Articuler participation directe et dialogue social en entreprise
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RÉSUMÉ
Longtemps portée uniquement par les représentants du personnel en charge du dialogue social, la voix des salariés s’exprime aujourd’hui sous d’autres formes. De plus en plus, que ce soit directement ou via les managers, les employeurs informent les salariés et sollicitent leur avis sur l’organisation et le contenu du travail. Plus rarement, cette participation directe, ou dialogue professionnel, atteint même le stade d’une réflexion sur les critères de qualité du travail et d’une autonomisation des collectifs de travail.
Pourtant les acteurs du dialogue social la perçoivent souvent comme un moyen pour les directions de contourner les organes représentatifs. En retour, ces soupçons confortent les directions dans l’idée que les syndicats s’y opposent de peur de voir diminuer leur influence dans l’organisation.
Dépasser ce conflit est nécessaire : il faut au contraire trouver comment articuler ces deux formes de participation. Plusieurs études européennes et internationales montrent en effet que l’association de ces « voix directe et indirecte » a des effets positifs sur la qualité du travail et la performance des organisations.
Au sein des entreprises, la participation des salariés peut être « directe » ou « indirecte ». Dans sa forme directe, nommée dialogue professionnel, elle désigne l’ensemble des échanges plus ou moins institutionnalisés entre les membres d’une équipe de travail, les collaborateurs et les managers, ou encore entre les départements d’une entreprise. Dans sa forme indirecte, ou dialogue social, elle correspond à la voix portée par les représentants du personnel ou les syndicats.
Le dialogue professionnel s’épanouit plutôt dans le cadre du progrès continu, sous la forme d’espaces d’échange et de résolution de problèmes. Le dialogue social, de son côté, est davantage sollicité dans le cadre des projets industriels de transformation, pour discuter de l’évolution des emplois, des compétences et des conditions de travail. Ces deux formes de dialogue poursuivent et partagent un même objectif : l’amélioration de la qualité du travail, tout à la fois vecteur d’accomplissement des travailleurs et de performance des entreprises. La pratique du dialogue professionnel, en particulier, est un des facteurs de l’autonomie et de la santé au travail, à travers le développement des «capabilités» des personnes (Sen, 2010) et des dynamiques d’intelligence collective et de coopération. Au service du progrès continu et de l’innovation, elle aide à rendre l’organisation plus agile et plus réactive face aux évolutions de son environnement.
SURMONTER LA MÉFIANCE ENTRE SYNDICATS ET DIRECTIONS
En France, ces deux dimensions du dialogue d’entreprise sont le plus souvent dissociées. À cela, trois raisons majeures. D’une part, elles n’impliquent ni les mêmes acteurs ni les mêmes jeux d’acteurs : d’un côté, les directions et les syndicats, de l’autre, les salariés et les managers. D’autre part, le modèle des relations sociales en France est très centralisé et donc moins favorable à la « voix directe » des salariés que les systèmes « organisés décentralisés » qui se déploient localement au niveau des établissements, comme on peut le voir dans d’autres pays européens. Les ordonnances dites Macron de 2017 ont ouvert la voie vers ce deuxième système, mieux adapté à une bonne articulation entre dialogues social et professionnel. Toutefois, un récent rapport d’évaluation des ordonnances1 relève que le basculement de l’activité de négociation des branches vers les entreprises n’est pas encore mesurable. Enfin, le développement de la participation directe demeure un point de tension entre syndicats et directions ; les premiers y voient un moyen mis en œuvre par les directions pour les contourner, les secondes attribuent les réticences des syndicats à la peur de perdre en influence.
TROUVER DES INTÉRÊTS COMMUNS
Dépasser ce conflit, autrement dit ne plus avoir à choisir entre participation directe et participation indirecte serait pourtant profitable à chacune des parties, comme le montrent plusieurs études2. La qualité du travail peut en effet devenir le sujet central d’une démarche coopérative entre des acteurs (salariés, managers, directions, syndicats) ayant chacun leurs propres objectifs. Cela suppose d’expérimenter de nouveaux espaces de discussion sur les critères de qualité du travail, dans la recherche d’intérêts communs pour le développement à long terme de l’entreprise. Une telle approche nécessite de reconnaître la validité des arguments de chacun, de l’opérateur au dirigeant, fondés sur ses compétences spécifiques.
Cela impose aux syndicats et aux directions de rechercher de nouveaux équilibres. Côté direction, il s’agit de reconnaître que le syndicalisme a un rôle à jouer en matière d’organisation du travail, à côté de son rôle traditionnel dans des domaines comme l’emploi, le temps de travail et les salaires. Côté syndical, il s’agit d’un renouvellement stratégique majeur consistant à apporter un soutien proactif au développement des formes de participation directe et d’autonomisation des salariés. Un tel choix pourrait se révéler décisif pour renouer une relation de confiance entre syndicalisme et salariés, et inverser la courbe de désyndicalisation, particulièrement inquiétante en France; selon les chiffres de la Dares, en 2019, seulement 10,3 % des salariés étaient membres d’un syndicat (ce chiffre tombe même à 7,8 % pour le secteur privé). In fine, le dialogue professionnel, loin de menacer l’action syndicale, pourrait au contraire devenir la source de son renouveau, les représentants des salariés se saisissant alors des questions soulevées par le dialogue professionnel dans le cadre du dialogue social, sans pour autant se substituer aux gens de métier dans la résolution de leurs problèmes. Le développement du dialogue professionnel deviendrait ainsi une opportunité majeure pour faire évoluer la qualité du dialogue social.
- 1. France stratégie (2021), Évaluation des ordonnances du 22 septembre 2017 relatives au dialogue social et aux relations de travail, rapport du comité d’évaluation, décembre.
- 2. Rapport OCDE, études Eurofound, etc.
CONCLUSION
La participation directe permet aux individus et collectifs de se sentir reconnus et d’avoir une place dans l’organisation. Elle implique un changement de culture managériale, et plus particulièrement de s’appuyer sur l’intelligence individuelle et collective, de tirer parti des expériences de terrain, au service d’une organisation apprenante. Dans ce but, les dirigeants doivent s’engager dans des innovations organisationnelles exigeantes, et les syndicats doivent surmonter leur méfiance à l’égard de la participation directe et leur crainte d’être « désintermédiés». Ils ont intérêt à soutenir les aspirations des salariés à l’extension de leur pouvoir d’agir, en aidant à organiser un dialogue professionnel constructif. La controverse entre le patronat et les syndicats devrait moins porter sur l’utilité sociale et économique de cette participation que sur les formes à lui donner. Le dialogue professionnel est une opportunité de faire évoluer tout à la fois le syndicalisme, le management, et le dialogue social. La participation devient alors une manière de construire collectivement le progrès social et économique en impliquant toutes les parties prenantes.
Note : Pour être constructifs, les dialogues doivent favoriser une compréhension des perspectives de chaque catégorie d’acteurs.
Chiffres-clés
En savoir plus
Clot Y., Bonnefond J.-Y., Bonnemain A., Zittoun M. (2021), Le Prix du travail bien fait. La coopération conflictuelle dans les organisations. Paris : La Découverte.
Eurofound and Cedefop (2020), European Company Survey 2019: Workplace practices unlocking employee potential. European Company Survey 2019 series, Publications Office of the European Union, Luxembourg.
OCDE (2019), Négocier notre chemin : la négociation collective dans un monde du travail en mutation. Paris : OECD Publishing.
Sailly M., Johansen A., Tengblad P. et van Klaveren M. (2022), Dialogues social et professionnel : comment les articuler ?, Les Docs de La Fabrique, Presses des Mines.
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