, ainsi qu’un pilotage dynamique de la recharge en temps réel selon les signaux du réseau, qui conduit à moduler la recharge des véhicules déjà branchés. Ce pilotage permet par exemple de réduire la pointe de 19 heures, qui se produit lorsque les utilisateurs branchent leur véhicule en rentrant du travail, et de reporter la recharge à plus tard dans la soirée ou dans la nuit.

Le report de charge en journée suppose un accès libre à la recharge au travail et dans les espaces publics, et, par conséquent, l’installation massive de bornes de recharge en supplément, intégrées dans le coût du système électrique. Le modèle arbitre entre l’installation de ces bornes de recharge et l’installation de moyens de flexibilité complémentaires (comme des moyens de stockage, par exemple), de façon à minimiser le coût du système électrique.

La courbe optimisée de notre modèle suit la production solaire (avec un pic de recharge en milieu de journée), non pas la courbe « naturelle » de recharge (à domicile en soirée). Cela suppose l’installation de 11,5 à 25,5 GW de bornes de recharge en 205043 et de 13 à 30 GW en 2060. Ce qui correspond à 4 millions de bornes de recharge normales (de 7,4 kW environ) au maximum.

Dès 2030, 2 GW (soit 270 000 bornes normales44) seront nécessaires pour assurer la flexibilité du système électrique. Le besoin croît fortement en 2040 pour s’établir autour de 16 GW dans tous les scénarios, à l’exception du « Nucléaire ++ ». Les scénarios divergent ensuite à partir de 2050, les besoins de flexibilité étant naturellement plus faibles dans les scénarios les plus nucléarisés (voir figure 4.3).

Les industries métallurgiques, un levier de flexibilité déjà mobilisé, amené à se renforcer

Selon RTE (2020 b), la métallurgie constituerait le principal gisement de flexibilité industrielle accessible à un coût économique réduit (moins de 30 k€/MW/an) à l’horizon 2030 (70 % des effacements de plus de 8 heures) et à l’horizon 2050 (78 % des effacements). C’est pourquoi nous avons considéré que cette activité était la seule flexible dans notre modèle.

Avec l’électrification des usages et la possible croissance de la production dans le cas d’un scénario de réindustrialisation, ce gisement pourrait représenter jusqu’à 8,5 GW de capacité d’effacement au maximum (et 5 GW en moyenne) en 2050.

Dans notre modélisation, le système électrique recourt tous les jours à l’effacement des industries métallurgiques. Cela conduit à utiliser les capacités de production au maximum le jour et à fermer quasiment les usines la nuit pour suivre la production solaire (voir figure 4.5). Toutefois, notre modélisation ne tient pas compte des contraintes techniques et opérationnelles des industriels qui pourraient limiter les capacités d’effacement d’après l’Uniden. Le recours aux capacités d’effacement d’autres secteurs industriels pourrait s’avérer nécessaire pour conserver le même niveau de flexibilité.

L’électrolyse, un nouvel usage potentiellement très flexible de l’électricité

Intégrer l’hydrogène dans le système électrique semble aujourd’hui une priorité pour parvenir à l’atteinte des objectifs climatiques. En effet, d’un point de vue technico-économique, il n’est pas possible d’électrifier totalement tous les secteurs utilisant aujourd’hui des énergies fossiles ; l’hydrogène pourrait être un vecteur utile pour certains secteurs difficiles à décarboner comme l’industrie ou la mobilité lourde. Mais, pour que l’hydrogène participe à la transition énergétique, sa production doit être décarbonée (95 % de l’hydrogène en France étant produit à partir d’énergies fossiles). Pour cela, le procédé le plus mûr est l’électrolyse45, qui utilise de l’électricité décarbonée via notre réseau d’électricité ou les énergies renouvelables.

Une fois l’hydrogène produit, deux options sont possibles. D’une part, l’utiliser directement comme nouveau vecteur énergétique : c’est ce que l’on appelle le power-to-hydrogen ou power-to-gas, la transformation de l’électricité en hydrogène ou en gaz. D’autre part, l’utiliser comme moyen de stockage d’électricité et permettre un report de la production en cas de forte demande. Il s’agit alors du power-to-hydrogen-to-power, autrement dit la production d’électricité à partir d’hydrogène.

Les électrolyseurs pourraient être dimensionnés pour couvrir en permanence les besoins d’hydrogène (supposés constants dans notre modèle). Un tel fonctionnement « en bande », non flexible, permettrait de maximiser le fonctionnement des électrolyseurs (avec un facteur de charge de 100 %), réduisant ainsi les coûts d’investissements nécessaires à la production de l’hydrogène. Toutefois, l’électricité utilisée pour l’électrolyse serait très onéreuse en période de pointe.

À l’inverse, une électrolyse flexible permettrait de ne cibler que les périodes où l’électricité est à faible coût marginal sur les marchés de gros, c’est-à-dire lorsqu’il y a surproduction de renouvelable ou de nucléaire. Le facteur de charge des électrolyseurs serait alors réduit. Il faudrait les surdimensionner pour couvrir les besoins d’hydrogène et en outre, stocker massivement l’hydrogène produit pour assurer l’équilibre offre-demande.

Des travaux sur le power-to-gas46 ont montré qu’une utilisation flexible des électrolyseurs était nécessaire pour produire de l’hydrogène à moindre coût. Ainsi, notre modèle optimise les capacités d’électrolyse nécessaires pour minimiser le coût complet du système électrique. Cela conduit à investir dans davantage de capacités d’électrolyse dans les scénarios les moins nucléarisés, où les besoins de flexibilité sont accrus (voir figure 4.7).

En complément des surcapacités d’électrolyse qui garantissent la flexibilité, le stockage est nécessaire pour assurer l’équilibre entre une production intermittente d’hydrogène et une consommation relativement stable. En effet, la production d’hydrogène suit une tendance saisonnière, avec une production maximale en été (grâce aux surplus solaires) et au cours des mois de décembre et janvier (grâce aux surplus éoliens), mais déficitaire aux intersaisons.

Pour garantir un tel stockage intersaisonnier, au minimum 2 TWh de stockage seraient nécessaires à l’horizon 2050-2060 dans tous les scénarios. Les besoins de flexibilité étant largement accrus lorsque la part du nucléaire diminue et lorsque la consommation augmente, ces besoins de stockage pourraient atteindre jusqu’à 8 TWh dans le scénario « Sans EPR » avec hypothèse de consommation forte (« Uniden »). Seul le stockage géologique ‒ par exemple en cavités salines, déjà utilisées pour stocker le gaz ‒ peut garantir des volumes de ces ordres de grandeur. Les capacités de stockage en cavité saline sont évaluées à 2,5 TWh en France, mais pourraient être portées à 31,9 TWh, tous types de stockage compris (aquifères et gisements de gaz vides), d’après une étude conduite pour Gas Infrastructure Europe (Cihlar et al., 2021). Notons toutefois qu’elles pourraient aussi être utilisées pour stocker du CO2. La SNBC prévoit en effet de capturer et de stocker 15 Mt par an d’ici 2050 pour atteindre la neutralité carbone. Une trop forte sollicitation des sites de stockage géologiques pour l’hydrogène pourrait donc engendrer d’importants conflits d’usage.

Les interconnexions européennes pour mutualiser les moyens de production

L’entreprise RTE, responsable de l’équilibre du réseau, dispose de leviers de flexibilité lui permettant d’ajuster l’offre et la demande d’électricité à tout moment, qu’ils soient passifs (par exemple, la promotion des économies d’énergie) ou actifs (augmentation de la production ou effacement). Un autre levier consiste à profiter du réseau européen d’électricité par le biais des interconnexions. Les interconnexions sont aussi un prérequis à la réussite de la transition écologique puisqu’elles mutualisent les moyens de production bas carbone à l’échelle européenne. C’est la stratégie retenue par l’Allemagne et le Danemark : être bien raccordé aux voisins, délester la production renouvelable, profiter du nucléaire pour faire face aux pics et gérer les dysfonctionnements au sein d’un système électrique commun. En tant que gestionnaire du réseau français, RTE est particulièrement ambitieux sur leur développement dans son rapport d’octobre 2021 : 39 GW de capacités d’import à l’horizon 2050 contre 12 GW actuellement, soit un investissement de 10 milliards d’euros sur la période 2035-205047.

Compte tenu des besoins de flexibilité considérablement accrus en 2050 et des politiques actuelles qui tendent au renforcement de la solidarité énergétique européenne, nous avons repris les mêmes hypothèses que RTE sur le développement des interconnexions. Dans notre modèle, six pays voisins de la France sont interconnectés et les capacités d’import sont portées de 12 GW à presque 40 GW en 2050 (voir cartes ci-après). Les mix de production et la consommation de ces pays ont donc aussi été intégrés au modèle.

Les interconnexions ne suffiront pas à garantir la sécurité d’approvisionnement

Ces interconnexions permettront de profiter du phénomène de « foisonnement » de la production électrique d’origine renouvelable en Europe, c’est-à-dire de la réduction de la variabilité aléatoire de ces productions du fait de leur addition. Ce foisonnement a cependant une portée limitée puisque les pays voisins ont malheureusement des productions (et des consommations) assez bien corrélées. En effet, la vitesse du vent en France ne varie pas indépendamment de la vitesse du vent dans les pays voisins. C’est pourquoi les productions éoliennes sont corrélées, comme l’illustre le tableau qui suit.

Figure 4.12 – Coefficients de corrélation des productions éoliennes de 11 pays européens en 2019

Source : auteurs, d’après ENTSO-E.
Note de lecture : Le coefficient de corrélation est une grandeur entre 0 et 1 qui quantifie la corrélation linéaire entre deux variables. Il vaut 1 si les variables sont parfaitement corrélées, 0 si elles sont très mal corrélées. Le coefficient de corrélation de la production éolienne entre la France (FR) et l’Allemagne (DE) est de 0,66. Les productions franco-allemandes sont donc bien corrélées.

Ainsi, le foisonnement ne permettra pas à lui seul d’assurer la sécurité d’approvisionnement de la France à l’horizon 2050. Comme l’illustrent les monotones de puissance du solaire et de l’éolien en France et en Europe de l’Ouest (voir ci-après la figure 4.13), l’addition des capacités ne relève que très peu les faibles facteurs de charge. Autrement dit, quand il n’y a ni vent ni soleil en France, c’est le cas aussi dans les pays voisins. En revanche, l’inverse n’est pas vrai : quand le vent ou le soleil sont au maximum dans un pays donné, c’est rarement le cas dans les autres en même temps. En conséquence, les facteurs de charge les plus élevés se trouvent fortement réduits lorsque les capacités foisonnent. Cela signifie qu’en cas de surproduction en France, il n’y a pas nécessairement surproduction dans les pays voisins. Le foisonnement permettra donc aux pays interconnectés de mieux exporter leurs surplus renouvelables.

En termes de sécurité d’approvisionnement, les interconnexions permettent néanmoins de réduire le besoin de capacités pilotables et de stockage pour assurer l’équilibre offre-demande en les mutualisant à l’échelle européenne. Selon RTE, les besoins capacitaires seraient réduits de 90 GW à l’échelle européenne en 2050, en développant les interconnexions selon le rythme proposé dans leurs scénarios (RTE, 2021). Nos modélisations confirment cette analyse, comme nous le verrons à la fin de la prochaine partie consacrée au stockage.

