Zéro artificialisation nette des sols : le foncier industriel en tension ?
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RÉSUMÉ
La ressource foncière est indispensable à l’implantation d’activités industrielles sur un territoire. Mais les sols assurent avant tout d’autres fonctions essentielles, comme l’entretien de la biodiversité, la production alimentaire ou encore la protection contre les inondations. Il convient donc de les protéger et de limiter leur consommation par les activités humaines que sont l’habitat, les infrastructures et les activités économiques. C’est pour cela que la loi Climat et Résilience du 22 août 2021 a inscrit deux objectifs à atteindre : d’une part, la réduction de 50 % du rythme de consommation de l’espace en 2031 et, d’autre part, l’absence de toute artificialisation nette des sols en 2050. À cette date, le solde entre les sols artificialisés et les sols renaturés, sur un périmètre et une période donnés, devra donc être égal à zéro. Dès lors, peut-on concilier cet objectif avec celui du retour de l’industrie en France ?
D’ABORD, RECENSER LE FONCIER EXISTANT
C’est une question fréquemment entendue ces temps-ci que de se demander si les besoins fonciers des industriels, dans la perspective d’une réindustrialisation de nos territoires, seront compatibles avec les exigences de cette récente loi « ZAN ». Or, tous les rapports et tous les experts du sujet en conviennent: l’artificialisation des sols pose d’abord un problème de mesure. La première des urgences est en effet de recenser précisément le foncier existant, toutes activités confondues d’ailleurs. Pour l’instant, différentes sources de données existent, encore insuffisamment précises et insuffisamment convergentes (Fosse, 2019), telles que l’enquête
Teruti-Lucas et les fichiers fonciers à l’échelle des parcelles, ou encore la base CORINE Land Cover (Coordination of Information on the Environment Land Cover) de l’Agence européenne de l’environnement, fondée sur des données satellitaires de l’occupation des sols.
Un gros travail de recensement des surfaces et d’harmonisation des données est donc encore devant nous. Rien que pour ce qui concerne les friches disponibles, soit une partie seulement de la réserve foncière totale, différentes institutions (l’Institut Paris Région sur les friches en Île-deFrance, l’observatoire des friches de BourgogneFranche-Comté, etc.) ont mené jusqu’à présent des inventaires épars, les outils déployés à l’échelle nationale commençant seulement à voir le jour. Le Centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement (CEREMA), établissement public, recense par exemple des parcelles en friche d’une part (sur l’outil Cartofriches) et les zones potentiellement constructibles appelées aussi « gisements fonciers » d’autre part (sur UrbanSimul). Des données satellitaires de l’occupation des sols en France sont également en cours de collecte et de traitement par l’Institut national de l’information géographique et forestière, pour compléter d’ici 2024 sa base « OCS GE » pour le territoire français.
Si tous ces outils apparaissent, c’est notamment parce que la Loi Climat et Résilience de 2021 a demandé aux intercommunalités de réaliser un inventaire de leurs zones d’activité économique (ZAE) dans un délai de deux ans. Pour beaucoup d’entre elles, qui s’étaient déjà attelées à cet exercice depuis le transfert des compétences par la loi NOTRe en 2015, l’enjeu est davantage d’actualiser leurs données que d’ouvrir un recensement à proprement parler (Chevrier, Gillio et Jaaïdane, 2022).
Malheureusement, même une fois cet inventaire réalisé, il restera d’autres verrous à lever pour y voir parfaitement clair. D’abord parce que ces ZAE ne couvrent pas l’ensemble du foncier à vocation économique, et surtout parce que l’accès, pour le moment problématique, aux données fiscales sera indispensable pour que cet inventaire offre un reflet exhaustif de la réalité (Chevrier, Gillio et Jaaïdane, 2022), certains terrains étant déclarés en ZAE par leur propriétaire sans accueillir d’activité économique pour autant.
ENSUITE, ÉVALUER ET SITUER LES CONTRAINTES
Pour la plupart des auteurs travaillant sur l’artificialisation des sols, il faut bien avouer que l’industrie n’est pas considérée comme une contrainte majeure: elle ne représenterait que 4 % des surfaces artificialisées. En stock et surtout en flux, le nœud du problème se situe autour de la construction de logements et des infrastructures associées (Fosse, 2019) : cet usage représente 42 % des surfaces concernées et ne cesse prendre de l’ampleur. La cible du législateur, la source de sa préoccupation, c’est donc bien l’étalement résidentiel ; c’est lui, avant tout, qu’il va falloir maîtriser.
Dans cette perspective, la réutilisation des friches industrielles – dont la surface est estimée entre 90000 et 150000 hectares (Assemblée nationale, 2021) serait même plutôt mentionnée comme un levier possible pour contenir voire réduire l’artificialisation des sols (Fosse, 2019), pour peu bien sûr que soient menés les travaux de dépollution, de déconstruction et d’aménagement nécessaires, ce qui constitue certes un poids financier et une servitude pour les collectivités locales (Blanc, Loisier et Redon Sarrazy, 2021).
En revanche, il convient de s’interroger sur la question réciproque: la loi ZAN risque-t-elle à terme de contraindre l’essor industriel ? Sur ce plan, Chevrier, Gillio et Jaaïdane (2022) indiquent que, par endroits, la rivalité entre usages possibles du foncier s’exacerbe et que le logement grignote sur le foncier économique et industriel, ce qui obère les projets locaux de développement économique. En outre, les terrains supérieurs à 10 hectares deviennent rares, ce qui constitue là encore un frein à la réindustrialisation (Intercommunalités de France, 2022) et à l’attractivité de gigafactories dont la surface peut atteindre 300 hectares (Guillot, 2022).