Développer dès aujourd’hui le stockage de l’électricité

L’utilité du stockage

Le stockage de l’électricité est la solution principale pour s’affranchir du caractère intermittent des énergies renouvelables. En effet, il permet de réinjecter, en cas de pénurie de vent ou de soleil, le surplus de production d’électricité emmagasiné dans les périodes de forte production. Quatre enjeux en découlent. Le premier est de pouvoir délivrer plus ou moins rapidement une puissance supplémentaire en période de pointe (dimensionnement en puissance du stockage). Le deuxième consiste à disposer d’une capacité énergétique suffisante pour absorber les surplus (dimensionnement en énergie du stockage). Le troisième concerne la possibilité de restituer l’énergie stockée avec un rendement suffisant. Le quatrième, enfin, est de pouvoir conserver plus ou moins longtemps l’énergie stockée.

Les différentes technologies de stockage se distinguent sur ces quatre paramètres (puissance, énergie, rendement, durée de stockage) et permettent donc de couvrir des besoins de lissage de la consommation résiduelle48 à des horizons de temps très différents. Le stockage à très court terme permet de lisser sur une période de quelques secondes à quelques dizaines de minutes au plus, et requiert une mobilisation très rapide de la puissance du moyen mobilisé mais peu de capacité énergétique. Le stockage journalier permet, comme son nom l’indique, de reporter des productions intermittentes (en particulier solaires) à l’échelle de la journée en période de pointe, ce qui requiert des puissances importantes et une capacité de stockage énergétique de une heure à quelques heures. Le stockage hebdomadaire permet de reporter les surproductions du week-end vers les autres jours de la semaine, grâce à une capacité de stockage énergétique plus importante (de l’ordre d’une dizaine d’heures). Enfin, le stockage intersaisonnier permet de lisser la consommation résiduelle entre différentes périodes de l’année où la production intermittente est excédentaire ou déficitaire (par exemple entre l’été et l’hiver).

Les technologies

Il existe de nombreuses technologies de stockage d’électricité (voir annexe IV) que l’on peut classer selon la forme d’énergie.

Le stockage mécanique comprend les stations de transfert d’énergie par pompage-turbinage (STEP), le stockage par air comprimé (CAES pour compressed air energy storage) et les volants d’inertie.

Le CAES permet d’atteindre un stockage d’une dizaine d’heures environ, ce qui est potentiellement intéressant pour le stockage hebdomadaire.

Le volant d’inertie est une solution qui permet de délivrer rapidement de la puissance mais sa capacité énergétique est limitée à quelques dizaines de minutes.

Les STEP sont une technologie éprouvée de longue date. Disposant d’une capacité de stockage allant de quelques heures à quelques dizaines d’heures, elles sont bien adaptées au stockage hebdomadaire. La France dispose aujourd’hui de 5 GW de capacité avec des STEP, ce qui constitue 98 % des capacités de stockage d’électricité du pays.

Le stockage chimique comprend principalement les batteries. La plupart des technologies de batteries peuvent délivrer très rapidement de la puissance et ont des capacités de stockage qui dépassent rarement quelques heures. Elles sont donc particulièrement adaptées pour les marchés de réserve et pour l’équilibrage journalier.

Déjà présenté comme moyen de flexibilité de la demande, l’hydrogène est aussi une technologie de stockage chimique d’électricité via la boucle power-to- hydrogen-to-power.

Des solutions de stockage thermique existantes, le stockage sensible49 est aujourd’hui la plus déployée, notamment dans des centrales solaires thermiques. Le stockage par sels fondus, par exemple, permet déjà de lisser sur 24 heures la production de centrales solaires thermiques à concentration, comme sur le site d’Andasol, en Espagne, où 150 MW de panneaux solaires et 1 GWh de stockage (soit 7,5 heures à pleine capacité) ont été installés.

Le stockage électromagnétique comprend les supercondensateurs, qui permettent de mobiliser très rapidement de la puissance à court terme avec, en revanche, une faible capacité de stockage énergétique, et les bobines supraconductrices, encore très peu développées.

Comme l’indique la figure 4.14, aucune de ces technologies ne pourra à elle seule répondre à une demande de service complète (service système, stockage journalier et hebdomadaire). Par exemple, alors que son rendement est élevé, le volant d’inertie ne peut stocker l’énergie qu’en faible quantité et qu’à très court terme au risque qu’elle soit fortement dissipée. Son temps de réponse, très court (40 ms), est donc adapté aux services systèmes pour ajuster la tension ou la fréquence. Les autres solutions de stockage mécanique (STEP et CAES) permettent de délivrer des puissances élevées, de se décharger sur plus d’une heure et disposent de durées de vie les plus importantes. À l’inverse, le schéma indique que les solutions chimiques fonctionnent à des puissances plus faibles et se déchargent rapidement.

Le paysage français actuel

Tandis que les capacités de stockage en France continentale, actuellement de 5 GW, ont longtemps été le fait des seules STEP, elles connaissent depuis trois ans une diversification du fait du développement de batteries. Les six STEP, construites durant les années 1970, constituent une puissance de 4,3 GW en pompage et 4,9 GW en turbinage. Les capacités de stockage stationnaire par batteries, quasi insignifiantes il y a encore trois ans, se développent rapidement.

Leur comptage précis est incertain : seuls 31 MW de batteries stationnaires étaient recensés en exploitation au 1er trimestre 2020 pour une dizaine d’installations, contre plus de 292 MW début 2022 pour plusieurs centaines d’installations50. Ces dernières sont mises en place seules pour les plus fortes puissances, à l’instar de l’unité de stockage de 61 MW construite par Saft près de Dunkerque, ou couplées avec des EnR intermittentes pour les plus petites. Les autres formes de stockage d’électricité liées au réseau relèvent de la démonstration technologique ou de l’alimentation autonome de consommateurs isolés, à l’exception d’un stockage de 9 MW par sels fondus. Les stockages d’électricité par hydrogène sur le territoire continental sont hors réseau.

La puissance installée de batteries stationnaires raccordées au réseau, toujours en France continentale, devrait passer de près de 300 MW début 2022 à environ 600 MW à la fin de l’année et à 800 MW en 2023. Sur le réseau de distribution, 107 projets de raccordement étaient en cours au 4e trimestre 2021, pour 182 MW. Ces déploiements apparaissent d’ores et déjà plus rapides que les besoins estimés jusqu’ici par le gestionnaire de réseau, de l’ordre de 500 MW d’ici à 2030. Concernant les STEP, leur développement est à l’arrêt ; seules des opérations de maintenance (parfois lourdes) se poursuivent, à l’exception de l’augmentation de la puissance et de la flexibilité de la STEP de La Coche, achevée en 2019.

Quels besoins de stockage à horizon 2050-2060 ?

Comme d’autres travaux qui l’ont précédé, le modèle de Belfort considère uniquement les technologies de stockage les plus éprouvées ou les plus prometteuses pour les besoins de flexibilité du système électrique, à savoir : les batteries pour le stockage journalier, particulièrement adaptées au développement de la production photovoltaïque, les STEP pour le stockage hebdomadaire et le power-to-hydrogen-to-power pour le stockage intersaisonnier.

Les STEP, un investissement à privilégier dans tous les scénarios

Le potentiel de STEP développable en France est incertain en raison de plusieurs contraintes locales (technico-économiques, de biodiversité, d’acceptabilité…). RTE identifie un potentiel de 3 GW supplémentaires par rapport aux capacités actuelles (5 GW). Les travaux du projet de recherche eStorage identifient 117 GWh de potentiel (eStorage Project, 2015), soit 6 GW de STEP d’une capacité énergétique de 20 heures51, hypothèse que nous avons retenue. Ce gisement est saturé dans presque tous les scénarios en 2060, à l’exception du « Nucléaire ++ » et du « Nucléaire + » avec hypothèse de consommation faible.

Les batteries, un investissement complémentaire à développer davantage dans les scénarios les moins nucléarisés

En complément des nouvelles capacités de STEP, les batteries seront nécessaires dans presque tous les scénarios, sauf dans le « Nucléaire ++ », dont les besoins de stockage sont déjà couverts par les STEP existantes. Les besoins seront bien sûr très contrastés en fonction de la part du nucléaire et du niveau de consommation. Ainsi, en 2060, 3,2 GW seraient nécessaires dans le scénario « Nucléaire + » avec faible niveau de consommation (« Maintien de l’industrie ») tandis qu’il faudrait 35 GW dans le scénario « Sans EPR » avec forte consommation (« Réindustrialisation »).

À l’horizon 2050-2060, les technologies de batteries à coût optimal doivent pouvoir stocker de l’électricité pendant un peu plus de 1 heure dans presque tous les scénarios, sauf dans le scénario « Sans EPR » avec très forte consommation.

Le power-to-hydrogen-to-power, des besoins à long terme dans les scénarios les moins nucléarisés

L’usage d’une telle technologie ne devient nécessaire qu’à partir de 2050 et seulement dans les scénarios « Nucléaire − » et « Sans EPR ». Sans surprise, la capacité nécessaire est d’autant plus forte que les besoins de flexibilité sont élevés (faible part du nucléaire, forte consommation). Toutefois, la consommation d’hydrogène associée à ce type d’usage reste limitée (à 2,6 TWh/an au plus) car il s’agit d’un moyen d’ultra-pointe très onéreux (de l’ordre de 230 €/MWh) utilisé 170 heures/an au maximum.

Si la nécessité du power-to-hydrogen- to-power n’est pas établie en France, elle l’est en revanche en Allemagne avec 45 GW de capacités nécessaires en 2050 (contre 9 GW au plus en France) et une consommation d’hydrogène de 36 TWh/an seulement pour cet usage.

Des besoins dès 2030 pour accélérer la décarbonation

Bien que le stockage ne soit pas indispensable pour assurer la sécurité d’approvisionnement à cet horizon, nos simulations identifient déjà des besoins en 2030 pour minimiser le coût du système électrique, dans un contexte de prix du carbone élevé (120 €/tCO2)52 : disposer de capacités de stockage permet alors de réduire le recours aux sources carbonées en période de pointe. De nouvelles STEP ne pouvant pas être construites sur une période aussi courte, et le power-to-hydrogen-to-power n’étant pas encore rentable, seules les batteries répondront aux besoins. Entre 5,2 et 7,5 GW de batteries avec une capacité de 1 h 20 à 1 h 50 pourraient être installés, avec un avantage économique pour la collectivité.

Cet avantage économique (en raison du prix du carbone) s’accompagne d’un avantage environnemental puisque l’installation de telles capacités de stockage réduit la consommation d’énergies fossiles, et notamment de gaz. Plus précisément, l’installation de nouvelles capacités renouvelables sans stockage, au cours de la décennie 2020, suffit à réduire la production thermique à 8,7 TWh (contre 42,5 TWh en 2019) et à diviser par 5 les émissions du système électrique, pour atteindre 4,3 Mt éq. CO2/an. S’ajoutant à cela, de nouvelles capacités de stockage permettent d’économiser 2,2 Mt éq CO2/an supplémentaires : 0,9 Mt parce qu’elles rendent économiquement opportune l’installation de plus de capacités renouvelables, et 1,3 Mt par un effet de flexibilité, qui réduit le recours aux centrales à gaz en période de pointe.

Stockage et autres moyens de flexibilité : concurrence et complémentarité

Le stockage n’est qu’un moyen de flexibilité parmi d’autres et son développement dépendra de celui du pilotage de la demande et des interconnexions. Les besoins de stockage se trouveront fortement augmentés à l’horizon 2060 si les interconnexions ne sont pas développées davantage qu’aujourd’hui ou si elles sont complètement absentes (dans un modèle purement théorique où la France serait isolée).

Bien que les besoins en puissance des batteries ne soient que légèrement augmentés, les besoins en énergie sont largement plus importants lorsque les interconnexions sont réduites. La capacité de stockage des batteries est à son niveau maximal (4 heures dans notre modèle), alors qu’une heure suffit avec les interconnexions de référence. Mais ce sont les besoins en stockage intersaisonnier d’hydrogène et en power-to-hydrogen-to-power qui augmentent le plus lorsque les interconnexions sont réduites.

  • 41. La réduction des capacités était liée aux maintenances programmées et aux arrêts de tranche à la suite de la détection de défaut de corrosion sous contrainte.
  • 42. Article L321-19 : «Lorsque le fonctionnement normal du réseau public de transport est menacé de manière grave et immédiate ou requiert des appels aux réserves mobilisables, le gestionnaire du réseau public de transport procède, à son initiative, à l’interruption instantanée de la consommation de ces sites. »
  • 43. En supposant qu’elles soient utilisées à leur maximum en période de pointe.
  • 44. Selon l’Avere, 57 732 points de charge seraient accessibles au public au 31 mars 2022.
  • 45. Décomposition de molécules d’eau en hydrogène et en oxygène grâce à l’électricité.
  • 46. Voir les travaux de RTE (2020, 2021) et d’Artelys (Chammas, 2018).
  • 47. Pour une ligne de 2 GW, 1 M€/km aérien, 10 M€/km enterré.
  • 48. Définie comme la consommation retranchée des productions renouvelables intermittentes.
  • 49. Le stockage sensible consiste à exploiter l’inertie thermique d’un fluide caloporteur (eau, huile thermique, sels fondus, roches) en le chauffant lors de surplus d’énergie et en le refroidissant lors de la restitution de cette énergie.
  • 50. D’après Enedis, Open data et le bilan électrique 2021 de RTE.
  • 51. C’est la capacité énergétique des STEP installées aujourd’hui.
  • 52. Ce prix du carbone fait partie de nos hypothèses économiques de référence (cf. annexe III).

Focus – Émergence d’une filière européenne des batteries

Les politiques publiques misent fortement sur le développement des batteries pour le stockage de l’électricité, mais surtout pour l’électromobilité. Ainsi, en Europe, deux projets importants d’intérêt européen commun (PIIEC) concernent les batteries. Approuvés en décembre 2019 et janvier 2021, ils comprennent un soutien public par une dizaine d’États membres, dont la France, à hauteur respectivement de 3,2 et de 2,9 milliards d’euros.

À l’échelle nationale, l’État soutient la filière industrielle des batteries à travers le 4e programme d’investissements d’avenir (PIA4) ainsi que le plan France 2030. Pour le moment, les développements se concentrent davantage sur les batteries embarquées dans les véhicules électriques que sur les batteries stationnaires pour le stockage d’électricité53.

L’électromobilité comme support au développement d’une filière européenne

L’Union européenne s’est dotée d’une stratégie industrielle pour assurer le développement de sa filière électromobilité, notamment au travers de l’Alliance européenne des batteries (AEB), créée en 2017. Cette dernière rassemble les différentes parties prenantes publiques et privées pour doter l’industrie européenne d’une capacité indépendante de développement et de production de batteries, majoritairement embarquées, d’ici 2025. Pour assurer le succès de l’AEB, l’Union européenne mobilise une série d’instruments de soutien couvrant l’intégralité du cycle de l’innovation, depuis la recherche fondamentale et appliquée jusqu’à la commercialisation, en passant par la démonstration et le premier déploiement.

Dans le cadre de cette politique industrielle européenne, la Banque européenne d’investissement joue un rôle central à destination des industriels. Elle soutient des investissements dans la recherche et l’innovation sous la forme d’aides au capital-risque de PME. Elle comble également le fossé entre les phases de démonstration et de commercialisation, en fournissant des prêts, des garanties et des apports de fonds propres.

En France, le soutien à la filière batteries s’appuie aussi sur les stratégies nationales de décarbonation de l’industrie automobile et du développement des mobilités électriques. Une nouvelle « stratégie d’accélération batteries » a été lancée en octobre 2021 pour poursuivre et renforcer les actions du premier plan batteries de 2018. Cette stratégie, portée conjointement par la Direction générale des entreprises (DGE) et le Secrétariat général pour l’investissement (SGPI) et mise en œuvre par Bpifrance, s’inscrit dans le cadre du programme d’investissements d’avenir (PIA4) et du plan France Relance (1,8 milliard d’euros entre 2019 et 2024). Ce soutien prend plusieurs formes, de l’aide à l’innovation (concours d’innovation i-Lab) à l’investissement en fonds propres (fonds « sociétés de projets industriels » de Bpifrance). À titre d’exemple, Bpifrance détient plus de 10 % du capital de la société Forsee Power, qui fournit des systèmes de batteries Li-ion à haute valeur ajoutée pour toutes les applications de mobilité.

Une production française avantageuse

Produire 1 kWh de batterie lithium-ion NMC au Japon émet 313 kg de CO2, dont 65 % pour le seul assemblage des cellules, très consommateur d’une électricité plus carbonée qu’en Europe (Cusenza et al., 2019). Un assemblage au sein de l’Union européenne permettrait de réduire le bilan carbone à 190 kg CO2/kWh, en prenant pour hypothèse le mix électrique européen moyen (moins carboné que le mix japonais), et un assemblage français réduirait le bilan à 70 kg CO2/kWh, ce qui donne un avantage compétitif à la France.

De nombreux projets industriels en cours

Les projets industriels en cours de développement sont largement orientés vers la production de batteries embarquées. Depuis la création de l’AEB, les annonces de construction de gigafactories de batteries en Europe se sont multipliées. Une quinzaine de projets sont en cours avec des approches très différentes. Ainsi, la coentreprise Automotive Cells Company (ACC), fondée par Stellantis et TotalEnergies via Saft, s’inscrit dans la tradition des grands projets industriels européens avec le soutien des gouvernements. Le projet de la start-up suédoise Northvolt, fondée en 2016, est soutenu par les marchés financiers et des acteurs industriels tels que Volkswagen AG. Des acteurs asiatiques s’implantent aussi à l’Est de l’Europe, comme le groupe sud-coréen LG à Wroclaw en Pologne.

En France, la production actuelle de batteries est assez limitée et repose principalement sur deux acteurs.

Saft, acteur historique, a recentré son activité sur l’intégration de cellules achetées en Asie, dans la mesure où sa production française sur le site de Nersac, en Charente (revendu à Arts Energy), ne permettait pas de rivaliser en termes de volumes et d’économies d’échelle.

Blue Solutions, du groupe Bolloré, produit en France des batteries lithium-métal-polymère pour la mobilité et pourrait atteindre une capacité de production de 1,5 GWh/an dans les années à venir, selon les annonces faites par l’entreprise. Ces batteries fonctionnant à haute température (200 °C) sont peu compétitives.

Le groupe Renault, qui vise la production d’un million de véhicules électriques d’ici 2030, a également signé deux partenariats majeurs dans le domaine de la conception et de la production de batteries pour véhicules électriques. Le premier, avec le Chinois Envision AESC, pour l’implantation d’une gigafactory d’une capacité de 9 GWh à Douai en 2024, avec l’objectif d’atteindre 24 GWh d’ici 2030. Le second, avec la start-up française Verkor, afin de codévelopper puis fabriquer des batteries haute performance, avec l’installation en 2024 d’une première gigafactory d’une capacité de 10 GWh à partir de 2026, pouvant atteindre 20 GWh à l’horizon 2030.

La France dispose également de capacités d’innovation portées autant par la recherche publique (CEA, CNRS, universités) que par de grandes entreprises (Saft, Stellantis, Renault, Bolloré) et des start-up qui se sont lancées sur le marché du stockage (embarqué et stationnaire) de l’énergie (Tiamat, Verkor) ou sur la production de matériaux et d’électrodes (Nawa Technologies, Nanomakers). Par exemple, la start-up Tiamat créée en 2017 a développé une batterie sodium-ion plus efficace que la batterie lithium-ion, capable de recevoir et de délivrer une quantité importante de courant plus rapidement que les technologies existantes. En outre, plusieurs entreprises sont susceptibles de devenir des acteurs majeurs de la chaîne de valeur, dont les chimistes Solvay et Arkema (ingrédients pour électrolyte).

Une filière batterie face au risque de défaut d’approvisionnement en matières premières

L’extraction des matières premières, le raffinage et la fabrication des composants de batteries constituent les étapes en amont de la fabrication des cellules et de leur intégration dans les batteries. Chacune de ces étapes représente un enjeu stratégique.

Aujourd’hui, la chaîne de valeur – des produits raffinés aux packs de batteries, en passant par les composants – est concentrée en Asie, et plus particulièrement en Chine, en Corée du Sud et au Japon. En 2020, 86 % du marché des batteries étaient ainsi détenus par six producteurs, tous asiatiques. Parmi eux, les trois leaders (le Chinois CATL, le Coréen LGC et le Japonais Panasonic) se sont partagés 68 % du marché. À l’exception de l’Américain Tesla, les entreprises non asiatiques ne représentent qu’une part négligeable de la production de batteries.

L’extraction et le raffinage des métaux présents dans les batteries Li-ion NMC (lithium, nickel, manganèse, cobalt et graphite) sont concentrés dans des pays non européens. La production de graphite est un quasi-monopole chinois tandis que celle de cobalt est dans sa quasi-totalité située en République démocratique du Congo (RDC). L’activité de raffinage, sur laquelle la Chine a une position dominante, est une étape plus complexe que les opérations extractives stricto sensu. Elle demande une grande maîtrise technologique, dont les coûts opérationnels dépendent en partie des propriétés spécifiques et de la qualité des minerais extraits (pureté du lithium et du cobalt).

Figure 4.a – Principaux pays contrôlant la chaîne de valeur des matériaux stratégiques et critiques entrant dans la composition des batteries

(*) Matériaux considérés comme « critiques » par la Commission européenne (Strategy on raws materials, septembre 2020).
Source : données USGS de 2021 pour les réserves et la production, données 2020 de l’IRIS pour le raffinage.

La concentration des activités de traitement des minerais en Asie, et spécifiquement en Chine, crée une forte dépendance des productions française et européenne de batteries. La stratégie verticale chinoise permet à des entreprises de contrôler à la fois l’amont et l’aval de la production. Ainsi, la Chine fabrique 80 % des produits raffinés nécessaires aux batteries et 73 % des cellules vendues dans le monde (Bonnet et al., 2020). Des investissements chinois sont également réalisés en Afrique pour assurer l’acheminement des minerais via des contrats de type « ressources contre infrastructures » (par exemple, la réfection du port de Mombasa par le groupe China Railway Construction Corp Ltd). Par ailleurs, la Chine s’investit fortement dans la sphère normative au sein du comité de l’Organisation internationale de normalisation (ISO) sur les sujets lithium et cobalt.

L’offre industrielle de batteries stationnaires et embarquées est fragilisée par la criticité des matériaux dont elle dépend (Commission européenne, 2020). La concentration géographique de l’exploitation des minerais à l’échelle mondiale et la hausse de la demande pour la production de batteries pourraient donc être à l’origine de difficultés d’approvisionnement. Bien que la production de cobalt ait été multipliée par 4 en vingt ans et celle du lithium par 6, la hausse de la demande a elle aussi été massive. Les piles et les batteries sont devenues le premier poste de consommation de ces deux métaux à hauteur de 55 % pour le cobalt et de 70 % pour le lithium.