Localement, cette tension se manifeste sur certains territoires comme à Rochefort par exemple (Granier et Ellie, 2021) ou encore dans l’Ouest parisien (Fouqueray, 2022). Mais les territoires restent très hétérogènes sur ce plan. Là où la disponibilité du foncier est déjà problématique, nul doute que les impératifs de la ZAN viendront tendre encore la situation.
D’un point de vue plus macroscopique cependant, et hormis la pression résidentielle déjà évoquée, les ordres de grandeur en présence suggèrent que l’industrie ne devrait pas faire face à une pénurie foncière préoccupante. De premières évaluations, à prendre avec précaution, amènent à considérer que 10 à 20 % de la surface des friches seraient suffisants pour satisfaire une augmentation du PIB industriel de 50 milliards d’euros, l’implantation de 5 000 hectares de bâtiments productifs et la création de 250 000 emplois (Lluansi et Durif, 2022).
ET SURTOUT, RÉPONDRE AUX BESOINS DES INDUSTRIELS
En réalité, hormis les situations locales de pénurie rappelées ci-dessus, la question de la disponibilité foncière pour l’industrie est sans doute plus qualitative que quantitative. En effet, pour être compatibles avec les besoins des entreprises, les sites doivent répondre à différentes caractéristiques: permettre la croissance des activités (l’installation d’une unité de production supplémentaire par exemple), permettre également une interaction avec des partenaires d’affaires et plus généralement l’inscription dans un écosystème productif, offrir un accès à la puissance énergétique désirée et aux autres infrastructures et, last but not least, proposer une implantation rapide.
Pour répondre à ce dernier critère, décisif, le Gouvernement a mis en place en 2020 le programme Sites industriels clés en main (SICM). Ce dernier a avant tout constitué une opportunité de mieux connaître l’offre foncière locale et de référencer les besoins de certains sites qui n’avaient pas été identifiés jusqu’à présent (Guillot, 2022). Mais, comme le déplore le directeur général du CNER, la fédération des agences
de développement économique, dans la Gazette des communes : « en réalité, il n’y a probablement aucun SICM véritablement “clés en main” dans la mesure où beaucoup d’autorisations et d’études restent à faire une fois la nature de l’activité connue et qu’il y a surtout une lenteur administrative toujours persistante lorsque des entreprises ont choisi de s’implanter. »
Concernant les friches, une partie du fonds mis en place dans le cadre de France Relance et doté de 750 millions d’euros depuis 2022 est dédiée au recyclage de friches issues d’anciens sites industriels ICPE ou de sites miniers. Mais peu d’entre elles ont été transformées afin d’y installer des activités industrielles (6 projets sur 36 lors du premier appel à projets et 3 sur 21 lors du second), les porteurs de projet privilégiant le logement et les activités commerciales et de bureaux. Plusieurs raisons expliquent ce résultat, notamment une plus forte certitude sur les besoins en habitat (Guillot 2020) et le fait que les friches ne se situent pas nécessairement là où les entreprises souhaitent s’implanter.
CONCLUSION
L’objectif ZAN s’attaque principalement à l’étalement résidentiel et ne semble pas constituer le principal frein à la réindustrialisation sur le plan foncier. Les lourdeurs administratives, qui empêchent une entreprise de s’assurer à temps qu’un terrain donné correspond à ses attentes, apparaissent par exemple aujourd’hui comme une contrainte plus prégnante. Dresser un état clair du stock de foncier est donc un préalable incontournable à toute politique territorialisée visant à concilier biodiversité et intérêt économique. Les loi et décrets qui instaurent l’objectif ZAN obligent les acteurs, notamment les intercommunalités, à repenser les outils de recensement du foncier mais aussi à anticiper les besoins des entreprises; l’inscription de la ZAN dans les schémas régionaux d’aménagement, de développement durable et d’égalité des territoires (SRADDET) devrait être l’occasion d’un dialogue renouvelé entre les collectivités et les entreprises… si tout se passe comme prévu.
En savoir plus
Blanc, J.-B., Loisier, A.-C., Redon-Sarrazy, C. (2021). Objectif de zéro artificialisation nette à l’épreuve des territoires (Rapport fait au nom de la commission des affaires économiques No 584).
Chevrier, L., Gillio, N., Jaaïdane, J. (2022). Sobriété foncière et développement économique. Focus économie. Intercommunalités de France.
Fosse, J. (2019). Objectif zéro artificialisation nette : quels leviers pour protéger les sols (juillet). France Stratégie.
Fouqueray, E. (2022). Seine-Aval-Mantes : se réinventer face à la déprise industrielle. Presses des Mines.
Ginibrière, G. (2021, décembre). Sites industriels clés en main : les intercommunalités ont une carte à jouer. La Gazette des communes.
Granier, C., Ellie, P. (2021). Ces territoires qui cherchent à se réindustrialiser (Les Notes de La Fabrique, Vol. 34). Presses des Mines.
Guillot, L. (2022). Simplifier et accélérer les implantations d’activités économiques en France [Rapport remis au Gouvernement].
Intercommunalités de France. (2022, février). Sobriété foncière et développement économique [Groupe de travail].
Lluansi, O., Durif, O. (2022, février 7). Réindustrialisation et zéro artificialisation nette sont-elles compatibles ? Les Échos.
Pour accéder à la base de données OCS-GE : https://artificialisation.developpement-durable.gouv.fr/bases-donnees/ocs-ge
Pour accéder à Cartofriches, https://cartofriches.cerema.fr/cartofriches/ et à UrbanSimul https:// urbansimul.cerema.fr/
Pour accéder aux données sur le fonds friches, https://www.ecologie.gouv.fr/laureats-du-fonds-recyclage-des-friches.
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