L’extraction de ces matériaux présente par ailleurs des risques environnementaux et sociaux avérés, qu’il convient de prendre en compte dans la mesure de l’impact réel du stockage électrochimique. Les activités d’extraction de minerais engendrent une pollution significative : par exemple, 1 tonne de lithium émet entre 5 et 15 tonnes de CO2, utilise 469 m3 d’eau et mobilise plus de 3 000 m2 d’emprise au sol (Danino-Perraud, 2021). En outre, si des initiatives ont vu le jour pour réguler la filière de l’extraction, les mines artisanales sont encore largement répandues dans les pays en développement, notamment en République démocratique du Congo, où les conditions de travail sont inhumaines et impliquent parfois des enfants. Les pouvoirs publics locaux peinent à encadrer cette activité qui représente un vivier d’emplois et de revenus importants pour la population. C’est pourquoi, le projet de règlement européen sur les batteries qui devrait être adopté d’ici 2023 prévoit d’instaurer un devoir de diligence des producteurs tout au long de la chaîne de valeur des batteries commercialisées dans l’Union européenne.

Le recyclage

Compte tenu de la croissance de l’électromobilité et de la durée de vie moyenne des batteries dans ce secteur (entre 10 et 15 ans), le recyclage constitue une solution viable à long terme pour assurer, en partie, non seulement la soutenabilité des matières premières utilisées mais également la crédibilité du choix de politique industrielle qui a été fait en faveur des batteries.

La proposition de règlement européen sur les batteries prévoit, à ce stade, une obligation pour les industriels d’incorporer un seuil minimum de matériaux recyclés dans les futures batteries. Toutefois, la mise en œuvre de cette obligation ne permettrait de réduire la dépendance à de nouvelles extractions de minerais qu’à très long terme, étant donné la durée de vie des batteries et la croissance des besoins dans les décennies à venir. En 2040, le recyclage ne pourrait fournir que 5 % du lithium, 8 % du nickel et 12 % du cobalt nécessaires à la production de batteries (IEA,2021), à condition de surmonter les difficultés logistiques en matière de collecte.

L’usage en « deuxième vie » des batteries (pour le stockage stationnaire) est aussi une alternative mais, de même que pour le recyclage, le gisement disponible ne représenterait que 3,4 % de la demande en 2030 et 20 % en 2040 (IEA, 2021). Elle impose, en outre, de résoudre des obstacles techniques majeurs liés au démantèlement et au reconditionnement des packs. Ainsi, le recyclage et le réemploi sont encore des filières peu mûres mais le futur règlement européen sur les batteries devrait inciter les producteurs à progresser en instaurant des obligations d’incorporation de matériaux recyclés.

  • 53. Le marché du stockage stationnaire par batteries est marginal en comparaison du stockage embarqué lié à la mobilité électrique. En 2020, le stockage stationnaire représentait 4,2 % du marché mondial des batteries et sa part de marché atteindra 8,7 % en 2030 (Bonnet et al., 2020).

Conclusion

Les travaux que nous avons conduits nous ont permis de mettre en perspective les orientations formulées par le président de la République le 10 février 2022, à Belfort. En conclusion et synthèse, il ressort les points suivants.

L’augmentation de la consommation d’électricité à l’horizon 2050 est admise comme incontournable par bon nombre d’acteurs du monde de l’énergie et se confirme dans nos travaux : à hauteur de 671 TWh au moins (si le pays renonce à se réindustrialiser et si nous parvenons à améliorer le rendement de la rénovation énergétique des logements) et jusqu’à 846 TWh (avec une réindustrialisation, une très forte électrification de l’industrie et une absence de progrès sur la performance de l’isolation des bâtiments qui n’empêche pas sa massification).

Cette augmentation sera fortement guidée par les besoins d’électrification de l’industrie. La relance ambitieuse et la forte décarbonation de nos activités manufacturières demanderont des capacités de production considérables, qu’elles soient nucléaires ou renouvelables. Dans une moindre mesure, les efforts en matière de rénovation énergétique des bâtiments auront également un impact sur le besoin d’électricité. Si l’efficacité des rénovations est sujette à caution, leur rythme devra rester soutenu afin de réduire la consommation d’énergie des bâtiments. Un déploiement massif des pompes à chaleur apparaît indispensable pour atteindre les objectifs d’efficacité énergétique, tout en substituant l’électricité aux combustibles fossiles aujourd’hui utilisés pour le chauffage (fioul et gaz).

S’agissant de la production d’électricité, nos travaux identifient le besoin de développer massivement les capacités pour satisfaire les besoins, notamment en cas de réindustrialisation. En effet, il faut retenir que, sous l’hypothèse ambitieuse du développement de 14 EPR2, le parc éolien (terrestre et en mer) devra être multiplié par 5 et que la capacité solaire devra être multipliée par 14. C’est plus que ce qui a été annoncé par Emmanuel Macron à Belfort mais ce sera nécessaire pour équilibrer l’offre et la demande.

L’objectif de 100 GW de capacité solaire devrait être amplement dépassé pour couvrir les besoins en 2050. Il nous semble toutefois intéressant de ne pas se désintéresser totalement de l’éolien terrestre. En effet, la relance du nucléaire, l’éolien en mer et le solaire souffrent tout autant de problématiques d’acception locale, qui pourraient venir contrarier les ambitions du président de la République. Une concertation massive sur la planification énergétique semble incontournable.

Entre les deux scénarios esquissés par le président Macron, le scénario « Nucléaire + » permet de maintenir et d’optimiser la capacité du parc nucléaire en France. Toutefois, les études et les décisions portant sur la poursuite du fonctionnement du parc nucléaire actuel au-delà de 50 ans conditionneront fortement les perspectives du nouveau mix électrique en France.

Dans tous les cas, l’équilibre entre l’offre et la demande passe nécessairement par le développement de moyens de flexibilité dès 2030. Ils sont de trois types, que nous considérons complémentaires : les interconnexions avec les pays voisins pour profiter notamment du foisonnement des EnR et de la mutualisation des moyens de production pilotables, la flexibilité de la demande pour optimiser les moyens de production, le recours au stockage de l’électricité.

S’agissant des interconnexions, le gestionnaire de réseau RTE a des objectifs ambitieux de développement à l’horizon 2050 (39 GW) ; nous avons repris les mêmes hypothèses car elles réduisent les besoins de flexibilités complémentaires (stockage et moyens thermiques), très coûteux, et permettent ainsi la décarbonation à l’échelle de l’Union européenne.

Par ailleurs, l’équilibre de l’offre et de la demande ne sera possible que si on s’appuie sur la flexibilité de la demande. En effet, l’augmentation de la consommation d’électricité, par l’électrification notamment de la mobilité et de l’industrie, ne sera compatible avec le recours massif aux EnR qu’en décalant l’usage de l’électricité aux moments où cette dernière est massivement produite mais peu utilisée. Pour bénéficier pleinement de la production solaire autour de midi, nous identifions le besoin de recharger les véhicules en journée et d’installer pour cela 4 millions de bornes de recharge au travail et dans les lieux publics et le besoin de recentrer les productions industrielles en journée.

Le stockage de l’électricité constitue une réelle opportunité de flexibilité, en reportant la production d’électricité aux périodes de forte consommation. Toutefois, les politiques publiques, notamment au travers de la PPE, n’identifient pas ce besoin d’ici à 2035. Nos travaux permettent d’établir que le développement, dès à présent, du stockage de l’électricité contribuera à faciliter l’atteinte de l’objectif de décarbonation de 2030, tout en présentant un intérêt économique pour le système électrique.

Enfin, la production d’hydrogène apparaît comme un réel moyen d’optimisation et de flexibilité du système électrique. D’une part, elle permet de maintenir une production nucléaire constante (les surplus renouvelables étant utilisés pour produire de l’hydrogène au lieu de se substituer au nucléaire). D’autre part, le stockage d’hydrogène constitue aujourd’hui la seule solution de stockage intersaisonnier, auquel ne peut répondre aucun autre type de stockage (batteries, STEP…).

Pour finir, nous tirons plusieurs conclusions de l’analyse économique de notre modèle. Nous rappelons qu’elle est basée sur une minimisation du coût global du système électrique, sous contrainte d’équilibre offre-demande.

La première conclusion concerne le choix de mix électrique entre les deux qui ont été évoqués par le président de la République : « Nucléaire – » et « Nucléaire + ». L’analyse économique montre un réel avantage pour le développement massif du nucléaire pour deux raisons essentielles : la réduction des coûts de réseau et la préservation du solde exportateur de la France, d’autant plus important dans un contexte géopolitique qui nous rappelle notre dépendance énergétique aux autres pays.

De cette première conclusion découle une deuxième : le développement du nucléaire en France permet de produire de l’hydrogène compétitif à l’échelle européenne à l’horizon 2050. Par ailleurs, une relance ambitieuse du nucléaire en France réduit le coût moyen de l’hydrogène produit en Europe de l’Ouest grâce aux effets redistributifs permis par les interconnexions avec la France.

Si nos travaux reprennent certaines hypothèses consensuelles, ils mettent toutefois en lumière les considérables capacités de production à déployer et les différentes manières de les optimiser dans la perspective des annonces faites à Belfort par le président de la République. Nos travaux présentent également deux scénarios alternatifs, non envisagés à Belfort, mais qui peuvent éclairer le grand public sur une trajectoire de sortie du nucléaire ou, au contraire, sur le maintien du nucléaire en 2060 au niveau actuel. Dans tous les cas, des décisions doivent être prises rapidement en matière de planification énergétique afin de ne pas rater les rendez-vous de 2030 et de 2050.

Point de vue

Par Joël Decaillon, vice-président, et Christian Dellacherie, secrétaire général de BRIDGE (Bâtir le renouveau industriel sur la démocratie et le génie écologique)

Quelques remarques sur la préface de Sophie Mourlon, directrice de l’énergie au ministère de la Transition énergétique

  • « Répondre au défi de la neutralité carbone nous demande donc non seulement de remplacer la grande majorité des capacités de production mises en service sur les 60 dernières années par des capacités décarbonées (nucléaires et renouvelables) mais également d’installer des capacités supplémentaires afin de couvrir les nouveaux besoins. »

Atteindre la neutralité carbone au niveau mondial est un objectif clair vis-à-vis du réchauffement climatique54. Il l’est beaucoup moins au niveau européen, puisqu’on raisonne alors en termes d’émissions dans ce périmètre, en excluant les importations, source essentielle de l’empreinte carbone européenne (cela vaut également pour l’électricité que nous importons, laquelle n’est pas nécessairement décarbonée et ce pour encore de l’ordre d’une décennie en Europe). Pour l’Europe, remplir ses obligations par rapport à l’objectif mondial préconisé par le GIEC exige d’aller au-delà de sa neutralité carbone en réduisant drastiquement sa consommation de produits importés à forte composante carbone ou en les produisant elle-même de façon efficiente par rapport à cet objectif. C’est une dimension essentielle de la sortie de notre dépendance aux combustibles fossiles.

  • « Avec des outils de modélisation plus modestes que ceux utilisés par le gestionnaire de réseau (RTE) dans son rapport “Futurs énergétiques 2050”, l’importante analyse technique menée ici illustre la pertinence économique d’un mix électrique qui repose sur un développement ambitieux tant du nucléaire que des énergies renouvelables. Elle confirme qu’une réindustrialisation massive requiert des développements encore plus significatifs des moyens de production décarbonés. »

La locution « réindustrialisation massive » employée par Sophie Mourlon n’a pas de véritable sens opérationnel. D’une part, « (ré)industrialisation » est ambigu : s’agit-il de relocaliser des productions qui avaient été délocalisées ? ou de développer des filières industrielles nouvelles ? Si oui s’inscrivent-elles dans une perspective gouvernée par l’écoconception et le recyclage des matières ? D’autre part, « massive » est inapproprié. La principale caractéristique de la (ré)industrialisation souhaitable est d’ordre qualitatif et non quantitatif. L’exercice sur « la réindustrialisation de la France figurant parmi les objectifs du Plan France 2030 » présenté fin 2021, est très loin55 de couvrir l’ensemble de cette question, tant par les priorités retenues (et celles qui sont oubliées !) que par la modestie du niveau de financement proposé. La façon dont il ne tient aucun compte de « l’effet rebond » est par exemple une de ses lacunes les plus significatives.

  • « Répondre au défi de la neutralité carbone nous demande donc non seulement de remplacer la grande majorité des capacités de production mises en service sur les 60 dernières années par des capacités décarbonées (nucléaires et renouvelables) mais également d’installer des capacités supplémentaires afin de couvrir les nouveaux besoins, » écrit Sophie Mourlon.

Une telle affirmation ne peut pas être formulée sans un examen critique préalable de la consistance et de la pertinence des besoins tant anciens que nouveaux. Cet examen suppose un exercice démocratique de grande ampleur et à réitérer sur une longue période. Il constitue une dimension essentielle des transitions énergétiques et plus largement écologiques. La réduction des émissions peut et doit être atteinte également par des économies d’énergie, en particulier là où la consommation d’énergie par habitant est la plus élevée (et plus précisément dans ce cas, par une réduction encore plus sensible de l’énergie consommée par les habitants ayant les plus hautes consommations qui sont le plus souvent ceux ayant les plus hauts revenus).

Concernant la Note

  • « En France, la consommation annuelle d’électricité, aujourd’hui de 470 TWh, devrait osciller, selon les travaux de RTE, entre 555 et 745 TWh en 2050. La valeur réellement atteinte dépendra principalement du niveau d’industrialisation de la France, du niveau d’électrification des transports et de la performance énergétique des bâtiments que nous aurons atteinte à cette date. »

D’abord, comment définir un « niveau » d’industrialisation ? La valeur atteinte de la consommation annuelle d’électricité par l’industrie dépendra plutôt de la « qualité » de l’industrialisation, c’est-à-dire de l’intensité et de la cohérence logique et matérielle de la réingénierie de tous les processus industriels, comme de la rigueur méthodologique dans l’innovation. Conformément aux préconisations du mathématicien Nicolas Bouleau56, la faisabilité de cet objectif est conditionnée par des efforts de planification reposant sur « des modélisations et contre modélisations [lesquelles] seront de plus en plus les matériaux de la gestion politique humaine et environnementale pour l’organisation de la cité ». À titre d’exemple, il cite les expertises du GIEC « [qui] associent des modélisations concurrentes ; leur pluralité résulte du fait qu’elles ont été élaborées dans des contextes disciplinaires, technologiques, théoriques et méthodologiques différents. Le GIEC assure la confrontation de diverses modélisations partisanes et cette confrontation donne de l’épaisseur à la discussion. Certes, elle ne résout pas les conflits mais elle installe, disons, la possibilité du politique ».

Ensuite, le niveau d’électrification des transports dépend(ra) fortement de la composition organique de cette activité entre transports individuels et transports collectifs. Il n’est pas sûr que la fuite en avant vers le tout électrique automobile soit une perspective soutenable : cette question appelle un débat démocratique qui n’a jamais eu lieu. Quant à la performance énergétique des bâtiments enfin, il s’agit effectivement d’un objectif prioritaire et essentiel. Notons que l’on est alors dans le domaine de l’économie d’énergie dont la dimension électrique est liée en France à l’absurdité du recours massif au chauffage électrique57, conséquence « commerciale » du surdimensionnement initial du parc nucléaire. Tous les efforts doivent être faits pour rester dans la partie basse de la fourchette de l’étude RTE, tout en réduisant considérablement la consommation d’énergie d’origine fossile.

  • « Pour augmenter la production d’électricité décarbonée, Emmanuel Macron a annoncé à Belfort en février 2022 sa volonté de développer massivement les énergies renouvelables (EnR) tout en modernisant le parc nucléaire. »

Il serait utile de savoir sur quel(s) exercice(s) de modélisation, exécuté(s) par qui, se sont fondés sa volonté et les ordres de grandeur qui la décrivent, selon les scénarios, tant pour les EnR que pour le nouveau programme nucléaire.

  • Selon les auteurs, <em »>« ce programme paraît à première vue très ambitieux » et « les nouvelles capacités souhaitées par le président ne suffiront pas à couvrir la totalité des besoins, dans un scénario de réindustrialisation du pays conforme aux ambitions de l’exécutif ».

Le scénario de référence des auteurs, qui tient compte de cet objectif, table sur une consommation de 779 TWh. C’est peut-être ce scénario de réindustrialisation du pays qu’il faudrait préalablement étudier et le réalisme des ambitions de l’exécutif qu’il faudrait soumettre à la critique. La transition énergétique comporte des dimensions technologiques, économiques, sociales et politiques. On peut explorer séparément chacune de ces dimensions, en ayant en permanence à l’esprit que seule est significative leur combinaison dans le cadre d’un projet global, suffisamment précis pour dégager des orientations et suffisamment flexible pour être révisable. Aucun projet de transition énergétique n’est politiquement « vendable » sans que la question du financement de l’éradication de la précarité énergétique ne soit résolue dynamiquement. En termes de « toutes choses égales par ailleurs », l’éradication de la précarité énergétique, tant au sens du logement que de la mobilité, est une source d’augmentation de la consommation d’énergie et de production de gaz à effet de serre. Il s’agit donc de concevoir, de financer et de réaliser une très forte évolution du « toutes choses égales par ailleurs » pour des populations ne disposant justement pas de moyens financiers.

  • « La construction du parc EnR venant compléter le parc électronucléaire sera un défi de premier ordre, puisqu’il faudra dépasser chaque année les récents records d’installation, aussi bien dans le photovoltaïque que dans l’éolien. »

Comment ont fait les pays européens qui ont d’ores et déjà fortement développé ces technologies et inventé les conceptions d’organisation du réseau qui lui correspondent ?

  • « En cas d’abandon du nouveau programme nucléaire, ce rythme devrait être maintenu jusqu’en 2060, tout en recourant à davantage d’éolien terrestre que prévu dans les annonces de Belfort. Un tel abandon serait néanmoins une erreur, la France ayant un véritable intérêt économique à déployer de nouvelles capacités nucléaires. »

Compte tenu des péripéties actuelles du nucléaire tant en France qu’à l’étranger, Il paraît imprudent de conférer autant de vertus économiques au développement de la filière nucléaire « lourde ». Au niveau mondial, le recours à l’énergie nucléaire est une solution transitoire, plutôt marginale, elle n’est sans doute pas une solution d’avenir pour la transition. Cette conviction paraît argumentée pour le monde, elle ne l’est pas moins pour la France, d’autant que le débat sur le nucléaire y est pollué par le précédent du fait accompli du « tout nucléaire » et son effet de dépendance au sentier. Nous nous appuyons ici en particulier sur un article prémonitoire du numéro de janvier 2015 de la revue Projet : « Le véritable risque à conjurer est que le rythme de croissance des besoins en énergie ne permette pas de déployer, en temps et en heure, des technologies alternatives suffisamment maîtrisées pour ne pas simplement déplacer la nature des poubelles et le contenu des risques. »

Le changement climatique est pressant : des bifurcations irréversibles se jouent dès à présent et dans les deux prochaines décennies. À la contrainte en ressources, on oppose la croyance que la technologie nous en sortira et on soupçonne les appels à la sobriété d’être fondés sur le refus du progrès scientifique. Il ne faut pas nous enfermer dans un débat entre optimisme et pessimisme technologique, alors que les « raretés énergétiques », dans une période donnée, sont socialement construites. Celles-ci traduisent l’écart entre une demande peu flexible (on ne peut changer en une nuit la forme des villes ou nos systèmes de climatisation) et une offre qui ne peut s’adapter que sur plusieurs années par de lourds investissements. D’où l’importance de la notion de coût d’opportunité, un investissement pouvant en chasser un autre qui aurait été politiquement plus pertinent. D’autant que l’énergie, elle aussi, est soumise à l’évolution du capitalisme financier qui rend les logiques d’investissement très fortement sensibles à la valeur pour l’actionnaire. Comme les systèmes de régulation publique ont de plus en plus recours aux mécanismes de marché, les horizons d’investissement se raccourcissent.

Cette Note confirme enfin l’urgence de la définition d’une véritable politique européenne de l’énergie couvrant à la fois les interconnexions, l’ajustement carbone aux frontières et la recherche-développement sur le stockage et la flexibilité de la demande.

Nous conclurons par cette nouvelle citation de Nicolas Bouleau :

« La confiance est à reconstruire sur de nouvelles bases : non plus sur la foi accordée aux institutions opaques conduites par des scientifiques confinés dans leurs spécialités et des hommes politiques qui les suivent sans comprendre, comme cela s’est passé pour l’énergie nucléaire, dont nous voyons aujourd’hui l’immensité vertigineuse des impensés autour de cette technique indomptable ; mais sur la présence d’une pluralité d’approches indépendantes comme seul moyen d’envisager les possibles. Lorsque deux modélisations indépendantes sont faites, ce qui n’est pas contradictoire entre les deux approches apparaît très naturellement et est une sorte de confirmation dans le champ du sens, mais les divergences sont également extrêmement fécondes pour des investigations nouvelles. »

  • 54. Le rapport spécial du GIEC sur les conséquences d’un réchauffement planétaire de 1,5 °C de 2018 montre que les émissions nettes anthropiques (causées par l’homme) de CO2 doivent tomber à zéro d’ici à 2050 pour un réchauffement global limité à 1,5 °C, ou d’ici à 2075 pour un réchauffement limité à 2 °C.
  • 55. Voir la tribune de Gabriel Colletis dans Le Monde du 22/10/21.
  • 56. La modélisation critique, 2014 éditions Quae.
  • 57. Principal responsable des phénomènes de surcharge du réseau en hiver.

Point de vue

Par Grégoire Postel-Vinay, de l’Académie des technologies

La lutte contre le réchauffement climatique doit s’accélérer

Le changement climatique s’accélère : les huit dernières années ont été les plus chaudes jamais enregistrées, et la température moyenne mesurée en 2022 excède de 1,15 °C celle de l’ère préindustrielle58. Pour contribuer à sauver ce qui peut encore l’être, l’Union européenne a pris des engagements forts de réduction de ses émissions de gaz à effet de serre depuis l’accord de Paris sur le climat de 2015. Elle s’est engagée à atteindre la neutralité carbone en 2050, et vise depuis l’adoption du pacte vert en décembre 2019, une réduction de 55 % de ses émissions en 2030 par rapport à 1990. Les émissions européennes ayant baissé de 24 % seulement entre 1990 et 201959, au prix d’ailleurs d’une certaine désindustrialisation de l’Europe et du déplacement de son empreinte carbone hors de son territoire, leur réduction devrait donc devenir 4 fois plus rapide au cours de la décennie actuelle pour tenir les engagements du pacte vert.

Après des années d’égarement et de procrastination, la crise énergétique actuelle révèle les failles de politiques énergétiques, tant de l’UE que de nombre de ses États membres, peu résilientes

La sortie du nucléaire en Allemagne a conduit le pays à accroître sa dépendance au gaz russe utilisé pour compenser l’intermittence des énergies renouvelables. Le déclenchement de la guerre en Ukraine a contraint les Allemands à rouvrir massivement leurs centrales à charbon pour assurer leur sécurité d’approvisionnement. Cette politique d’Energiewende a fait perdre un temps précieux dans la lutte contre le réchauffement climatique. Rien que la fermeture des six derniers réacteurs allemands coûterait 1 milliard de tonnes de CO260. Si la France a été tentée par le modèle allemand au cours de la décennie précédente – ce qui a contribué aux difficultés actuelles de la filière nucléaire – elle a retrouvé récemment son ambition dans le nucléaire. Annoncées à Belfort, la construction de nouveaux réacteurs et la poursuite de l’exploitation des centrales nucléaires historiques contribueront, avec les énergies renouvelables et une politique de sobriété énergétique, à la souveraineté énergétique et à l’autonomie stratégique françaises à long terme.

Les multiples défis de la transition énergétique imposent d’user de toutes les ressources

Tout d’abord l’actualité récente a remis le souci de résilience au cœur du débat public sur l’énergie. L’Europe prend conscience que son économie dépend fortement de son approvisionnement en combustibles fossiles et que la transition énergétique ne peut réussir sans un accès fiable aux matériaux stratégiques et sans souveraineté technologique.

Ensuite, la sortie accélérée des énergies fossiles, rendue indispensable par l’urgence climatique et les enjeux de souveraineté énergétique conduit à s’attaquer aux secteurs les plus consommateurs. Dans le bâtiment, la rénovation énergétique vise à la fois l’élimination des passoires thermiques (avec un risque d’effet rebond), mais aussi l’électrification par les technologies les plus efficientes (pompes à chaleur). Sur ce dernier point, le mix électrique français, décarboné à 90 %, est déjà un atout. Dans les transports fortement émetteurs de gaz à effet de serre et complètement dépendants du pétrole, un ensemble de solutions sont à développer : électrification (voitures électriques et transports publics), hydrogène (pour la mobilité lourde), sobriété (moins se déplacer ou se déplacer autrement) et aménagement du territoire (favorable aux mobilités sobres, à long ou très long terme).

L’industrie est aussi un secteur prioritaire, en raison de ses émissions (qui doivent être envisagées à l’échelle mondiale plutôt que nationale) et par son importance pour le développement économique local. Elle a trop longtemps fait l’objet de discours paradoxaux. D’une part, l’industrie apparaît comme cruciale, pour la transformation de chaque composante de l’économie (notamment pour la transition énergétique), ce qui conduit à des besoins d’investissement majeurs. D’autre part, elle a été trop souvent sommée d’être la variable d’ajustement d’autres besoins, sans prendre assez en compte que sa bonne santé conditionnait les capacités d’investissement requises. Aujourd’hui encore, l’industrie est la première frappée par la crise énergétique et d’après ce qu’indique RTE, c’est grâce à des arrêts partiels de l’industrie que le système électrique aura une chance de passer l’hiver.

Le cas de l’industrie le montre bien, la transition énergétique comporte des enjeux économiques fondamentaux. Devant l’énormité des dépenses d’investissement à prendre en compte pour gérer la transition, (comme l’ont montré les débats des deux COP précédentes et pour la France de l’ordre de 70 à 75 milliards par an), et dans un contexte de renchérissement du crédit et de tension budgétaire, les investissements devront être hiérarchisés, dans un souci de long terme. À plus court terme, pour retrouver des marges de manœuvre financières afin de réaliser lesdits investissements, il est indispensable de limiter les effets inflationnistes du renchérissement des énergies fossiles. D’où l’intérêt de revoir la tarification de l’électricité au niveau européen, pour contrer les phénomènes d’emballement des prix du gaz qui déterminent les prix sur les marchés électriques.

Alors que la crise frappe particulièrement les ménages les plus modestes, elle rappelle enfin l’importance de l’équité, qu’elle soit territoriale ou économique. La sobriété qui apparaît de plus en plus comme un pilier indispensable de la transition, consiste à demander le plus d’efforts à ceux qui le peuvent, et à donner à ceux qui ne le peuvent pas les moyens de faire évoluer leur mode de vie.

L’ouvrage qui précède permet de comprendre la complexité des enjeux et l’ampleur de la tâche à mener

Dans ce contexte, l’intérêt du travail très approfondi mené par Pierrick Dartois et Marie Suderie est de présenter des options chiffrées, d’examiner des alternatives technologiques, de hiérarchiser des priorités de façon à répondre à l’urgence. À la façon de Jacques Lesourne lorsqu’il écrivait Les mille sentiers de l’avenir, il les insère de façon systémique, quelque part entre deux versions qui diffèrent d’un quart, en termes de consommation d’électricité en 2050, la version basse sans ambition industrielle, la plus haute aboutit à une réindustrialisation très consommatrice d’électricité. En cela, cet ouvrage a le mérite d’éclairer le débat public, et de permettre de tracer des chemins, partiellement ajustables au gré des circonstances, mais en tenant compte de la nécessaire prise en compte du temps long. Il en ressort clairement que la lutte contre le changement climatique, pour ce qui concerne le territoire français, passe par une forte électrification en usant tant du nucléaire que des énergies renouvelables, tout en réduisant les consommations par les technologies d’efficacité énergétique et la sobriété. L’ouvrage apporte aussi une réflexion sur les enjeux internationaux, notamment européens, en matière de mix électrique d’échanges énergétiques et de compétitivité, mais aussi de stratégie industrielle à travers l’exemple de la filière des batteries. Il est, comme tel, utile au débat public pour contribuer à préparer l’avenir.

  • 58. WMO, Greenhouse gas bulletin, 2022.
  • 59. Selon les données de l’European Environment Agency.
  • 60. Partanen, R., & Soppela, O. (2021). One Billion Tons. CO2 Reductions and a Faster Coal Exit in Germany. Think Atom Ltd pour Ökomoderne e.V.

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Annexe I – Liste des personnes interviewées

  • Étienne BEEKER, conseiller scientifique, France Stratégie
  • Olivier BRIGAUD, président d’Innovative Energy Storage Solutions (iESS)
  • Patrick CANAL, délégué du Club Stockage d’énergies, Association technique énergie environnement (ATEE)
  • Nicolas CLAUSSET, sous-directeur du système électrique et des énergies renouvelables, Direction générale de l’énergie et du climat (DGEC)
  • Yann COIC, directeur développement, EDF Hydro
  • Jean-Jacques COURSOL, responsable études économiques France (EDF)
  • Kevin LASCAR, analyste stratégie long terme France (EDF)
  • Fabrice DAMBRINE, ingénieur
    général des Mines
  • Diana GUILLON, adjointe au chef de Bureau des marchés de l’électricité, Sous-direction des marchés de l’énergie, Direction générale de l’énergie et du climat (DGEC)
  • Jean-Pierre HAUET, président du Comité scientifique, économique,
    environnemental et sociétal (Équilibre des énergies)
  • Olivier HOUVENAGEL, directeur adjoint de l’économie du système électrique, RTE
  • Antoine HUARD, directeur général, Verso Energy
  • Christophe KASSIOTIS, directeur de cabinet, Direction générale de l’énergie et du climat (DGEC)
  • Richard LAVERGNE, ingénieur
    général des Mines
  • Olivier MARFAING, coordinateur interministériel de la stratégie
    d’accélération batterie, Direction générale des entreprises (DGE)
  • Ophélie PAINCHAULT, cheffe de département adjointe, en charge des zones non interconnectées ZNI, Commission de régulation de l’énergie (CRE)
  • Henri PRÉVOT, ingénieur général
    des Mines
  • Pierre-Guy THÉROND, directeur des nouvelles technologies, EDF Renouvelables
  • Claude TRINK, ingénieur général
    des Mines
  • Anne-Cécile SIGWALT, directrice
    du programme énergie, économie
    circulaire, Secrétariat général pour l’investissement (SGPI)

Annexe II – Chauffage et transport : détail des hypothèses de consommation

Nous présentons ici en détail les hypothèses techniques sous-jacentes à la modélisation de nos scénarios de consommation.

Chauffage et climatisation

Sources de données

Pour le parc résidentiel : nous avons utilisé la base de données sur le parc de logements existant – précisant entre autres le diagnostic de performance énergétique (classe énergie et consommation en kWh/m<2/an), la superficie, la date de construction et le mode de chauffage des logements – fournie par Yassine Abdelouadoud (2021) et Robin Girard. Cette base de données est issue d’un appariement de la base des diagnostics de performance énergétique produite par l’Ademe (2020) et de différentes bases de données de l’Insee, notamment le recensement61.

Pour le tertiaire : nous n’avons pas utilisé de base de données aussi complète que pour le parc de logements, mais nous avons pu exploiter une étude du CGDD (Vermont & Domergue, 2020) sur les bâtiments tertiaires qui comportait des statistiques suffisamment précises sur les performances énergétiques et le mode de chauffage par type de bâtiment. Les données sources de cette étude sont issues du Centre d’études et de recherches économiques sur l’énergie (données 2010).

Un certain nombre d’hypothèses prises sont inspirées du rapport commun de RTE et de l’Ademe (2020) sur la décarbonation du chauffage.

Rénovations d’enveloppe

Dans le secteur résidentiel, les bâtiments de classes C à G sont rénovés par ordre de performance croissante (les moins performants d’abord). Conformément aux indications du rapport RTE-Ademe (2020), nous avons retenu une hypothèse de gain de 30 % pour une rénovation d’enveloppe quasi complète comprenant deux ou trois gestes de rénovation (parmi les murs, les fenêtres, la toiture, et la ventilation). La SNBC prévoit de porter cette efficacité à 55 % d’ici 2035, hypothèse que nous avons prise dans le scénario alternatif « SNBC » de rénovation énergétique.

Dans le secteur tertiaire, l’efficacité des rénovations dépend de la catégorie de bâtiments considérés et suit l’hypothèse « modérée » du CGDD correspondant aux exigences de la réglementation thermique élément par élément. Comme pour les logements, seuls les bâtiments de classes C à G sont rénovés par ordre de performance croissante. Par ailleurs, les performances des rénovations croissent pour atteindre leur équilibre à partir de 2030 (cf. figure A.1), chaque rénovation permettant d’économiser 15 % d’énergie en 2020, conformément aux hypothèses du rapport RTE.

Figure A.1 – Gain d’efficacité après une rénovation d’enveloppe par catégorie de bâtiment dans le secteur tertiaire

(*) Hypothèse, donnée non fournie par le CGDD.
Source : CGDD.

Le rythme de rénovation que nous postulons est identique à celui de RTE et de la SNBC :

Figure A.2 – Évolution du rythme de rénovation d’enveloppe des logements

Source : RTE (2021).

Les résultats des rénovations d’enveloppe sur la performance énergétique du parc de bâtiments sont présentés sur les graphiques qui suivent. Les consommations d’énergie sont rangées par classe selon la répartition de la figure A.5. Contrairement à l’usage, nous considérons l’énergie finale au lieu de l’énergie primaire pour obtenir plus facilement les consommations d’électricité62. Cela explique pourquoi les classes F et G sont moins présentes dans les données de 2020 que dans les données sources des DPE (présentés en énergie primaire). La rénovation se poursuit jusqu’en 2060, mais les graphiques présentent les données de 2050. La forte présence des classes A en 2050 est due aux bâtiments neufs (construits après 2020).

Figure A.5 – Définition des classes de consommation énergétique

Changement du mode de chauffage

Les matrices de transitions des modes de chauffage du parc existant entre 2020 et 2050 sont présentées sur les diagrammes de Sankey qui suivent. Ces matrices aident à déterminer l’état final (sans tenir compte du renouvellement des bâtiments) mais ne déterminent pas le rythme de transition. Dans notre modèle, le nombre de transitions est supposé nul en 2020 et atteint son rythme de croisière à partir de 2030. Les transitions sont accélérées pour le fioul (rythme de croisière en 2024), puisque la PPE vise la sortie du fioul en 2028 (reculée à 2030 dans le modèle). Toutes les transitions sont réalisées avant 2050. Dans le secteur résidentiel, cela conduit à remplacer environ 550 000 systèmes de chauffage existants par an à partir de 2030, dont 460 000 par des pompes à chaleur. À titre de comparaison, 40 000 pompes à chaleur étaient installées chaque année dans les logements au cours de la décennie 2010 (RTE, 2021).

Construction neuve

Dans le modèle de Belfort, 366 700 logements neufs sont construits chaque année, ce qui correspond au rythme actuel et à celui du rapport commun de RTE et de l’Ademe (2020). Aujourd’hui 45 % de ces logements sont des maisons individuelles, part qui devrait baisser pour atteindre 40 % en 2030 et se stabiliser à ce niveau. La SNBC vise 35 % de maisons individuelles à l’horizon 2035. Privilégier les logements collectifs est certes vertueux du point de vue de l’artificialisation des sols et nécessaire au développement d’un urbanisme sobre en transports. Toutefois, nous avons retenu une hypothèse prudente par souci de réalisme, étant donné l’engouement renforcé pour les maisons individuelles depuis la crise sanitaire.

Les constructions de bâtiments tertiaires suivent les hypothèses de croissance de RTE, avec 7,5 millions de mètres carrés construits chaque année (le parc actuel mesurant 972 millions de m2).

Conformément à la réglementation, les constructions neuves ont toutes les meilleurs standards de performance énergétique (classe A) et sont dotées de systèmes de chauffage décarbonés. En effet, l’interdiction d’installer des chaudières à fioul dans les constructions neuves s’applique depuis juillet 2021. Depuis le 1er janvier 2022, c’est également le cas pour les chaudières à gaz dans les maisons individuelles. Cette obligation devrait s’appliquer également aux logements collectifs et aux bâtiments tertiaires en 2024 ou en 2025. Dans notre modèle, l’application de ces règles est décalée de deux ans en raison d’une tolérance pour les permis de construire demandés avant les échéances. Cela se traduit par une transition très rapide de constructions neuves, où le gaz domine, à des constructions décarbonées, où les pompes à chaleur sont privilégiées (cf. figures A.9, A.10 et A.11).

Fin de vie des bâtiments

Dans le secteur résidentiel, le retrait des bâtiments du parc suit une loi de durée de vie de Weibull de densité :

de paramètre k = 2,2 et de durée de vie moyenne μ = 100 ans, ce qui permet de déterminer λ comme ceci :

Γ est la fonction gamma d’Euler. Étant donné que la base de données ne fournit pas l’année exacte de construction, mais plutôt des intervalles, l’année de construction prise pour référence est l’année médiane. Les logements construits avant 1900 ne sont jamais sortis du parc pour modéliser la préservation du patrimoine historique. Le choix des paramètres a été fait pour égaliser le nombre de logements sortis du parc en 2035 (2,5 millions de logements) dans le rapport RTE-Ademe (2020). Cette modélisation conduit à sortir 5,5 millions de logements du parc entre 2020 et 2050.

Faute d’avoir intégré au modèle des données sur les périodes de construction du parc tertiaire, nous sortons de ce parc 1 % des surfaces chaque année.

Transports

Parc de véhicules en 2021

Le parc de véhicules existants a été modélisé à partir des données du SDES (Service des données et des études statistiques)63 du ministère de la Transition écologique pour cinq catégories : véhicules particuliers, utilitaires légers, autobus, autocars et poids lourds. Les données disponibles ont permis d’obtenir le nombre et l’âge moyen des véhicules par catégorie et type de motorisation au 1er janvier 2021 (électrique, hybride, essence, diesel…). Des données sur les véhicules neufs achetés en 2021 étaient aussi disponibles (nombre par catégorie et type de motorisation).

L’année d’immatriculation des véhicules du parc était indispensable pour modéliser le vieillissement des véhicules (et donc leur renouvellement) mais n’était pas fournie par le SDES. Seuls le nombre et l’âge moyen du parc par catégorie de véhicule et type de motorisation étaient donnés. C’est pourquoi nous avons dû estimer nous-mêmes la distribution des années d’immatriculation des véhicules du parc à partir de l’âge moyen. Pour une catégorie de véhicules avec une motorisation donnée, nous avons postulé une répartition suivant la distribution :

ƒ i étant la fréquence des véhicules d’âge i en 2021 (pour i ≤ 2μ), avec μ l’âge moyen du parc pour la catégorie et la motorisation des véhicules considérée, α un paramètre déter- miné par l’âge moyen et Γ, la fonction gamma d’Euler.

Cela nous a permis de constituer pour chaque catégorie de véhicules une base de données indiquant le nombre de véhicules par motorisation et année d’immatriculation. C’est à ces bases de données que nous avons appliqué l’introduction de véhicules neufs et le modèle de vieillissement.

Véhicules neufs

Les types de motorisation des véhicules neufs ont été modélisés pour respecter les nouvelles réglementations européennes en vigueur ou en cours d’élaboration, à savoir :

  • l’interdiction de la vente de véhicules particuliers et utilitaires légers thermiques en 2035 ;
  • des normes d’émissions strictes en 2030 sur les véhicules particuliers (−55 % par rapport à 2021) et utilitaires (−50 % par rapport à 2021) ;
  • des normes s’appliquant aux poids lourds en 2025 et en 2030 (respectivement −15 % et −30 % par rapport à 2021).

Pour les véhicules lourds, des hypothèses supplémentaires ont été prises pour assurer une sortie complète des énergies fossiles en 2040 (le gaz naturel véhicule étant toléré car il devrait être décarboné en 2050).

Figure A.12 – Projections des ventes de véhicules particuliers neufs par motorisation

Source : auteurs, d’après SDES et Avere (2021) pour l’année 2021.

Figure A.13 – Projections des ventes de véhicules utilitaires légers neufs par motorisation

Figure A.14 – Projections des ventes de poids lourds neufs par motorisation

Figure A.15 – Projections des ventes d’autobus neufs par motorisation

Figure A.16 – Projections des ventes d’autocars neufs par motorisation

Source figures A.13 à A.16 : auteurs, d’après SDES pour l’année 2021.

Hypothèses de vieillissement

De même que pour les logements, la sortie des véhicules usagés du parc suit une loi de Weibull (voir équation 1) de paramètre k=2 et de durée de vie donnée par le tableau suivant :

Figure A.17 – Durée de vie moyenne des véhicules dans le modèle

Source : hypothèse d’après SDES.

Évolution du parc

Consommations et kilométrage

La plupart des données de consommation du modèle sont issues d’une étude de Carbone 4 (Amant et al., 2020). Les consommations du parc de véhicules en 2020 utilisées pour prédire la consommation d’électricité, d’hydrogène et de gaz (GNV) sont présentées dans le tableau suivant. On y applique un taux de progrès technique chaque année, réduisant ces consommations, pour tenir compte de l’effet de l’introduction de véhicules neufs plus performants dans le parc. Le taux de progrès technique est de 0,5 % par an pour la motorisation électrique, 1 % pour l’hydrogène et dépendant de la catégorie de véhicule pour le gaz (2,83 % pour les véhicules légers, 1,47 % pour les poids lourds, 0,84 % pour les bus et les autocars).

Pour les véhicules hybrides rechargeables, la consommation électrique a été estimée à 30 % de celle des véhicules électriques pour les véhicules légers et à 10 % pour les véhicules lourds. La consommation électrique des véhicules hybrides rechargeables légers augmente jusqu’en 2030 sous l’effet du passage de 30 à 50 % de la part de l’électricité dans le kilométrage parcouru.

Figure A.23 – Consommations (en kWh/km) de référence de 2020 par catégorie de véhicule et motorisation

Source : Carbone 4.

Figure A.24 – Distances annuelles parcourues en moyenne (en km/an) par catégorie de véhicule

Sources : SDES (2020), CGDD (2018) et Ademe (2018).

Courbes de charge

Pour simuler la consommation des véhicules électriques, nous avons utilisé les courbes de charge suivantes, normalisées par la consommation totale du parc de chaque catégorie de véhicule. Comme expliqué dans la première partie du chapitre 4 de la Note, nous avons appliqué à la somme de ces courbes de charge des modulations correspondant à la flexibilité de la demande.

  • 61. Nous avons utilisé les données sur les logements ordinaires en 2015 (Insee, 2018).
  • 62. Les données en énergie primaire surestiment les consommations électriques d’un facteur 2,58.
  • 63. SDES, « Données sur le parc automobile français au 1er janvier 2021 », Données et études statistiques pour le changement climatique, l’énergie, l’environnement, le logement et les transports, consulté le 17 juillet 2022.

Annexe III – Hypothèses économiques

Principes de l’évaluation des coûts

Le coût complet du système électrique est défini, selon les recommandations de la Cour des comptes : « Le coût d’un mix électrique est défini comme la somme des coûts des moyens de production, des moyens de stockage et de flexibilité de la demande, du réseau de transport et de distribution, des interconnexions et du bilan des échanges extérieurs d’électricité (imports et exports). »

Pour chaque année simulée (2030, 2040, 2050 et 2060), la fonction coût associée correspond à l’évaluation « économique » de la Cour des comptes, c’est-à-dire celle du coût annuel moyen amorti. Pour chaque investissement capacitaire (de production, de stockage, de flexibilité…), le coût est défini par :

avec :

  • r : le taux d’actualisation ;
  • CAPEX : l’investissement initial ;
  • L : la durée de vie de cet investissement ;
  • OPEXfixes : les coûts fixes d’opération et de maintenance ;
  • OPEXvariables : le coût du combustible (taxe carbone comprise) lorsqu’il s’agit d’une centrale thermique ou nucléaire.

Notons cependant que la fonction de coût que le modèle de Belfort optimise s’écarte légèrement de celle de la Cour des comptes pour les raisons suivantes :

  • six pays voisins sont intégrés au modèle, le périmètre de la fonction de coût est donc élargi à ces pays car les décisions d’investissements ne concernent pas que la France ;
  • les coûts de réseaux ne sont pas inclus dans la fonction de coût optimisée, mais ajoutés après optimisation lors de l’évaluation du coût global.

Bien qu’il ait une influence majeure sur la modélisation économique64, le taux d’actualisation n’est pas l’objet de discussion central du modèle de Belfort. C’est pourquoi nous avons retenu, comme RTE, un taux d’actualisation unique à 4 % pour toutes les technologies, en supposant que des mécanismes de soutien public à la décarbonation neutres technologiquement seraient mis en place65. Pour le prix du carbone, nous tablons sur une forte hausse du prix du carbone sur le marché des quotas d’émissions (ETS) au cours de la prochaine décennie, en lien avec les nouveaux objectifs européens du paquet Fit for 55. Sur la base des annonces européennes, l’AIE postule que le prix de la tonne de CO2 suivra la trajectoire indiquée dans tableau A.26 ci-après.

Figure A.26 – Évolution du prix du carbone européen dans le scénario Announced pledges de l’AIE

Sources : Trading Economics et AIE.
(*) Les prix indiqués par l’AIE sont donnés en USD, mais nous avons supposé une parité EUR/USD ici, ce qui a peu d’impact compte tenu des incertitudes sur ces prévisions.

De tels prix du carbone ont un fort effet incitatif sur la décarbonation du système électrique et conduisent la France à réduire fortement ses capacités thermiques au gaz et l’Allemagne à se passer du charbon dès 203066. Les hypothèses de coût des différentes technologies (de production, de stockage, de flexibilité…) sont présentées dans les pages qui suivent.

Sauf mention contraire, les hypothèses de coût utilisées ici sont les mêmes que celles qui l’ont été dans le rapport RTE (2021). Elles sont en partie détaillées dans le document de référence (RTE, 2020a) du groupe de travail sur les coûts associés à la conception des scénarios du rapport.

Coût des technologies de production

Figure A.27 – Coûts du nucléaire

(*) Coût de l’EPR de Flamanville.

Figure A.28 – Coûts du solaire photovoltaïque

Figure A.29 – Coûts de l’éolien terrestre

Figure A.30 – Coûts de l’éolien en mer

(*) Le gisement identifié par la PPE comprend 16 GW d’éolien posé et 33 GW d’éolien flottant. Le coût retenu suit donc ces proportions.

Figure A.31 – Coûts de l’hydroélectricité

Sources : RTE (2020a) pour les coûts d’investissements, Cour des comptes (2021) pour les coûts opérationnels.

Figure A.32 – Coûts des moyens de production thermiques (fossiles et renouvelables)

(*) Ce moyen de production n’est pas utilisé en France mais l’est en Italie.
Sources : RTE (2020a) pour les coûts d’investissements et opérationnels des centrales fossiles, AIE pour le coût des combustibles fossiles, Ademe pour les coûts de la biomasse et de la géothermie (Guillerminet et al., 2016).

Coût des technologies de stockage et moyens de flexibilité.

Figure A.33 – Performances et coût des batteries

Sources : RTE (2021) et Artelys pour les OPEX (Chammas, 2018).

Figure A.34 – Coût des STEP

Sources : RTE (2020a) pour les CAPEX et Cour des comptes (2021) pour les OPEX.

Figure A.35 – Performances et coût de l’électrolyse (technologie PEM)

Sources : AIE67 (hypothèse haute) pour les CAPEX et Artelys (Chammas, 2018) pour les OPEX.

Figure A.36 – Performances et coût de l’hydrogen-to-power et du stockage d’hydrogène

Sources : RTE (2021) pour l’hydrogen-to-power et H21 pour le stockage d’hydrogène (Sadler & Solgaard Anderson, 2018).

Figure A.37 – Coût de la flexibilité des véhicules électriques (bornes de recharge)

Sources : rapport commun DGE-Ademe (2019) et estimations de la baisse des coûts par le Rocky Mountain Institute (Nelder & Rogers, 2019).

Figure A.38 – Coût des flexibilités industrielles (métallurgie)

Source : Vogl, Åhman & Nilsson, (2018).

  • 64. Un taux d’actualisation élevé pénalise les investissements très capitalistiques à longue durée de vie, comme le nouveau nucléaire, prévu pour durer 60 ans. Ainsi, une élévation du taux d’actualisation de 1 à 7 % ferait passer le coût du MWh de 40 € à plus de 100 € selon RTE.
  • 65. Ceci est cohérent avec le cadre de soutien déjà en place pour les énergies renouvelables, qui pourrait être étendu au nucléaire suite aux annonces de Belfort. Une telle hypothèse serait très plausible dans le cas où le nucléaire serait inclus dans la taxonomie verte européenne comme le souhaite la France.
  • 66. En postulant un retour à la normale des prix du gaz d’ici la fin de la décennie, comme cela s’est déjà produit après des chocs de prix des combustibles fossiles par le passé.
  • 67. « The future of hydrogen – Analysis », IEA (2019).

Annexe IV Les différentes technologies de stockage

Les technologies de stockage d’électricité peuvent être classées selon la forme d’énergie.

Le stockage mécanique

Les stations de transfert d’énergie par pompage-turbinage (STEP) sont une technologie éprouvée de longue date. Une STEP est constituée de deux réservoirs situés à des altitudes différentes. Lorsque la demande est faible, l’énergie est stockée en pompant l’eau du bassin inférieur vers le bassin supérieur et, lorsque la demande augmente, elle est restituée en turbinant l’eau du bassin supérieur. Disposant d’une capacité de stockage allant de quelques heures à quelques dizaines d’heures, les STEP sont bien adaptées au stockage hebdomadaire. La France dispose aujourd’hui de 5 GW de capacité ce qui constitue 98 % des capacités de stockage d’électricité du pays.

Le stockage par air comprimé (CAES, pour compressed air energy storage) est couplé à une turbine à gaz classique. Le principe est de séparer la chambre de compression du reste du système. Lorsque le prix de l’électricité est faible, l’air est comprimé (de 70 à 100 bars) puis stocké. Il est ensuite détendu dans une turbine pour fournir de l’énergie lorsque la demande est élevée. La compression étant l’étape la plus coûteuse, elle est réalisée en utilisant de l’électricité fatale. Ce type de stockage permet d’atteindre une dizaine d’heures environ, ce qui est potentiellement intéressant pour le stockage hebdomadaire. Cependant, cette solution est peu développée, car elle requiert la mobilisation de sites géologiques particuliers68, et ses perspectives sont limitées, car elle n’est pas complètement décarbonée (en raison du couplage avec une centrale à gaz).

Les volants d’inertie permettent de stocker l’électricité sous forme d’énergie cinétique dans des masses en rotation. C’est une solution qui permet de délivrer rapidement de la puissance, mais sa capacité énergétique est limitée à quelques dizaines de minutes. Ils sont donc adaptés à des usages de court terme, mais sont largement concurrencés par les batteries en raison de leur coût élevé.

Le stockage chimique

Les batteries stockent l’énergie grâce à une réaction d’oxydoréduction réversible qui génère un courant électrique entre deux électrodes en période de décharge. Les batteries sont en fait constituées d’un assemblage de cellules (ou accumulateurs), elles-mêmes composées de deux électrodes (anode et cathode) et d’un électrolyte. Une multitude de technologies de batteries existe avec des performances et des niveaux de maturité très divers. Ces performances sont largement déterminées par l’électrochimie, c’est-à-dire par le choix des composants de l’électrolyte et des électrodes. Les technologies de type lithium-ion, très répandues sur le marché de l’électromobilité, dominent aujourd’hui, en particulier la technologie NMC (oxyde de lithium-nickel-manganèse-cobalt), en raison de sa bonne densité énergétique et de son coût qui a largement baissé depuis dix ans.

La plupart des technologies de batteries peuvent délivrer très rapidement de la puissance et ont des capacités de stockage qui dépassent rarement quelques heures. Elles sont donc particulièrement adaptées pour les marchés de réserve et pour l’équilibrage journalier.

Un inconvénient des batteries est leur durée de vie limitée (de 1 000 à 2 000 cycles de charge-décharge pour une batterie lithium-ion), toutefois elle devrait s’améliorer avec les efforts de R&D considérables consentis pour l’industrie automobile, qui devraient aussi bénéficier au stockage stationnaire répondant aux besoins du système électrique.

L’hydrogène est aussi une technologie de stockage chimique d’électricité via la boucle power-to-hydrogen-to-power. L’hydrogène produit par électrolyse peut être stocké puis réu- tilisé pour produire du courant dans des piles à combustible ou des centrales thermiques. Bien que la technologie du power-to-hydrogen-to-power ne soit pas totalement éprouvée, elle s’avère être la seule crédible aujourd’hui pour assurer un stockage intersaisonnier. Mais elle souffre d’un rendement très faible (de 25 à 35 % contre 80 % pour les STEP et au-delà de 90 % pour les batteries), produit de celui des électrolyseurs (de 60 à 70 %) et des piles à combustible (50 %) ou des moyens thermiques (60 %). Des technologies de rupture comme l’électrolyse réversible à haute température développée par Genvia en partenariat avec le CEA pourraient porter ce rendement à 50 %.

Le stockage thermique

Il existe trois possibilités pour stocker de la chaleur. Le stockage sensible consiste à exploiter l’inertie thermique d’un fluide caloporteur (eau, huile thermique, sels fondus, roches) en le chauffant lors de surplus d’énergie et en le refroidissant lors de la restitution de cette énergie. Le stockage latent exploite l’énergie latente de fusion/solidification d’un matériau (sels, paraffines…) lors d’un changement d’état. Enfin, le stockage thermochimique exploite une réaction chimique réversible qui est exothermique dans un sens et endothermique dans l’autre.

Des trois solutions de stockage thermique, le stockage sensible est celui qui a le meilleur niveau de maturité. C’est une solution déjà déployée concrètement, à relativement grande échelle, notamment dans des centrales solaires thermiques. Les stockages par sels fondus permettent déjà de lisser sur 24 heures la production de centrales solaires thermiques à concentration, comme sur le site d’Andasol, en Espagne, où 150 MW de panneaux solaires et 1 GWh de stockage (soit 7,5 heures à pleine capacité) ont été installés.

Le stockage électromagnétique

Les supercondensateurs fonctionnent comme les condensateurs utilisés en électronique mais avec des capacités largement supérieures. Ils sont constitués par deux armatures conductrices séparées par un isolant (diélectrique) contenant des ions positifs et des ions négatifs qui peuvent migrer sous l’effet d’un champ électromagnétique. Lorsqu’une tension (et donc un champ électromagnétique) est appliquée entre les deux armatures, les ions posi- tifs migrent vers l’armature chargée négativement et les ions négatifs migrent vers l’arma- ture chargée positivement. Cette accumulation d’ions au voisinage des armatures crée une différence de potentiel qui permet ainsi de stocker de l’énergie. Cette énergie est restituée au circuit lors de la décharge du condensateur (retour à l’équilibre du diélectrique). Les super- condensateurs permettent de mobiliser très rapidement de la puissance à court terme mais ont une faible capacité de stockage énergétique. Malgré un coût peu élevé, ils sont assez peu utilisés en pratique en raison de la concurrence des batteries sur le stockage à court terme.

Le stockage par bobines supraconductrices repose sur le phénomène d’induction électromagnétique. Les bobines emmagasinent de l’énergie sous l’effet d’un courant électrique qui les traverse. Leur coût est très élevé en raison des très faibles températures nécessaires pour les refroidir. C’est une technologie non éprouvée, qui ne serait utilisable que pour le stockage à très court terme.

  • 68. Les réservoirs utilisés actuellement sont des cavernes de sels. Le stockage peut avoir lieu dans la roche (cavité minée), dans des aquifères surmontés d’une couche imperméable, en gisement d’hydrocarbures déplété.

Pierrick Dartois et Marie Suderie, Couvrir nos besoins énergétiques : 2050 se prépare aujourd’hui, Paris, Presses des Mines, 2022.
ISBN : 978-2-35671-878-5 ISSN : 2495-1706

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